Arrêt du 22 juillet 2022

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178-20220722-JUD-01-00-EN
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Incidental Proceedings
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22 JUILLET 2022
ARRÊT
APPLICATION DE LA CONVENTION POUR LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE (GAMBIE c. MYANMAR)
___________
APPLICATION OF THE CONVENTION ON THE PREVENTION AND PUNISHMENT OF THE CRIME OF GENOCIDE (THE GAMBIA v. MYANMAR)
22 JULY 2022
JUDGMENT
TABLE DES MATIÈRES
Paragraphes
QUALITÉS 1-27
I. INTRODUCTION 28-33
II. QUESTION DE SAVOIR SI LA GAMBIE EST LE «VÉRITABLE DEMANDEUR» EN LA PRÉSENTE ESPÈCE (PREMIÈRE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE) 34-50
A. Compétence ratione personae 35-46
B. Recevabilité 47-49
III. EXISTENCE D’UN DIFFÉREND ENTRE LES PARTIES (QUATRIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE) 51-77
IV. RÉSERVE FORMULÉE PAR LE MYANMAR À L’ARTICLE VIII DE LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE (TROISIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE) 78-92
V. QUALITÉ DE LA GAMBIE POUR PORTER LE DIFFÉREND DEVANT LA COUR (DEUXIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE) 93-114
DISPOSITIF 115
___________
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ANNÉE 2022
2022
22 juillet
Rôle général
no 178
22 juillet 2022
APPLICATION DE LA CONVENTION POUR LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE
(GAMBIE c. MYANMAR)
EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES
Requête déposée par la Gambie  Allégations de violations par le Myanmar de ses obligations au regard de la convention sur le génocide à raison d’actes visant le groupe des Rohingya  Article IX de la convention sur le génocide invoqué comme base de compétence  Etats étant tous deux parties à la convention sur le génocide et n’ayant ni l’un ni l’autre formulé de réserve à l’article IX  Myanmar ayant soulevé quatre exceptions préliminaires d’incompétence de la Cour et d’irrecevabilité de la requête  Cour n’étant pas tenue de suivre l’ordre dans lequel les exceptions préliminaires sont présentées.
*
Question de savoir si la Gambie est le «véritable demandeur» (première exception préliminaire).
Compétence ratione personae  Articles 34 et 35 du Statut de la Cour et paragraphe 1 de l’article 93 de la Charte des Nations Unies  Gambie étant Membre de l’Organisation des Nations Unies et ipso facto partie au Statut de la Cour  Allégation selon laquelle la Gambie a agi en tant qu’organe ou mandataire de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), «véritable demandeur» en l’affaire  Instance introduite par la Gambie en son nom propre  Gambie
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alléguant un différend entre elle et le Myanmar concernant ses propres droits au regard de la convention sur le génocide  Soutien apporté par une organisation intergouvernementale à un Etat aux fins de l’introduction d’une instance ne remettant nullement en question le statut de celui-ci en tant que demandeur devant la Cour  Cour estimant que la Gambie est le demandeur en l’affaire.
Recevabilité de la requête  Allégation selon laquelle le fait de chercher à introduire une instance pour le compte de l’OCI constitue un abus de procédure ou emporte irrecevabilité sur la base d’autres considérations  Absence d’élément de preuve démontrant que le comportement de la Gambie équivaut à un abus de procédure  Absence d’autre motif d’irrecevabilité.
Rejet de la première exception préliminaire.
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Existence d’un différend entre les Parties (quatrième exception préliminaire).
«Différend» étant un désaccord sur un point de droit ou de fait  Points de vue des deux parties devant être nettement opposés  Nul besoin que le défendeur se soit expressément opposé aux réclamations du demandeur  Rejet des réclamations pouvant parfois être inféré du silence du défendeur.
Déclarations faites par les représentants des Parties devant l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre 2018 et septembre 2019  Absence de mention expresse de la convention sur le génocide dans les déclarations de la Gambie  Référence particulière à un traité ou à ses dispositions n’étant toutefois pas requise  Déclarations des Parties indiquant que celles-ci avaient des points de vue opposés sur la question de savoir si le traitement du groupe des Rohingya par le Myanmar était conforme à ses obligations au regard de la convention sur le génocide  Note verbale du 11 octobre 2019 exprimant spécifiquement et en des termes juridiques la position de la Gambie  Rejet des réclamations étant aussi déduit du fait que le Myanmar n’a pas répondu à la note verbale.
Différend existant à la date de la requête  Rejet de la quatrième exception préliminaire.
*
Réserve formulée par le Myanmar à l’article VIII de la convention sur le génocide (troisième exception préliminaire).
Question de savoir si l’article VIII régit la saisine de la Cour  Sens ordinaire des termes de l’article VIII  Article VIII ayant trait à la prévention et à la répression du génocide au niveau politique  Article VIII devant être interprété dans son contexte  Article IX énonçant les conditions requises pour recourir à la Cour  Article VIII ne régissant pas la saisine de la Cour  Nul besoin de faire appel à des moyens supplémentaires d’interprétation.
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Réserve formulée par le Myanmar à l’article VIII n’étant pas pertinente  Rejet de la troisième exception préliminaire.
*
Qualité de la Gambie pour agir (deuxième exception préliminaire).
Intérêt commun de tous les Etats parties à la convention sur le génocide à veiller à ce que le génocide soit prévenu, réprimé et puni  Droit de tout Etat partie d’invoquer la responsabilité d’un autre à raison de la violation alléguée d’obligations erga omnes partes  Intérêt particulier n’étant pas requis  Nationalité des victimes n’étant pas pertinente  Article IX ne limitant pas la catégorie des Etats parties autorisés à intenter une action à raison de violations alléguées d’obligations erga omnes partes découlant de la convention.
Bangladesh s’étant trouvé confronté à un afflux massif de membres du groupe rohingya  Fait ne pouvant affecter le droit de toutes les autres parties contractantes de faire valoir l’intérêt commun à ce qu’il soit satisfait aux obligations erga omnes partes énoncées dans la convention ni exclure la qualité pour agir de la Gambie  Nul besoin d’examiner les arguments se rapportant à la réserve formulée par le Bangladesh à l’article IX.
Gambie ayant qualité pour invoquer la responsabilité du Myanmar à raison des manquements allégués aux obligations incombant à celui-ci au regard des articles I, III, IV et V de la convention  Rejet de la deuxième exception préliminaire.
*
Cour ayant compétence sur la base de l’article IX de la convention sur le génocide  Requête étant recevable.
ARRÊT
Présents : MME DONOGHUE, présidente ; M. GEVORGIAN, vice-président ; MM. TOMKA, ABRAHAM, BENNOUNA, YUSUF, MMES XUE, SEBUTINDE, MM. BHANDARI, ROBINSON, SALAM, IWASAWA, NOLTE, MME CHARLESWORTH, juges ; MME PILLAY, M. KRESS, juges ad hoc ; M. GAUTIER, greffier.
En l’affaire relative à l’application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide,
entre
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la République de Gambie,
représentée par
S. Exc. M. Dawda Jallow, Attorney General et ministre de la justice de la République de Gambie,
comme agent ;
S. Exc. M. Mamadou Tangara, ministre des affaires étrangères de la République de Gambie,
M. Hussein Thomasi, Solicitor General, ministère de la justice de la République de Gambie,
comme coagents ;
M. Paul S. Reichler, avocat au cabinet Foley Hoag LLP, membre des barreaux de la Cour suprême des Etats-Unis d’Amérique et du district de Columbia,
M. Philippe Sands, QC, professeur de droit international au University College London, avocat, Matrix Chambers (Londres),
M. Pierre d’Argent, professeur ordinaire à l’Université catholique de Louvain, membre de l’Institut de droit international, cabinet Foley Hoag LLP, membre du barreau de Bruxelles,
M. Andrew Loewenstein, avocat au cabinet Foley Hoag LLP, membre du barreau du Commonwealth du Massachusetts,
Mme Tafadzwa Pasipanodya, avocate au cabinet Foley Hoag LLP, membre des barreaux de l’Etat de New York et du district de Columbia,
M. M. Arsalan Suleman, avocat au cabinet Foley Hoag LLP, membre des barreaux de l’Etat de New York et du district de Columbia,
comme conseils et avocats ;
Mme Bafou Jeng, ministère de la justice de la République de Gambie,
Mme Fatou L. Njie, ministère de la justice de la République de Gambie,
M. Amadou Jaiteh, mission permanente de la République de Gambie auprès de l’Organisation des Nations Unies,
M. Yuri Parkhomenko, avocat au cabinet Foley Hoag LLP,
Mme Diem Ho, avocate au cabinet Foley Hoag LLP,
Mme Jessica Jones, avocate, Matrix Chambers (Londres),
Mme Yasmin Al Ameen, avocate au cabinet Foley Hoag LLP,
comme conseils ;
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S. Exc. M. Omar G. Sallah, ambassadeur et représentant permanent de la République de Gambie auprès de l’Organisation de la coopération islamique,
comme conseiller ;
Mme Nancy Lopez,
Mme Rachel Tepper,
Mme Amina Chaudary,
comme assistantes,
et
la République de l’Union du Myanmar,
représentée par
S. Exc. M. Ko Ko Hlaing, ministre de la coopération internationale de la République de l’Union du Myanmar,
comme agent ;
S. Exc. Mme Thi Da Oo, ministre des affaires juridiques et Attorney General de la République de l’Union du Myanmar,
comme agente suppléante ;
M. Christopher Staker, 39 Essex Chambers, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles,
comme conseil principal et avocat ;
M. Robert Kolb, professeur de droit international public à l’Université de Genève,
M. Stefan Talmon, professeur de droit international à l’Université de Bonn, avocat, Twenty Essex Chambers (Londres),
comme conseils et avocats ;
S. Exc. M. Soe Lynn Han, ambassadeur de la République de l’Union du Myanmar auprès du Royaume de Belgique, du Royaume des Pays-Bas, du Grand-Duché de Luxembourg, de la République de Croatie et de l’Union européenne,
Mme Khin Oo Hlaing, membre du comité consultatif auprès du président du conseil d’administration de l’Etat, République de l’Union du Myanmar,
M. Myo Win Aung, juge-avocat général adjoint, bureau du juge-avocat général, République de l’Union du Myanmar,
M. Kyaw Thu Nyein, directeur général adjoint, service des organisations internationales et de l’économie, ministère des affaires étrangères, République de l’Union du Myanmar,
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Mme Myo Pa Pa Htun, ministre conseillère, ambassade de la République de l’Union du Myanmar à Bruxelles,
M. Kyaw Thu Hein, directeur, ministère des affaires juridiques, République de l’Union du Myanmar,
M. Thwin Htet Lin, directeur, ministère des affaires étrangères, République de l’Union du Myanmar,
M. Ngwe Zaw Aung, directeur, ministère des affaires juridiques, République de l’Union du Myanmar,
M. Swe Sett, directeur adjoint, ministère des affaires étrangères, République de l’Union du Myanmar,
Mme Khin Myo Myat Soe, conseillère, ambassade de la République de l’Union du Myanmar à Bruxelles,
M. Thu Rein Saw Htut Naing, directeur adjoint, ministère des affaires étrangères, République de l’Union du Myanmar,
M. Ye Maung Thein, directeur adjoint, ministère des affaires étrangères, République de l’Union du Myanmar,
Mme Cho Nge Nge Thein, directrice adjointe, ministère des affaires juridiques, République de l’Union du Myanmar,
M. Thurein Naing, juge-avocat, bureau du juge-avocat général, République de l’Union du Myanmar,
Mme Ei Thazin Maung, sous-directrice, ministère des affaires étrangères, République de l’Union du Myanmar,
Mme May Myat Noe Naing, première secrétaire, ambassade de la République de l’Union du Myanmar à Bruxelles,
Mme Aye Chan Lynn, première secrétaire, ambassade de la République de l’Union du Myanmar à Bruxelles,
Mme M Ja Dim, sous-directrice, ministère des affaires juridiques, République de l’Union du Myanmar,
M. Zin Myat Thu, chef de service (1), ministère des affaires étrangères, République de l’Union du Myanmar,
M. Wunna Kyaw, chef de service (2), ministère des affaires étrangères, République de l’Union du Myanmar,
M. Zaw Yu Min, troisième secrétaire, ambassade de la République de l’Union du Myanmar à Bruxelles,
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Mme Mary Lobo,
M. Momchil Milanov, doctorant et attaché d’enseignement à l’Université de Genève,
comme membres de la délégation,
LA COUR,
ainsi composée,
après délibéré en chambre du conseil,
rend l’arrêt suivant :
1. Le 11 novembre 2019, la République de Gambie (ci-après la «Gambie») a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre la République de l’Union du Myanmar (ci-après le «Myanmar») concernant des violations alléguées de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1948 (ci-après la «convention sur le génocide» ou la «convention»).
2. Dans sa requête, la Gambie entend fonder la compétence de la Cour sur l’article IX de la convention sur le génocide, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de la Cour.
3. La requête contenait une demande en indication de mesures conservatoires, présentée en application de l’article 41 du Statut de la Cour et des articles 73, 74 et 75 de son Règlement.
4. Le greffier a immédiatement communiqué au Gouvernement du Myanmar la requête contenant la demande en indication de mesures conservatoires, conformément au paragraphe 2 de l’article 40 du Statut de la Cour et au paragraphe 2 de l’article 73 du Règlement. Il a également informé le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies du dépôt par la Gambie de cette requête et de cette demande.
5. En outre, par lettre datée du 11 novembre 2019, le greffier a informé tous les Etats admis à ester devant la Cour du dépôt de la requête et de la demande susvisées.
6. Conformément au paragraphe 3 de l’article 40 du Statut, le greffier a informé les Etats Membres de l’Organisation des Nations Unies, par l’entremise du Secrétaire général, et tout autre Etat admis à ester devant la Cour du dépôt de la requête en leur transmettant le texte bilingue imprimé de celle-ci.
7. Par lettre datée du 11 novembre 2019 accompagnant sa requête introductive d’instance, la Gambie a désigné S. Exc. M. Abubacarr Marie Tambadou, alors Attorney General et ministre de la justice de la Gambie, en qualité d’agent aux fins de l’affaire. Par lettre datée du 19 juin 2020, la Gambie a désigné M. Cherno Marenah, alors Solicitor General de la Gambie, en qualité de coagent. Par lettre datée du 28 juillet 2020, la Gambie a informé la Cour de la désignation de S. Exc. M. Dawda Jallow, nouvel Attorney General et ministre de la justice de la Gambie, en qualité
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d’agent, en remplacement de S. Exc. M. Abubacarr Marie Tambadou. Par lettre datée du 3 février 2021, la Gambie a informé la Cour de la désignation de S. Exc. M. Mamadou Tangara, ministre des affaires étrangères de la Gambie, et de M. Hussein Thomasi, nouveau Solicitor General de la Gambie, en qualité de coagents, et indiqué que les fonctions de M. Cherno Marenah en qualité de coagent avaient pris fin.
8. Par lettre datée du 20 novembre 2019, le Myanmar a, pour sa part, désigné S. Exc. Mme Aung San Suu Kyi, ministre des affaires étrangères de l’Union du Myanmar, en qualité d’agente aux fins de l’affaire et S. Exc. M. Kyaw Tint Swe, ministre auprès du bureau du conseiller d’Etat de l’Union du Myanmar, en qualité d’agent suppléant. Par la suite, par lettre datée du 12 avril 2021, le Myanmar a informé la Cour de la désignation de S. Exc. M. Ko Ko Hlaing, ministre de la coopération internationale de l’Union du Myanmar, en qualité d’agent et de S. Exc. Mme Thi Da Oo, Attorney General de l’Union du Myanmar, en qualité d’agente suppléante, en remplacement de S. Exc. Mme Aung San Suu Kyi et de S. Exc. M. Kyaw Tint Swe.
9. La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de la nationalité des Parties, chacune d’elles s’est prévalue du droit que lui confère le paragraphe 3 de l’article 31 du Statut de procéder à la désignation d’un juge ad hoc pour siéger en l’affaire. La Gambie a désigné Mme Navanethem Pillay et le Myanmar, M. Claus Kress.
10. Par ordonnance en date du 23 janvier 2020, la Cour, après avoir entendu les Parties, a indiqué les mesures conservatoires suivantes :
«1) La République de l’Union du Myanmar doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, prendre toutes les mesures en son pouvoir afin de prévenir la commission, à l’encontre des membres du groupe rohingya présents sur son territoire, de tout acte entrant dans le champ d’application de l’article II de la convention, en particulier,
a) meurtre de membres du groupe ;
b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; et
d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
2) La République de l’Union du Myanmar doit veiller à ce que ni ses unités militaires, ni aucune unité armée irrégulière qui pourrait relever de son autorité ou bénéficier de son appui ou organisation ou personne qui pourrait se trouver sous son contrôle, son autorité ou son influence ne commettent, à l’encontre des membres du groupe rohingya présents sur son territoire, l’un quelconque des actes définis au point 1) ci-dessus, ou ne participent à une entente en vue de commettre le génocide, n’incitent directement et publiquement à le commettre, ne se livrent à une tentative de génocide ou ne se rendent complices de ce crime ;
3) La République de l’Union du Myanmar doit prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation des éléments de preuve relatifs aux allégations d’actes entrant dans le champ d’application de l’article II de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ;
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4) La République de l’Union du Myanmar doit fournir à la Cour un rapport sur l’ensemble des mesures prises pour exécuter la présente ordonnance dans un délai de quatre mois à compter de la date de celle-ci, puis tous les six mois jusqu’à ce que la Cour ait rendu sa décision définitive en l’affaire.»
11. En application du point 4) du dispositif de l’ordonnance du 23 janvier 2020, le Myanmar a soumis des rapports sur les mesures prises pour donner effet à ladite ordonnance les 22 mai 2020, 23 novembre 2020, 20 mai 2021, 23 novembre 2021 et 23 mai 2022. La Gambie a présenté ses observations sur chacun de ces rapports les 8 juin 2020, 7 décembre 2020, 16 août 2021, 7 décembre 2021 et 7 juin 2022, respectivement, dans les délais fixés par la Cour.
12. Par une autre ordonnance du 23 janvier 2020, la Cour a fixé au 23 juillet 2020 et au 25 janvier 2021, respectivement, les dates d’expiration des délais pour le dépôt du mémoire de la Gambie et du contre-mémoire du Myanmar.
13. Conformément au paragraphe 1 de l’article 43 du Règlement, le greffier a adressé aux Etats parties à la convention sur le génocide les notifications prévues au paragraphe 1 de l’article 63 du Statut. En outre, il a, conformément au paragraphe 3 de l’article 69 du Règlement, adressé à l’Organisation des Nations Unies, par l’entremise du Secrétaire général de celle-ci, la notification prévue au paragraphe 3 de l’article 34 du Statut.
14. Par lettre datée du 24 avril 2020, la Gambie a prié la Cour de proroger d’au moins trois mois le délai pour le dépôt du mémoire, compte tenu de problèmes liés à la pandémie de COVID-19. Par lettre datée du 28 avril 2020, le Myanmar a indiqué que, bien qu’estimant que la pandémie de COVID-19 n’apparaissait pas constituer en soi une justification suffisante pour la demande de la Gambie, il ne prenait aucune position sur ladite demande et considérait qu’il appartenait à la Cour de «décider si la demande de prorogation de délai de la Gambie [était] suffisamment justifiée». Par ordonnance du 18 mai 2020, la Cour a reporté au 23 octobre 2020 la date d’expiration du délai pour le dépôt du mémoire de la Gambie et au 23 juillet 2021 la date d’expiration du délai pour le dépôt du contre-mémoire du Myanmar. La Gambie a déposé son mémoire dans le délai ainsi prorogé.
