Réplique de la République fédérale d'Allemagne

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12028

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

AFFAIRE RELATIVE AUX IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L’ETAT

(ALLEMAGNE c. ITALIE)

RÉPLIQUE DE LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D’ALLEMAGNE

5 OCTOBRE 2010

[Traduction du Greffe] Table des matières

I. L’objet du différend (sections 1-2)

II. Observations liminaires (sections 3-11)

III. Questions liées aux réparations concernant l’Italie et (sections 12-34)
les citoyens italiens

1. Observations générales (sections 12-13)

2. La clause de renonciation figurant au paragraphe 4 de l’article 77
du traité de paix (sections 14-29)

3. Les clauses de renonciation contenues dans les deux traités de 1961 (section 30)

4. Versements à titre de réparation (sections 31-33)

5. Déni de justice ? (section 34)

IV. Le domaine de la responsabilité et de l’immunité des Etats a-t-il (sections 35-68)

récemment évolué ?
1. Le caractère anachronique des arguments de l’Italie (section 36)

2. Les règles relatives à l’immunité des Etats en tant que (sections 37-38)

règles substantielles

3. Les violations du droit international humanitaire ne sauraient fonder (sections 39-43)

de prétention à une indemnisation individuelle

4. La renonciation aux demandes de réparation individuelles (sections 44-49)

5. La clause territoriale (sections 50-55)
6. Le jus cogens (sections 56-68)

V. Demandes (section 69)

Liste des annexes I. L’objet du différend

3 1. Dans son contre-mémoire (CM) du 22décembre2009, l’Italie soutient que le présent
différend ne saurait être réduit à la question de savoir si elle a respecté l’immunité juridictionnelle

de l’Allemagne et si elle la respecte actuellement. Dès l’introduction du document, l’Italie affirme
que le prétendu manquement de l’Allemagne à son obligation «d’assurer la réparation de violations
particulièrement graves du droit international humanitaire» doit être considéré, ratione materiae et
ratione temporis, comme faisant partie intégrante des éléments de fait et de droit sur lesquels la

Cour doit se prononcer (p. 6, par. 1.3). Elle réitère cette affirmation dans ses conclusions. L’Italie
souligne que la demande reconventionnelle, qu’elle s’est estimée en droit d’introduire en raison de
son interprétation large de l’objet du différend, «se fonde sur le refus opposé par l’Allemagne
d’accorder une réparation effective aux victimes italiennes des graves violations du droit

international humanitaire commises par l’Allemagne nazie durant la seconde guerre mondiale»
(p. 133, par. 7.14).

2. Il va sans dire que cette tentative d’étendre la portée du différend n’a pas abouti. Dans sa
décision du 6juillet2010, la Cour a très clairement indiqué que, en vertu de la convention
européenne pour le règlement pacifique des différends du 29 avril 1957, seuls des faits postérieurs

au 18avril1961, date de l’entrée en vigueur de la convention entre les deux Parties, peuvent lui
être légitimement soumis en tant que source ou cause réelle du différend. Les terribles événements
de la seconde guerre mondiale, lorsque les forces d’occupation allemandes ont, de fait, gravement
violé les lois de la guerre, ne relèvent donc pas de la juridiction de la Cour. Par conséquent, la

seule question qu’il convient d’examiner au présent stade du fond est celle de savoir si l’Italie
satisfait aux engagements qui sont les siens en vertu du droit international général de respecter
l’immunité juridictionnelle de l’Allemagne. Les actes illicites commis par l’Allemagne durant la
seconde guerre mondiale n’autorisent pas l’Italie à faire fi du principe du consentement qui fonde

le règlement des différends internationaux. Rien ne semble permettre, en droit, de faire entrer des
4 événements antérieurs à1961 dans le champ de compétence de la Cour. Le «grand dessein» de
l’Italie, son intention d’interpréter un ensemble complexe et indissociable de faits qui s’étendent de

septembre 1943 à aujourd’hui, est habile mais vain. Cette interprétation ne survit pas à la décision
rendue par la Cour à propos de la demande reconventionnelle.

II. Observations liminaires

3. Comme l’a déjà démontré le mémoire, le principe de l’immunité des Etats a pleinement
conservé sa validité et son efficacité aux fins de la présente instance. Certes, en ce qui concerne les

activités commerciales, les Etats ont perdu l’immunité absolue dont ils jouissaient auparavant. La
Cour constitutionnelle allemande a été l’un des éminents organes judiciaires qui ont étayé ce
changement fondamental de position juridique 1. Toutefois, en ce qui concerne les actes de
souveraineté, la règle traditionnelle demeure inchangée. L’évolution récente dans le domaine des

droits de l’homme, en particulier l’émergence du concept de jus cogens, n’a pas aboli le régime de
l’immunité juridictionnelle. Les Etats tirent leur droit d’être affranchis de la juridiction des
tribunaux des autres Etats du principe de l’égalité souveraine, qui constitue l’un des piliers de
l’ordre juridique international (paragraphe1 de l’article2 de la Charte des NationsUnies) et peut

également être considéré comme une règle du jus cogens. En passant outre l’immunité, les
juridictions étrangères s’arrogent des pouvoirs que leur refusent les règles fondamentales de la
communauté internationale. Malgré l’importance croissante des droits de l’homme en droit

international, le cadre collectif de l’égalité des souverainetés fournit la structure essentielle au bon
fonctionnement de l’ordre juridique international. Tout manquement unilatéral à ce régime

1
Arrêt du 30 avril 1963, Entscheidungen des Bundesverfassungsgerichts, vol. 16, p. 27 ; traduction anglaise : ILR
vol. 45, p. 57. - 2 -

juridique global ne peut que menacer les mécanis mes de règlement pacifique des différends que la

communauté internationale a élaborés par consensus sur de nombreuses décennies depuis les
conférences de la paix de La Haye il y a plus d’un siècle.

5 4. En ce qui concerne en particulier les conflits armés internationaux, l’immunité a conservé
sa justification en tant que règle de bon sens permettant, dans les relations interétatiques, de régler,
de manière mûrement réfléchie, par voie de négociation et de traité, la question des dommages. Il

serait impossible de jamais mettre fin aux guerres si, après la cessation réelle des hostilités, toute
personne ayant subi un préjudice du fait d’une violation du droit international humanitaire pouvait
présenter une réclamation personnelle contre l’Etat dont les forces armées sont responsables du
préjudice causé. Les juges nationaux de l’une ou l’autre des Parties ne sauraient traiter

convenablement des milliers, voire des millions, de revendications. Suivant le point de vue de
l’Italie, la seconde guerre mondiale ne serait pas encore achevée au sens juridique. Les victimes
des deux camps seraient en droit d’engager des procédures civiles devant leurs propres juridictions

nationales, indépendamment de tout accord conclu par le pays dont elles sont ressortissantes avec
les adversaires de l’époque, il y a de cela 65 ans.

5. L’Italie ne semble malheureusement pas avoir conscience des conséquences des opinions
qu’elle défend en la présente instance. Si toute violation grave du droit international humanitaire
pendant la seconde guerre mondiale avait engendré un droit individuel à indemnisation, un droit
intangible pour les Etats de nationalité des victimes, il s’ensuivrait la réouverture d’un énorme

champ de bataille judiciaire. Outre les populations des anciens adversaires de l’Allemagne et de
l’Italie, toutes les autres victimes d’actes de guerre illicites perpétrés par l’une ou l’autre des
puissances ayant joué un rôle dans la seconde guerre mondiale jouiraient des mêmes droits. Il

suffit de lire n’importe quel livre sur l’histoire de cette guerre pour se faire une idée de l’ampleur
des atrocités qui ont pu être commises durant ces années. Les juridictions nationales pourraient
être saisies dans l’Europe entière, en dépit d’accords conclus il y a des années, voire des dizaines

d’années. L’Allemagne est fermement opposée à cette terrible perspective de batailles judiciaires
interminables qui sèmeraient le trouble et l’hostilité sans aucune frontière juridique.

6. Il n’est nullement nécessaire de se perdre en commentaires pour expliquer que les Etats ne
soient guère disposés à se conformer à des décisions rendues à leur encontre par des juges d’un
6 autre pays et portant sur leurs fonctions gouvernementales — lesquels juges, dans une perspective
institutionnelle, seraient difficilement libres de tout parti-pris même s’ils nourrissaient les

meilleures intentions d’impartialité et d’objectivité. Il convient de répéter que les Etats souverains
ne sont pas soumis à la juridiction d’autres entités souveraines, sauf consentement clair et sans
réserve de leur part. En conséquence, le règlement des dommages de guerre suit généralement les

mécanismes habituels de la diplomatie internationale. Au niveau interétatique, il est possible de
veiller à un équilibre prudent des droits et obligations réciproques en tenant compte, notamment, de
la capacité économique de l’Etat responsable.

7. En réalité, la pratique internationale est restée très largement fidèle à la règle traditionnelle
de l’immunité des Etats. Le contre-mémoire n’a pas pu démontrer l’émergence d’une nouvelle
règle qui aurait écarté la règle coutumière profondément ancrée dans le comportement habituel des

Etats. La seule et unique exception est l’arrêt rendu le 4mai2000 par la Cour suprême grecque
(Areios Pagos) dans l’affaire Distomo , qui a ensuite, en l’affaire Margellos, été infirmé
aumotif que l’arrêt ne traduisait pas le véritable état du droit international  par la Cour
3
suprême spéciale établie en vertu de l’article100 de la Constitution grecque , qui remplit, en

2
Mémoire de l’Allemagne, annexe 9.
3
Arrêt du 17 septembre 2002, ILR, vol. 129, p. 526. - 3 -

Grèce, les fonctions d’une cour constitutionnelle. Ainsi, même en Grèce, cette nouvelle tendance
de la jurisprudence n’a pas été reconnue comme un précédent valable. Il en va de même devant les
juridictions d’autres pays. Ni la décision rendue dans l’affaire Distomo ni celle ensuite rendue par
4
la Cour de cassation (Corte di Cassazione) italienne en l’affaire Ferrini n’ont trouvé de partisan.
L’arrêt Ferrini est resté, très clairement, un incident isolé.

8. Dans ses décisions plus récentes du 29mai2008 5, la Cour de cassation italienne a
cherché à justifier sa position en invoquant les principes fondamentaux de la justice inscrits dans le
6
7 corps des normes relatives aux droits de l’homme . Or, elle n’est parvenue à produire aucun
jugement étranger qui viendrait étayer ses vues. Afin de dissimuler la vacuité de son raisonnement,
elle fait observer que le nombre d’affaires et de décisions qui suivent un même courant

jurisprudentiel ne saurait être un élément décisif. Il est fort possible qu’un simple recensement de
décisions ne rende pas justice à la complexité de la question. Toutefois, un tel décompte en dit

long sur la situation manifestement isolée de la Cour de cassation : celle-ci n’a pas un seul partisan.
Elle reconnaît implicitement cet isolement lorsqu’elle signale que la règle qu’elle applique est une
règle «en gestation» . Une lecture attentive du contre-mémoire fait également apparaître l’absence

totale de pratique à l’appui. La Cour de cassation se trouvant dans un splendide isolement, le
contre-mémoire n’est pas en mesure de faire état d’un seul élément de fait qui pourrait servir de
fondement à une nouvelle règle coutumière dérogeant au principe établi de l’immunité des Etats en

ce qui concerne les actes souv8rains. Dans son mémoire en date du 31 décembre 2009 en l’affaire
Ugo Bonaiuti c. Allemagne , la Procura Generale della Repubblica a soigneusement examiné et
rejeté de façon convaincante, les uns après les autres, les arguments sur lesquels la Cour de

cassation s’était appuyée pour déclarer recevables les actions civiles engagées contre l’Allemagne à
propos d’événements datant de la seconde guerre mondiale. L’Allemagne ne saurait ajouter grand
chose à cet examen minutieux de la situation juridique. La position erronée adoptée par la Cour de

cassation n’a jamais été plus radicalement dénoncée, et ce, non par quelque voix universitaire, mais
par l’une des institutions du système judiciaire italien lui-même.

9. L’Allemagne est d’avis que la défense italienne s’est pratiquement effondrée en
conséquence de la décision rendue par la Cour le 6 juillet 2010. L’Italie n’a pas pu démontrer que

la règle bien établie de l’immunité juridictionnelle avait cédé le pas à une quelconque nouvelle
tendance qui la rendrait rétroactivement inapplicable. L’Allemagne pourrait donc se contenter de
renvoyer à son mémoire, où les questions juridiques pertinentes ont été analysées en détail. Elle

8 juge néanmoins nécessaire d’examiner un certain nombre d’affirmations et d’allégations contenues
dans le contre-mémoire qui ne correspondent pas à la situation réelle. Il convient en effet de rejeter
catégoriquement certaines des observations faites dans le contre-mémoire car elles dénaturent l’état

de la relation entre les deux Parties. C’est précisément par souci de maintenir la relation amicale de
bon voisinage qui existe actuellement entre l’Italie et l’Allemagne, que celle-ci se sent tenue de
rétablir la vérité en ce qui concerne plusieurs des affirmations trompeuses du contre-mémoire.

10. Toutefois, avant d’aborder plusieurs détails particuliers, l’Allemagne tient à ce qu’il soit

pris acte de la vive inquiétude que lui inspire la remarque, répétée plusieurs fois et placée en
intitulé d’une section entière du contre-mémoire il ne s’agit donc pas d’un lapsus  , selon

4 Mémoire de l’Allemagne, annexe 1.

5 Mémoire de l’Allemagne, annexe 13.
6
Sans le dire de manière aussi explicite, la Cour de cassation suit implicitement la doctrine du jus cogens.
7 Mémoire de l’Allemagne, annexe 13, traduction, p. 71 ; version italienne : «in via di formazione».

8 Annexe 1. - 4 -

laquelle «immunité ne peut signifier impunité» . L’Italie fait référence à cet égard à un passage de
10
l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire du Mandat d’arrêt , mais les mots employés par la Cour sont
totalement sortis de leur contexte. Il incombait à la Cour de se pencher sur l’immunité d’une
personne, le ministre congolais des affaires étrangères, qui, suivant des allégations crédibles, avait

commis de graves violations des droits de l’homme par divers discours incitant à la haine raciale.
Il va sans dire que l’immunité devant des juridictions internationales ne revient pas à l’impunité
tout court. Le ministre congolais pouvait être poursuivi et ce, surtout devant les tribunaux de son
propre pays.

11. En utilisant, dans le cas présent, les mots employés par la Cour dans une affaire où était
en cause la responsabilité pénale individuelle, l’Italie montre sa méprise regrettable quant à l’objet

et au but d’un contentieux relatif à la réparation de dommages de guerre. Des citoyens italiens ont
intenté des actions civiles contre l’Allemagne en tant qu’Etat souverain. Aucun d’eux n’a cherché
à faire de l’Allemagne un défendeur en matière pénale. L’Allemagne est en droit de rappeler qu’il

n’existe pas de régime international de droit pénal entre les Etats. Cette absence de sanction pénale
9 à l’égard des Etats repose sur de bonnes rais ons, puisque toute sanction serait nécessairement
fondée sur la présomption de faute collective d’un peuple dans son intégralité. Les criminels de
guerre ont, bien évidemment, été poursuivis et condamnés en Allemagne après la seconde guerre

mondiale, par le tribunal militaire international de Nuremberg en 1945/1946 dans un premier temps
et, plus tard, dans une multitude de procès tenus devant des tribunaux allemands. La faute pénale
est toujours une faute individuelle. Par ailleurs, si la responsabilité internationale d’un Etat revient

en effet à une responsabilité collective de la communauté nationale dans son entier, elle ne rejette
pas la responsabilité d’une faute pénale sur le peuple concerné. En conséquence, un Etat tenu à des
réparations jouit d’un large pouvoir discrétionnaire quant aux voies et aux moyens de s’acquitter de
son obligation. En tout état de cause, l’Allemagne veut croire que dans la suite de la procédure

devant la Cour, aucune connotation fâcheuse de cet ordre ne viendra plus gâter le climat général de
la controverse juridique.

III. Questions liées aux réparations concernant l’Italie et les citoyens italiens

1. Observations générales

12. Un des leitmotive de l’argumentation de l’Italie dans son contre-mémoire est le grief fait
à l’Allemagne de n’avoir jamais consenti d’effort pour indemniser les victimes italiennes des

violations du droit international humanitaire commises pendant la période où l’Italie était sous
occupation allemande, de septembre1943 à avril/mai1945. Dans les paragraphes d’introduction,
ce raisonnement est déjà exposé avec force. C’est ainsi qu’on peut lire au paragraphe 1.3 (p. 6) :

«ces victimes ont subi et continuent de subir un déni de justice flagrant, étant donné
que pendant plus de soixante ans, toute tentative d’obtenir le respect par l’Allemagne
du principe impératif du droit international imposant une obligation de réparation

absolue dans de tels cas s’est révélée infructueuse».

Quelques lignes plus loin (p.6, par.1.4), l’Italie mentionne de nouveau un «déni de justice
flagrant». Reprenant les mêmes termes, elle accuse l’Allemagne d’avoir manqué à ses obligations

10 de réparation, de sorte que le recours aux juridictions nationales a été la seule manière d’obtenir la
réparation requise (p. 8, par. 1.9),

9
Voir le titre de la section IV, p. 55.
10Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, C.I.J. Recueil 2002 ,

p. 25, par. 60. - 5 -

«puisque toutes les autres voies de recours se sont révélées infructueuses ou sont de

toute façon exclues à la suite du choix de l’Allemagne d’après-guerre de ne pas
indemniser une multitude de victimes italiennes de crimes épouvantables commis par
le Reich allemand».

L’Italie présente essentiellement la violation de l’immunité souveraine de l’Allemagne
comme une solution de dernier recours, une mesure d’« autoprotection» prise pour remédier à une
situation en profonde contradiction avec les principes fondamentaux de l’ordre juridique
international.

13. De toute évidence, ces affirmations ne tiennent pas compte d’un certain nombre de faits
essentiels. Tout d’abord, force est de conclure qu e, du moins pendant la deuxième guerre

mondiale, les violations du droit international humanitaire n’ouvraient pas droit à des demandes
individuelles de réparation au bénéfice des victimes de violations graves des règles du jus in bello.
Tout le régime de réparation des dommages de la deuxième guerre mondiale, tel qu’initialement
élaboré et défini par les puissances alliées victorieuses dans le cadre de l’accord de Potsdam,

reposait sur l’idée que les réparations devaient être traitées au niveau interétatique, au travers de
mécanismes traditionnels. Il n’avait jamais été imaginé que des créances de réparation puissent
être attribuées également à des victimes individuelles. En outre, l’Allemagne ne peut manquer de

souligner que l’Italie a bénéficié du régime de réparation d’après-guerre, et que l’Allemagne lui a
versé d’importantes indemnités. Enfin, les victimes n’ont jamais été privées d’accès au système
judiciaire allemand. L’Italie, qui est l’entité habilitée à intenter des actions au nom de ses citoyens,
n’a pas tenté une seule fois, pendant les quelque quarante ans qui ont suivi la conclusion des deux

accords de 1961, de faire valoir ces revendications. Ce n’ est qu’après que11’Allemagne a adopté la
loi de2000 sur la fondation «Mémoire responsabilité et avenir» , que l’Italie a fait des
représentations auprès de celle-ci au sujet de l’exclusion des internés militaires italiens de la portée

ratione personae de cette loi. En tant que prisonniers de guerre, les membres de ce groupe
11 n’avaient pas été pris en compte dans ce régime de réparation mis en place tardivement.

2. La clause de renonciation figurant au paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix

14. Dans son mémoire, l’Allemagne relève qu’en vertu du traité de paix conclu avec les
puissances alliées victorieuses, l’Italie a renoncé, «en son nom et au nom des ressortissants

italiens», à toutes réclamations contre l’Allemagne (paragraphe4 de l’article77). Point n’est
besoin pour l’Allemagne d’exposer en détail les raisons de cette stipulation contractuelle. Il est
bien connu que l’Italie avait été alliée de l’Allemagne nazie pendant de nombreuses années. Par
ailleurs, l’Allemagne disposait de peu de moyens économiques et financiers pour réparer les

dommages qu’elle avait causés pendant la guerre. En conséquence, priorité avait été donnée aux
nations qui pouvaient être considérées comme d’innocentes victimes de l’agression allemande. Les
puissances alliées ne voyaient apparemment pas de justification à la participation de l’Italie comme
puissance quasi-victorieuse au régime de réparation institué.

15. A cet égard, il convient de considérer le paragraphe4 de l’article77 du traité de paix
comme une clause type, reprise, en termes plus ou moins identiques, dans les traités de paix

conclus le 10février1947 entre les puissances alliées et les autres anciens alliés de l’Allemagne
nazie, à savoir la Bulgarie (par. 4 de l’art. 26), la Hongrie (par. 4 de l’art. 30) et la Roumanie (par. 4
de l’art.28). En vertu de toutes ces dispositions, ces nations devaient renoncer à toutes

réclamations contre l’Allemagne et les r essortissants allemands qui n’avaient pas été réglées
au8mai1945. Les puissances alliées victorieuses, qui disposaient d’une grande latitude pour
définir le contenu des traités qu’elles souhaitaient adopter, poursuivaient ainsi deux objectifs.

11
CM, annexe 7. - 6 -

D’une part, elles avaient l’intention d’en finir avec les ravages de la guerre en mettant un frein à la

bataille judiciaire sur les réparations des dommages de guerre, qui se serait autrement éternisée.
D’autre part, comme nous l’avons déjà laissé entendre, la renonciation imposée était également
considérée comme un moyen de sanction contre les puissances de «l’Axe», ces Etats qui avaient

formé une Alliance avec l’Allemagne et l’Italie. Ces Etats ne pouvaient espérer sortir de la guerre
12 totalement indemnes. De même que l’Allemagne avait dû renoncer à toutes réclamations contre
eux, ils devaient renoncer à toutes réclamations contre l’Allemagne.

16. De toute évidence, les considérations relatives à l’interprétation des clauses de
renonciation que nous venons d’exposer s’appliquent également au paragraphe 4 de l’article 77 du

traité de paix avec l’Italie. Etant donné que l’intention était de préparer un nouveau départ dans
une Europe en paix, ces renonciations devaient être de portée générale et globale.

17. Il reste à déterminer si l’Allemagne peut tirer des droits du traité de paix avec l’Italie,
auquel elle n’était pas partie. Il ressort clairement du libellé dudit traité que l’Allemagne est le
bénéficiaire de la clause de renonciation contenue au paragraphe 4 de l’article 77. Compte tenu de

l’objet et du but de cette clause, on ne peut que conclure qu’elle ne se limite pas à faire une
libéralité à l’Allemagne ou à lui concéder un simple avantage, mais qu’elle lui confère un véritable
droit qui peut être invoqué en l’espèce.