15. Par lettre conjointe en date du 11 novembre 2020, les Gouvernements du Royaume des Pays-Bas et du Canada, se référant au paragraphe 1 de l’article 53 du Règlement, ont demandé que leur soient communiqués des exemplaires des pièces de procédure et documents qui seraient déposés en l’affaire. Après avoir consulté les Parties conformément à la disposition susvisée, la Cour a décidé qu’il ne serait pas approprié d’accéder à cette demande. Par lettres datées du 27 novembre 2020, le greffier a communiqué cette décision aux Gouvernements du Royaume des Pays-Bas et du Canada ainsi qu’aux Parties.
16. Le 20 janvier 2021, dans le délai prescrit au paragraphe 1 de l’article 79bis du Règlement, le Myanmar a soulevé des exceptions d’incompétence de la Cour et d’irrecevabilité de la requête. En conséquence, par ordonnance du 28 janvier 2021, la Cour, notant que, conformément aux dispositions du paragraphe 3 de l’article 79bis du Règlement, la procédure sur le fond était suspendue, et tenant compte de l’instruction de procédure V, a fixé au 20 mai 2021 la date d’expiration du délai pour le dépôt par la Gambie d’un exposé écrit contenant ses observations et conclusions sur les exceptions préliminaires soulevées par le Myanmar. La Gambie a déposé son exposé écrit le 20 avril 2021, dans le délai ainsi fixé.
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17. Par lettres datées du 7 septembre 2021, les Parties ont été informées que les audiences sur les exceptions préliminaires soulevées par le Myanmar se tiendraient du 6 au 10 décembre 2021, et un calendrier détaillé des audiences leur a été communiqué.
18. Par lettre datée du 24 septembre 2021, le Myanmar a prié la Cour de reporter les audiences sur les exceptions préliminaires de quatre mois, en raison de la pandémie de COVID-19 et de questions liées à des changements dans sa représentation. Par lettre datée du 1er octobre 2021, la Gambie a présenté des arguments à l’encontre d’un report des audiences, tout en indiquant qu’elle laissait la décision à la discrétion de la Cour. Par lettres datées du 6 octobre 2021, les Parties ont été informées que la Cour avait décidé de reporter les audiences à la semaine du 21 février 2022, et un calendrier révisé de celles-ci leur a été communiqué.
19. Par lettre en date du 15 octobre 2021, le greffier, en application du paragraphe 3 de l’article 69 du Règlement, a transmis au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies des exemplaires des écritures déposées jusqu’alors en l’affaire, en le priant de lui faire savoir si l’Organisation entendait présenter, en vertu de cette disposition, des observations écrites concernant les exceptions préliminaires soulevées par le Myanmar. Par lettre en date du 25 octobre 2021, le Secrétaire général adjoint aux affaires juridiques de l’Organisation des Nations Unies a indiqué que l’Organisation n’entendait pas présenter d’observations écrites au titre du paragraphe 3 de l’article 69 du Règlement.
20. Conformément au paragraphe 2 de l’article 53 de son Règlement, la Cour, après avoir consulté les Parties, a décidé que des exemplaires des exceptions préliminaires du Myanmar et de l’exposé écrit de la Gambie sur ces exceptions, ainsi que les documents qui étaient annexés à ces pièces, seraient rendus accessibles au public à l’ouverture de la procédure orale.
21. Des audiences publiques sur les exceptions préliminaires soulevées par le Myanmar ont été tenues les 21, 23, 25 et 28 février 2022. La procédure orale a été menée sous forme hybride, conformément au paragraphe 2 de l’article 59 du Règlement de la Cour et sur la base des directives à l’intention des parties concernant l’organisation d’audiences par liaison vidéo, adoptées le 13 juillet 2020 et communiquées aux Parties le 13 décembre 2021. Pendant la procédure orale, plusieurs juges étaient présents dans la grande salle de justice tandis que les autres participaient aux audiences par liaison vidéo, ce qui leur permettait de voir et d’entendre l’intervenant ainsi que de voir toutes les pièces présentées. Chaque Partie était autorisée à ce que quatre de ses représentants au maximum soient présents en même temps dans la grande salle de justice et cinq autres au maximum dans une salle supplémentaire du Palais de la Paix équipée du matériel nécessaire pour suivre la procédure à distance. Les autres membres de la délégation de chaque Partie avaient la possibilité de participer aux audiences par liaison vidéo en tout autre lieu de leur choix.
22. Au cours des audiences susmentionnées, la Cour a entendu en leurs plaidoiries et réponses :
Pour le Myanmar : S. Exc. M. Ko Ko Hlaing,
M. Christopher Staker,
M. Stefan Talmon,
M. Robert Kolb.
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Pour la Gambie : S. Exc. M. Dawda Jallow,
M. Paul S. Reichler,
M. Andrew Loewenstein,
M. Pierre d’Argent,
Mme Tafadzwa Pasipanodya,
M. M. Arsalan Suleman,
M. Philippe Sands.
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23. Dans la requête, les demandes ci-après ont été présentées par la Gambie :
«Tout en se réservant le droit de réviser, compléter ou modifier la présente requête, et sous réserve de la présentation à la Cour des éléments de preuve et arguments juridiques pertinents, la Gambie prie respectueusement la Cour de dire et juger que le Myanmar :
 a manqué et continue de manquer aux obligations qui lui incombent au regard de la convention sur le génocide, notamment celles énoncées à l’article premier, aux litt. a), b), c), d) et e) de l’article III, ainsi qu’aux articles IV, V et VI ;
 doit immédiatement mettre fin à tout fait internationalement illicite de ce type qui se poursuit et se conformer pleinement aux obligations qui lui incombent au regard de la convention sur le génocide, notamment celles énoncées à l’article premier, aux litt. a), b), c), d) et e) de l’article III, ainsi qu’aux articles IV, V et VI ;
 doit s’assurer que les personnes ayant commis le génocide soient punies par les tribunaux compétents ou une juridiction pénale internationale, comme l’exigent l’article premier et l’article VI de la convention sur le génocide ;
 doit satisfaire à ses obligations de réparation au profit des victimes d’actes de génocide appartenant au groupe des Rohingya, y compris, mais sans que cette énumération soit limitative, en permettant le retour, en toute sécurité et dans la dignité, des membres de ce groupe déplacés de force, en respectant la citoyenneté à part entière et les droits de l’homme des Rohingya, et en les protégeant contre la discrimination, la persécution et d’autres actes y relatifs, conformément à l’obligation de prévenir le génocide qui lui incombe au titre de l’article premier de la convention sur le génocide ; et
 doit offrir des assurances et des garanties de non-répétition des violations de la convention sur le génocide, notamment en ce qui concerne les obligations énoncées à l’article premier, aux litt. a), b), c), d) et e) de l’article III, ainsi qu’aux articles IV, V et VI.»
24. Dans le cadre de la procédure écrite sur le fond, les conclusions ci-après ont été présentées au nom du Gouvernement de la Gambie dans le mémoire :
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«Pour les raisons exposées dans le présent mémoire, et se réservant le droit de compléter, préciser ou modifier les présentes conclusions, la République de Gambie prie respectueusement la Cour internationale de Justice de dire et juger :
1) Que la République de l’Union du Myanmar est responsable de violations de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide :
a) en ce que des membres de ses forces armées, de sa police et d’autres forces de sécurité, ainsi que des personnes de la conduite desquelles elle est responsable, ont commis un génocide sur son territoire contre des membres du groupe des Rohingya en se livrant aux actes suivants :
i) meurtre de membres du groupe ;
ii) atteinte intentionnelle à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
iii) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence visant à entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; et
iv) imposition de mesures aux fins d’entraver les naissances au sein du groupe ;
dans l’intention de détruire ledit groupe en tout ou en partie, en violation de l’article II de la convention ;
b) en ce que des personnes de la conduite desquelles elle est responsable ont participé à une entente en vue de commettre les actes de génocide visés à l’alinéa a), se sont rendues complices de ces actes, ont tenté de commettre d’autres actes de génocide de cette nature et ont incité des tiers à commettre de tels actes, en violation de l’article III de la convention ;
c) en ce que, consciente de ce que les actes de génocide visés à l’alinéa a) étaient ou allaient être commis, elle n’a pris aucune mesure pour les prévenir, en violation de l’article premier de la convention ;
d) en ce qu’elle n’a pas traduit en justice les personnes relevant de sa juridiction sur lesquelles pèse une forte présomption d’avoir participé aux actes de génocide visés à l’alinéa a), ou aux autres actes visés à l’alinéa b), et continue ainsi de violer les articles premier et IV de la convention ;
e) en ce qu’elle a manqué de prendre les mesures législatives nécessaires pour assurer l’application des dispositions de la convention, et notamment de prévoir des sanctions pénales efficaces frappant les personnes coupables de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III, et continue ainsi de violer l’article V de la convention.
2) Que, en raison de sa responsabilité pour ces violations de la convention, la République de l’Union du Myanmar :
a) doit immédiatement mettre fin à tout fait internationalement illicite qui se poursuit visé au point 1), et notamment :
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i) prendre sans délai des mesures efficaces pour adopter la législation pénale spécifique au génocide visée à l’alinéa e) du point 1) ;
ii) prendre sans délai des mesures efficaces pour traduire devant un tribunal indépendant et opérationnel ou une juridiction pénale internationale les membres de ses forces armées, de sa police et d’autres forces de sécurité ou toute autre personne relevant de sa juridiction sur lesquels pèse une forte présomption d’avoir commis des actes de génocide visés à l’alinéa a) du point 1) ou l’un quelconque des autres actes visés à l’alinéa b) du point 1), notamment le généralissime Aung Min Hlaing ; le vice-généralissime Soe Win ; le général de corps d’armée Aung Kyaw Zaw ; le général de division Maung Maung Soe ; le général de brigade Aung Aung et le général de brigade Than Oo, et veiller à ce que ces personnes soient dûment punies à raison de leurs crimes si elles sont déclarées coupables ;
iii) prendre sans délai des mesures efficaces pour réprimer et prévenir toute incitation directe et publique à commettre le génocide ;
b) doit satisfaire à son obligation de réparation au profit des victimes d’actes de génocide appartenant au groupe des Rohingya et,
i) par voie de restitution,
1) permettre le retour sur leur lieu de résidence, en toute sécurité et dans la dignité, des membres du groupe des Rohingya déplacés à l’intérieur du Myanmar ou à l’étranger ;
2) restituer aux Rohingya leurs biens personnels et collectifs, y compris leurs terres, maisons, lieux de culte et de vie en communauté, champs, bétail et produits agricoles, ou les remplacer en nature ;
3) permettre et faciliter la réunification des familles en toute sécurité et dans la dignité ;
4) prendre des mesures en vue de la rééducation des membres du groupe des Rohingya ayant subi un préjudice physique ou moral, celle-ci devant comprendre des soins médicaux et psychologiques appropriés ainsi que des services d’ordre juridique et social ;
5) faciliter la recherche des personnes disparues et aider à la récupération, à l’identification et à l’inhumation des corps des personnes tuées conformément aux souhaits exprimés ou présumés des victimes et aux pratiques culturelles et religieuses des Rohingya ;
6) assurer la protection des Rohingya contre la discrimination et la persécution ;
7) garantir le droit des Rohingya de s’identifier comme tels ;
8) garantir la liberté de circulation des Rohingya sur le territoire du Myanmar et supprimer toute restriction quant à leur lieu de résidence ;
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9) supprimer toute restriction ou discrimination à l’emploi ou à l’accès des Rohingya aux moyens de subsistance.
ii) fournir une indemnisation et toute forme de réparation additionnelle pour les dommages, pertes ou préjudices subis par les victimes rohingya qui ne peuvent être intégralement réparés par voie de restitution.
c) doit offrir des assurances et garanties de non-répétition, notamment en assurant une citoyenneté pleine et entière à tous les membres du groupe des Rohingya présents au Myanmar ou qui ont été déplacés par suite des événements dont celui-ci est responsable au regard de la convention.
3) Que la République de l’Union du Myanmar n’a pas pleinement et adéquatement exécuté l’ordonnance en indication de mesures conservatoires et doit :
a) au moyen de la restitution visée au litt. i) de l’alinéa b) du point 2) ci-dessus, réparer tout préjudice physique ou moral, y compris le décès, subi par des membres du groupe des Rohingya et tout dommage matériel causé à leurs biens par suite des manquements du Myanmar aux points 1), 2) et 3) du dispositif de l’ordonnance ;
b) fournir une indemnisation et toute forme de réparation additionnelle pour les dommages, pertes ou préjudices visés à l’alinéa a) du point 3) ci-dessus qui ne peuvent être intégralement réparés par voie de restitution.
4) Que, à défaut d’accord entre les Parties sur le montant de l’indemnisation et toute forme additionnelle de réparation telles que prévues au litt. ii) de l’alinéa b) du point 2 et à l’alinéa b) du point 3) ci-dessus, la question sera tranchée par la Cour lors d’une phase ultérieure de la procédure en l’affaire.
La Gambie se réserve le droit de compléter ou de modifier en tant que de besoin les présentes conclusions à la lumière de pièces de procédures ultérieures.»
25. Les conclusions ci-après ont été présentées au nom du Gouvernement du Myanmar dans les exceptions préliminaires :
«Sur la base de chacune des quatre exceptions préliminaires indépendantes exposées ci-dessus, le Myanmar prie respectueusement la Cour de dire et juger qu’elle n’a pas compétence pour connaître de la requête de la Gambie du 11 novembre 2019 ou que ladite requête est irrecevable.
Le Myanmar se réserve le droit de modifier et de compléter la présente conclusion conformément aux dispositions du Statut et du Règlement de la Cour. Il se réserve également le droit de soumettre de nouvelles exceptions d’incompétence de la Cour et d’irrecevabilité des demandes de la Gambie lors de toute éventuelle phase ultérieure de l’affaire.»
26. Les conclusions ci-après ont été présentées au nom du Gouvernement de la Gambie dans l’exposé écrit contenant ses observations et conclusions sur les exceptions préliminaires :
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«Pour les raisons exposées ci-dessus, la Gambie prie respectueusement la Cour :
1) de rejeter les exceptions préliminaires soulevées par le Myanmar ;
2) de dire qu’elle a compétence pour connaître des demandes présentées par la Gambie dans sa requête et son mémoire, et que ces demandes sont recevables ;
3) de procéder à l’examen de ces demandes au fond.»
27. Lors de la procédure orale sur les exceptions préliminaires, les conclusions ci-après ont été présentées par les Parties :
Au nom du Gouvernement du Myanmar,
à l’audience du 25 février 2022 :
«Pour les motifs exposés dans ses exceptions préliminaires écrites et dans ses plaidoiries lors des audiences consacrées aux exceptions préliminaires, ainsi que pour tous autres motifs que la Cour pourrait juger appropriés, le Myanmar prie respectueusement la Cour de dire et juger :
1. que la Cour n’a pas compétence pour connaître de l’affaire introduite par la Gambie contre le Myanmar ; et/ou
2. que la requête de la Gambie est irrecevable.»
Au nom du Gouvernement de la Gambie,
à l’audience du 28 février 2022 :
«Conformément à l’article 60 du Règlement de la Cour, la République de Gambie, pour les raisons énoncées dans son exposé écrit du 20 avril 2021 et au cours des présentes audiences, prie respectueusement la Cour :
a) de rejeter les exceptions préliminaires soulevées par la République de l’Union du Myanmar ;
b) de dire qu’elle a compétence pour connaître des demandes présentées par la Gambie dans sa requête et son mémoire, et que ces demandes sont recevables ;
c) de procéder à l’examen de ces demandes au fond.»
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I. INTRODUCTION
28. Dans sa requête, la Gambie affirme que le Myanmar, par les actes visant les membres du groupe rohingya qui ont été adoptés ou accomplis par son gouvernement, ou avec l’aval de celui-ci, a manqué et continue de manquer aux obligations qui lui incombent au regard de la convention sur le génocide. Plus précisément, elle soutient que, en octobre 2016, l’armée et d’autres forces de sécurité du Myanmar ont commencé à mener contre le groupe rohingya des «opérations de nettoyage» généralisées et systématiques, au cours desquelles elles ont commis des meurtres de masse, des viols et d’autres formes de violence sexuelle et se sont livrées à la destruction systématique des villages rohingya par le feu, souvent alors que les habitants étaient enfermés dans leurs maisons, et ce, dans l’intention de détruire en tout ou en partie les Rohingya en tant que groupe. La Gambie ajoute que, à partir du mois d’août 2017, ces actes de génocide se sont poursuivis avec la reprise par le Myanmar d’«opérations de nettoyage» menées de manière plus massive et à une plus grande échelle sur le plan géographique.
29. Lorsque la Cour mentionne, dans le présent arrêt, les «Rohingya», il faut comprendre qu’elle fait référence au groupe communément dénommé rohingya, qui s’identifie lui-même comme tel et revendique un lien de longue date avec l’Etat rakhine, lequel fait partie de l’Union du Myanmar (voir Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), mesures conservatoires, ordonnance du 23 janvier 2020, C.I.J. Recueil 2020, p. 9, par. 14-15).
30. La Gambie entend fonder la compétence de la Cour sur l’article IX de la convention sur le génocide, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de la Cour. L’article IX de la convention se lit comme suit :
«Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête d’une partie au différend.»
31. La Gambie et le Myanmar sont tous deux parties à la convention sur le génocide. Le Myanmar a déposé son instrument de ratification le 14 mars 1956 sans formuler de réserve à l’article IX ; il a en revanche formulé des réserves aux articles VI et VIII. La Gambie a adhéré à la convention, sans aucune réserve, le 29 décembre 1978.
32. Le Myanmar soulève quatre exceptions préliminaires d’incompétence de la Cour et d’irrecevabilité de la requête. Premièrement, il soutient que la Cour n’a pas compétence ou, à titre subsidiaire, que la requête est irrecevable, au motif que le «véritable demandeur» en l’affaire est l’Organisation de la coopération islamique (ci-après l’«OCI»). Deuxièmement, il avance que la requête est irrecevable, car la Gambie n’a pas qualité pour introduire la présente instance. Troisièmement, il fait valoir que la Cour n’a pas compétence ou que la requête est irrecevable parce que la Gambie ne peut pas valablement saisir la Cour compte tenu de la réserve qu’il a formulée à l’article VIII de la convention sur le génocide. Quatrièmement, le Myanmar affirme que la Cour n’a pas compétence ou, à titre subsidiaire, que la requête est irrecevable, au motif qu’aucun différend au titre de la convention sur le génocide n’opposait les Parties à la date du dépôt de la requête.
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33. La Cour observe que, lorsqu’elle est amenée à se prononcer sur des exceptions préliminaires, elle n’est pas tenue de suivre l’ordre dans lequel celles-ci sont présentées par le défendeur (voir, par exemple, Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 110, par. 17). En la présente espèce, elle commencera par examiner l’exception préliminaire ayant trait à la question du «véritable demandeur» en l’affaire (première exception préliminaire), avant de se pencher sur l’existence d’un différend (quatrième exception préliminaire) puis sur la réserve formulée par le Myanmar à l’article VIII de la convention sur le génocide (troisième exception préliminaire). Elle traitera enfin de l’exception préliminaire relative à la qualité pour agir de la Gambie (deuxième exception préliminaire), qui soulève une question de recevabilité uniquement.