18. L’Allemagne invoque la règle de droit coutumier 12reflétée à l’article 36 de la convention
de Vienne sur le droit des traités, qui prévoit des droits pour des Etats tiers. Selon cette disposition,

un droit naît pour un Etat tiers d’un traité si les parties à ce traité entendent conférer un droit à
l’Etat tiers et si le bénéficiaire y consent. Il ne fait pas de doute que l’Allemagne a donné un tel
consentement, tant implicitement qu’explicitement. La présente procédure, par exemple, en est une

nouvelle manifestation implicite. La conclusion du traité de paix lui-même peut également être vue
comme une manifestation du consentement de l’Allemagne, dans la mesure où ce sont les
puissances alliées, avec qui l’Italie avait dû négocier, qui assumaient à l’époque «l’autorité
13
suprême à l’égard de l’Allemagne», en vertu de la déclaration de Berlin de1945 . Lorsque,
13 deuxans plus tard, elles ont conclu le traité de paix avec l’Italie, elles ont agi en même temps en
qualité de représentants de l’Allemagne et de ses intérêts.

19. Par conséquent, la seule question qui se pose est de savoir si les parties au traité de paix
de 1947 entendaient conférer un droit véritable à l’Allemagne, comme le prévoit le paragraphe 1 de

l’article 36 de la convention de Vienne sur le droit des traités. A cet égard, il convient tout d’abord
de rappeler que l’Allemagne était expressément désignée par son nom. Si un Etat est effectivement
défini de cette manière, aucune raison ne justifie qu’il ne lui soit pas permis d’invoquer une
stipulation faite en sa faveur. Pour l’essentiel, cela reviendrait à priver cette clause de son objectif

et de son but, qui étaient, comme nous l’avons déjà souligné, de dégager le terrain des ruines
laissées par la guerre et de permettre un nouveau départ à l’ancien ennemi qui se trouvait en 1947
dans une situation extrêmement difficile. Les conditions économiques déplorables qui prévalaient

dans l’Allemagne d’après-guerre avaient une incidence directe sur les puissances alliées qui, à
l’époque, en tant que forces d’occupation, étaient responsables de l’Allemagne et de sa population.
En particulier, les puissances alliées ne voulaient pas que leurs propres créances de réparation, qui

avaient été reconnues par les accords de Potsdam, soient affectées par les demandes de réparation

12
Voir MarkE.Villiger, Commentary on the 1969 Vienna Convention on the Law of Treatie(Leiden–Boston,
2009), p. 488.
13Déclaration concernant la défaite de l’Allemagne et la prise de l’autorité suprême à l’égard de l’Allemagne par
[les puissances alliées], reproduite dans: IngovonMünch (sous la directioDokumente des geteilten Deutschland
(Stuttgart, 1968), p. 19. - 7 -

émanant d’anciens alliés de l’Allemagne nazie. En d’autres termes, les puissances alliées voulaient
que les dispositions des traités de paix soient suivies d’effets. Une renonciation qui ne pouvait être
invoquée par son bénéficiaire n’aurait eu aucune raison d’être.

20. Cette conclusion est étayée par le commentaire officiel de la CDI relatif aux projets
d’articles sur le droit des traités. La CDI a achevé ses travaux en1966. Dans le commentaire

relatif à l’article 32, qui est le projet de disposition consacré aux traités garantissant des droits à des
Etats tiers, la CDI a expressément mentionné les clauses de renonciation contenues dans les traités
de paix, présentant ceux-ci comme des exemples de traités établissant des droits pour des Etats

tiers :

«Dans d’autres cas, [la stipulation] est en faveur d’un groupe d’Etats comme

dans le cas des dispositions des traités de paix postérieurs aux deux guerres mondiales,
qui stipulaient que les Etats vaincus devaient renoncer, en faveur de certains Etats non
14 parties aux traités, à toute réclamation résultant de la guerre… On a déjà cité…des
exemples de stipulations en faveur d’Etats, de groupes d’Etats ou de l’ensemble des
14
Etats.»

La CDI était donc convaincue que les traités de paix conclus après la deuxième guerre mondiale,

dont celui avec l’Italie, devaient être considérés comme des instruments qui ne se contentaient pas
d’énoncer des obligations dont les bénéficiaires n’auraient pu exiger l’exécution mais conféraient à
ceux-ci des droits véritables.

21. Dans l’affaire d’un navire italien, le S.S. Fausto, l’effet sur une tierce partie des clauses
de renonciation contenues dans le traité de paix avec l’Italie a été reconnu. L’ancien propriétaire

italien du Fausto avait saisi les juridictions uruguayennes d’une demande de réparation parce que
l’Uruguay avait réquisitionné son bateau pendant la guerre. Bien que l’Uruguay ne soit pas partie
au traité de paix avec l’Italie, les juridictions saisies ont conclu que le Gouvernement uruguayen

était en droit d’invoquer la clause de renonciation figurant à l’article76 de cet instrument pour
rejeter la réclamation .15

22. Le défendeur a émis des doutes quant à la portée de la clause de renonciation figurant au
paragraphe 4 de l’article 77. Il fait valoir que cette clause vise essentiellement les relations de droit

privé résultant d’obligations commerciales et contractuelles. Une telle interprétation a pour
corollaire que le paragraphe 4 de l’article 77 ne pouvait couvrir les réclamations nées de violations
des lois de la guerre et du droit humanitaire imputables au Reich allemand 16. Or le point de vue de

l’Italie n’est compatible ni avec la lettre de la clause ni avec son esprit.

23. Il est vrai que la première phrase concerne essentiellement des droits régis par le droit

privé. Toutefois, la deuxième phrase modifie la perspective. Il y est fait mention de «toutes les
réclamations de caractère intergouvernemental relatives à des accords conclus au cours de la
guerre» et, dans le dernier membre de cette phrase, de «toutes les réclamations portant sur des
15
pertes ou des dommages survenus pendant la guerre». Il n’y a aucune distinction entre des
catégories déterminées de réclamations. Cette clause de renonciation est de portée générale. Elle
englobe toute réclamation qui pourrait être formulée contre l’Allemagne. Rompre l’unité du texte

en le divisant en plusieurs segments est contraire aux règles établies d’interprétation.

14
Annuaire de la CDI, 1966, vol. II, p. 228, par. 2 ; p. 229, par. 7.
15
Sir Humphrey Waldock, Troisième rapport sur le droit des traités, Nations Unies, doc. A/CN.4/167, extrait de
l’annuaire de la Commission du droit international, 1964, vol. II, p. 24, par. 18.
16CM, p. 105, par. 5.49. - 8 -

24. La thèse du défendeur va à l’encontre de l’objectif visé par la clause de renonciation. De

toute évidence, les auteurs du traité de paix n’avaient, étant donné la situation économique précaire
dans laquelle se trouvait le pays vaincu, nullement l’intention de permettre à l’Italie ou aux
citoyens italiens de se prévaloir d’obligations vis-à-vis de l’Allemagne ni de les rendre exécutoires.

Aussi était-il nécessaire de protéger l’ Allemagne contre ce type de revendication. Or, les parties
concernées n’ignoraient sans doute pas que les demandes en réparation à raison de dommages de

guerre constituaient l’essentiel des réclamations non réglées.

25. Les autorités judiciaires des deux pays ont confirmé que la clause de renonciation
produisait effectivement les effets escomptés. Dans un arrêt du 2 février 1953, la Cour de cassation

italienne (Corte di Cassazione) a ainsi reconnu qu’aucune demande ne pouvait être formulée à 17
l’encontre de l’Allemagne ou de citoyens allemands par des personnes de nationalité italienne .
Du côté de l’Allemagne, et contrairement aux allégations du défendeur 18, la Cour fédérale
19
allemande de justice (Bundesgerichtshof) est parvenue à la même conclusion . Elle a en effet
rejeté une requête en réparation introduite par un citoyen italien contre le Reich allemand pour

réquisition d’un véhicule privé, au motif que, en vertu de la clause de renonciation —qui étai20
devenue applicable en Allemagne conformément au paragraphe4 de l’article5 de l’accord de
Londres sur les dettes extérieures allemandes 21—, le plaignant avait perdu le droit de faire valoir
16
sa demande. Autrement dit, cette décision a confirmé que la clause de renonciation produisait son
plein effet.

26. La réserve formulée par les puissances alliées victorieuses dans la phrase introductive du

paragraphe4 de l’article77 du traité de paix ne modifie en rien la conclusion selon laquelle la
renonciation devait être définitive et irrévocable dans la relation entre les deux pays, aussi

longtemps que les puissances alliées ne recourraient pas à la faculté qu’elles s’étaient réservée. Or,
aucune décision n’a été prise en ce sens. Le paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix demeure,
à ce jour, inchangé. En conséquence, la clause de renonciation continue de produire son plein effet.

27. Aucune des clauses de renonciation contenues dans les traités de paix conclus avec les

anciens alliés des puissances de l’Axe n’a jamais donné lieu à l’interprétation restrictive que
suggère aujourd’hui le défendeur. Aucune demande en réparation de dommages de guerre n’a été

formulée contre l’Allemagne par la Bulgarie, la Hongrie ou la Roumanie. Dans tous ces pays,
l’opinion qui a prévalu jusqu’à aujourd’hui, plus de soixante ans après la conférence de Paris
de1947, est que ces clauses interdisent toute tentative d’imposer à l’Allemagne le versement

d’indemnités. Seule l’Italie s’écarte de ce consensus.

28. La conclusion selon laquelle l’Italie fait une interprétation erronée de la clause de
renonciation contenue dans son traité de paix est étayée également par le fait que les puissances

alliées elles-mêmes —elles aussi victimes de violations du droit international humanitaire par les
forces armées allemandes— ont, exactement de la même manière, renoncé à toute demande en

17
Giurisprudenza Italiana 1953, sect. I, p. 317 ; annexe 2.
18
CMI, p. 108, par. 5.53.
19Entscheidungen des Bundesgerichtshofs in Zivilsachen (BGHZ), vol. 19, p. 258, 14 décembre 1955 ; annexe 3.

20«Les créances à l’encontre de l’Allemagne ou des ressortissants allemands des pays qui ont été incorporés au
Reich avant le 1 septembre1939, ou qui étaient les alliés du Reich le 1 septembre1939 ou après cette date, et des

ressortissants de ces pays, lorsque ces créances résuerent d’obligations contractées ou de droits acquis entre la date
d’incorporation (ou, dans le cas des alliés du Reich, le 1 septembre 1939) et le 8 mai 1945, seront traitées conformément
aux dispositions prises ou à prendre dans les traités appropriés. Dans la mesure où de telles dettes pourront, aux termes
de ces traités, faire l’objet d’un règlement, les dispositions du présent Accord seront applicables.»
21
Du 27 février 1953, RTNU, vol. 333, p. 2. - 9 -

réparation contre l’Allemagne non seulement en leur nom propre, mais aussi au nom de leurs
nationaux. Elles l’ont fait eu égard aux réparations imposées à l’Allemagne en vertu des accords
de Potsdam, telles que précisées dans l’accord concernant les réparations à recevoir de

17 l’Allemagne, l’institution d’une agence interalliée des réparations et la restitution de l’or monétaire
(article 2 A)) :

«Les Gouvernements signataires conviennent entre eux que leurs quote-parts
respectives de réparations, telles qu’elles sont fixées par le présent Accord, doivent

être considérées par chacun d’eux comme couvrant toutes ses créances et celles de ses
ressortissants sur l’ancien gouvernement allemand et les Agences gouvernementales
allemandes, créances qui ne font pas expressément l’objet d’autres dispositions,

créances de caractère public ou privé, issues de la guerre, y compris le coût de
l’occupation allemande, les avoirs en compte de clearing acquis pendant l’occupation
et les créances sur les Reichskreditkassen.» 22

Le préambule de l’instrument indique expressément que celui-ci a pour objet de régler la
question des réparations . Il serait tout à fait absurde de soutenir que ces nations, qui ont subi des

dommages plus graves encore pendant la deuxième guerre mondiale, auraient définitivement
renoncé à toute réclamation à raison des dommages en question, mais que l’Italie, un ancien allié
de l’Allemagne nazie, serait libre de le faire. En fait, les Etats pa rties à l’accord de Paris se sont

abstenus de formuler toute demande d’indemnisation supplémentaire à raison de dommages subis
en temps de guerre.