II. QUESTION DE SAVOIR SI LA GAMBIE EST LE «VÉRITABLE DEMANDEUR» EN LA PRÉSENTE ESPÈCE (PREMIÈRE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE)
34. Par sa première exception préliminaire, le Myanmar affirme que la Cour n’a pas compétence ou, à titre subsidiaire, que la requête est irrecevable, parce que le «véritable demandeur» en l’instance est l’OCI, une organisation internationale, qui, conformément au paragraphe 1 de l’article 34 du Statut de la Cour, ne saurait être partie à une instance devant celle-ci. La Cour commencera par examiner la question de sa compétence.
A. Compétence ratione personae
35. Selon le Myanmar, cette exception préliminaire soulève un point de droit et un point de fait. S’agissant du premier, le Myanmar soutient que la question de savoir qui est le «véritable demandeur» dans chaque affaire est une question de fond, et non de forme ou de procédure. Il estime que la méthode employée par la Cour pour déterminer l’existence d’un différend devrait être appliquée aux fins d’établir l’identité du «véritable demandeur», lorsque celle-ci est en cause. A cet égard, il considère que la Cour doit aller au-delà de la question limitée de savoir qui est désigné comme demandeur dans la requête et déterminer objectivement l’identité du «véritable demandeur», sur la base des faits et circonstances pertinents examinés dans leur ensemble. Selon le Myanmar, la question qui se pose en la présente espèce est de savoir si, en «désignant» un Etat pour introduire une affaire pour son compte ou en le «chargeant» de le faire, une entité qui n’est pas un Etat peut contourner les limites voulant que seuls des Etats ont qualité pour se présenter devant la Cour et que celle-ci n’est habilitée à exercer sa compétence dans des affaires contentieuses qu’avec le consentement des deux parties. Le Myanmar fait valoir qu’une tierce partie qui n’est pas un Etat et n’est pas liée à l’Etat défendeur par une acceptation réciproque de la compétence ne saurait recourir à un «Etat mandataire» pour passer outre les limites de la compétence de la Cour en chargeant celui-ci d’invoquer pour son compte la clause compromissoire de la convention sur le génocide.
36. S’agissant du point de fait, le Myanmar affirme que, si la Gambie est le demandeur nominal en la présente instance, il ressort toutefois clairement du dossier qu’elle a agi en tant qu’«organe, agent ou mandataire» de l’OCI, laquelle est le «véritable demandeur» en l’espèce. Selon le Myanmar, l’OCI et la Gambie ont l’une et l’autre reconnu à maintes reprises que la seconde avait été «désignée» par la première pour introduire pour le compte de celle-ci la présente instance devant la Cour  ou qu’elle avait été «chargée» de le faire , et ce, en sa qualité de présidente d’un comité ministériel ad hoc établi les 5 et 6 mai 2018 par le conseil des ministres des affaires étrangères de ladite organisation avec pour mission de veiller à ce que les auteurs des violations des droits de l’homme commises contre les Rohingya répondent de leurs actes (ci-après le «comité ad hoc»). A cet égard, le Myanmar soutient que la proposition d’introduire la présente instance a été formulée par le comité ad hoc en février 2019, entérinée par le conseil des ministres des affaires étrangères de l’OCI en mars 2019 et approuvée par la conférence islamique au sommet en mai 2019.
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37. Le Myanmar se réfère également à d’autres éléments qui, selon lui, démontrent que le «véritable demandeur» en l’espèce est l’OCI. Il renvoie en particulier à un communiqué de presse publié le 11 novembre 2019 par les conseils de la Gambie en la présente instance, dans lequel il était indiqué que la Cour était saisie par cet Etat, «agissa[n]t au nom des 57 Etats membres» de l’OCI, et que cette dernière «a[vait] désigné la Gambie, un de ses membres, pour introduire l’instance en son nom». Le Myanmar fait en outre valoir que la Gambie tient l’OCI informée de l’état d’avancement de l’affaire et que les frais de justice qu’elle encourt dans le cadre de la présente procédure sont intégralement pris en charge par cette organisation, au moyen d’un fonds spécial alimenté par les contributions de différents Etats membres et le Fonds de solidarité islamique. Selon le Myanmar, ces contributions font l’objet d’une gestion conjointe par l’Etat assumant la présidence du comité ad hoc et le secrétaire général de l’OCI.
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38. La Gambie considère que cette exception préliminaire du Myanmar doit être rejetée, car elle est dépourvue de tout fondement, tant juridique que factuel. Du point de vue juridique, elle soutient qu’il est satisfait aux critères pertinents régissant la compétence ratione personae de la Cour au regard du Statut de celle-ci et de la convention sur le génocide. La Gambie est un Etat, comme l’exige le paragraphe 1 de l’article 34 du Statut, et, en tant que Membre de l’Organisation des Nations Unies, ipso facto partie au Statut, conformément au paragraphe 1 de l’article 35 de celui-ci. La Gambie et le Myanmar sont tous deux parties à la convention sur le génocide, et il existe entre eux un différend quant au respect par ce dernier de la convention, qui a été porté devant la Cour en vertu de l’article IX de cet instrument. Selon la Gambie, la motivation d’un Etat pour engager une procédure devant la Cour est dépourvue de pertinence aux fins des questions de compétence.
39. En ce qui concerne les faits, la Gambie soutient qu’elle est, à tous égards, le «véritable demandeur» en la présente affaire, ce qu’attestent les lettres accompagnant sa requête, qui montrent clairement que l’instance a été introduite au seul nom de la République de Gambie. Elle affirme qu’elle a exprimé ses préoccupations dans diverses enceintes internationales, se référant en particulier à la déclaration faite par son président, M. Adama Barrow, devant l’Assemblée générale des Nations Unies le 25 septembre 2018, qui indiquait que la Gambie avait pris l’initiative, en tant que présidente du prochain sommet de l’OCI, «de plaider … pour la mise en place d’un mécanisme de responsabilisation qui garantirait que les auteurs des terribles crimes commis contre les musulmans rohingya [fussent] tenus de rendre des comptes». La Gambie se réfère également au discours de sa vice-présidente, Mme Isatou Touray, prononcé dans cette même enceinte le 26 septembre 2019, qui annonçait l’intention de la Gambie de «jouer un rôle de chef de file dans le cadre d’efforts concertés visant à porter la question des Rohingya devant la Cour internationale de Justice».
40. De plus, la Gambie affirme qu’elle a soulevé la question de manière bilatérale dans une note verbale adressée à la mission permanente du Myanmar auprès de l’Organisation des Nations Unies le 11 octobre 2019, dans laquelle elle indiquait clairement que, en tant qu’Etat partie à la convention sur le génocide, elle avait un différend avec le Myanmar concernant les obligations incombant à ce dernier au regard dudit instrument, et lui demandait de faire le nécessaire pour se conformer à ces obligations.
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41. La Gambie reconnaît qu’elle a cherché et obtenu le soutien de l’OCI pour amener le Myanmar à répondre des crimes internationaux qui auraient été commis contre les Rohingya, mais fait valoir que ce soutien n’a aucune incidence sur la compétence de la Cour. Elle affirme qu’elle a joué un rôle décisif dans la création du comité ad hoc de l’OCI, qui n’avait cependant pas pour mandat d’engager des procédures internationales de règlement des différends au nom de l’organisation, ni d’y participer. Elle affirme également que la décision d’engager l’instance devant la Cour sur la base de la convention a été prise au plus haut niveau du Gouvernement gambien, lequel n’a fait l’objet d’aucune pression, coercition ni incitation de la part de l’OCI. Le fait que cette dernière ait soutenu cette initiative ne signifie pas qu’elle serait, d’une quelconque manière, devenue le demandeur en remplacement de la Gambie. A cet égard, celle-ci souligne que ni le sommet islamique, ni le conseil des ministres des affaires étrangères de l’OCI n’ont, au regard de la charte de cette organisation, la compétence institutionnelle pour lui donner des consignes ou des instructions dans sa procédure devant la Cour. La Gambie se réfère également au rapport du comité ad hoc du 25 septembre 2019, qui a reconnu sa prérogative de choisir un cabinet d’avocats chargé de conduire l’affaire qu’elle a introduite devant la Cour.
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42. La Cour établit sa compétence ratione personae sur la base des exigences énoncées dans les dispositions pertinentes de son Statut et de la Charte des Nations Unies. Ainsi qu’elle l’a indiqué dans l’affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), «il lui appartient d’examiner tout d’abord la question de savoir si le demandeur remplit les conditions énoncées aux articles 34 et 35 du Statut et si, de ce fait, la Cour lui est ouverte» (exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 299, par. 46). Aux termes du paragraphe 1 de l’article 34 du Statut, «[s]euls les Etats ont qualité pour se présenter devant la Cour». Aux termes du paragraphe 1 de l’article 35 du Statut, «[l]a Cour est ouverte aux Etats parties au présent Statut». Le paragraphe 1 de l’article 93 de la Charte des Nations Unies dispose quant à lui que «[t]ous les Membres des Nations Unies sont ipso facto parties au Statut de la Cour internationale de Justice». La Gambie est Membre de l’Organisation des Nations Unies depuis le 21 septembre 1965 et, ipso facto, partie au Statut de la Cour. Celle-ci considère par conséquent que la Gambie satisfait aux exigences énoncées ci-dessus.
43. Le Myanmar soutient cependant que, en portant ses réclamations devant la Cour, la Gambie a en réalité agi en tant qu’«organe, agent ou mandataire» de l’OCI, qui serait le «véritable demandeur» en la présente instance. Son argument principal est qu’une tierce partie, à savoir l’OCI, qui n’est pas un Etat et qui ne saurait donc être liée à l’Etat défendeur par une acceptation réciproque de la compétence, a utilisé la Gambie en tant que «mandataire» afin de contourner les limites de la compétence ratione personae de la Cour en la chargeant d’invoquer pour son compte la clause compromissoire de la convention sur le génocide (voir les paragraphes 36-37 ci-dessus).
44. La Cour relève que la Gambie a introduit la présente instance en son nom propre, en tant qu’Etat partie au Statut de la Cour et à la convention sur le génocide. Elle note également l’affirmation de la Gambie selon laquelle un différend oppose celle-ci au Myanmar en ce qui concerne ses propres droits en tant qu’Etat partie à la convention. La Cour observe que le fait qu’un Etat puisse avoir accepté la proposition d’une organisation intergouvernementale dont il est membre de porter une affaire devant elle, ou puisse avoir recherché et obtenu le soutien financier et politique de cette organisation ou de ses membres aux fins d’introduire ladite instance, ne remet nullement en
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question son statut de demandeur devant la Cour. De plus, la question de savoir ce qui peut avoir motivé un Etat tel que la Gambie à introduire une instance est dépourvue de pertinence aux fins d’établir la compétence de la Cour. Ainsi qu’elle l’a précisé en l’affaire des Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), «[l]a Cour se prononce en droit et n’a pas à s’interroger sur les motivations d’ordre politique qui peuvent amener un Etat, à un moment donné ou dans des circonstances déterminées, à choisir le règlement judiciaire» (compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 91, par. 52).
45. En ce qui concerne l’argument du Myanmar selon lequel la méthode employée par la Cour pour établir l’existence d’un différend devrait être appliquée aux fins de déterminer l’identité du «véritable demandeur», lorsque celle-ci est en cause (voir le paragraphe 35 ci-dessus), la Cour est d’avis qu’il s’agit là de deux questions juridiques distinctes. En l’espèce, elle ne voit aucune raison de ne pas s’en tenir au fait que la Gambie a introduit l’instance contre le Myanmar en son nom propre. En conséquence, la Cour estime que le demandeur en la présente affaire est la Gambie.
46. Compte tenu de ce qui précède, la première exception préliminaire soulevée par le Myanmar, dans la mesure où elle a trait à la compétence de la Cour, doit être rejetée.
B. Recevabilité
47. A titre subsidiaire, le Myanmar fait valoir que, même si la Cour devait juger qu’elle est compétente, la requête de la Gambie serait, dans les circonstances de l’espèce, irrecevable. Selon lui, une requête est irrecevable si l’instance introduite par le demandeur nommément désigné l’est en réalité pour le compte d’un autre Etat ou d’une entité ne pouvant l’introduire en son nom propre. Le Myanmar estime que cela peut être qualifié d’abus de procédure de la part de l’Etat demandeur nominal, qui recherche un moyen de contourner les limites de la compétence de la Cour. Il soutient également que, même en faisant abstraction des principes ayant trait à l’abus de procédure, l’irrecevabilité de la requête de la Gambie résulte de considérations liées à l’opportunité judiciaire, à l’intégrité de la Cour en tant qu’institution et au principe selon lequel la compétence de celle-ci repose sur le consentement des parties.
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48. Selon la Gambie, l’argument du Myanmar relatif à la compétence de la Cour tel que reformulé en exception d’irrecevabilité doit, lui aussi, être rejeté. La Gambie observe que le Myanmar n’a cité aucune source faisant autorité à l’appui de son argument selon lequel la requête devrait être jugée irrecevable si elle revenait à contourner une limitation de la compétence de la Cour, estimant qu’une telle exception d’irrecevabilité ne correspond aucunement aux motifs dont celle-ci a reconnu qu’ils pouvaient l’amener à refuser d’exercer sa compétence. La Gambie conteste l’existence de quelque abus de procédure de sa part, arguant qu’elle n’a pas engagé la présente instance dans une intention illégitime. Elle souligne au contraire que les efforts qu’elle a déployés ont été favorablement accueillis par la communauté internationale, et rappelle que le Secrétaire général et l’Assemblée générale des Nations Unies se sont félicités de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue par la Cour.
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49. La Cour a constaté ci-dessus que le demandeur en la présente instance était la Gambie, Etat partie à son Statut et à la convention sur le génocide, qui confère à la Cour compétence à l’égard des différends entre les parties contractantes relatifs à son interprétation, son application ou son exécution. Ainsi qu’elle a déjà eu l’occasion de le préciser, seules des circonstances exceptionnelles peuvent justifier qu’elle rejette pour abus de procédure une demande fondée sur une base de compétence valable (Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 42-43, par. 113). La Cour observe qu’il ne lui a été présenté aucun élément de preuve démontrant que le comportement de la Gambie constitue un abus de procédure. Elle ne se trouve pas non plus, en l’espèce, en présence d’autres motifs d’irrecevabilité qui lui imposeraient de décliner l’exercice de sa compétence. En conséquence, la première exception préliminaire du Myanmar, dans la mesure où elle a trait à la recevabilité de la requête de la Gambie, doit être rejetée.
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50. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que la première exception préliminaire du Myanmar doit être rejetée.
III. EXISTENCE D’UN DIFFÉREND ENTRE LES PARTIES (QUATRIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE)
51. Par sa quatrième exception préliminaire, le Myanmar fait valoir que la Cour n’a pas compétence ou, à titre subsidiaire, que la requête est irrecevable, au motif qu’il n’existait aucun différend entre les Parties à la date du dépôt de la requête introductive d’instance.
52. Le Myanmar énonce deux conditions auxquelles, selon lui, il doit être satisfait afin d’établir l’existence d’un différend au sens de l’article IX de la convention sur le génocide. Premièrement, il soutient que la réclamation du demandeur doit être formulée avec un minimum de précision de sorte que le défendeur ait connaissance des faits dont il est allégué qu’ils constituent une violation du droit international, ainsi que des dispositions ou règles de droit international qui auraient été violées. Il doit s’agir d’une réclamation juridique et non pas simplement d’une déclaration politique. Deuxièmement, le Myanmar fait valoir que l’existence d’un différend au moment du dépôt de la requête exige la «connaissance mutuelle», par les parties, de leurs points de vue opposés. Selon lui, il faut que le demandeur ait formulé une réclamation juridique dont le défendeur a eu connaissance ou ne pouvait pas ne pas avoir connaissance, et que cette réclamation se soit heurtée à l’opposition manifeste de ce dernier d’une manière dont le demandeur a eu connaissance ou ne pouvait pas ne pas avoir connaissance. Le Myanmar indique toutefois que, dans certains cas, le silence du défendeur, alors qu’un délai raisonnable s’est écoulé, peut renseigner le demandeur sur la position de celui-ci.
53. Selon le Myanmar, l’examen des faits sur lesquels se fonde la Gambie ne permet pas d’établir qu’il existait entre les Parties un différend relatif à la convention sur le génocide au moment du dépôt de la requête le 11 novembre 2019. Le Myanmar considère en particulier que ni les résolutions antérieurement adoptées par l’OCI ni le communiqué final de la quatorzième conférence islamique au sommet publié le 31 mai 2019 ne sauraient attester l’existence d’un différend entre les Parties relatif à la convention, étant donné que ces documents n’émanaient pas des organes officiels de la Gambie et n’étaient pas adressés au Myanmar, et que celui-ci ne pouvait donc avoir connaissance, sur cette base, de quelque réclamation précise formulée contre lui mettant en cause sa responsabilité en tant qu’Etat à raison d’une violation de cet instrument. Le Myanmar fait valoir que
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ces documents ont trait à la responsabilité pénale individuelle et non à la responsabilité de l’Etat à raison d’actes de génocide, et sont formulés comme des déclarations politiques et non comme des réclamations juridiques revêtant un degré de précision suffisant pour révéler l’existence d’un différend au sens de l’article IX de la convention.
54. En ce qui concerne les rapports de la mission internationale indépendante d’établissement des faits des Nations Unies sur le Myanmar (ci-après la «mission d’établissement des faits» ou la «mission») publiés en 2018 et 2019, ce dernier considère qu’ils ne peuvent pas non plus constituer des éléments de preuve d’un différend entre les Parties relatif à la convention sur le génocide, étant donné qu’ils expriment les vues personnelles des trois membres de la mission telles que présentées au Conseil des droits de l’homme et non le point de vue juridique de la Gambie sur la responsabilité du Myanmar au regard de cet instrument. Le Myanmar souligne en outre que le rapport de la mission d’établissement des faits de 2018 n’indiquait pas que sa responsabilité en tant qu’Etat au regard du droit international était engagée à raison d’actes de génocide, tandis que le rapport de 2019 et ses «constatations détaillées» (voir le paragraphe 66 ci-dessous) étaient trop généraux pour satisfaire à la condition qu’une réclamation juridique ait été formulée par la Gambie.
55. Le Myanmar conteste également la pertinence des déclarations faites par les Parties elles-mêmes avant le dépôt de la requête. Selon lui, rien dans la déclaration prononcée le 25 septembre 2018 devant l’Assemblée générale des Nations Unies par le président de la Gambie ne laissait entendre que l’OCI ou la Gambie envisageaient de porter des accusations contre le Myanmar pour violation des obligations mises à sa charge par la convention sur le génocide. De plus, le Myanmar souligne que la déclaration faite le 26 septembre 2019 devant l’Assemblée générale des Nations Unies par la vice-présidente de la Gambie ne lui était pas directement adressée, ne faisait nulle mention d’un génocide ou de la convention sur le génocide, et n’était pas suffisamment précise. Pour les mêmes raisons, il estime que la déclaration faite le 29 septembre 2019 devant l’Assemblée générale des Nations Unies par le ministre auprès du bureau du conseiller d’Etat de l’Union du Myanmar ne peut être considérée comme établissant une opposition manifeste de vues entre les deux Parties sur une question juridique liée au génocide, et encore moins à la convention sur le génocide.
56. Le défendeur fait en outre valoir que, au vu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, la note verbale que la Gambie lui a adressée le 11 octobre 2019 ne saurait être interprétée comme ayant formulé contre lui une réclamation juridique. Il soutient que, de par son libellé, ce document s’apparente à une déclaration politique, et non à une réclamation juridique fondée sur des faits et des moyens juridiques spécifiques. Selon lui, la note verbale n’exposait pas les vues de la Gambie avec un degré de précision suffisant pour permettre de conclure que le Myanmar «ne pouvait pas ne pas avoir connaissance» qu’une réclamation juridique était formulée contre lui sur la base de faits et d’éléments de preuve particuliers en vertu de la convention, et n’énonçait aucune réclamation juridique sur laquelle il aurait réellement pu prendre position. Dans ces conditions, l’existence d’un différend entre les Parties ne saurait être déduite de l’absence de réaction du Myanmar. Enfin, le Myanmar affirme que, même si une réponse s’imposait, il avait droit à un délai raisonnable pour réagir en connaissance de cause à ladite note verbale, et que le délai d’un mois dont il a disposé n’était pas suffisant pour permettre de déduire qu’il s’opposait manifestement aux demandes générales et peu précises qui y étaient formulées.
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57. La Gambie prie la Cour de rejeter la quatrième exception préliminaire du Myanmar au motif qu’elle est dépourvue de fondement en droit et en fait. En ce qui concerne le critère juridique applicable, elle soutient que la tentative du Myanmar de fixer un seuil plus élevé que celui qui est requis pour établir l’existence d’un différend n’est pas étayée par la jurisprudence de la Cour et, partant, devrait être rejetée. Selon elle, le fait que le défendeur avait connaissance du point de vue opposé du demandeur suffit à établir un différend ; il n’est pas nécessaire de démontrer que le second avait connaissance de ce que le premier s’opposait spécifiquement à ses réclamations. La Gambie estime que le critère que préconise le Myanmar créerait un droit de veto à sens unique, par l’effet duquel l’absence de réaction du défendeur à une réclamation juridique formulée contre lui pourrait faire obstacle à la constatation de l’existence d’un différend. Elle considère en outre que les critères de spécificité très exigeants avancés par le Myanmar, s’agissant de la formulation d’une réclamation, feraient peser sur le demandeur une charge nouvelle et importante et restreindraient grandement l’accès à la Cour en obligeant les Etats à développer intégralement leurs arguments juridiques et factuels avant de la saisir. En tout état de cause, la Gambie est d’avis que, même à l’aune des critères proposés par le Myanmar, l’existence d’un différend entre les Parties avant le dépôt de la requête serait établie sur la base des éléments de preuve pertinents.
58. Du point de vue factuel, la Gambie soutient qu’il ressort clairement des éléments de preuve que, avant le dépôt de la requête, il existait entre les Parties un différend non réglé ayant trait au respect par le Myanmar des obligations que lui impose la convention sur le génocide. Selon elle, le défendeur avait connaissance du fait que les Parties avaient des points de vue opposés quant à l’exécution de ses obligations au regard de la convention sur le génocide et que son refus de reconnaître ses actes de génocide contre le groupe des Rohingya se heurtait à l’opposition manifeste de la Gambie.
59. La Gambie estime que ses vues concernant la responsabilité qu’elle imputait au Myanmar à raison des actes de génocide commis contre les Rohingya étaient connues de ce dernier dès le 6 mai 2018, date à laquelle elle s’est employée, lors d’une réunion ministérielle de l’OCI, à faire adopter la déclaration de Dhaka, dans laquelle les Etats membres de l’organisation ont exprimé leur profonde préoccupation face aux «actes brutaux systématiquement perpétrés par les forces de sécurité contre la communauté musulmane rohingya au Myanmar, qui [avaient] pris les proportions d’un véritable nettoyage ethnique, ce qui représent[ait] une violation grave et flagrante du droit international». Le fait que le défendeur ait eu connaissance de cette déclaration est attesté par la communication publiée par son ministère des affaires étrangères trois jours plus tard, dans laquelle le Myanmar a catégoriquement contesté la présentation qui avait été faite des événements survenus dans l’Etat rakhine et nié être responsable de quelque manquement à des obligations internationales applicables. La Gambie invoque également le rejet par un porte-parole du Gouvernement du Myanmar de différentes résolutions adoptées par les Etats membres de l’OCI, qui démontre que le défendeur avait connaissance des vues de ces derniers, et notamment de celles de la Gambie en sa qualité de présidente du comité ad hoc chargé de ces questions.
60. La Gambie invoque en outre les déclarations faites par des représentants des deux Parties devant l’Assemblée générale des Nations Unies en tant qu’éléments de preuve supplémentaires de l’existence d’un différend. Elle relève que, dans le rapport de la mission d’établissement des faits en date du 12 septembre 2018, il est indiqué que les crimes commis dans l’Etat rakhine étaient de nature, de gravité et d’ampleur semblables à celles de crimes qui avaient permis d’établir l’intention génocidaire dans d’autres contextes. Le 25 septembre 2018, le président de la Gambie, M. Adama Barrow, a déclaré devant l’Assemblée générale des Nations Unies que son gouvernement avait pris l’initiative «de plaider … pour la mise en place d’un mécanisme de responsabilisation qui
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garantirait que les auteurs des terribles crimes commis contre les musulmans rohyingas soient tenus de rendre des comptes». Trois jours plus tard, M. Kyaw Tint Swe, ministre auprès du bureau du conseiller d’Etat de l’Union du Myanmar, a prononcé un discours devant cette même instance dans lequel il rejetait les conclusions de la mission au motif qu’«elles s’appu[yaient] sur des [récits] et non sur des preuves tangibles». Selon la Gambie, ces déclarations faites devant l’Assemblée générale des Nations Unies en 2018 indiquent que les Parties avaient des points de vue nettement opposés quant à la question de savoir si des crimes internationaux avaient été commis contre les Rohingya et à la nécessité de mesures internationales en vue de contraindre leurs auteurs à en répondre.
61. La Gambie se réfère également au rapport publié par la mission d’établissement des faits en 2019, dans lequel celle-ci indiquait que «la responsabilité de l’Etat [du Myanmar était] engagée au regard de l’interdiction d[u] crime[] de génocide» et se félicitait des efforts déployés par la Gambie et l’OCI «pour encourager et engager une procédure contre le Myanmar devant la Cour internationale de Justice au titre de la convention sur le génocide». A la suite de la publication de ce rapport, la vice-présidente de la Gambie, Mme Isatou Touray, a annoncé devant l’Assemblée générale des Nations Unies, le 26 septembre 2019, que son gouvernement avait l’intention de «jouer un rôle de chef de file dans le cadre d’efforts concertés visant à porter la question des Rohingya devant la Cour internationale de Justice». Deux jours plus tard, le ministre auprès du bureau du conseiller d’Etat de l’Union du Myanmar, M. Kyaw Tint Swe, a rejeté le rapport de la mission d’établissement des faits au motif qu’il était «biaisé[] et lacunaire[], basé[] non sur des faits mais sur des [récits]», et déclaré que son gouvernement «rejet[ait] … le nouveau Mécanisme d’enquête indépendant pour le Myanmar, qui a[vait] été créé pour amener [ce dernier] devant des juridictions telles que la Cour pénale internationale [et] suscit[ait] une forte objection de [sa] part». Au vu de ces échanges, la Gambie estime que le Myanmar ne pouvait pas ne pas avoir connaissance de ce qu’elle avait des vues manifestement opposées aux siennes s’agissant de sa responsabilité juridique au regard de la convention sur le génocide.
62. Outre ces échanges dans des enceintes multilatérales, la Gambie invoque une note verbale qu’elle a adressée au Myanmar le 11 octobre 2019. Dans ce document, elle se référait aux conclusions auxquelles la mission d’établissement des faits était parvenue en 2019 «en ce qui concerne le génocide qui continu[ait] d’être commis contre le peuple rohingya», rejetait la position du Myanmar consistant à nier sa responsabilité et à refuser de s’acquitter des obligations lui incombant au regard de la convention, et exhortait celui-ci à prendre toutes les mesures nécessaires pour respecter cet instrument. Selon la Gambie, ladite note verbale établit que les Parties avaient des vues nettement opposées quant au respect par le Myanmar de ses obligations au titre de la convention. Le demandeur souligne que ce dernier n’a pas répondu à la note verbale dans le mois qui a suivi, «alors même que la gravité de celle-ci et l’insistance avec laquelle la Gambie l’exhortait à mettre un terme à ses actes de génocide appelaient clairement une réaction de sa part». La Gambie rejette également l’argument du Myanmar selon lequel il avait droit à un délai approprié pour réagir à cette note en connaissance de cause, soulignant qu’il avait déjà reçu les différents rapports de la mission d’établissement des faits et avait assez précisément connaissance de leur teneur. Enfin, elle estime que le silence du Myanmar ne saurait être interprété comme signifiant que celui-ci ignorait que ses vues concernant sa responsabilité au regard de la convention se heurtaient à l’opposition manifeste de la Gambie, relevant que, cinq jours après le dépôt de la requête, un porte-parole du Gouvernement du Myanmar a publiquement admis que son gouvernement prévoyait, depuis plus d’un mois, que le Myanmar pourrait faire l’objet de poursuites devant la Cour, élément factuel que le défendeur n’a jamais traité au cours de la présente procédure.
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63. L’existence d’un différend entre les parties est une condition pour que la Cour ait compétence en vertu de l’article IX de la convention sur le génocide. Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, un différend est «un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts» entre les parties (Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I. série A no 2, p. 11). Pour qu’un différend existe, «[i]l faut démontrer que la réclamation de l’une des parties se heurte à l’opposition manifeste de l’autre» (Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 328). Les points de vue des deux parties quant à l’exécution ou à la non-exécution de certaines obligations internationales doivent être nettement opposés (Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire (Iles Marshall c. Inde), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 270, par. 34 ; Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 26, par. 50).
64. La détermination par la Cour de l’existence d’un différend est une question de fond, et non de forme ou de procédure (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 84, par. 30). En principe, la date à laquelle doit être appréciée l’existence d’un différend est celle du dépôt de la requête (Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 27, par. 52). Toutefois, le comportement des parties postérieur à la requête peut être pertinent à divers égards et, en particulier, aux fins de confirmer l’existence d’un différend (Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire (Iles Marshall c. Inde), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 272, par. 40). La Cour a également précisé que, aux fins de trancher ce point, elle tient notamment compte de l’ensemble des déclarations ou documents échangés entre les parties (Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 443-445, par. 50-55), ainsi que des échanges qui ont eu lieu dans des enceintes multilatérales (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 94-95, par. 51 et 53). Ce faisant, elle accorde une attention particulière «aux auteurs des déclarations ou documents, aux personnes auxquelles ils étaient destinés ou qui en ont effectivement eu connaissance et à leur contenu» (ibid., p. 100, par. 63).
65. A cet égard, la Cour relève que quatre déclarations pertinentes faites par des représentants des Parties devant l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre 2018 et septembre 2019 ont été versées au dossier de la présente espèce. Ces déclarations ont été prononcées durant les débats généraux de l’Assemblée de 2018 et 2019, qui se sont déroulés dans les semaines suivant la publication de deux rapports par la mission d’établissement des faits sur le Myanmar établie par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, les 12 septembre 2018 et 8 août 2019, respectivement. La note verbale que la Gambie a adressée à la mission permanente du Myanmar auprès de l’Organisation des Nations Unies le 11 octobre 2019 est également pertinente aux fins de l’établissement de l’existence d’un différend.
66. Dans son premier rapport, en date du 12 septembre 2018, la mission d’établissement des faits a indiqué que «[l]es infractions commises dans l’Etat rakhine, et la manière dont elles l’[avaient] été, [étaient] de nature, de gravité et d’ampleur semblables à celles [de crimes] qui [avaient] permis d’établir l’intention génocidaire dans d’autres contextes» (Nations Unies, rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits sur le Myanmar, doc. A/HRC/39/64,
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12 septembre 2018, par. 85). Sur cette base, elle a conclu qu’il existait des informations suffisantes «pour justifier que des hauts responsables de la chaîne de commandement de la Tatmadaw fassent l’objet d’enquêtes et de poursuites, de façon qu’un tribunal compétent puisse déterminer leur responsabilité dans le génocide, au regard de la situation dans l’Etat rakhine», et appelé la communauté internationale, par l’intermédiaire de l’Organisation des Nations Unies, à mettre en oeuvre tous les moyens pacifiques «pour aider le Myanmar à s’acquitter de son devoir de protéger sa population contre le génocide» (ibid., par. 87 et 104). La mission d’établissement des faits a réitéré ces déclarations dans la version détaillée de ce même rapport, publiée le 17 septembre 2018, dans laquelle elle a relevé que «les autorités du Myanmar [avaient] démontré qu’elles n[’étaient] ni capables ni désireuses d’engager efficacement» le processus «d’enquêtes et de poursuites relatives aux crimes de droit international» et que, partant, «c’[était] la communauté internationale qui d[evait] donner l’élan à l’application du principe de responsabilité» (United Nations, Report of the detailed findings of the Independent International Fact-Finding Mission on Myanmar, UN doc. A/HRC/39/CRP.2, 17 septembre 2018, par. 1648). Un exemplaire de ce rapport a été communiqué au Gouvernement du Myanmar avant sa publication (ibid., par. 3).
67. Le 25 septembre 2018, dans son allocution devant l’Assemblée générale, le président de la Gambie, M. Adama Barrow, a déclaré que, en tant que présidente du prochain sommet de l’OCI, la Gambie «a[vait] pris l’initiative de plaider, par l’intermédiaire d’une résolution, pour la mise en place d’un mécanisme de responsabilisation qui garantirait que les auteurs des terribles crimes commis contre les musulmans rohingyas soient tenus de rendre des comptes» (Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/73/PV.7, 25 septembre 2018, p. 32). Dans un discours prononcé trois jours plus tard, au cours de la même session de l’Assemblée générale, le ministre auprès du bureau du conseiller d’Etat de l’Union du Myanmar, M. Kyaw Tint Swe, a exprimé de vives préoccupations concernant le rapport de la mission d’établissement des faits, dont il a rejeté les conclusions comme «s’appu[yant] sur des [récits] et non sur des preuves tangibles» (Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/73/PV.13, 28 septembre 2018, p. 50).
68. Dans son second rapport, publié le 8 août 2019, la mission d’établissement des faits a jugé qu’elle avait des motifs raisonnables de conclure, notamment, que «la responsabilité de l’Etat [du Myanmar était] engagée au regard de l’interdiction d[u] crime[] de génocide», et s’est
«félicit[ée] des efforts déployés par certains Etats, en particulier le Bangladesh et la Gambie, et par l’Organisation de la coopération islamique pour encourager et engager une procédure contre le Myanmar devant la Cour internationale de Justice au titre de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide» (Nations Unies, rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits sur le Myanmar, doc. A/HRC/42/50, 8 août 2019, par. 18-19 et 107).
La mission a réitéré ses déclarations dans la version détaillée de ce même rapport publiée le 16 septembre 2019, ajoutant que «le Myanmar ne s’acquitt[ait] pas de son obligation de prévenir le génocide, d’enquêter sur les actes de génocide et de prendre des mesures législatives effectives pour ériger le génocide en infraction et le punir» (United Nations, Report of the Independent International Fact-Finding Mission on Myanmar, UN doc. A/HRC/42/CRP.5, 16 septembre 2019, par. 40, 58, 213 et 220). Un exemplaire de ce rapport a également été fourni au Myanmar (ibid., par. 29).
69. A la suite de la publication du second rapport et des «constatations détaillées» de la mission d’établissement des faits, la vice-présidente de la Gambie, Mme Isatou Touray, dans une allocution prononcée le 26 septembre 2019 devant l’Assemblée générale, a déclaré que, «[e]n tant que
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communauté mondiale dotée d’une conscience, nous ne pouv[i]ons pas continuer à fermer les yeux sur le sort des Rohingya», précisant que son gouvernement avait l’intention de «jouer un rôle de chef de file dans le cadre d’efforts concertés visant à porter la question des Rohingya devant la Cour internationale de Justice au nom de l’Organisation de la coopération islamique» (Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/74/PV.8, 26 septembre 2019, p. 34). Deux jours après ce discours de la Gambie, le ministre auprès du bureau du conseiller d’Etat de l’Union du Myanmar, M. Kyaw Tint Swe, a déclaré devant l’Assemblée générale que les rapports de la mission d’établissement des faits, «sans exception, [étaient] biaisés et lacunaires» et que «[l]es derniers rapports en date [étaient] encore pires» (Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/74/PV.12, 28 septembre 2019, p. 26-27). Le défendeur a également «rejet[é] … le nouveau Mécanisme d’enquête indépendant pour le Myanmar, qui a[vait] été créé pour amener [ce dernier] devant des juridictions telles que la Cour pénale internationale [et] suscit[ait] une forte objection de [la] part [du Gouvernement du Myanmar]» (ibid., p. 27).
70. Le Myanmar conteste l’existence d’un différend entre les Parties pour deux raisons. En premier lieu, il affirme que les déclarations faites devant l’Assemblée générale et la note verbale que lui a adressée la Gambie le 11 octobre 2019 n’étaient pas suffisamment précises, au sens où la Gambie n’a pas précisément articulé ses réclamations juridiques. En second lieu, le Myanmar soutient que l’exigence de la «connaissance mutuelle» n’est pas satisfaite parce qu’il n’a jamais rejeté aucune réclamation particulière de la Gambie. La Cour examinera à présent ces deux raisons invoquées par le Myanmar pour contester l’existence d’un différend entre les Parties.
71. En ce qui concerne l’argument selon lequel l’existence d’un différend exige ce que le Myanmar appelle la «connaissance mutuelle» par les parties de leurs positions respectives manifestement opposées (voir le paragraphe 52 ci-dessus), il n’est pas nécessaire, pour conclure que les parties ont des points de vue nettement opposés concernant l’exécution d’obligations juridiques, que le défendeur se soit expressément opposé aux réclamations du demandeur. Si tel était le cas, cela permettrait au défendeur de faire obstacle à la constatation de l’existence d’un différend en restant silencieux face aux réclamations juridiques du demandeur. Une telle conséquence serait inacceptable. C’est la raison pour laquelle la Cour considère que, dans le cas où le défendeur s’est abstenu de répondre aux réclamations du demandeur, il est possible d’inférer de ce silence, dans certaines circonstances, qu’il rejette celles-ci et que, par suite, un différend existe à la date de la requête. En conséquence, la Cour estime que l’exigence d’une «connaissance mutuelle» fondée sur deux positions explicitement opposées, telle que mise en avant par le Myanmar, est dépourvue de fondement juridique.
72. S’agissant de l’argument du Myanmar selon lequel les déclarations faites par la Gambie devant l’Assemblée générale des Nations Unies n’étaient pas suffisamment précises, la Cour relève que ces déclarations ne faisaient pas expressément mention de la convention sur le génocide. Elle n’estime cependant pas qu’une référence particulière à un traité ou à ses dispositions soit requise à cet égard. Ainsi qu’elle l’a déjà précisé,
«[s]’il n’est pas nécessaire qu’un Etat mentionne expressément, dans ses échanges avec l’autre Etat, un traité particulier pour être ensuite admis à invoquer ledit traité devant la Cour … , il doit néanmoins s’être référé assez clairement à l’objet du traité pour que l’Etat contre lequel il formule un grief puisse savoir qu’un différend existe ou peut exister à cet égard» (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 85, par. 30).