29. Autrement dit, le traité de paix de1947 a écarté toute demande en réparation contre
l’Allemagne en faveur de l’Italie et des nationaux italiens. Pour ce seul motif, l’argument de

l’Italie selon lequel il y aurait eu un déni de justice continu est dépourvu de toute pertinence.

18 3. Les clauses de renonciation contenues dans les deux traités de 1961

30. En outre, l’Allemagne tient à rappeler une fois encore les deux accords qui ont été signés
le 2juin1961(MA, par.11). En application de ces deux instruments, des sommes considérables

ont été versées à l’Italie. Certes, les montants en question, fixés il y a près de cinquanteans
(deuxfois 40millions de DM), ne paraissent pas si élevés aujourd’hui. Cette impression est

cependant erronée. En 1961, le budget de la République fédérale d’Allemagne s’élevait en effet à
moins de 48milliards de DM, soit environ untreizième du chiffre actuel (en2010, il était de
319,5milliards d’euros). Par conséquent, pour obtenir un chiffre qui puisse être comparé à la

situation économique et financière actuelle, ces montants devraient au moins être multipliés par un
coefficient 12 à 14. En tout état de cause, que l’on juge les sommes convenues appropriées ou non,
le fait est que l’Italie a accepté ces paiements, auxquels aucune règle ni aucun principe juridiques

ne lui donnait droit compte tenu de la renonciation formulée dans le traité de paix. De plus, eu
égard au paiement annoncé par l’Allemagne, l’Italie a consenti à deux nouvelles clauses de
renonciation, dont la première (contenue dans le traité portant règlement de certaines questions

d’ordre patrimonial, économique et financier) est formulée en des termes on ne peut plus clairs et

22
Accord du 14 janvier 1946, RTNU, vol. 555, p. 76.
23«Les Gouvernements de l’Albanie, des Etats-Unis d’Amérique, de l’Australie, de la Belgique, du Canada, du
Danemark, de l’Egypte, de la France, du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, de la Grèce, de l’Inde,

du Luxembourg, de la Norvège, de la Nouvelle-Zélande, des Pays-Bas, de la Tchécoslovaquie, de l’Union de l’Afrique
du Sud et de la Yougoslavie, en vue de répartir équitablement entre euxere total des biens qui, conformément aux
dispositions du présent Accord et aux dispositions convenues à Potsdam, le 1 1945, entre les Gouvernements des
Etats-Unis d’Amérique, du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, et de l’Union des Républiques
Socialistes Soviétiques, sont ou seront déclarés disponibles au titre des réparations à recevoir de l’Allemagne (ci-après
dénommées «réparations allemandes»), en vue de créer une Agence Interalliée des Réparations et en vue d’établir une
procédure équitable pour la restitution de l’or monétaire, sont convenus de ce qui suit :» - 10 -

ne laisse place à aucun doute. Au paragraphe 1 de l’article 2 de cet accord, l’Italie déclare en effet
renoncer

«à toutes les demandes restées pendantes, émanant soit de la République italienne, soit
de personnes physiques ou morales italiennes, à l’encontre de la République fédérale
d’Allemagne ou de personnes physiques ou morales allemandes, dans la mesure où

ces demander reposaient sur des droits ou des circonstances liés à la période comprise
entre le 1 septembre 1939 et le 8 mai 1945».

4. Versements à titre de réparation

31. Certaines sommes ont donc été versées à l’Italie à des fins de réparation, et celle-ci a
semble-t-il estimé que cela satisfaisait toute attente qu’elle aurait pu avoir. Dans le cas contraire,
elle n’aurait pas consenti à la clause de renonciation, qu’elle n’a de surcroît assortie d’aucune

réserve. En fait, ainsi que cela a déjà été indiqué, le gouvernement italien est resté totalement
passif pendant les quelque quaranteannées qui ont suivi la conclusion des deux accords. Aussi
19 peut-on déduire de son comportement qu’il considérait bien le règlement de 1961 comme un succès
considérable puisque, en vertu du traité de paix, il ne lui restait plus de réclamation pendante contre
l’Allemagne. D’ailleurs, la conclusion de ces deux accords n’était, de la part de cette dernière, rien

d’autre qu’un geste de bonne volonté traduisant l’intention de normaliser définitivement les
relations avec l’Italie, pays qui, entretemps, était devenu un proche allié et ami dans le cadre des
trois Communautés européennes.

32. Il n’y a pas lieu de dresser ici un bilan complet de l’ensemble des réparations que les
puissances alliées ont reçues de l’Allemagne après1945. A cet égard, nous nous bornerons à
indiquer que des quantités considérables de biens en nature ont été prélevées dans les quatre zones

d’occupation et que tous les avoirs de l’Allemagne à l’étranger ont été confisqués. De plus, on ne
saurait passer sous silence que l’Allemagne a dû renoncer à plus de 114000kilomètrescarrés de
territoire. Enfin, elle a, au cas par cas, adopté des mesures législatives relatives aux dommages
causés par le régime nazi. En revanche, aucun texte de caractère général n’a été adopté, dès lors,

en particulier, que l’Allemagne avait, ainsi que cela vient d’être rappelé, été obligée de fournir des
réparations de manière globale au niveau interétatique.

33. Les observations formulées ci-dessus ont pour seul objet de dissiper l’impression

erronée, créée par l’Italie, selon laquelle l’Allemagne n’aurait pris aucune mesure pour indemniser
les victimes. En raison de la clause de renonciation contenue au paragraphe 4 de l’article 77 de son
traité de paix, la part revenant à l’Italie dans le programme de réparations établi sur la base des
accords de Potsdam était, au départ, nulle. Ce nonobstant, la République fédérale d’Allemagne a,

pour des raisons d’équité, accepté par la suite d’indemniser au moins partiellement l’Italie et ce, à
la pleine satisfaction du gouvernement de cet Etat. Aussi l’accusation selon laquelle l’Allemagne
ne se serait même pas donné la peine d’indemniser les victimes est-elle totalement déplacée et
inexacte. Elle déforme la réalité.

5. Déni de justice ?

34. Enfin, l’Allemagne tient à souligner que l’Italie se laisse aller à dénaturer certaines

notions fondamentales lorsqu’elle emploie les termes de déni de justice «flagrant» ou «pur et
20 simple». Les citoyens italiens ne se sont jamais vu refuser l’accès au système judiciaire allemand
pour formuler les griefs qu’ils nourrissaient envers l’Allemagne. Le paragraphe 4 de l’article 19 de
la loi fondamentale allemande garantit en effet l’accès aux juridictions à tout un chacun, aux

citoyens allemands comme aux étrangers, sans condition de nationalité. Il reste à savoir toutefois si - 11 -

le plaignant est ou non juridiquement fondé à présenter une réclamation. Si le droit international

général, à l’époque de la seconde guerre mondiale, ne conférait pas aux personnes victimes de
violations du droit international humanitaire le droit d’engager des actions en réparation à titre
individuel, la législation allemande a, en revanche, inclus dans les programmes de réparation

plusieurs groupes particuliers de victimes de dommages de guerre. Ainsi, les victimes civiles du
travail forcé —dont environ 4000citoyens italiens— ont été indemnisées, les programmes en
question ayant en particulier bénéficié aux personnes qui avaient été persécutées pour des motifs
raciaux. En dehors de ce cadre, l’Allemagne n’a pas réparé les dommages de guerre subis à titre

individuel, étant donné que, ainsi que cela a été exposé ci-dessus, des sacrifices matériels
considérables lui avaient été imposés par les mécanismes traditionnels des réparations de guerre.
Par conséquent, les recours individuels introduits devant les tribunaux allemands ne pouvaient, en

règle générale, pas aboutir. Cela n’est cependant pas le signe d’une quelconque mauvaise volonté
de la part de l’Allemagne pour ce qui est de réparer les dommages qu’elle avait causés pendant la
seconde guerre mondiale. L’Allemagne considère en effet que, à travers les différents mécanismes
de réparation, et notamment les mécanismes collectifs, elle s’est acquittée de manière tout à fait

satisfaisante de son devoir de réparation.

IV. Le domaine de la responsabilité et de l’immunité des Etats a-t-il récemment évolué ?

35. Dans les sections suivantes, l’Allemagne se bornera à répondre brièvement aux
observations de l’Italie à propos du nouvel aspect qu’aurait pris, ces dernières années, le droit de la

responsabilité internationale et de l’immunité des Etats. Pour l’essentiel, l’Allemagne renvoie aux
conclusions de son mémoire où elle a exposé le véritable état du droit. Aucun des arguments
avancés par le défendeur ne permet de déduire que des particuliers ayant subi un préjudice du fait
du conflit armé entre le Reich allemand et l’Italie sont en droit de soumettre des revendications
21
individuelles à des juridictions italiennes. Le pouvoir judiciaire italien n’est pas compétent à
l’égard de telles demandes.

1. Le caractère anachronique des arguments de l’Italie

36. En premier lieu, l’Allemagne tient à relever que toute l’argumentation de l’Italie repose

sur des faits survenus après la seconde guerre mondiale, alors que le grand tournant s’opéra av24 la
«lettre Tate», rédigée en 1952 par le conseiller juridique du département d’Etat américain . Avant
cette date, il existait un large consensus quant au caractère absolu de l’immunité juridictionnelle
dont jouissaient les Etats. L’Allemagne a bien conscience du fait que les juridictions italiennes

suivaient la nouvelle tendance bien avant cela, depuis de nombreuses décennies. Toutefois, leur
jurisprudence restait controversée. En tout état de cause, il n’a jamais été affirmé qu’il pouvait être
justifié de restreindre également l’immunité pour les actes jure imperii. Le débat portait

exclusivement sur les actes jure gestionis ou actes commerciaux. Finalement, la consolidation
du nouveau régime s’est produite dans les années cinquante et soixante du siècle dernier, voire plus
tard . Jusqu’en1945, on ne trouvait nulle part ne fût-ce qu’une allusion à l’idée que les

particuliers devaient être autorisés à poursuivre les Etats étrangers devant leurs juridictions
nationales pour des actes de souveraineté.

2. Les règles relatives à l’immunité des Etats en tant que règles substantielles

37. Dans son mémoire, l’Allemagne montre que les règles coutumières relatives à
l’immunité juridictionnelle ne relèvent pas au premier chef de la catégorie des règles de procédure

à appliquer eu égard à la portée et au contenu spécifiques qui sont les leurs au moment où le juge

24
MA, par. 49.
25
MA, par. 49-51. - 12 -

du for doit rendre sa décision 26. L’immunité juridictionnelle découle du principe de l’égalité

souveraine des Etats. Elle limite la mesure dans laquelle un Etat est soumis à la juridiction d’un
223 autre Etat. Le régime ainsi établi ne varie pas continuellement au fil des ans. La commission d’un
acte internationalement illicite crée une configuration particulière entre les Etats intéressés, à savoir

l’Etat auteur de l’acte illicite et l’Etat qui en est victime. Entrent dans cette configuration non
seulement les droits subsidiaires importants, bien connus, de l’Etat victime, tels qu’ils sont définis
dans les articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat 27, mais également les modalités propres
aux mécanismes pertinents pour l’affirmation de ces droits. En fait, la manière dont un préjudice

peut et doit être réparé constitue un élément essentiel de tout régime d’indemnisation. Comme le
souligne le mémoire, les puissances alliées victorieuses sont parties de la conviction que
l’Allemagne devait assumer la responsabilité qui lui incombait en raison des terribles dommages

qu’elle avait causés par ses opérations de guerre en indemnisant tous les Etats vainqueurs des
puissances de l’Axe. Le mécanisme ainsi établi était un mécanisme intergouvernemental classique.
Aucune disposition ne prévoyait d’indemnisation parallèle en faveur de victimes individuelles.
Faire droit à l’argument selon lequel il conviendrait, en vertu des règles générales du droit

procédural, d’appliquer le régime de l’immunité des Etats tel qu’il est au moment où l’arrêt
pertinent est rendu conduirait à des résultats absurdes. Pour l’essentiel, cela signifierait que, à
l’égard d’un même événement préjudiciable, une demande pourrait être jugée différemment selon

le moment où elle est 28troduite. L’Allemagne estime que la loi britannique de1978 relative à
l’immunité des Etats , qui dispose expressément au paragraphe3 de son article23 qu’elle ne
s’applique pas aux «procédures relatives à des évén ements survenus avant la date de [son] entrée
en vigueur» [traduction du Greffe], vient encore étayer son opinion. Par conséquent, l’Allemagne

juge infondées les observations faites à ce propos par l’Italie dans son contre-mémoire (p.56-59,
par. 4.43-4.50).

38. Il n’est toutefois pas nécessaire que l’Allemagne examine cette question plus avant. Ce
23 qu’il faut retenir, c’est que les règles relatives à l’immunité des Etats pour les actes de souveraineté
n’ont pas changé au cours des dernières décennies au sens où l’affirme l’Italie. Même sous l’angle

de l’état actuel du droit, les juridictions italiennes auraient dû rejeter les demandes qui leur étaient
soumises car les règles coutumières pertinentes ne leur conféraient pas les pouvoirs juridictionnels
voulus.

3. Les violations du droit international humanitaire ne sauraient fonder de prétention à une
indemnisation individuelle

39. Le contre-mémoire montre (p.90-94, par.5.7-5.14) que les violations du droit
international humanitaire engagent la responsabilité internationale. Ce principe, qui avait déjà été
énoncé à l’article 3 de la quatrième convention de La Haye, est reflété aujourd’hui à l’article 91 du

premier protocole additionnel de1977. L’Allemagne ne remet pas en cause cette partie de
l’argumentation de l’Italie. La responsabilité des Etats est une pierre angulaire de l’ensemble de
l’édifice du droit international. Toutefois, les observations formulées ne sont pas pertinentes aux

fins de la présente instance. Tout d’abord, il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur la
responsabilité de l’Allemagne découlant de son occupation de l’Italie et de sa capture d’agents
militaires italiens hors de leur pays. Ensuite, les conclusions ne viennent pas étayer l’allégation
selon laquelle l’Allemagne a manqué de satisfaire aux prétentions individuelles des victimes

italiennes. De fait, les instruments pertinents ne prévoient pas de droits individuels. Telle était la
communis opinio en1907 et, même après la signature des quatre conventions de Genève de1949,

26MA, par. 91 et suiv.
27
Dont l’Assemblée générale a pris note dans sa résolution 56/83 en date du 12 décembre 2001.
28
ILM, vol. 17, p. 1123 (1978). - 13 -

elle n’avait pas changé. Le commentaire officiel du CICR publié sous la direction de M. Pictet ne
vient en rien nuancer cette opinion :

«En effet, en ce qui concerne la réparation matérielle des infractions à la
Convention, il n’est pas possible, tout au moins en l’état actuel du droit, d’imaginer
que les personnes lésées puissent intenter directement une action contre l’Etat au

service duquel se trouvait l’auteur de l’infrac29on. Seul un Etat peut formuler de telles
revendications à l’égard d’un autre Etat…»

Or, une telle révolution structurelle ne s’est jamais produite, pas même en1977. On peut faire
référence sur ce point au commentaire du CICR :

«Sauf cas exceptionnels, les personnes de nationalité étrangère lésées par le

comportement illicite d’une partie au conflit devront s’adresser à leur propre
gouvernement qui fera valoir leurs plaintes auprès de la ou des parties auteurs de la
violation. Mais on peut relever, depuis 1945, une tendance à reconnaître l’exercice de
24 30
droits individuels.»

On ne saurait manquer de noter le degré de prudence avec lequel les observations relatives à l’état

actuel du droit ont été formulées. Les auteurs parlent, dans le commentaire, de «tendance», et
soulignent que celle-ci n’est pas apparue avant 1945.

40. L’Allemagne renvoie en outre, à cet égard, à la décision rendue par la Cour européenne
des droits de l’homme, le 4 septembre 2007, en l’affaire de l’Associazione Nazionale Reduci dalla
31
Prigionia, dall’Internamento e dalla Guerra di Liberazione . En des termes très clairs, la Cour
européenne fait plusieurs fois observer que les personnes transférées en Allemagne pour exécuter
des travaux forcés ne bénéficiaient d’aucun droit individuel à indemnisation en vertu du droit

international. En conséquence, elles ne pouvaient valablement se plaindre d’une atteinte au droit à
la protection des «biens» au titre de l’article1 du [premier] protocole additionnel à la convention
européenne des droits de l’homme, parce qu’elles n’entraient pas dans le champ d’application de la

loi portant création de la fondation «Mémoire, Responsabilité et Avenir», que l’Allemagne avait
adoptée en 2000.

41. L’Allemagne a parfaitement connaissance de la résolution adoptée par l’Assemblée
générale le 16 décembre 2005 qui porte sur les «Principes fondamentaux et directives concernant le

droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit internat32nal des
droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire» . Dans cette
résolution, l’Assemblée générale recommande que les Etats accordent aux victimes de violations

graves du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme une
«[r]éparation adéquate, effective et rapide du préjudice subi» (par.11 b)). Toutefois, cette
résolution n’ajoute rien aux critères juridiques qu’il convient d’appliquer dans l’examen du présent

différend. D’une part, la résolution est, de manière générale, formulée en des termes qui révèlent
25 son caractère d’exhortation. L’Assemblée générale n’a pas cherché à codifier le droit coutumier
existant, mais a entendu partir de l’état actuel du droit pour faire Œuvre de développement

progressif. D’autre part, la résolution reflète des orientations et des tendances qui sont apparues au

29
Troisième convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, commentaire publié sous la
direction de Jean Pictet, Genève, 1958, art. 131, p. 664.
30
Jean Pictet et autres, commentaire des protocoles additionnels du8juin1977 aux conventions de Genève du
12 août 1949, Genève, 1986, p. 1083, numéro en marge 3657.
31
Contre-mémoire, annexe 10.
32Assemblée générale des Nations Unies, résolution 60/147, 16 décembre 2005. - 14 -

plus tôt au cours des vingt dernières années. Par conséquent, les «principes fondamentaux
et directives» ne sauraient fonder une appréciation juridique dans la présente instance.

42. Le comité de l’Association de droit international sur «la réparation en faveur des
victimes de conflit armé» a, lui aussi, fait une tentative en ce sens. Dans un projet de rapport 33qui
sera soumis à la prochaine session du comité en août2010, à LaHaye, le co-rapporteur,

M.RainerHofmann, de Francfort-sur-le-Main, suggère d’adopter la proposition suivante dans le
cadre d’une déclaration sur le sujet (article6): «Les victimes d’un conflit armé ont droit à
réparation de la part des parties responsables.»

Il ressort clairement des explications données par le rapporteur que sa proposition vise à
introduire de nouvelles règles, des règles qui n’ont, à ce jour, pas de fondement solide en droit

international, ce qui est également corroboré par le paragraphe1 de l’article15 du projet de
déclaration suivant lequel les droits et obligations énoncés dans le texte ne doivent avoir aucun
effet rétroactif. Quel que soit le bien-fondé de la réforme proposée, les auteurs eux-mêmes
reconnaissent très ouvertement qu’elle reviendrait à tourner une page historique dans l’histoire du

droit international.

43. Il est également possible de voir une manifestation supplémentaire de soutien en faveur
de la lente émergence d’une nouvelle règle dans l’avis consultatif rendu par la Cour dans la
procédure relative au Mur, où elle a estimé qu’«Israël a[vait] l’obligation de réparer tous les

26 dommages causés à toutes les personnes physiques ou morales concernées» par la réqui34tion et la
destruction d’habitations, de commerces ainsi que d’exploitations agricoles . Cependant, cette
conclusion ne saurait être réellement considérée comme marquant l’apparition d’un nouveau

concept en matière de réparation en situation de conflit armé, puisque les territoires palestiniens
sont encore placés sous occupation israélienne. L’autorité nationale palestinienne a été dotée de
certains pouvoirs, mais elle n’a pas le plein statut d’un gouvernement habilité à demander

réparation pour ses ressortissants par la voie de la protection diplomatique. Quoi qu’il en soit, la
conclusion de la Cour ne saurait être appliquée rétroactivement à des événements qui se sont
déroulés pendant la seconde guerre mondiale.

4. La renonciation aux demandes de réparation individuelles

44. L’Allemagne ne saurait souscrire aux observations faites ensuite par l’Italie, selon
lesquelles il ne serait en aucun cas possible de renoncer à des demandes de réparation (p.94-97,
par. 5.15-5.21). Cette assertion comporte deux aspects. D’une part, l’Italie soutient que les droits

individuels ne peuvent être restreints par l’Etat dont l’intéressé est ressortissant. D’autre part, elle
affirme que les Etats ne peuvent renoncer aux créances de réparation qui leur sont dues.

45. S’agissane du premier point, c’est à raison que l’Italie attireeen particulier l’attention sur
l’article 6 de la III convention de Genève et sur l’article 7 de la IV convention de Genève. Il est
vrai que ces dispositions pourraient être considérées comme des précurseurs de la notion actuelle

de jus cogens visant à préserver le statut des personnes placées sous la protection des deux
conventions. Toutefois, il convient de souligner que les violations du droit international
humanitaire perpétrées par l’Allemagne n’ont engendré aucun droit individuel. Les instruments

concernés  d’abord le traité de paix de 1947 puis les deux accords de 1961  n’ont donc empiété
sur aucun droit protégé. Deuxièmement, les deux dispositions agissent comme un bouclier contre

33
Voir http://www.ila-hq.org/en/committees/index.cfm/cid/1018.
34Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif du
9 juillet 2004, C.I.J. Recueil 2004, p. 198, par. 152. - 15 -

les restrictions aux droits substantiels conférés aux personnes protégées. Les Etats ne peuvent pas
27 réserver aux prisonniers ou aux civils un traitement inférieur aux normes obligatoires fixées par les

clauses du régime applicable. En l’espèce, il s’agit d’analyser une autre configuration. Lorsque le
traité de paix fut conclu en 1947, la guerre était, par définition, terminée, et il en va de même pour
les deux accords de 1961. Les dispositions contractuelles portaient sur les demandes de réparation
qui pouvaient  ou non  avoir été formulées. Il n’était question ni en 1947 ni en 1961 d’aller à

l’encontre de la lettre et de l’esprit du régime applicable aux conflits armés.