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Sur ce point, la Cour relève que les déclarations de la Gambie de septembre 2018 et septembre 2019 ont été formulées peu de temps après la publication des rapports de la mission d’établissement des faits. Celui de 2018 contenait des allégations spécifiques quant à la perpétration dans l’Etat rakhine de crimes de nature, de gravité et d’ampleur semblables à celles de crimes qui avaient permis d’établir l’intention génocidaire dans d’autres contextes, tandis que celui de 2019 faisait expressément mention de la responsabilité du Myanmar au regard de la convention sur le génocide. Dans ses déclarations, la Gambie se référait indubitablement aux conclusions énoncées dans ces documents, qui étaient les principaux rapports de l’Organisation des Nations Unies consacrés à la situation de la population rohingya au Myanmar et avaient été mentionnés dans divers rapports soumis à l’Assemblée générale. Dans le second rapport de la mission d’établissement des faits, la Gambie était en particulier citée comme l’un des Etats déployant des efforts en vue d’engager une procédure contre le Myanmar devant la Cour sur le fondement de la convention. Ce dernier ne pouvait pas ne pas en avoir connaissance. De même, le fait que le Myanmar ait rejeté les conclusions desdits rapports démontre que les allégations selon lesquelles un génocide était commis par ses forces de sécurité contre les communautés rohingya au Myanmar ainsi que la mise en cause de sa responsabilité au regard de la convention à raison d’actes de génocide se heurtaient à son opposition manifeste. De telles allégations étaient contenues dans les deux rapports et ont été publiquement reprises par la Gambie.
73. La Cour considère que les déclarations faites par les Parties devant l’Assemblée générale des Nations Unies en 2018 et 2019 indiquent que celles-ci avaient des points de vue opposés sur la question de savoir si le traitement du groupe des Rohingya était conforme aux obligations du Myanmar au regard de la convention sur le génocide. Celui-ci ne pouvait pas ne pas avoir connaissance de ce que la Gambie avait indiqué, à la suite de la publication du rapport de la mission d’établissement des faits de 2018, qu’elle plaiderait pour la mise en place d’un mécanisme de responsabilisation concernant les crimes qui auraient été commis contre les Rohingya. Plus important encore, l’annonce faite par la vice-présidente de la Gambie devant l’Assemblée générale pendant le débat général, en septembre 2019, selon laquelle son gouvernement entendait mener des efforts concertés visant à porter la question des Rohingya devant la Cour, n’a pas pu échapper au Myanmar. La Gambie, et la Gambie seule, a exprimé une telle intention devant l’Assemblée générale en 2019. Par les déclarations qu’il a faites en 2018 et 2019 devant l’Assemblée générale, le ministre auprès du bureau du conseiller d’Etat de l’Union du Myanmar a présenté des vues de son gouvernement opposées à celles de la Gambie et indiquant clairement un rejet des rapports et conclusions de la mission d’établissement des faits.
74. De surcroît, la note verbale adressée par la Gambie à la mission permanente du Myanmar auprès de l’Organisation des Nations Unies le 11 octobre 2019 mettait clairement l’accent sur la divergence de vues manifeste entre les Parties, en exprimant spécifiquement et en des termes juridiques la position de la Gambie concernant les violations alléguées, par le Myanmar, de ses obligations au regard de la convention sur le génocide. Dans cette note, la Gambie se référait aux conclusions de la mission d’établissement des faits, et notamment à celles concernant «le génocide qui continu[ait] d’être commis contre le peuple rohingya de la République de l’Union du Myanmar en violation des obligations qu’impose à celle-ci la convention sur la prévention et la répression du crime de génocide», dont elle considérait qu’elles étaient «solidement étayées et hautement crédibles». De plus, la Gambie «contest[ait] formellement la position du Myanmar consistant à nier sa responsabilité à l’égard du génocide en cours contre sa population rohingya et à refuser de s’acquitter des obligations lui incombant au regard de la convention», et exhortait le défendeur à s’acquitter de ces obligations.
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75. La Cour relève en outre que le Myanmar n’a jamais répondu à cette note verbale. Ainsi qu’elle l’a déjà précisé, «le fait que la réclamation de l’une des parties se heurte à l’opposition manifeste de l’autre ne doi[t] pas nécessairement être énoncé[] expressis verbis … il est possible … d’établir par inférence quelle est en réalité la position ou l’attitude d’une partie» (Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 315, par. 89). En particulier, «l’existence d’un différend peut être déduite de l’absence de réaction d’un Etat à une accusation dans des circonstances où une telle réaction s’imposait» (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 84, par. 30). La question de savoir si une telle déduction peut être faite dépend des circonstances particulières de chaque affaire.
76. La Cour rappelle que le Myanmar était informé, par les rapports de la mission d’établissement des faits de 2018 et de 2019, des allégations formulées contre lui au sujet de violations de la convention sur le génocide. Ainsi que cela ressort des déclarations faites par les représentants des deux Etats devant l’Assemblée générale des Nations Unies, il avait également une indication de ce que ses vues sur ce point se heurtaient à l’opposition de la Gambie. Ce n’est donc pas dans la note verbale que lesdites allégations ont été portées pour la première fois à la connaissance du Myanmar. Compte tenu de la nature et de la gravité des griefs qui y étaient formulés, et étant donné que ce dernier en connaissait déjà l’existence, la Cour est d’avis que son rejet des allégations formulées par la Gambie peut être aussi déduit du fait qu’il n’a pas répondu à la note verbale dans la période d’un mois qui a précédé le dépôt de la requête.
77. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu’il existait entre les Parties, au moment du dépôt de la requête par la Gambie le 11 novembre 2019, un différend relatif à l’interprétation, l’application et l’exécution de la convention sur le génocide. La quatrième exception préliminaire du Myanmar doit par conséquent être rejetée.
IV. RÉSERVE FORMULÉE PAR LE MYANMAR À L’ARTICLE VIII DE LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE (TROISIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE)
78. Par sa troisième exception préliminaire, le Myanmar soutient que la Cour n’a pas compétence, ou que la requête de la Gambie est irrecevable, au motif que celle-ci ne peut valablement saisir la Cour au titre de la convention sur le génocide. Tel est, selon lui, l’effet de la réserve qu’il a formulée à l’article VIII de cet instrument.
79. Le Myanmar fait valoir que la saisine de la Cour est régie par l’article VIII de la convention sur le génocide, qui est ainsi libellé :
«Toute Partie contractante peut saisir les organes compétents de l’Organisation des Nations Unies afin que ceux-ci prennent, conformément à la Charte des Nations Unies, les mesures qu’ils jugent appropriées pour la prévention et la répression des actes de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III.»
Ainsi qu’il est rappelé ci-dessus, le Myanmar, à l’époque l’Union birmane, a déposé son instrument de ratification de la convention le 14 mars 1956 (voir le paragraphe 31). Cet instrument contenait la réserve suivante : «En ce qui concerne l’article VIII, l’Union birmane formule la réserve suivante : les dispositions dudit article ne seront pas applicables à l’Union» (Nations Unies, Recueil des traités, vol. 230, p. 435).
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80. Le Myanmar soutient que la mention, à l’article VIII, des «organes compétents de l’Organisation des Nations Unies» inclut la Cour. Il affirme que cette interprétation est étayée par le libellé même dudit article, qui ne limite nullement le champ d’application de ce dernier à des organes particuliers de l’ONU. Le Myanmar avance également que les termes employés dans les versions française et espagnole  qui font également foi  de l’article VIII pour décrire la faculté conférée à une partie contractante (soit, respectivement, «saisir» et «recurrir») sont généralement utilisés dans le contexte de l’introduction d’instances devant la Cour, ce qui confirme que celle-ci figure bien parmi les organes visés dans ladite disposition.
81. Le Myanmar allègue que l’article VIII serait vidé de son sens s’il ne s’appliquait qu’aux organes politiques de l’ONU, car la Charte des Nations Unies permet déjà aux Etats Membres de demander à l’Assemblée générale ou au Conseil de sécurité de prendre des mesures appropriées en cas de génocide. Selon lui, dès lors que la Charte régit la saisine des organes politiques de l’ONU, l’article VIII a nécessairement un objet différent. Le Myanmar en déduit que cette disposition a vocation à régir la saisine de la Cour, l’article IX ne portant quant à lui que sur la compétence de celle-ci.
82. Le Myanmar considère que, étant donné que l’article VIII régit la saisine de la Cour, la réserve qu’il y a formulée exclut que cette dernière ait pu être valablement saisie par la Gambie en la présente espèce. S’il n’a pas émis de réserve à l’article IX, il avance cependant que celle qu’il a formulée à l’article VIII doit être interprétée comme empêchant les «Etats non lésés» de saisir la Cour d’un différend relatif à la convention. Soulignant qu’il importe de respecter l’intention des Etats lorsqu’ils émettent des réserves, le Myanmar soutient que toute autre interprétation de sa réserve priverait cette dernière d’effet juridique.
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83. Selon la Gambie, la réserve formulée par le Myanmar à l’article VIII de la convention est dépourvue de pertinence parce que cette disposition ne régit pas la saisine de la Cour.
84. La Gambie fait valoir que, d’après le sens ordinaire de l’article VIII, la Cour ne saurait être l’un des organes «compétents» de l’ONU, puisqu’elle ne peut prendre des «mesures» en vertu de la Charte des Nations Unies sur la base de ce qu’elle juge «approprié». Elle soutient également que le verbe «call upon» figurant dans le texte anglais de la convention  version qui fait également foi  n’est pas couramment employé s’agissant de procédures judiciaires, mais l’est en revanche dans le contexte de demandes tendant à ce que soit exercé un pouvoir discrétionnaire. La Gambie conteste en outre la pertinence de l’argument tenant aux verbes retenus dans les versions française et espagnole de l’article VIII («saisir» et «recurrir», respectivement) qui, bien que parfois utilisés dans des contextes juridiques, le sont également, selon elle, dans le cadre de demandes d’intervention adressées à des organes politiques.
85. La Gambie propose trois arguments en réponse à l’affirmation du Myanmar suivant laquelle l’article VIII n’aurait pas de sens s’il n’englobait pas la saisine de la Cour. Elle avance, premièrement, qu’il ressort de cette disposition que le paragraphe 7 de l’article 2 de la Charte ne fait pas obstacle à la saisine des organes politiques de l’ONU en cas de génocide. Deuxièmement, la
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Gambie fait valoir que l’article VIII autorise les parties contractantes qui ne sont pas Membres de l’ONU à saisir les organes politiques de l’Organisation afin que ceux-ci prennent des mesures, y compris contre des Etats qui ne sont pas parties contractantes. Troisièmement, la Gambie soutient que, contrairement à l’article IX, l’article VIII autorise les parties contractantes à saisir les organes compétents afin que ceux-ci prennent des mesures sans même qu’un différend ne se soit cristallisé au regard du droit international, ou contre des acteurs non étatiques.
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86. Par sa troisième exception préliminaire, le Myanmar soulève la question de la saisine de la Cour. Celle-ci a déjà précisé ce qui suit :
«comme acte introductif d’instance, la saisine est un acte de procédure autonome par rapport à la base de compétence invoquée ; et, à ce titre, elle est régie par le Statut et le Règlement de la Cour. La Cour ne saurait cependant connaître d’une affaire tant que la base de compétence considérée n’a pas trouvé son complément nécessaire dans un acte de saisine : de ce point de vue, la question de savoir si la Cour a été valablement saisie apparaît comme une question de compétence.» (Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 23, par. 43.)
87. Afin de déterminer si l’article VIII régit sa saisine, la Cour aura recours aux règles coutumières de droit international relatives à l’interprétation des traités, telles que reflétées aux articles 31 à 33 de la convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 (ci-après la «convention de Vienne») (voir Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (II), p. 598, par. 106 ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 109-110, par. 160).
88. La Cour observe que, suivant son sens ordinaire, l’expression «organes compétents de l’Organisation des Nations Unies», considérée isolément, pourrait sembler l’englober, en sa qualité d’organe judiciaire principal de l’Organisation. L’article VIII lu dans son ensemble appelle toutefois une interprétation différente. Ladite disposition prévoit en particulier que les organes compétents de l’Organisation des Nations Unies peuvent «pren[dre] … les mesures qu’ils jugent appropriées», ce qui donne à penser que ces organes disposent d’un pouvoir discrétionnaire pour déterminer les mesures à prendre en vue de «la prévention et [de] la répression des actes de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III». La fonction desdits organes au regard de cette disposition est donc différente de celle de la Cour, «dont la mission est de régler conformément au droit international les différends qui lui sont soumis», tel qu’énoncé au paragraphe 1 de l’article 38 de son Statut, et de donner des avis consultatifs sur toute question juridique, ainsi que le prévoit le paragraphe 1 de l’article 65. En ce sens, l’article VIII peut être considéré comme ayant trait à la prévention et à la répression du génocide «au niveau politique et non plus sous l’angle de la responsabilité juridique» (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 109, par. 159).
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89. De plus, conformément au droit international coutumier, tel que reflété à l’article 31 de la convention de Vienne, les termes de l’article VIII doivent être interprétés dans leur contexte et, en particulier, à la lumière des autres dispositions de la convention sur le génocide. A cet égard, la Cour accorde une attention particulière à l’article IX, qui constitue le fondement de sa compétence au titre de cet instrument. La Cour estime que les articles VIII et IX de la convention sur le génocide ont des champs d’application distincts. L’article IX énonce les conditions requises pour recourir à l’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies en cas de différend entre des parties contractantes, tandis que l’article VIII permet à toute partie contractante de faire appel à d’autres organes compétents de l’Organisation, même en l’absence de différend avec une autre partie contractante.
90. Il ressort donc du sens ordinaire des termes de l’article VIII considérés dans leur contexte que cette disposition ne régit pas la saisine de la Cour. A la lumière de cette conclusion, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de faire appel à des moyens supplémentaires d’interprétation, tels que les travaux préparatoires de la convention sur le génocide.
91. Etant donné que l’article VIII ne se rapporte pas à la saisine de la Cour, la réserve formulée par le Myanmar à cette disposition n’est pas pertinente aux fins de déterminer si la Cour est régulièrement saisie de l’affaire qui lui a été soumise. Point n’est donc besoin que la Cour examine la teneur de cette réserve.
92. La Cour conclut en conséquence que la troisième exception préliminaire soulevée par le Myanmar doit être rejetée.
V. QUALITÉ DE LA GAMBIE POUR PORTER LE DIFFÉREND DEVANT LA COUR (DEUXIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE)
93. Par sa deuxième exception préliminaire, le Myanmar soutient que la requête de la Gambie est irrecevable au motif que cette dernière n’a pas qualité pour porter le présent différend devant la Cour. Il estime en particulier que seuls les «Etats lésés», qu’il définit comme des Etats «atteint[s] par un fait internationalement illicite», ont qualité pour saisir la Cour. De l’avis du Myanmar, la Gambie n’est pas un «Etat lésé» (expression que celui-ci semble employer comme un synonyme de l’expression «Etat spécialement atteint») et n’a pas démontré qu’elle possédait un intérêt juridique individuel. En conséquence, elle est, selon le Myanmar, dépourvue de qualité pour agir au titre de l’article IX de la convention sur le génocide.
94. Le Myanmar opère une distinction entre le droit d’invoquer la responsabilité d’un Etat en droit international général et la qualité pour agir devant la Cour. Il affirme que, même s’il était établi qu’une partie contractante à la convention sur le génocide «non lésée» a le droit d’invoquer la responsabilité d’un autre Etat à raison de violations de cet instrument, cela ne signifierait pas nécessairement qu’elle est fondée à introduire une instance devant la Cour. Il soutient à cet égard qu’il existe une différence entre l’intérêt commun à ce que les fins de la convention sur le génocide soient préservées et l’intérêt juridique individuel qu’un Etat peut chercher à faire valoir en introduisant une instance devant la Cour. Du point de vue du Myanmar, seuls les Etats «spécialement atteints» par un fait internationalement illicite ont qualité pour porter un différend devant celle-ci.
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95. Le Myanmar estime que l’arrêt rendu en l’affaire relative à des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal) ne confirme pas la qualité pour agir d’Etats «non lésés», et ce, parce que cette affaire se distingue de la présente espèce à deux égards. Premièrement, il précise que la Belgique se considérait comme un Etat «spécialement atteint», puisqu’elle s’était prévalue du droit d’exercer sa compétence et de demander l’extradition que lui conférait l’article 5 de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984 (ci-après la «convention contre la torture»). Deuxièmement, la convention contre la torture se distingue, selon le Myanmar, de la convention sur le génocide, en ce qu’elle envisage expressément l’exercice d’une compétence universelle. L’article VI de la convention sur le génocide, en revanche, ne prescrit que l’exercice d’une compétence territoriale et ne confère aucun pouvoir d’exécution à des parties contractantes autres que celle sur le territoire de laquelle les actes de génocide allégués auraient été commis.
96. Le Myanmar affirme en outre que le libellé et la structure de la convention sur le génocide excluent la possibilité pour un Etat «non lésé» d’engager une instance devant la Cour. De son point de vue, l’absence du déterminant «tout» ou «tous» avant le terme «différends» à l’article IX indique que les différends qui y sont visés n’englobent pas tous les différends susceptibles de se faire jour au titre de la convention, mais uniquement ceux qui surviendraient entre des parties contractantes. Le Myanmar avance un argument similaire s’agissant de l’expression «[t]oute Partie contractante» employée à l’article VIII, par opposition à l’expression «les Parties contractantes» qui figure à l’article IX (les italiques sont de la Cour), estimant que cette différence signifie que l’article IX n’a pas vocation à s’appliquer à toutes les parties contractantes.
97. Le Myanmar fait valoir que son interprétation est corroborée par les travaux préparatoires de la convention sur le génocide. De son point de vue, il existait entre les Etats ayant pris part aux négociations un consensus clair sur le fait que l’article VIII pourrait être mis en oeuvre par toutes les parties contractantes à la convention, alors que rien ne témoigne d’un consensus analogue s’agissant de la portée de l’article IX. Le Myanmar appelle en outre l’attention sur l’expression «à la requête d’une partie au différend» figurant à la fin de l’article IX, qui fut retenue en lieu et place de l’autre formulation envisagée, «à la requête d’une Haute Partie contractante». L’expression adoptée atteste, selon lui, d’une intention de limiter les parties autorisées à porter un différend devant la Cour sur la base de l’article IX aux Etats «spécialement atteints» par les violations alléguées de la convention.
98. Le Myanmar soutient ensuite que les réclamations de la Gambie sont irrecevables, car elles n’ont pas été portées devant la Cour conformément à la règle relative à la nationalité des réclamations telle que consacrée, selon lui, à l’alinéa a) de l’article 44 des articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite (ci-après les «articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat»). Le défendeur affirme que la règle relative à la nationalité des réclamations s’applique à l’invocation de la responsabilité tant par des Etats «lésés» que par des Etats «non lésés», et quand bien même l’obligation faisant l’objet du manquement serait erga omnes partes ou erga omnes. Il en conclut que la Gambie n’a pas qualité pour invoquer sa responsabilité dans l’intérêt des membres du groupe rohingya, qui ne sont pas des ressortissants de cet Etat.
99. Enfin, le Myanmar avance que, même à supposer que les parties contractantes qui ne sont pas «spécialement atteintes» par une violation alléguée de la convention aient qualité pour saisir la Cour d’un différend en vertu de l’article IX, cette qualité pour agir demeurerait subsidiaire à celle des Etats «spécialement atteints» et en dépendrait. Il fait valoir que le Bangladesh est «l’Etat pour lequel il aurait été le plus naturel» d’introduire la présente instance, étant donné que celui-ci partage
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avec lui une frontière et a accueilli un grand nombre des personnes qui auraient été victimes de génocide. Selon le défendeur, la réserve qu’a formulée le Bangladesh à l’article IX de la convention sur le génocide non seulement empêche cet Etat d’introduire une instance contre lui, mais prive en outre tout Etat «non lésé», tel que la Gambie, de la possibilité de le faire. Le Myanmar soutient encore que la volonté d’un Etat «non lésé» ne saurait prendre le pas sur la faculté de l’Etat «spécialement atteint» par le manquement allégué de décider comment faire valoir ses droits de la manière servant au mieux ses intérêts. Il signale que la conclusion inverse conduirait à une prolifération des différends et soulèverait des questions quant au droit des Etats «non lésés» de demander réparation au nom de victimes présumées qui ne seraient pas leurs ressortissants.
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100. La Gambie rejette les arguments avancés par le Myanmar à l’appui de sa deuxième exception préliminaire et souligne que les conditions établies par l’article IX sont toutes remplies. Elle argue que toutes les parties contractantes à la convention sur le génocide ont un intérêt commun à ce qu’il soit satisfait aux obligations énoncées dans cet instrument, lesquelles sont dues erga omnes partes, et que, en conséquence, un manquement à ces obligations porte préjudice à chacune d’elles. C’est la raison pour laquelle, de son point de vue, tout Etat partie à la convention est en droit d’invoquer la responsabilité d’un autre à raison de la violation d’obligations erga omnes partes imposées par celle-ci. Contestant la distinction faite par le Myanmar entre le droit d’invoquer la responsabilité d’un Etat et celui d’engager une instance devant la Cour, la Gambie affirme que le droit d’invoquer la responsabilité à raison de la violation d’obligations erga omnes partes implique qualité pour saisir la Cour du différend qui en découle.
101. La Gambie soutient, en se fondant sur la jurisprudence de la Cour, que la compétence que celle-ci tient de l’article IX n’est pas limitée aux différends portés par des Etats «spécialement atteints» (termes qu’elle considère équivalents à l’expression «directement lésés») par une violation alléguée de la convention sur le génocide. Elle se réfère à l’arrêt rendu en l’affaire relative à des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), dans lequel la Cour a, selon elle, confirmé la qualité pour agir de la Belgique sur la seule base du caractère erga omnes partes des obligations dont la violation était alléguée. Elle conteste en outre l’argument du Myanmar consistant à distinguer la convention contre la torture de la convention sur le génocide. Bien que reconnaissant que, à la différence de la première, la seconde n’établit pas de compétence universelle, elle affirme que cela n’a pas d’incidence sur sa qualité pour introduire la présente instance.
102. La Gambie fait valoir que le sens ordinaire des termes de l’article IX, lus dans leur contexte, ne permet pas de conclure que, pour pouvoir saisir la Cour d’un différend, les Etats doivent  pour reprendre ses propres mots  être «spécialement lésés» par le manquement allégué à la convention sur le génocide. On ne saurait, selon elle, considérer que l’utilisation des termes «[l]es différends» et «les Parties contractantes» à l’article IX limite le champ de la compétence de la Cour. La Gambie estime que, dûment interprétée, cette disposition s’étend à tout différend né entre des parties contractantes, quelles qu’elles soient, à condition que celui-ci porte sur l’interprétation, l’application ou l’exécution de la convention, ce qui inclut les différends concernant la responsabilité d’un Etat pour n’avoir pas satisfait aux obligations lui incombant au regard de cet instrument.
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103. La Gambie allègue en outre que son interprétation de l’article IX est confirmée par l’histoire rédactionnelle de cette disposition. Elle soutient que, dès l’origine, cette clause compromissoire avait été conçue pour donner effet à l’idée selon laquelle tout différend découlant de la convention sur le génocide intéressait l’ensemble des parties contractantes. Selon elle, les Etats participant aux négociations entendaient conférer à la Cour une large compétence, étant entendu que, si seuls les Etats «spécialement lésés» devaient avoir qualité pour agir, cela compromettrait l’efficacité de la convention à l’égard d’actes de génocide qui seraient commis par un Etat sur son propre territoire contre une population minoritaire. La Gambie réfute l’interprétation que fait le Myanmar de l’expression «à la requête d’une partie au différend», affirmant que, dans l’esprit des Etats participant aux négociations, il s’agissait d’un amendement d’ordre rédactionnel, dépourvu d’effet sur le fond.
104. La Gambie affirme également que la règle relative à la nationalité des réclamations, telle qu’elle trouve son expression à l’alinéa a) de l’article 44 des articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat, est inapplicable dans les cas où, comme en la présente espèce, elle serait contraire à l’objet et au but d’un traité. Elle fait observer que le génocide est susceptible d’être dirigé contre des ressortissants de l’Etat génocidaire ou contre les membres d’un groupe privés de leur nationalité par l’Etat qui les persécute. Selon elle, la règle relative à la nationalité des réclamations exclurait la possibilité d’invoquer la responsabilité d’un Etat à l’égard de telles personnes et irait donc à l’encontre de l’objet et du but de la convention sur le génocide, laquelle deviendrait caduque. Rappelant les travaux préparatoires de la convention et les circonstances de son adoption, la Gambie argue que la règle relative à la nationalité des réclamations est contraire aux fins de cet instrument et qu’elle est par conséquent inapplicable.
105. Enfin, la Gambie conteste l’autre argument du Myanmar, selon lequel la qualité pour agir des Etats non «spécialement atteints» par le manquement à une obligation erga omnes partes est subsidiaire à celle des Etats «spécialement atteints» et en est tributaire. Elle fait valoir que la compétence de la Cour pour connaître d’un différend entre deux Etats au titre de la convention ne dépend que du consentement de ces Etats, et non de celui d’un quelconque tiers. La Gambie conteste que ses droits en vertu de la convention puissent être subordonnés à ceux du Bangladesh, ou que la renonciation éventuelle par ce dernier à certains droits emporte renonciation valable par elle à ses propres droits.
* *
106. La question dont est saisie la Cour est celle de savoir si la Gambie a le droit d’invoquer devant elle la responsabilité du Myanmar à raison de manquements allégués aux obligations auxquelles il est soumis au regard de la convention sur le génocide. La Cour note que les Parties ont employé l’une et l’autre des formulations très diverses dans leur argumentation concernant la position et les droits d’une partie contractante à la convention sur le génocide en cas de manquement allégué d’une autre aux obligations qui en découlent. S’appuyant notamment sur les articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat, le Myanmar utilise les termes «Etat (non) lésé» et «Etat spécialement atteint», la Gambie se référant, quant à elle, à un «Etat spécialement lésé» et à un «Etat directement lésé». La Cour n’estime pas nécessaire, en la présente espèce, d’examiner la portée juridique des différents termes employés par les Parties. Il lui suffit de rappeler l’avis consultatif qu’elle a donné sur les Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, dans lequel elle a expliqué le lien juridique établi entre les Etats parties à cet instrument :
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«Dans une telle convention, les Etats contractants n’ont pas d’intérêts propres ; ils ont seulement, tous et chacun, un intérêt commun, celui de préserver les fins supérieures qui sont la raison d’être de la convention. Il en résulte que l’on ne saurait, pour une convention de ce type, parler d’avantages ou de désavantages individuels des Etats, non plus que d’un exact équilibre contractuel à maintenir entre les droits et les charges. La considération des fins supérieures de la Convention est, en vertu de la volonté commune des parties, le fondement et la mesure de toutes les dispositions qu’elle renferme.» (C.I.J. Recueil 1951, p. 23.)
107. Tous les Etats parties à la convention sur le génocide ont donc, en souscrivant aux obligations contenues dans cet instrument, un intérêt commun à veiller à ce que le génocide soit prévenu, réprimé et puni. Ainsi que la Cour l’a précisé, un tel intérêt commun implique que les obligations en cause sont dues par tout Etat partie à tous les autres Etats parties au traité en question ; ce sont des obligations erga omnes partes, en ce sens que, quelle que soit l’affaire, chaque Etat partie a un intérêt à ce qu’elles soient respectées (Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 449, par. 68 ; voir également Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (nouvelle requête : 1962) (Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 32, par. 33).
108. Ayant conclu, dans son arrêt en l’affaire relative à des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), que tous les Etats parties à la convention contre la torture avaient un intérêt commun à ce qu’il fût satisfait aux obligations pertinentes découlant de cet instrument, la Cour a jugé qu’il n’y avait pas lieu pour elle de se prononcer sur la question de savoir si la Belgique, en tant que demandeur, avait un «intérêt particulier» à ce que le Sénégal se conformât auxdites obligations (arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 449-450, par. 68-70). Il découle de l’intérêt commun à ce que soient respectées les obligations pertinentes énoncées dans la convention sur le génocide que tout Etat partie, sans distinction, est en droit d’invoquer la responsabilité d’un autre à raison d’une violation alléguée d’obligations erga omnes partes. La responsabilité à l’égard d’un manquement allégué à des obligations erga omnes partes découlant de la convention sur le génocide peut être invoquée par l’introduction d’une instance devant la Cour, qu’un intérêt particulier puisse, ou non, être établi. Si un tel intérêt était requis à cette fin, aucun Etat ne serait, dans bien des situations, en mesure de présenter une telle demande. Pour ces raisons, la distinction que le Myanmar cherche à opérer entre le droit d’invoquer la responsabilité au titre de la convention sur le génocide et la qualité pour présenter une demande à cet effet devant la Cour est dépourvue de fondement juridique.
109. Aux fins de l’introduction d’une instance devant la Cour, un Etat n’est pas tenu de démontrer que les victimes éventuelles d’une violation alléguée d’obligations erga omnes partes découlant de la convention sur le génocide sont ses ressortissants. La Cour rappelle que, lorsqu’une personne physique ou morale se trouve lésée par le fait internationalement illicite d’un Etat, celui dont elle a la nationalité peut être en droit d’exercer une protection diplomatique, laquelle consiste en l’invocation de la responsabilité de l’Etat en question à l’égard de ce préjudice (Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 599, par. 39). La Cour note en outre que le champ d’application de la protection diplomatique a été élargi pour inclure, notamment, les violations alléguées des droits de l’homme internationalement garantis (ibid.). La faculté d’invoquer devant la Cour la responsabilité d’un Etat partie à la convention sur le génocide à raison de violations alléguées d’obligations erga omnes partes est toutefois distincte du droit que peut avoir un Etat d’exercer la protection diplomatique en faveur de ses ressortissants. La faculté susmentionnée découle de l’intérêt
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commun de tous les Etats parties à ce que ces obligations soient respectées et n’est donc pas limitée à l’Etat de nationalité des victimes présumées. A cet égard, la Cour observe que les victimes de génocide sont souvent des ressortissants de l’Etat auquel sont reprochées les violations d’obligations erga omnes partes.
110. La convention sur le génocide n’impose pas de conditions supplémentaires à l’invocation de la responsabilité ni à la recevabilité des demandes soumises à la Cour. Si l’article IX emploie l’expression «les Parties contractantes», c’est parce que la compétence de la Cour au titre de cette disposition exige qu’un différend existe entre deux parties contractantes ou plus, l’article VIII prévoyant en revanche que «[t]oute Partie contractante» peut faire appel aux organes compétents de l’ONU, et ce, même en l’absence de différend avec une autre partie contractante. En outre, l’utilisation des termes «[l]es différends»  plutôt que «tout différend» ou «tous les différends» , qui figurent à l’article IX de la convention sur le génocide, n’est pas rare dans les clauses compromissoires des traités multilatéraux (voir, par exemple, l’article premier du protocole de signature facultative à la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, concernant le règlement obligatoire des différends (conclu le 18 avril 1961 et entré en vigueur le 24 avril 1964), Nations Unies, Recueil des traités, vol. 500, p. 241). La Cour note que cette formulation figurait dans le projet initial établi par le Secrétaire général de l’ONU (article XIV du projet de convention sur le crime de génocide, Nations Unies, doc. E/447, 26 juin 1947) et a été reprise dans le texte final de la convention sans donner lieu à discussions.
111. De même, l’indication, à l’article IX, que les différends doivent être soumis à la Cour «à la requête d’une partie au différend», et non de toute partie contractante, ne limite pas la catégorie des parties contractantes autorisées à intenter une action à raison de violations alléguées d’obligations erga omnes partes découlant de la convention. Ce membre de phrase précise que seule une partie au différend peut porter celui-ci devant la Cour, mais n’impose en aucun cas qu’un tel différend oppose un Etat partie qui aurait violé la convention à un Etat «spécialement atteint» par la violation alléguée.
112. Il s’ensuit que tout Etat partie à la convention sur le génocide peut invoquer la responsabilité d’un autre Etat partie, notamment par l’introduction d’une instance devant la Cour, en vue de faire constater le manquement allégué de ce dernier à des obligations erga omnes partes lui incombant au titre de la convention et d’y mettre fin.
113. La Cour reconnaît que le Bangladesh, qui jouxte le Myanmar, s’est trouvé confronté à un afflux massif de membres du groupe rohingya qui fuyaient celui-ci. Cela ne saurait toutefois affecter le droit de toutes les autres parties contractantes de faire valoir l’intérêt commun à ce qu’il soit satisfait aux obligations erga omnes partes énoncées dans la convention ni, en conséquence, exclure la qualité de la Gambie pour engager la présente instance. Comme la Cour l’a souligné, la convention sur le génocide «a été manifestement adoptée dans un but purement humain et civilisateur» et «vise d’une part à sauvegarder l’existence même de certains groupes humains, d’autre part à confirmer et à sanctionner les principes de morale les plus élémentaires» (Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951, p. 23). La Cour n’a donc pas à examiner les arguments du Myanmar se rapportant à la réserve qu’a formulée le Bangladesh à l’article IX de la convention sur le génocide.
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114. Pour les raisons exposées ci-dessus, la Cour conclut que la Gambie a qualité, en tant qu’Etat partie à la convention sur le génocide, pour invoquer la responsabilité du Myanmar à raison des manquements allégués aux obligations incombant à celui-ci au regard des articles I, III, IV et V de cet instrument. En conséquence, la deuxième exception préliminaire du Myanmar doit être rejetée.
*
* *
115. Par ces motifs,
LA COUR,
1) A l’unanimité,
Rejette la première exception préliminaire soulevée par la République de l’Union du Myanmar ;
2) A l’unanimité,
Rejette la quatrième exception préliminaire soulevée par la République de l’Union du Myanmar ;
3) A l’unanimité,
Rejette la troisième exception préliminaire soulevée par la République de l’Union du Myanmar ;
4) Par quinze voix contre une,
Rejette la deuxième exception préliminaire soulevée par la République de l’Union du Myanmar ;
POUR : Mme Donoghue, présidente ; M. Gevorgian, vice-président ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, juges ; Mme Pillay, M. Kress, juges ad hoc ;
CONTRE : Mme Xue, juge ;
5) Par quinze voix contre une,
Dit qu’elle a compétence, sur la base de l’article IX de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, pour connaître de la requête introduite par la République de Gambie le 11 novembre 2019, et que ladite requête est recevable.
POUR : Mme Donoghue, présidente ; M. Gevorgian, vice-président ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, juges ; Mme Pillay, M. Kress, juges ad hoc ;
CONTRE : Mme Xue, juge.
- 39 -
Fait en français et en anglais, le texte français faisant foi, au Palais de la Paix, à La Haye, le vingt-deux juillet deux mille vingt-deux, en trois exemplaires, dont l’un restera déposé aux archives de la Cour et les autres seront transmis respectivement au Gouvernement de la République de Gambie et au Gouvernement de la République de l’Union du Myanmar.
La présidente,
(Signé) Joan E. DONOGHUE.
Le greffier,
(Signé) Philippe GAUTIER.
Mme la juge XUE joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente ; M. le juge ad hoc KRESS joint une déclaration à l’arrêt.
(Paraphé) J.E.D.
(Paraphé) Ph.G.
___________

Bilingual Content

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
RECUEIL DES ARRÊTS,
AVIS CONSULTATIFS ET ORDONNANCES
APPLICATION DE LA CONVENTION
POUR LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION
DU CRIME DE GÉNOCIDE
(GAMBIE c. MYANMAR)
EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES
ARRÊT DU 22 JUILLET 2022
2022
INTERNATIONAL COURT OF JUSTICE
REPORTS OF JUDGMENTS,
ADVISORY OPINIONS AND ORDERS
APPLICATION OF THE CONVENTION
ON THE PREVENTION AND PUNISHMENT
OF THE CRIME OF GENOCIDE
(THE GAMBIA v. MYANMAR)
PRELIMINARY OBJECTIONS
JUDGMENT OF 22 JULY 2022
Mode officiel de citation :
Application de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2022, p. 477
Official citation:
Application of the Convention on the Prevention and Punishment
of the Crime of Genocide (The Gambia v. Myanmar), Preliminary Objections,
Judgment, I.C.J. Reports 2022, p. 477
ISSN 0074-4441
ISBN 978-92-1-003921-5
e-ISBN 978-92-1-002563-8
No de vente :
Sales number 1258
© 2023 CIJ/ICJ, Nations Unies/United Nations
Tous droits réservés/All rights reserved
imprimé en france/printed in france
APPLICATION DE LA CONVENTION
POUR LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION
DU CRIME DE GÉNOCIDE
(GAMBIE c. MYANMAR)
EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES
APPLICATION OF THE CONVENTION
ON THE PREVENTION AND PUNISHMENT
OF THE CRIME OF GENOCIDE
(THE GAMBIA v. MYANMAR)
PRELIMINARY OBJECTIONS
22 JUILLET 2022
ARRÊT
22 JULY 2022
JUDGMENT
477
4
TABLE DES MATIÈRES
Paragraphes
Qualités 1-27
I. Introduction 28-33
II. Question de savoir si la Gambie est le « véritable demandeur
» en la présente espèce (première exception préliminaire)
34-50
A. Compétence ratione personae 35-46
B. Recevabilité 47-49
III. Existence d’un différend entre les Parties (quatrième
exception préliminaire) 51-77
IV. Réserve formulée par le Myanmar à l’article VIII de la
convention sur le génocide (troisième exception préliminaire)
78-92
V. Qualité de la Gambie pour porter le différend devant
la Cour (deuxième exception préliminaire) 93-114
Dispositif 115
477
4
TABLE OF CONTENTS
Paragraphs
Chronology of the Procedure 1-27
I. Introduction 28-33
II. Whether The Gambia Is the “Real Applicant” in This Case
(First Preliminary Objection) 34-50
A. Jurisdiction ratione personae 35-46
B. Admissibility 47-49
III. Existence of a Dispute between the Parties (Fourth Preliminary
Objection) 51-77
IV. Myanmar’s Reservation to Article VIII of the Genocide Convention
(Third Preliminary Objection) 78-92
V. The Gambia’s Standing to Bring the Case before the Court
(Second Preliminary Objection) 93-114
Operative Clause 115
478
5
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ANNÉE 2022
22 juillet 2022
APPLICATION DE LA CONVENTION
POUR LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION
DU CRIME DE GÉNOCIDE
(GAMBIE c. MYANMAR)
EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES
Requête déposée par la Gambie — Allégations de violations par le Myanmar de
ses obligations au regard de la convention sur le génocide à raison d’actes visant le
groupe des Rohingya — Article IX de la convention sur le génocide invoqué comme
base de compétence — Etats étant tous deux parties à la convention sur le génocide
et n’ayant ni l’un ni l’autre formulé de réserve à l’article IX — Myanmar
ayant soulevé quatre exceptions préliminaires d’incompétence de la Cour et d’irrecevabilité
de la requête — Cour n’étant pas tenue de suivre l’ordre dans lequel les
exceptions préliminaires sont présentées.
*
Question de savoir si la Gambie est le « véritable demandeur » (première exception
préliminaire).