46. Par ailleurs, il est clair que les Etats peuvent en effet disposer des demandes de
réparation, au profit ou au détriment de leurs ressortissants. Tous les traités conclus après la

seconde guerre mondiale reposent sur cette hypothèse. A l’époque, il ne faisait aucun doute dans la
pratique internationale que le règlement des c onséquences financières des conflits armés passait
nécessairement par la création de régimes généraux englobant à la fois l’actif et le passif publics et
privés. Aucun organe judiciaire international n’a jamais déclaré qu’un Etat n’était pas habilité à

disposer des actifs de ses ressortissants lorsque cela était nécessaire à la conclusion d’un traité de
paix. De telles mesures ont un caractère spécifique. Elles ne peuvent être qualifiées de
confiscations illicites contraires à la garantie du droit de propriété prévue par certains instruments
internationaux relatifs à la protection des droits de l’homme, la charte africaine des droits de

l’homme et des peuples (article 14), la convention américaine des droits de l’homme (aoticle 21) et
la convention européenne des droits de l’homme (articlepremier du protocole[n 1]). Les traités
de paix sont presque inévitablement conclus dans un contexte d’anéantissement et de destruction
généralisés. Le redressement ne peut naître que de décisions courageuses et résolument tournées

vers l’avenir, qui posent les fondements de la paix et de la réconciliation entre les ennemis d’hier.
Tenir compte de chaque violation individuelle pour lui appliquer un traitement particulier irait à
l’encontre de cet objectif supérieur. De fait, l’Italie n’a pas pu étayer son allégation par des
exemples concrets de pratique internationale.

28 47. L’Italie est encore moins convaincante lorsqu’elle cite la clause commune aux quatre
conventions de Genève interdisant aux Etats de s’exonérer eux-mêmes de toute responsabilité à

raison d’infractions au régime de droit international humanitaire applicable (article51 de la
première convention de Genève; article52 de la deuxième convention de Genève; article 131 de
la troisième convention de Genève; article148 de la quatrième convention de Genève). Ces
clauses n’ont aucun rapport avec l’objet du présent différend. Elles visent les demandes de
réparation internationales formulées par des Etats contre d’autres Etats. Dès lors, elles ne

s’inscrivent pas dans le cadre conceptuel de la présente discussion, dans laquelle l’argumentation
de l’Italie repose principalement sur l’idée que l’Allemagne n’a pas fait droit à des demandes de
réparation individuelles  lesquelles, comme nous l’avons démontré, n’ont jamais été formulées.

48. Deuxièmement, au moment où elle a conclu le traité de paix avec les puissances alliées,
l’Italie n’était pas un pays vaincu. De toute évidence, elle était dans une situation plutôt délicate.
D’une part, elle avait rejoint l’alliance des puissances victorieuses en 1943; d’autre part, cela ne

pouvait totalement effacer son passé d’allié de l’Allemagne nazie. C’est pourquoi la conclusion
d’un traité de paix s’est révélée indispensable. Toutefois, étant donné l’ambiguïté de sa situation,
l’Italie ne remplissait pas les conditions pour être qualifiée d’Etat «vaincu». Depuis sa rupture avec
l’Allemagne nazie, elle avait quitté l’Axe bien avant la défaite finale de celui-ci.

49. Enfin, l’article 131 de la troisième convention de Genève et l’article 148 de la quatrième
convention de Genève envisagent une situation concrète totalement différente. Les deux
dispositions visent à éviter, à l’issue d’un conflit, l’exploitation abusive d’une position de force due

à une supériorité militaire. Elles interdisent au vainqueur d’échapper à sa propre responsabilité en
forçant le pays vaincu à renoncer à toutes ses prétentions. Le traité de paix de1947 n’était pas - 16 -

censé protéger les puissances alliées victorieuses avec lesquelles l’Italie l’avait conclu d’une
éventuelle mise en cause de leur responsabilité par celle-ci. Les vainqueurs n’ont pas cherché à
obtenir un tel avantage. Au lieu de cela, ils ont agi au nom de l’Allemagne pour les bonnes raisons

exposées précédemment. Leur seul objectif était de poser les fondations d’un nouveau départ entre
les deux pays qui avaient tout d’abord été de proches alliés avant de devenir des ennemis déclarés.
Qu’ils aient, simultanément, été soucieux de protéger les actifs de l’Allemagne en songeant à leurs

29 propres objectifs de réparation est une motivation qu’on ne saurait leur reprocher et qui, en tout état
de cause, ne relève pas du champ d’application des deux dispositions.

5. La clause territoriale

50. Dans son mémoire, l’Allemagne a longuement exposé ses vues quant à la signification et

à la portée de la clause territoriale (par.71-82). Les arguments avancés par l’Italie pour réfuter
cette interprétation ne semblent pas convaincants. Visant des circonstances concrètes, à savoir
essentiellement des incidents isolés et spécifiques, la clause territoriale a une portée assez étroite,

qui ne s’est jamais étendue aux hostilités organisées.

51. Tout d’abord, l’Allemagne rappelle que la clause territoriale est le fruit des temps
modernes. L’Italie a attiré l’attention sur une résolution d’une société savante, l’Institut de droit
international, qui, déjà à la fin du XIX siècle, plaidait en faveur de l’introduction d’une telle clause
35
(CM, par.4.28, p.51) . Toutefois, l’Institut tenait manifestement à ce que cette introduction ait
lieu progressivement, comme en atteste cette déc laration au paragraphe6 de l’article 4 de la
résolution :

«Les seules actions recevables contre un Etat étranger sont :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
6. Les actions en dommages-intérêts nées d’un délit ou d’un quasi-délit, commis

sur le territoire.»

A cette époque, une telle assertion représentait un saut courageux dans un avenir inconnu. Au
même moment, Franz v. Liszt, exprimant l’opinion alors unanimement partagée, écrivait :

«L’indépendance mutuelle des Etats a pour corollaire qu’un Etat ne peut être
poursuivi devant les tribunaux d’un autre Etat, sauf si les poursuites concernent la

propriété immobilière ou s’il se soumet volontairement à la juridiction de cet autre
Etat.» 36 [Traduction du Greffe.]

30 En fait, dans son contre-mémoire, l’Italie précise que le premier instrument international dans
lequel la clause territoriale a été acceptée est la convention européenne sur l’immunité des Etats
du 16 mai 1972 37 (article11). Conscients des dangers inhérents à cette disposition, les rédacteurs

de la convention ont pris soin d’exclure de son champ d’application matériel toute procédure
relative aux forces armées d’un Etat partie (article 31) :

«Aucune disposition de la présente convention ne porte atteinte aux immunités
ou privilèges dont un Etat contractant jouit en ce qui concerne tout acte ou omission

35
Hans Wehberg (éd.), Tableau général des résolutions (1873-1956) (Bâle, 1957), p. 14.
36«Aus der gegenseitigen Unabhängigkeit der Staaten voneinander folgt, dass kein Staat vor die Gerichte eines
andern Staates gestellt werden kann, es sei denn, dass es sich … um dingliche Klagen in Bezug auf unbewegliches Gut

handelt oder er sich freiwillig der inländischen Gerichtsbarkeit unterwirft», Das Völkerrecht (Berlin 1898), p. 39.
37STCE n 74. - 17 -

de ses forces armées ou en relation avec celles-ci, lorsqu’elles se trouvent sur le

territoire d’un autre Etat contractant.»

Toutes les autres clauses territoriales, notamment celle de l’article12 de la convention des
NationsUnies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens 3, appartiennent à un

passé plus récent. Là encore, l’Italie tente d’appliquer rétroactivement à des événements datant de
la seconde guerre mondiale des règles juridiques qui ont vu le jour progressivement, au terme d’un
lent processus, après la création de l’Organisation des Nations Unies.

52. On ne saurait soutenir que la clause territoriale a conduit à la disparition de l’ancienne
distinction entre actes jure gestionis et actes jure imperii. Nous attirons notamment une fois encore

l’attention sur les commentaires relatifs aux deux dispositions pertinentes. L’article11 de la
convention européenne est indéniablement confiné à des situations telles que les accidents de la
circulation (MA, p. 44, par. 72) et l’article 12 de la convention des Nations Unies relève du même

esprit. Il est vrai que le commentaire relatif au projet préparé par la CDI mentionne également «les
dommages intentionnels comme les coups et blessures, les dommages intentionnels aux biens,
l’incendie criminel, voire l’homicide ou l’assassinat politique».

31 Il convient de ne pas faire trop de cas de cet élargissement de la portée matérielle de l’article.
Les exemples donnés sont sans rapport avec les conflits armés. Ils présupposent une relation
généralement pacifique dans laquelle le bon climat d’entente mutuelle n’est perturbé que par des
incidents non planifiés ou perpétrés en secret par des agents de l’Etat fautif. C’est manifestement

l’affaire Letelier qui, en particulier, a inspiré le commentaire explicatif sur l’extension de la clause
aux «assassinats». Aussi abject qu’ait été le meurtre du général Letelier à Washington, la relation
entre le Chili et les Etats-Unis n’avait pas pour autant dégénéré en conflit armé.

53. On ne saurait mesurer les phénomènes de masse tels que les conflits armés à la même
aune que des incidents mineurs. Confier à l’institution judiciaire le soin de régler, à travers des

actions individuelles, des questions en lien avec des conflits armés conduirait inévitablement à la
destruction du tissu d’institutions et de mécanismes de droit international qui ont fait leurs preuves
au fil du temps. Les juges nationaux ne sont pas suffisamment qualifiés pour traiter de situations

aussi complexes, qui exigent non seulement la plus grande maîtrise du droit, mais également une
excellente connaissance des circonstances historiques du conflit concerné. Les deux clauses
territoriales ne constituent donc pas des précédents pertinents en l’espèce.

54. Enfin, l’Allemagne se réfère de nouveau à la déclaration de M.GerhardHafner,
président du groupe de travail de la Sixième Commission de l’Assemblée générale chargé
d’examiner le projet de la CDI avant son adoption par l’Assemblée. M.Hafner a été autorisé à

faire une déclaration sur l’applicabilité de la convention aux activités militaires, que nous citons
une fois de plus en raison de son importance. En voici la teneur :

«Se pose la question de savoir si la convention couvre les activités militaires. Il
a toujours été entendu que les activités militaires n’entreraient pas dans le champ
d’application de la convention.» 39

32 M. Hafner ne formulait pas là un commentaire personnel. Les pratiques diplomatiques habituelles
l’habilitaient spécifiquement à faire une telle déclaration, qui pouvait être décisive pour de
nombreux Etats lorsqu’ils examineraient l’opportunité d’une ratification de la convention. C’est

38
Adoptée le 2 décembre 2004 par l’Assemblée générale dans le cadre de sa résolution 59/83 et pas encore entrée
en vigueur.
39
Nations Unies, doc. A/C.6/59/SR.13, par. 36. - 18 -

précisément pour les Etats enclins à offrir très généreusement leur assistance à d’autre Etats,

notamment leur assistance militaire sous la forme de contingents des NationsUnies, que la
perspective d’être poursuivis devant les tribunaux des pays dans lesquels leurs troupes sont
déployées peut être extrêmement dissuasive. Cette considération pourrait avoir eu une importance

décisive pour la Cour européenne des droits de40’homme lorsque, dans la décision Behrami et
Saramati c. France, Allemagne et Norvège , elle a établi qu’une arrestation effectuée au Kosovo
n’avait pas été menée sous la juridiction des trois pays fournisseurs de contingents contre lesquels
la requête avait été introduite, mais sous celle du Conseil de sécurité de l’Organisation des

Nations Unies.

55. En réalité, lorsqu’elle a, le 23 décembre 2009, déposé son instrument de ratification de la

convention des Nations Unies, la Suède a fait la déclaration suivante :

«Rappelant notamment la résolution59/38, adoptée par l’Assemblée générale

des NationsUnies le 16décembre2004, prenant en considération, inter alia, la
déclaration faite par le président du comité spécial introduisant le rapport du comité à
l’Assemblée, de même que le rapport du comité, la Suède entend par la présente que la
convention ne s’applique pas aux activités militaires, y compris les activités des forces

armées pendant un conflit armé, selon la définition donnée à ces termes en vertu du
droit international humanitaire, et les activités entreprises par les forces militaires d’un
Etat dans l’exercice de leurs fonctions officielles.»

La Suède a ainsi suivi l’exemple de la Norvège, qui avait fait la même déclaration lorsqu’elle avait
remis son instrument de ratification au Secrétaire général de l’Organisation des NationsUnies. Il
appert de ces deux déclarations qu’il n’existe aucune opinio juris à l’appui d’une nouvelle règle qui

consisterait à ne pas soustraire les opérations militaires à tout examen judiciaire par des juridictions
internes étrangères. L’exercice de la puissance militaire est en effet au cŒur des pouvoirs
souverains. La Cour de cassation italienne elle-même a d’ailleurs, dans l’affaire Markovic ,41
33
estimé à juste titre que l’exercice de fonctions militaires constituait un «acte de gouvernement»
(«atto di Governo»). Qu’il soit cependant permis à l’Allemagne d’exprimer une nouvelle fois sa
stupéfaction de constater que la Cour de cassation juge irrecevables des actions introduites contre
l’Italie devant des juridictions italiennes lorsqu’elles concernent des activités militaires, alors

qu’elle n’a, en revanche, aucun scrupule à se prononcer sur le fond de demandes formées contre
l’Allemagne relativement à des activités militaires menées sur le territoire italien. Pas un mot
d’explication de cette incohérence ne figure dans le contre-mémoire.

6. Le jus cogens

56. En ce qui concerne la question du jus cogens, le contre-mémoire n’apporte guère
d’éclairage (p. 60-70, par. 4.54-4.77). L’Allemagne ne conteste pas la notion de jus cogens. Bien
au contraire, elle considère que cette notion a introduit dans l’ordre juridique international un
nouvel élément important. Le jus cogens constitue en effet l’épine dorsale du nouveau système de

valeurs que le droit international a embrassé depuis l’adoption de la Charte des Nations Unies. Si
le droit international a toujours, depuis son origine, eu pour objet de favoriser la paix et l’ordre
entre les nations, il n’assurait pas, auparavant, une protection directe des valeurs qui garantissent le

caractère civilisé de la communauté internationale. L’émergence de l’individu sur la scène
internationale un individu doté de droits que même son Etat d’origine a l’obligation de
respecter  a ouvert la voie à une application moins radicale du principe de souveraineté, que ce

40
Décision du 2 mai 2007, requêtes 71412/01 et 78166/01.
41
MA, annexe 28. - 19 -

soit dans les rapports entre les Etats ou à l’égard de leurs actes unilatéraux. Il est incontestable que
le droit international contemporain a désormais parfaitement intégré cette nouvelle philosophie.

57. Le défendeur rappelle à juste titre que certains auteurs estimaient déjà, au cours des
siècles passés, que le droit international comprenait un noyau de valeurs fondamentales devant être
protégées en toutes circonstances (CMI, p. 60-64, par. 4.56-4.66). Cette invocation par la doctrine
34
des valeurs éthiques et morales qui sous-tendent le droit international n’a cependant jamais été
consacrée par la pratique des Etats. Jusqu’ au déclenchement de la seconde guerre mondiale, les
Etats pouvaient conclure d’épouvantables traités sans grande hésitation, et sans que la validité de

ces instruments ne fût jamais contestée. Ce n’est qu’avec l’adoption de la Convention de Vienne
sur le droit des traités, en 1969, que la notion de jus cogens a été introduite dans le corpus du droit

international positif (art.53, 64) et ce, non sans rencontrer une importante résistance, qui n’a pu
être surmontée que progressivement . Pendant des années, la Cour elle- même a évité d’employer
l’expression de jus cogens, préférant par exemple, dans son avis consultatif sur les armes
43
nucléaires, celle de «règles intransgressibles du droit international» . Ce n’est que très récemment
qu’elle a surmonté ses réticences et reconnu le jus cogens comme un ensemble de règles faisant
44
partie du corpus général du droit international . Autrement dit, le jus cogens, en tant que notion de
droit international positif, n’a émergé que dans les quarante dernières années, bien après les
événements de la seconde guerre mondiale sur lesquels l’Italie fonde ses demandes. A cet égard, la

convention de Vienne sur le droit des traités ne se contente pas de refléter le droit coutumier qui
existait déjà en 1969, mais marque un pas en avant . 45

58. Les «éléments de preuve» que le défendeur a rassemblés pour étayer ses affirmations

relatives à l’incidence qu’aurait le jus cogens sur le droit de l’immunité des Etats ne confirment pas
son argumentation. En effet, il ne ressort d’aucun précédent que le fait qu’un requérant fonde sa
demande sur un manquement allégué au jus cogens doive entraîner la levée de l’immunité de l’Etat.

59. L’extrait de l’article publié en1989 par les professeursBelsky, Merva et Roht-Arriaza
35
(CMI, p. 65, par. 4.69) doit être reproduit de manière plus exhaustive. Il se lit comme suit :

«L’existence d’un système de règles que les Etats ne sauraient violer implique
que lorsqu’un Etat agit en violation d’une telle règle, l’acte ne soit pas reconnu comme
étant un acte souverain. Lorsqu’un acte de l’Etat n’est plus reconnu comme

souverain, l’Etat n’est plus fondé à se prévaloir de l’immunité souveraine. Par
conséquent, en reconnaissant l’existence d’un ensemble de normes impératives, les

Etats consentent implicitement à renoncer à le46 immunité au cas où ils
contreviendraient à l’une de ces normes.» [Traduction du Greffe.]

De toute évidence, la thèse de ces trois auteurs repose sur un postulat qui ne correspond nullement
aux réalités de la pratique internationale. Soutenir que les Etats, en reconnaissant l’existence d’une

42A ce jour, la France n’a toujours pas ratifié la convention de Vienne sur le droit des traités. Voir
HélèneRuis-Fabris, «La France et la convention de Vienne sur le droit des traités: éléments de réflexion pour une

éventuelle ratification», in : Gérard Cahin et al (dir. publ.), La France et le droit international (Paris, 2007), p. 139-150.
43Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 257, par. 79.

44Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête2002) (République démocratique du Congo
c. Rwanda), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2006, p. 32, par. 64.

45Voir Villiger, op. cit (ci-dessus, note de bas de page n 12), p. 676.

46
AdamC.Belsky, MarkMerva et NaomiRoht-Arriaza, «Implied Waiver Under the FSIA: A Proposed
Exception to Immunity for Violations of Peremptory Norms of International Law», California Law Review , vol.77,
p. 394 (1989). - 20 -

catégorie particulière de règles du droit international formée des normes impératives  c’est-à-dire

des normes relevant du jus cogens  renonceraient implicitement à leur immunité n’est que pure
conjecture. Une renonciation ne saurait être déduite à partir d’une base fictive. Une renonciation

est une manifestation de volonté exprimant sans ambiguïté l’intention de renoncer à la jouissance
ou à l’exercice de certains droits que l’Etat auteur d’une telle renonciation tient du droit coutumier

ou conventionnel. Les auteurs de cet article cherchent à subvertir une règle fondamentale du droit
international en employant un argument qui, à première vue, semble convaincant mais ne trouve
aucun fondement dans la pratique des Etats; ce faisant, ils dénaturent complètement la notion de

renonciation.

60. Certes, l’auteur allemand Juliane Kokott a, il y a quelques années, suggéré qu’un abus de
souveraineté pouvait entraîner la perte de l’immunité (CMI, p.66, par.4.69) 47, mais cette

affirmation n’a reçu aucun écho favorable dans les publications juridiques ou la pratique judiciaire,
où que ce soit dans le monde. Il convient également de relever que MmeKokott s’est appuyée,

pour émettre cette suggestion, sur un champ d’observation extrêmement restreint  la pratique
judiciaire aux Etats-Unis , qui n’était pas réellement pertinent à cet égard. Pour que ses vues
36
puissent être à l’origine de la cristallisation d’une nouvelle règle de droit international, il aurait
fallu qu’elles recueillent une certaine adhésion, ce qui n’a tout simplement pas été le cas. L’article

en question, dans son ensemble, est le fruit de conjectures théoriques et d’une réflexion peu
approfondie ; il n’y est tenu aucun compte des implications plus larges des vues exprimées.

61. Les observations formulées dans le contre- mémoire au sujet de l’affaire Princz, jugée

aux Etats-Unis d’Amérique il y a quelques années (CMI, p.66, par.4.70), appellent un
commentaire similaire. Le tribunal de première instance avait déclaré recevable une requête contre
l’Allemagne , mais la Cour d’appel ( Court of Appeals ) l’a rejetée au motif que, selon le United
49
States Foreign Sovereign Immunities Act (FSIA) , les affaires portant sur des allégations de
violations graves des droits de l’homme ne justifiaient pas d’exception à la règle de l’immunité 50.

L’argument selon lequel un Etat auteur d’une faute grave renonce implicitement à son immunité
n’a été avancé que dans une opinion dissidente (celle du jugeWald) 51, opinion qui n’était pas

partagée par la majorité des juges siégeant en l’affaire. Ainsi, le juge Ginsburg, qui a donné lecture
de l’arrêt de la Cour d’appel, a clairement précisé qu’une renonciation devait être intentionnelle:
«[e]n résumé, ce n’est que si le gouvernement étranger a indiqué qu’il s’estimait justiciable qu’il
52
peut être considéré comme ayant implicitement renoncé à son immunité» [traduction du Greffe].
Par conséquent, l’affaire Princz ne saurait servir de précédent en la présente instance.

62. En se référant à l’affaire Al-Adsani, dont a eu à connaître la Cour européenne des droits
53
de l’homme , le défendeur se fonde une fois encore, pour l’essentiel, sur une opinion minoritaire.
Dans cette affaire, une personne ayant la double nationalité koweitienne et britannique s’était vu

refuser l’accès à un tribunal au Royaume-Uni au sujet d’une requête en dommages-intérêts qu’elle
souhaitait introduire contre l’Etat du Koweït pour atteinte à son intégrité physique et mentale

47«Missbrauch und Verwirkung von Souveränitätsrechten bei gravierenden Völkerrechtsverstößen“, in: Recht

zwischen Umbruch und Bewahrung. Festschrift für Rudolf Bernhardt (Berlin et al., 1995), p. 148 et suivantes.
48Jugement du 23 décembre 1992, dont la version anglaise peut être consultée dans ILR, vol. 103, p. 598.

49ILM, vol. 15, p. 1388 (1976).

50Arrêt du 1 juillet 1994, 26 F.3d 1166 (D.C. Cir. 1994), dont la version anglaise peut être consultée dans ILM,
vol. 33, p. 1483.