Compétence ratione personae — Articles 34 et 35 du Statut de la Cour et paragraphe
1 de l’article 93 de la Charte des Nations Unies — Gambie étant Membre
de l’Organisation des Nations Unies et ipso facto partie au Statut de la Cour —
Allégation selon laquelle la Gambie a agi en tant qu’organe ou mandataire de l’Organisation
de la coopération islamique (OCI), le « véritable demandeur » en l’affaire
— Instance introduite par la Gambie en son nom propre — Gambie alléguant
un différend entre elle et le Myanmar concernant ses propres droits au regard de la
convention sur le génocide — Soutien apporté par une organisation intergouvernementale
à un Etat aux fins de l’introduction d’une instance ne remettant nullement
en question le statut de celui-
ci en tant que demandeur devant la Cour — Cour
estimant que la Gambie est le demandeur en l’affaire.
Recevabilité de la requête — Allégation selon laquelle le fait de chercher à
introduire une instance pour le compte de l’OCI constitue un abus de procédure ou
2022
22 juillet
Rôle général
no 178
478
5
INTERNATIONAL COURT OF JUSTICE
YEAR 2022
22 July 2022
APPLICATION OF THE CONVENTION
ON THE PREVENTION AND PUNISHMENT
OF THE CRIME OF GENOCIDE
(THE GAMBIA v. MYANMAR)
PRELIMINARY OBJECTIONS
Application filed by The Gambia — Alleged breaches by Myanmar of its obligations
under the Genocide Convention through acts against the Rohingya group —
Article
IX of Genocide Convention invoked as basis of jurisdiction — Both States
parties to Genocide Convention, no reservations to Article IX — Four preliminary
objections by Myanmar to jurisdiction of Court and admissibility of
Application
— Court not bound to follow order in which preliminary objections
presented.
*
Whether The Gambia is the “real applicant” (first preliminary objection).
Jurisdiction ratione personae — Articles 34 and 35 of Statute of Court and
Article 93, paragraph 1, of Charter of United Nations — The Gambia being a
Member of United Nations and ipso facto party to Statute of Court — Allegation
that The Gambia acted as organ or proxy of Organisation of Islamic Cooperation
(OIC), the “real applicant” in the case — Institution of proceedings by The Gambia
in its own name — The Gambia alleging a dispute between it and Myanmar
regarding its own rights under Genocide Convention — Support from intergovernmental
organization to a State in instituting proceedings not detracting from status
as applicant before the Court — Court satisfied that The Gambia is the Applicant
in the case.
Admissibility of the Application — Allegation that attempt to bring case on
behalf of OIC constitutes abuse of process or is inadmissible on basis of other
2022
22 July
General List
No. 178
479 application de convention génocide (arrêt)
6
emporte irrecevabilité sur la base d’autres considérations — Absence d’élément de
preuve démontrant que le comportement de la Gambie équivaut à un abus de procédure
— Absence d’autre motif d’irrecevabilité.
Rejet de la première exception préliminaire.
*
Existence d’un différend entre les Parties (quatrième exception préliminaire).
« Différend » étant un désaccord sur un point de droit ou de fait — Points de vue
des deux parties devant être nettement opposés — Nul besoin que le défendeur se
soit expressément opposé aux réclamations du demandeur — Rejet des réclamations
pouvant parfois être inféré du silence du défendeur.
Déclarations faites par les représentants des Parties devant l’Assemblée générale
des Nations Unies en septembre 2018 et septembre 2019 — Absence de
mention
expresse de la convention sur le génocide dans les déclarations de la
Gambie
— Référence particulière à un traité ou à ses dispositions n’étant toutefois
pas requise — Déclarations des Parties indiquant que celles‑ci avaient des points
de vue opposés sur la question de savoir si le traitement du groupe des Rohingya par
le Myanmar était conforme à ses obligations au regard de la convention sur le
génocide — Note verbale du 11 octobre 2019 exprimant spécifiquement et en des
termes juridiques la position de la Gambie — Rejet des réclamations étant aussi
déduit du fait que le Myanmar n’a pas répondu à la note verbale.
Différend existant à la date de la requête — Rejet de la quatrième exception
préliminaire.
*
Réserve formulée par le Myanmar à l’article VIII de la convention sur le génocide
(troisième exception préliminaire).
Question de savoir si l’article VIII régit la saisine de la Cour — Sens ordinaire
des termes de l’article VIII — Article VIII ayant trait à la prévention et à la
répression du génocide au niveau politique — Article VIII devant être interprété
dans son contexte — Article IX énonçant les conditions requises pour recourir à la
Cour — Article VIII ne régissant pas la saisine de la Cour — Nul besoin de faire
appel à des moyens supplémentaires d’interprétation.
Réserve formulée par le Myanmar à l’article VIII n’étant pas pertinente —
Rejet de la troisième exception préliminaire.
*
Qualité de la Gambie pour agir (deuxième exception préliminaire).
Intérêt commun de tous les Etats parties à la convention sur le génocide à veiller
à ce que le génocide soit prévenu, réprimé et puni — Droit de tout Etat partie
d’invoquer la responsabilité d’un autre à raison de la violation alléguée d’obligations
erga omnes partes — Intérêt particulier n’étant pas requis — Nationalité des
victimes n’étant pas pertinente — Article IX ne limitant pas la catégorie des Etats
parties autorisés à intenter une action à raison de violations alléguées d’obligations
erga omnes partes découlant de la convention.
Bangladesh s’étant trouvé confronté à un afflux massif de membres du groupe
rohingya — Fait ne pouvant affecter le droit de toutes les autres parties contractantes
de faire valoir l’intérêt commun à ce qu’il soit satisfait aux obligations
application of the genocide convention (judgment) 479
6
considerations — No evidence that conduct of The Gambia amounts to abuse of
process — No other grounds of inadmissibility either.
First preliminary objection rejected.
*
Existence of dispute between the Parties (fourth preliminary objection).
“Dispute” being a disagreement on a point of law or fact — Two sides must hold
clearly opposite views — No requirement that respondent expressly opposes claims
of applicant — Rejection of claims may sometimes be inferred from silence of
respondent.
Statements of Parties’ representatives before United Nations General Assembly
in September 2018 and September 2019 — No specific mention of Genocide Convention
in The Gambia’s statements — However, specific reference to treaty or its
provisions not required — Parties’ statements indicating opposition of views on
whether treatment of the Rohingya group by Myanmar was consistent with its
obligations under Genocide Convention — Note Verbale of 11 October 2019
expressing specifically and in legal terms The Gambia’s position — Rejection of
claims also inferred from Myanmar’s failure to respond to Note Verbale.
Dispute existed on date of Application — Fourth preliminary objection rejected.
*
Myanmar’s reservation to Article VIII of Genocide Convention (third preliminary
objection).
Whether Article VIII governs seisin of Court — Ordinary meaning of terms in
Article VIII — Article VIII addressing the prevention and suppression of genocide
at the political level — Article VIII to be interpreted in context — Article IX providing
conditions for recourse to Court — Article VIII not governing seisin of
Court — No need to resort to supplementary means of interpretation.
Myanmar’s reservation to Article VIII irrelevant — Third preliminary objection
rejected.
*
The Gambia’s standing (second preliminary objection).
Common interest of all States parties to Genocide Convention to ensure prevention,
suppression and punishment of genocide — Any State party entitled to invoke
the responsibility of another State party for alleged breach of obligations erga
omnes partes — Special interest not required — Nationality of victims not relevant
— Article IX not limiting category of States parties entitled to bring claims
for alleged breaches of obligations erga omnes partes under Convention.
Bangladesh facing large influx of members of the Rohingya group — This fact
not affecting right of all other Contracting Parties to assert common interest in
compliance with obligations erga omnes partes under Genocide Convention or pre-
480 application de convention génocide (arrêt)
7
erga omnes partes énoncées dans la convention ni exclure la qualité pour agir de
la Gambie — Nul besoin d’examiner les arguments se rapportant à la réserve formulée
par le Bangladesh à l’article IX.
Gambie ayant qualité pour invoquer la responsabilité du Myanmar à raison des
manquements allégués aux obligations incombant à celui-
ci au regard des articles I,
III, IV et V de la convention — Rejet de la deuxième exception préliminaire.
*
Cour ayant compétence sur la base de l’article IX de la convention sur le génocide
— Requête étant recevable.
ARRÊT
Présents : Mme Donoghue, présidente ; M. Gevorgian, vice‑président ;
MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf, Mmes Xue, Sebutinde,
MM. Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte,
Mme Charlesworth, juges ; Mme Pillay, M. Kress, juges ad hoc ;
M. Gautier, greffier.
En l’affaire relative à l’application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide,
entre
la République de Gambie,
représentée par
S. Exc. M. Dawda Jallow, Attorney General et ministre de la justice de la
République de Gambie,
comme agent ;
S. Exc. M. Mamadou Tangara, ministre des affaires étrangères de la République
de Gambie,
M. Hussein Thomasi, Solicitor General, ministère de la justice de la République
de Gambie,
comme coagents ;
M. Paul S. Reichler, avocat au cabinet Foley Hoag LLP, membre des barreaux
de la Cour suprême des Etats‑Unis d’Amérique et du district de
Columbia,
M. Philippe Sands, QC, professeur de droit international au University
College London, avocat, Matrix Chambers (Londres),
M. Pierre d’Argent, professeur ordinaire à l’Université catholique de Louvain,
membre de l’Institut de droit international, cabinet Foley Hoag LLP,
membre du barreau de Bruxelles,
M. Andrew Loewenstein, avocat au cabinet Foley Hoag LLP, membre du
barreau du Commonwealth du Massachusetts,
Mme Tafadzwa Pasipanodya, avocate au cabinet Foley Hoag LLP, membre
des barreaux de l’Etat de New York et du district de Columbia,
application of the genocide convention (judgment) 480
7
cluding The Gambia’s standing — No need to address arguments relating to Bangladesh’s
reservation to Article IX.
The Gambia has standing to invoke responsibility of Myanmar for alleged
breaches of obligations under Articles I, III, IV and V of Convention — Second
preliminary objection rejected.
*
Court has jurisdiction on basis of Article IX of Genocide Convention — Application
is admissible.
JUDGMENT
Present: President Donoghue ; Vice-President Gevorgian ; Judges Tomka,
Abraham, Bennouna, Yusuf, Xue, Sebutinde, Bhandari, Robinson,
Salam, Iwasawa, Nolte, Charlesworth ; Judges ad hoc Pillay,
Kress ; Registrar Gautier.
In the case concerning application of the Convention on the Prevention and
Punishment of the Crime of Genocide,
between
the Republic of The Gambia,
represented by
H.E. Mr. Dawda Jallow, Attorney General and Minister of Justice, Republic
of The Gambia,
as Agent ;
H.E. Mr. Mamadou Tangara, Minister for Foreign Affairs, Republic of
The Gambia,
Mr. Hussein Thomasi, Solicitor General, Ministry of Justice, Republic of
The Gambia,
as Co-Agents ;
Mr. Paul S. Reichler, Attorney at Law, Foley Hoag LLP, member of the Bars
of the United States Supreme Court and the District of Columbia,
Mr. Philippe Sands, QC, Professor of International Law, University College
London, Barrister at Law, Matrix Chambers, London,
Mr. Pierre d’Argent, professeur ordinaire, Catholic University of Louvain,
member of the Institut de droit international, Foley Hoag LLP, member of
the Bar of Brussels,
Mr. Andrew Loewenstein, Attorney at Law, Foley Hoag LLP, member of the
Bar of the Commonwealth of Massachusetts,
Ms Tafadzwa Pasipanodya, Attorney at Law, Foley Hoag LLP, member of
the Bars of the State of New York and the District of Columbia,
481 application de convention génocide (arrêt)
8
M. M. Arsalan Suleman, avocat au cabinet Foley Hoag LLP, membre des
barreaux de l’Etat de New York et du district de Columbia,
comme conseils et avocats ;
Mme Bafou Jeng, ministère de la justice de la République de Gambie,
Mme Fatou L. Njie, ministère de la justice de la République de Gambie,
M. Amadou Jaiteh, mission permanente de la République de Gambie auprès
de l’Organisation des Nations Unies,
M. Yuri Parkhomenko, avocat au cabinet Foley Hoag LLP,
Mme Diem Ho, avocate au cabinet Foley Hoag LLP,
Mme Jessica Jones, avocate, Matrix Chambers (Londres),
Mme Yasmin Al Ameen, avocate au cabinet Foley Hoag LLP,
comme conseils ;
S. Exc. M. Omar G. Sallah, ambassadeur et représentant permanent de la
République de Gambie auprès de l’Organisation de la coopération islamique,
comme conseiller ;
Mme Nancy Lopez,
Mme Rachel Tepper,
Mme Amina Chaudary,
comme assistantes,
et
la République de l’Union du Myanmar,
représentée par
S. Exc. M. Ko Ko Hlaing, ministre de la coopération internationale de la
République de l’Union du Myanmar,
comme agent ;
S. Exc. Mme Thi Da Oo, ministre des affaires juridiques et Attorney General
de la République de l’Union du Myanmar,
comme agente suppléante ;
M. Christopher Staker, 39 Essex Chambers, membre du barreau d’Angleterre
et du pays de Galles,
comme conseil principal et avocat ;
M. Robert Kolb, professeur de droit international public à l’Université de
Genève,
M. Stefan Talmon, professeur de droit international à l’Université de Bonn,
avocat, Twenty Essex Chambers (Londres),
comme conseils et avocats ;
S. Exc. M. Soe Lynn Han, ambassadeur de la République de l’Union du
Myanmar auprès du Royaume de Belgique, du Royaume des Pays‑Bas, du
Grand‑Duché de Luxembourg, de la République de Croatie et de l’Union
européenne,
Mme Khin Oo Hlaing, membre du comité consultatif auprès du président du
conseil d’administration de l’Etat, République de l’Union du Myanmar,
M. Myo Win Aung, juge‑avocat général adjoint, bureau du juge‑avocat général,
République de l’Union du Myanmar,
application of the genocide convention (judgment) 481
8
Mr. M. Arsalan Suleman, Attorney at Law, Foley Hoag LLP, member of the
Bars of the State of New York and the District of Columbia,
as Counsel and Advocates ;
Ms Bafou Jeng, Ministry of Justice, Republic of The Gambia,
Ms Fatou L. Njie, Ministry of Justice, Republic of The Gambia,
Mr. Amadou Jaiteh, Permanent Mission of the Republic of The Gambia to
the United Nations,
Mr. Yuri Parkhomenko, Attorney at Law, Foley Hoag LLP,
Ms Diem Ho, Attorney at Law, Foley Hoag LLP,
Ms Jessica Jones, Barrister at Law, Matrix Chambers, London,
Ms Yasmin Al Ameen, Attorney at Law, Foley Hoag LLP,
as Counsel ;
H.E. Mr. Omar G. Sallah, Ambassador and Permanent Representative of the
Republic of The Gambia to the Organisation of Islamic Cooperation,
as Adviser ;
Ms Nancy Lopez,
Ms Rachel Tepper,
Ms Amina Chaudary,
as Assistants,
and
the Republic of the Union of Myanmar,
represented by
H.E. Mr. Ko Ko Hlaing, Union Minister for International Cooperation of
the Republic of the Union of Myanmar,
as Agent ;
H.E. Ms Thi Da Oo, Union Minister of Legal Affairs and Attorney General
of the Republic of the Union of Myanmar,
as Alternate Agent ;
Mr. Christopher Staker, 39 Essex Chambers, member of the Bar of England
and Wales,
as Lead Counsel and Advocate ;
Mr. Robert Kolb, Professor of Public International Law, University of
Geneva,
Mr. Stefan Talmon, Professor of International Law, University of Bonn, Barrister,
Twenty Essex Chambers, London,
as Counsel and Advocates ;
H.E. Mr. Soe Lynn Han, Ambassador of the Republic of the Union of Myanmar
to the Kingdom of Belgium, the Kingdom of the Netherlands, the
Grand Duchy of Luxembourg, the Republic of Croatia and the European
Union,
Ms Khin Oo Hlaing, member of the Advisory Board to the Chair of the State
Administration Council, Republic of the Union of Myanmar,
Mr. Myo Win Aung, Deputy Judge Advocate General, Office of the Judge
Advocate General, Republic of the Union of Myanmar,
482 application de convention génocide (arrêt)
9
M. Kyaw Thu Nyein, directeur général adjoint, service des organisations
internationales et de l’économie, ministère des affaires étrangères, République
de l’Union du Myanmar,
Mme Myo Pa Pa Htun, ministre conseillère, ambassade de la République de
l’Union du Myanmar à Bruxelles,
M. Kyaw Thu Hein, directeur, ministère des affaires juridiques, République
de l’Union du Myanmar,
M. Thwin Htet Lin, directeur, ministère des affaires étrangères, République
de l’Union du Myanmar,
M. Ngwe Zaw Aung, directeur, ministère des affaires juridiques, République
de l’Union du Myanmar,
M. Swe Sett, directeur adjoint, ministère des affaires étrangères, République
de l’Union du Myanmar,
Mme Khin Myo Myat Soe, conseillère, ambassade de la République de
l’Union du Myanmar à Bruxelles,
M. Thu Rein Saw Htut Naing, directeur adjoint, ministère des affaires étrangères,
République de l’Union du Myanmar,
M. Ye Maung Thein, directeur adjoint, ministère des affaires étrangères,
République de l’Union du Myanmar,
Mme Cho Nge Nge Thein, directrice adjointe, ministère des affaires juridiques,
République de l’Union du Myanmar,
M. Thurein Naing, juge‑avocat, bureau du juge‑avocat général, République
de l’Union du Myanmar,
Mme Ei Thazin Maung, sous‑directrice, ministère des affaires étrangères,
République de l’Union du Myanmar,
Mme May Myat Noe Naing, première secrétaire, ambassade de la République
de l’Union du Myanmar à Bruxelles,
Mme Aye Chan Lynn, première secrétaire, ambassade de la République de
l’Union du Myanmar à Bruxelles,
Mme M Ja Dim, sous‑directrice, ministère des affaires juridiques, République
de l’Union du Myanmar,
M. Zin Myat Thu, chef de service (1), ministère des affaires étrangères, République
de l’Union du Myanmar,
M. Wunna Kyaw, chef de service (2), ministère des affaires étrangères, République
de l’Union du Myanmar,
M. Zaw Yu Min, troisième secrétaire, ambassade de la République de l’Union
du Myanmar à Bruxelles,
Mme Mary Lobo,
M. Momchil Milanov, doctorant et attaché d’enseignement à l’Université de
Genève,
comme membres de la délégation,
La Cour,
ainsi composée,
après délibéré en chambre du conseil,
rend l’arrêt suivant :
1. Le 11 novembre 2019, la République de Gambie (ci‑après la « Gambie ») a
déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre la République
de l’Union du Myanmar (ci‑après le « Myanmar ») concernant des viola-
application of the genocide convention (judgment) 482
9
Mr. Kyaw Thu Nyein, Deputy Director General, International Organizations
and Economic Department, Ministry of Foreign Affairs, Republic of the
Union of Myanmar,
Ms Myo Pa Pa Htun, Minister Counsellor, Embassy of the Republic of the
Union of Myanmar in Brussels,
Mr. Kyaw Thu Hein, Director, Ministry of Legal Affairs, Republic of the
Union of Myanmar,
Mr. Thwin Htet Lin, Director, Ministry of Foreign Affairs, Republic of the
Union of Myanmar,
Mr. Ngwe Zaw Aung, Director, Ministry of Legal Affairs, Republic of the
Union of Myanmar,
Mr. Swe Sett, Deputy Director, Ministry of Foreign Affairs, Republic of the
Union of Myanmar,
Ms Khin Myo Myat Soe, Counsellor, Embassy of the Republic of the Union
of Myanmar in Brussels,
Mr. Thu Rein Saw Htut Naing, Deputy Director, Ministry of Foreign Affairs,
Republic of the Union of Myanmar,
Mr. Ye Maung Thein, Deputy Director, Ministry of Foreign Affairs, Republic
of the Union of Myanmar,
Ms Cho Nge Nge Thein, Deputy Director, Ministry of Legal Affairs, Republic
of the Union of Myanmar,
Mr. Thurein Naing, Judge Advocate, Office of the Judge Advocate General,
Republic of the Union of Myanmar,
Ms Ei Thazin Maung, Assistant Director, Ministry of Foreign Affairs,
Republic of the Union of Myanmar,
Ms May Myat Noe Naing, First Secretary, Embassy of the Republic of the
Union of Myanmar in Brussels,
Ms Aye Chan Lynn, First Secretary, Embassy of the Republic of the Union
of Myanmar in Brussels,
Ms M Ja Dim, Assistant Director, Ministry of Legal Affairs, Republic of the
Union of Myanmar,
Mr. Zin Myat Thu, Head of Branch (1), Ministry of Foreign Affairs, Republic
of the Union of Myanmar,
Mr. Wunna Kyaw, Head of Branch (2), Ministry of Foreign Affairs, Republic
of the Union of Myanmar,
Mr. Zaw Yu Min, Third Secretary, Embassy of the Republic of the Union of
Myanmar in Brussels,
Ms Mary Lobo,
Mr. Momchil Milanov, PhD student and teaching assistant, University of
Geneva,
as Members of the Delegation,
The Court,
composed as above,
after deliberation,
delivers the following Judgment :
1. On 11 November 2019, the Republic of The Gambia (hereinafter
“The Gambia”) filed in the Registry of the Court an Application instituting
proceedings against the Republic of the Union of Myanmar (hereinafter “Myan-
483 application de convention génocide (arrêt)
10
tions alléguées de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre
1948 (ci‑après la « convention sur le génocide » ou la « convention »).