51Ibid., p. 1497.
52
Ibid., p. 1492.
53 o
Arrêt du 21 novembre 2001, requête n 35763/97. - 21 -

37 causée par les tortures qu’elle avait subies au Koweït en mai 1991 et les menaces qui avaient pesé
sur sa vie et son bien-être après son retour au Royaume-Uni. N’ayant pas obtenu satisfaction par

les voies judiciaires au Royaume-Uni, l’intéressé avait déposé une requête devant la juridiction de
Strasbourg pour violation des droits qu’il tient de l’article6, paragraphe1, de la Convention
européenne des droits de l’homme. Cette disposition garantit en effet à toute personne l’accès à un
organe judiciaire pour défendre ses «droits et obligations de caractère civil». Il ne s’agit cependant

pas d’une garantie isolée ; elle s’inscrit dans le cadre général du droit international, auquel il est fait
expressément référence à l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne sur
le droit des traités. A cet égard, il semble utile de citer les extraits pertinents de la décision en

question, dans lesquels la Cour européenne des droits de l’homme précise pourquoi l’immunité des
Etats doit être respectée :

«La Convention doit s’interpréter à la lumière des principes énoncés par la

convention de Vienne du 23mai1969 sur le droit des traités, qui dispose en son
article 31 § 3 c) qu’il faut tenir compte de «toute règle de droit international applicable
aux relations entre les parties». La Convention, y compris son article6, ne saurait
s’interpréter dans le vide. La Cour ne doit pas perdre de vue le caractère spécifique de

traité de garantie collective des droits de l’homme que revêt la Convention et elle doit
tenir compte des principes pertinents du droit international (voir, mutatis mutandis,
l’arrêt Loizidou c.Turquie (fond) du 18décembre1996, Recueil 1996-VI, p.2231,
§43). La Convention doit autant que faire se peut s’interpréter de manière à se

concilier avec les autres règles de droit international, dont elle fait partie intégrante, y
compris celles relatives à l’octroi de l’immunité aux Etats.

56.On ne peut dès lors de façon générale considérer comme une restriction

disproportionnée au droit d’accès à un tribunal tel que le consacre l’article6§1 des
mesures prises par une haute partie contractante qui reflètent des règles de droit
international généralement reconnues en matière d’immunité des Etats. De même que
le droit d’accès à un tribunal est inhérent à la garantie d’un procès équitable accordée

par cet article, de même certaines restrictions à l’accès doivent être tenues pour lui être
inhérentes ; on en trouve un exemple dans les limitations généralement admises par la
communauté des nations comme relevant de la doctrine de l’immunité des Etats.»

63. La sagesse dont est empreinte cette décision, qui détermine aujourd’hui encore la
jurisprudence de la Cour européenne 5, repose sur des fondements logiques. Un Etat qui ouvrirait
ses cours et tribunaux à des personnes cherchant à obtenir réparation pour des injustices dont elles

38 ont été victimes à l’étranger risquerait d’être submergé de demandes formulées contre des Etats
tiers. D’une part, de telles demandes ne sont pas faciles à traiter, d’importants obstacles se posant
fréquemment à l’obtention de preuves relatives à des faits qui se sont produits à l’étranger. D’autre
part, pour des raisons évidentes, des Etats aussi «libéraux» qui tenteraient d’enquêter sur les

infractions alléguées créeraient inévitablement de graves tensions politiques. La communauté
internationale accepte pareils inconvénients lorsqu’il s’agit de traduire des criminels en justice en
vertu du principe de la compétence universelle. En revanche, des poursuites engagées à l’encontre
d’un Etat étranger jetteraient le plus souvent le discrédit sur celui-ci, suscitant ressentiment et

inimitié. Là encore, c’est le principe de l’immunité de l’Etat qui permet à ces entités souveraines
de coexister dans un cadre ordonné.

64. En fin de compte, pour tenter de prouver que le droit a évolué, le défendeur ne dispose
d’aucun autre élément de preuve que la jurisprudence de la Cour de cassation elle-même (CM,
p. 67, par. 4.73). Or, la logique qui sous-tend la thèse développée par cette juridiction en l’affaire
Mantelli est hautement contestable :

54
Voir, par exemple, l’affaire Cudak c. Lituanie, requête n° 15869/02, 23 mars 2010. - 22 -

«il serait paradoxal que le système juridique international, qui autorise l’exercice du
pouvoir juridictionnel en matière civile à l’égard des Etats étrangers en cas de

violation d’obligations contractuelles, exclue l’exercice de ce pouvoir en présence de
violations beaucoup plus graves, comme celles qui constituent des crimes contre
l’humanité et représentent le point de rupture en matière d’exercice admissible de la
souveraineté. Prétendre le contraire équivaudrait à utiliser une simple règle

procédurale pour atteindre un objectif d’une injustice extrême.» [Traduction du
Greffe]

Ce n’est pas un hasard si depuis de nombreuses décennies une distinction est établie entre les actes
jure imperii et les actes jure gestionis. Lorsqu’ils accomplissent des actes jure imperii, les Etats

agissent dans l’exercice de leur souveraineté. En revanche, lorsqu’ils concluent des contrats
commerciaux, ils entrent dans le marché et deviennent des commerçants. Invoquer le principe
maiore ad minus à propos de ces deux situations revient à faire fi des différences structurelles
fondamentales qui existent entre elles. Les poursuites engagées contre un Etat au titre d’un contrat

commercial ne mettent pas en danger sa souveraineté. En revanche, lorsque ses actes jure imperii
39 sont examinés par des juridictions étrangères, non de manière purement incidente mais en tant
qu’objet d’un différend, il y a inévitablement ingérence dans sa sphère souveraine.

65. En résumé, le jus cogens n’est composé que de règles primaires, de règles de conduite
interdisant certains comportements spécifiques. Le jus cogens a pour objet de prévenir les actes
communément considérés comme incompatibles avec les fondements moraux et éthiques les plus

essentiels de la communauté internationale. Pour ne citer que quelques exemples: il est interdit
aux Etats de conclure un traité international prévoyant l’extermination d’un groupe ethnique, les
Etats ne peuvent s’affranchir des règles du droit international humanitaire, et tout traité portant
occupation et morcellement d’un Etat tiers serait considéré comme nul et non avenu. Cela étant, le

fait qu’une règle relève du jus cogens ne détermine pas les conséquences découlant de sa violation.
Le droit international moderne prévoit un nombre assez important de conséquences spéciales, en
particulier la mise en Œuvre de la responsabilité individuelle des personnes ayant commis des
violations en qualité d’agents de l’Etat: les poursuites pénales sont l’exemple le plus notable de
l’accent nouvellement mis sur un ordre mondial minimal.

66. Cela étant, les règles du jus cogens font, d’une manière générale, avant tout partie
intégrante du droit international. Il n’y a pas lieu de concevoir le droit international comme étant

composé de deux branches, l’une traitant des règles «ordinaires» et l’autre —qui resterait à
inventer — du jus cogens et de son cadre juridique spécifique. La formulation la plus révélatrice
de l’état du droit est l’article de la CDIconsacré aux «conséquences particulières d’une violation
grave d’une obligation en vertu du présent chapitre» (article 41), c’est-à-dire d’une violation grave

d’obligations découlant de normes impératives du droit international général. Cette disposition
engage simplement les Etats à «coopérer» pour me ttre fin, par des moyens licites, à toute violation
de cette nature (1) et à ne pas «reconnaître comme licite» une situation créée par une telle
violation(2). Aucune autre conséquence plus importante n’est mentionnée. La CDI a

40 manifestement agi avec beaucoup de prudence, recommandant avant tout la négociation, par un
processus coopératif, d’une solution raisonnable dans de telles circonstances. L’article 41 n’ouvre
à l’Etat victime aucune voie extra-juridique qui lui permettrait de se rendre justice à lui-même pour
défendre les droits qu’il estime détenir, en recourant à son propre système judiciaire. Il faudrait

donc que le défendeur démontre que la codification réalisée par la CDI ne reflète pas correctement
l’état actuel du droit international. Rien n’indique cependant que la pratique s’écarte d’un tel cadre
juridique, généralement reconnu depuis son adoption par la CDI en2001 comme reflétant
fidèlement le régime pertinent de la responsabilité de l’Etat. - 23 -

67. Il ressort également de la jurisprudence constante de la Cour qu’une nette distinction doit
être établie entre les règles primaires appartenant à la catégorie du jus cogens et les règles
secondaires régissant les conséquences juridiques de la violation des premières. En réalité, le

critère du consentement à la juridiction s’applique sans exception aucune, même lors55e le
demandeur fonde ses prétentions sur la violation d’une règle du jus cogens . Un Etat qui se
prétend victime d’un acte d’agression ne peut soumettre sa demande de réparation à la Cour au

simple motif que, compte tenu de la gravité de la violation dont il a été victime, il ne devrait pas
être empêché d’introduire une instance devant la plus haute juridiction de la communauté
internationale. Il en va de même pour d’autres violations alléguées de règles du jus cogens. Il

convient, à cet égard, de rappeler l’attention particulière que la Cour a accordée à la question de sa
compétence dans l’affaire relative à l’ Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide 56. En l’espèce, la Cour a scrupuleusement examiné
41
l’argumentation de la Bosnie-Herzégovine, laquelle devait démontrer que sa requête relevait bien
de la compétence de la Cour et qu’elle était recevable. Même une allégation de génocide ne justifie
pas une exception à la règle du consentement.

68. Rappelons que les rapports entre Etats souverains sont gouvernés par le principe de

l’égalité. Aucun Etat ne peut s’ériger en arbitre des autres. Un Etat qui violerait une norme
fondamentale de la communauté internationale n’en demeurerait pas moins une entité souveraine.
Il n’en perdrait pas le droit de voir ses prérogatives souveraines respectées, aucune procédure

internationale n’ayant jamais été mise en place à cette fin. L’exclusion d’un Etat de l’Organisation
des NationsUnies (article6 de la Charte des NationsUnies) est d’ailleurs entourée de garanties
procédurales complexes. Priver un Etat des droits découlant du statut que lui confère sa

souveraineté ne saurait à l’évidence être laissé au bon vouloir d’un autre Etat agissant de manière
isolée. C’est dans le cadre d’un mécanisme bien ordonné, et non par des actes unilatéraux posés
sans concertation, que la communauté internationale doit poursuivre son objectif de paix et de

justice internationales.

V. Demandes

69. L’Allemagne maintient toutes ses de mandes, telles que présentées dans son mémoire
(p. 83, par. 132).

Berlin, le 5 octobre 2010.

L’agent du Gouvernement de la République Le directeur général des affaires juridiques et
fédérale d’Allemagne, agent du Gouvernement de la République
fédérale d’Allemagne,

(Signé) Christian T OMUSCHAT . (Signé) SusanneW ASUM -R AINER .

55
Voir Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête 2002) (République démocratique du Congo
c. Rwanda), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2006 , p. 32, par. 64, décision la plus extrême en la matière.
Comme chacun sait, la requête déposée par le Rwanda a été rejetée pour défaut de compétence, nonobstant le caractère
épouvantable des atrocités sur lesquelles elle était fondée. Pour la jurisprudence antérieure, voir les références figurant
dans AndreasZimmermann, ChristianTomuschat et KarinOellers-Frahm (sous la dir. de), The Statute of the
International of Justice. A Commentary (Oxford, 2006), p. 606, § 25.

56Application de la convention pour la prévention erépression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c.Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.Recueil1996(II) , p.595; arrêt du 26févILM, vol.46,
p. 188 (2007). - 24 -

43
LISTE DES ANNEXES

Annexe 1 Procura Generale della Repubblica, mémoire du 31 décembre 2009
dans l’affaire Ugo Bonaiuti c. Allemagne.

o
Annexe 2 Corte di Cassazione, arrêt n 285, 2 février 1953, 17 Zeitschrift für
ausländisches Recht und Völkerrecht 317.

Annexe 3 Bundesgerichtshof, arrêt du 14 décembre 1955, Entscheidungen des
Bundesgerichtshofs in Zivilsachen (BGHZ) 19, 258
traduction anglaise : 22 ILR 611.

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Réplique de la République fédérale d'Allemagne

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