2. Dans sa requête, la Gambie entend fonder la compétence de la Cour sur
l’article IX de la convention sur le génocide, lu conjointement avec le paragraphe
1 de l’article 36 du Statut de la Cour.
3. La requête contenait une demande en indication de mesures conservatoires,
présentée en application de l’article 41 du Statut de la Cour et des
articles 73, 74 et 75 de son Règlement.
4. Le greffier a immédiatement communiqué au Gouvernement du Myanmar
la requête contenant la demande en indication de mesures conservatoires,
conformément au paragraphe 2 de l’article 40 du Statut de la Cour et au paragraphe
2 de l’article 73 du Règlement. Il a également informé le Secrétaire général
de l’Organisation des Nations Unies du dépôt par la Gambie de cette requête
et de cette demande.
5. En outre, par lettre datée du 11 novembre 2019, le greffier a informé tous
les Etats admis à ester devant la Cour du dépôt de la requête et de la demande
susvisées.
6. Conformément au paragraphe 3 de l’article 40 du Statut, le greffier a
informé les Etats Membres de l’Organisation des Nations Unies, par l’entremise
du Secrétaire général, et tout autre Etat admis à ester devant la Cour du dépôt
de la requête en leur transmettant le texte bilingue imprimé de celle‑ci.
7. Par lettre datée du 11 novembre 2019 accompagnant sa requête introductive
d’instance, la Gambie a désigné S. Exc. M. Abubacarr Marie Tambadou,
alors Attorney General et ministre de la justice de la Gambie, en qualité
d’agent aux fins de l’affaire. Par lettre datée du 19 juin 2020, la Gambie a
désigné M. Cherno Marenah, alors Solicitor General de la Gambie, en qualité
de coagent. Par lettre datée du 28 juillet 2020, la Gambie a informé la Cour
de la désignation de S. Exc. M. Dawda Jallow, nouvel Attorney General et
ministre de la justice de la Gambie, en qualité d’agent, en remplacement de
S. Exc. M. Abubacarr
Marie Tambadou. Par lettre datée du 3 février 2021, la
Gambie a informé la Cour de la désignation de S. Exc. M. Mamadou Tangara,
ministre des affaires étrangères de la Gambie, et de M. Hussein Thomasi,
nouveau
Solicitor General de la Gambie, en qualité de coagents, et indiqué
que les fonctions de M. Cherno Marenah en qualité de coagent avaient pris fin.
8. Par lettre datée du 20 novembre 2019, le Myanmar a, pour sa part, désigné
S. Exc. Mme Aung San Suu Kyi, ministre des affaires étrangères de l’Union du
Myanmar, en qualité d’agente aux fins de l’affaire et S. Exc. M. Kyaw Tint Swe,
ministre auprès du bureau du conseiller d’Etat de l’Union du Myanmar, en qualité
d’agent suppléant. Par la suite, par lettre datée du 12 avril 2021, le Myanmar
a informé la Cour de la désignation de S. Exc. M. Ko Ko Hlaing, ministre de la
coopération internationale de l’Union du Myanmar, en qualité d’agent et de
S. Exc. Mme Thi Da Oo, Attorney General de l’Union du Myanmar, en qualité
d’agente suppléante, en remplacement de S. Exc. Mme Aung San Suu Kyi et de
S. Exc. M. Kyaw Tint Swe.
9. La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de la nationalité des Parties,
chacune d’elles s’est prévalue du droit que lui confère le paragraphe 3 de
l’article
31 du Statut de procéder à la désignation d’un juge ad hoc pour siéger
en l’affaire. La Gambie a désigné Mme Navanethem Pillay et le Myanmar,
M. Claus Kress.
application of the genocide convention (judgment) 483
10
mar”) concerning alleged violations of the Convention on the Prevention and
Punishment of the Crime of Genocide, adopted by the General Assembly of the
United Nations on 9 December 1948 (hereinafter the “Genocide Convention” or
the “Convention”).
2. In its Application, The Gambia seeks to found the Court’s jurisdiction on
Article IX of the Genocide Convention, in conjunction with Article 36, paragraph
1, of the Statute of the Court.
3. The Application contained a Request for the indication of provisional
measures, submitted pursuant to Article 41 of the Statute of the Court and to
Articles 73, 74 and 75 of the Rules of Court.
4. The Registrar immediately communicated to the Government of Myanmar
the Application containing the Request for the indication of provisional
measures, in accordance with Article 40, paragraph 2, of the Statute of the
Court, and Article 73, paragraph 2, of the Rules of Court. He also notified the
Secretary-General of the United Nations of the filing by The Gambia of the
Application and the Request for the indication of provisional measures.
5. In addition, by a letter dated 11 November 2019, the Registrar informed
all States entitled to appear before the Court of the filing of the above-mentioned
Application and Request.
6. Pursuant to Article 40, paragraph 3, of the Statute of the Court, the Registrar
notified the Member States of the United Nations through the Secretary-
General, and any other State which is entitled to appear before the Court, of the
filing of the Application, by transmission of the printed bilingual text.
7. By a letter dated 11 November 2019 accompanying its Application,
The Gambia appointed H.E. Mr. Abubacarr Marie Tambadou, then Attorney
General and Minister of Justice of The Gambia, as Agent for the purposes of
the case. By a letter dated 19 June 2020, The Gambia appointed Mr. Cherno
Marenah, then Solicitor General of The Gambia, as Co-Agent. By a letter dated
28 July 2020, The Gambia informed the Court of the appointment of
H.E. Mr. Dawda Jallow, new Attorney General and Minister of Justice of
The Gambia, as Agent, in place of H.E. Mr. Abubacarr Marie Tambadou. By a
letter dated 3 February 2021, The Gambia informed the Court of the appointment
of H.E. Mr. Mamadou Tangara, Minister for Foreign Affairs of
The Gambia,
and Mr. Hussein Thomasi, new Solicitor General of The Gambia,
as Co-Agents, and indicated that the appointment of Mr. Cherno Marenah as
Co-Agent had been terminated.
8. By a letter dated 20 November 2019, Myanmar, for its part, appointed
H.E. Ms Aung San Suu Kyi, Union Minister for Foreign Affairs of Myanmar,
as Agent for the purposes of the case, and H.E. Mr. Kyaw Tint Swe, Union
Minister for the Office of the State Counsellor of Myanmar, as Alternate Agent.
Subsequently, by a letter dated 12 April 2021, Myanmar informed the Court of
the appointment of H.E. Mr. Ko Ko Hlaing, Union Minister for International
Cooperation of Myanmar, as Agent and H.E. Ms Thi Da Oo, Union Attorney
General of Myanmar, as Alternate Agent, in place of H.E. Ms Aung San
Suu Kyi and H.E. Mr. Kyaw Tint Swe.
9. Since the Court included upon the Bench no judge of the nationality of
either Party, each Party proceeded to exercise the right conferred upon it by
Article 31, paragraph 3, of the Statute of the Court to choose a judge ad hoc to
sit in the case. The Gambia chose Ms Navanethem Pillay, and Myanmar,
Mr. Claus Kress.
484 application de convention génocide (arrêt)
11
10. Par ordonnance en date du 23 janvier 2020, la Cour, après avoir entendu
les Parties, a indiqué les mesures conservatoires suivantes :
« 1) La République de l’Union du Myanmar doit, conformément aux
obligations lui incombant au titre de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide, prendre toutes les mesures en son pouvoir
afin de prévenir la commission, à l’encontre des membres du groupe
rohingya présents sur son territoire, de tout acte entrant dans le champ
d’application de l’article II de la convention, en particulier :
a) meurtre de membres du groupe ;
b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant
entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; et
d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
2) La République de l’Union du Myanmar doit veiller à ce que ni ses
unités militaires, ni aucune unité armée irrégulière qui pourrait relever de
son autorité ou bénéficier de son appui ou organisation ou personne qui
pourrait se trouver sous son contrôle, son autorité ou son influence ne
commettent, à l’encontre des membres du groupe rohingya présents sur son
territoire, l’un quelconque des actes définis au point 1) ci‑dessus, ou ne participent
à une entente en vue de commettre le génocide, n’incitent directement
et publiquement à le commettre, ne se livrent à une tentative de
génocide ou ne se rendent complices de ce crime ;
3) La République de l’Union du Myanmar doit prendre des mesures
effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation des éléments
de preuve relatifs aux allégations d’actes entrant dans le champ d’application
de l’article II de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide ;
4) La République de l’Union du Myanmar doit fournir à la Cour un rapport
sur l’ensemble des mesures prises pour exécuter la présente ordonnance
dans un délai de quatre mois à compter de la date de celle‑ci, puis tous les six
mois jusqu’à ce que la Cour ait rendu sa décision définitive en l’affaire. »
11. En application du point 4 du dispositif de l’ordonnance du 23 janvier
2020, le Myanmar a soumis des rapports sur les mesures prises pour donner effet
à ladite ordonnance les 22 mai 2020, 23 novembre 2020, 20 mai 2021, 23 novembre
2021 et 23 mai 2022. La Gambie a présenté ses observations sur chacun de
ces rapports les 8 juin 2020, 7 décembre 2020, 16 août 2021, 7 décembre 2021
et 7 juin 2022, respectivement, dans les délais fixés par la Cour.
12. Par une autre ordonnance du 23 janvier 2020, la Cour a fixé au 23 juillet
2020 et au 25 janvier 2021, respectivement, les dates d’expiration des délais pour
le dépôt du mémoire de la Gambie et du contre‑mémoire du Myanmar.
13. Conformément au paragraphe 1 de l’article 43 du Règlement, le greffier a
adressé aux Etats parties à la convention sur le génocide les notifications prévues
au paragraphe 1 de l’article 63 du Statut. En outre, il a, conformément au paragraphe
3 de l’article 69 du Règlement, adressé à l’Organisation des Nations
Unies, par l’entremise du Secrétaire général de celle‑ci, la notification prévue au
paragraphe 3 de l’article 34 du Statut.
14. Par lettre datée du 24 avril 2020, la Gambie a prié la Cour de proroger
d’au moins trois mois le délai pour le dépôt du mémoire, compte tenu de problèmes
liés à la pandémie de COVID‑19. Par lettre datée du 28 avril 2020, le Myanmar a
indiqué que, bien qu’estimant que la pandémie de COVID‑19 n’apparaissait pas
application of the genocide convention (judgment) 484
11
10. By an Order dated 23 January 2020, the Court, having heard the Parties,
indicated the following provisional measures :
“(1) The Republic of the Union of Myanmar shall, in accordance with
its obligations under the Convention on the Prevention and Punishment
of the Crime of Genocide, in relation to the members of the Rohingya
group in its territory, take all measures within its power to prevent the
commission of all acts within the scope of Article II of this Convention, in
particular :
(a) killing members of the group ;
(b) causing serious bodily or mental harm to the members of the group ;
(c) deliberately inflicting on the group conditions of life calculated to bring
about its physical destruction in whole or in part ; and
(d) imposing measures intended to prevent births within the group ;
(2) The Republic of the Union of Myanmar shall, in relation to the
members
of the Rohingya group in its territory, ensure that its military, as
well as any irregular armed units which may be directed or supported by it
and any organizations and persons which may be subject to its control,
direction or influence, do not commit any acts described in point (1) above,
or of conspiracy to commit genocide, of direct and public incitement to
commit genocide, of attempt to commit genocide, or of complicity in genocide
;
(3) The Republic of the Union of Myanmar shall take effective measures
to prevent the destruction and ensure the preservation of evidence related
to allegations of acts within the scope of Article II of the Convention on
the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide ;
(4) The Republic of the Union of Myanmar shall submit a report to the
Court on all measures taken to give effect to this Order within four months,
as from the date of this Order, and thereafter every six months, until a final
decision on the case is rendered by the Court.”
11. Pursuant to subparagraph 4 of the operative clause of the Order of
23 January 2020, Myanmar submitted reports on the measures taken to give
effect to that Order on 22 May 2020, 23 November 2020, 20 May 2021,
23 November 2021 and 23 May 2022. The Gambia submitted comments on each
of these reports on 8 June 2020, 7 December 2020, 16 August 2021, 7 December
2021 and 7 June 2022, respectively, within the time-limits
fixed by the Court.
12. By another Order of 23 January 2020, the Court fixed 23 July 2020 and
25 January 2021 as the respective time-limits for the filing of a Memorial by
The Gambia and a Counter-Memorial by Myanmar.
13. In accordance with Article 43, paragraph 1, of the Rules of Court, the
Registrar addressed to States parties to the Genocide Convention the notifications
provided for in Article 63, paragraph 1, of the Statute of the Court. In
addition, in accordance with Article 69, paragraph 3, of the Rules of Court, the
Registrar addressed to the United Nations, through its Secretary-General, the
notification provided for in Article 34, paragraph 3, of the Statute of the Court.
14. By a letter dated 24 April 2020, The Gambia requested the Court to
extend the time-limit for the filing of the Memorial by at least three months, in
light of problems relating to the COVID-19 pandemic. By a letter dated 28 April
2020, Myanmar indicated that, although in its view the COVID-19 pandemic
485 application de convention génocide (arrêt)
12
constituer en soi une justification suffisante pour la demande de la Gambie, il ne
prenait aucune position sur ladite demande et considérait qu’il appartenait à la
Cour de « décider si la demande de prorogation de délai de la Gambie [étai]t suffisamment
justifiée ». Par ordonnance du 18 mai 2020, la Cour a reporté au 23 octobre
2020 la date d’expiration du délai pour le dépôt du mémoire de la Gambie et au
23 juillet 2021 la date d’expiration du délai pour le dépôt du contre‑mémoire du
Myanmar. La Gambie a déposé son mémoire dans le délai ainsi prorogé.
15. Par lettre conjointe en date du 11 novembre 2020, les Gouvernements du
Royaume des Pays‑Bas et du Canada, se référant au paragraphe 1 de l’article 53
du Règlement, ont demandé que leur soient communiqués des exemplaires des
pièces de procédure et documents qui seraient déposés en l’affaire. Après avoir
consulté les Parties conformément à la disposition susvisée, la Cour a décidé
qu’il ne serait pas approprié d’accéder à cette demande. Par lettres datées du
27 novembre 2020, le greffier a communiqué cette décision aux Gouvernements
du Royaume des Pays‑Bas et du Canada ainsi qu’aux Parties.
16. Le 20 janvier 2021, dans le délai prescrit au paragraphe 1 de l’article 79bis
du Règlement, le Myanmar a soulevé des exceptions d’incompétence de la Cour
et d’irrecevabilité de la requête. En conséquence, par ordonnance du 28 janvier
2021, la Cour, notant que, conformément aux dispositions du paragraphe 3 de
l’article 79bis du Règlement, la procédure sur le fond était suspendue, et tenant
compte de l’instruction de procédure V, a fixé au 20 mai 2021 la date d’expiration
du délai pour le dépôt par la Gambie d’un exposé écrit contenant ses observations
et conclusions sur les exceptions préliminaires soulevées par le Myanmar.
La Gambie a déposé son exposé écrit le 20 avril 2021, dans le délai ainsi
fixé.
17. Par lettres datées du 7 septembre 2021, les Parties ont été informées que
les audiences sur les exceptions préliminaires soulevées par le Myanmar se tiendraient
du 6 au 10 décembre 2021, et un calendrier détaillé des audiences leur a
été communiqué.
18. Par lettre datée du 24 septembre 2021, le Myanmar a prié la Cour de reporter
les audiences sur les exceptions préliminaires de quatre mois, en raison de la
pandémie de COVID‑19 et de questions liées à des changements dans sa représentation.
Par lettre datée du 1er octobre 2021, la Gambie a présenté des arguments à
l’encontre d’un report des audiences, tout en indiquant qu’elle laissait la décision
à la discrétion de la Cour. Par lettres datées du 6 octobre 2021, les Parties ont été
informées que la Cour avait décidé de reporter les audiences à la semaine du
21 février 2022, et un calendrier révisé de celles‑ci leur a été communiqué.
19. Par lettre en date du 15 octobre 2021, le greffier, en application du paragraphe
3 de l’article 69 du Règlement, a transmis au Secrétaire général de l’Organisation
des Nations Unies des exemplaires des écritures déposées jusqu’alors
en l’affaire, en le priant de lui faire savoir si l’Organisation entendait présenter,
en vertu de cette disposition, des observations écrites concernant les exceptions
préliminaires soulevées par le Myanmar. Par lettre en date du 25 octobre 2021,
le Secrétaire général adjoint aux affaires juridiques de l’Organisation des
Nations Unies a indiqué que l’Organisation n’entendait pas présenter d’observations
écrites au titre du paragraphe 3 de l’article 69 du Règlement.
20. Conformément au paragraphe 2 de l’article 53 de son Règlement, la
Cour, après avoir consulté les Parties, a décidé que des exemplaires des exceptions
préliminaires du Myanmar et de l’exposé écrit de la Gambie sur ces
exceptions,
ainsi que les documents qui étaient annexés à ces pièces, seraient
rendus accessibles au public à l’ouverture de la procédure orale.
application of the genocide convention (judgment) 485
12
was not by itself a sufficient justification for The Gambia’s request, it took no
position on the request and considered that it was for the Court to “decide
whether The Gambia has established a sufficient justification for an extension of
time”. By an Order of 18 May 2020, the Court extended to 23 October 2020
and 23 July 2021 the respective time-limits for the filing of the Memorial of
The Gambia and the Counter-Memorial of Myanmar. The Gambia filed its
Memorial within the time-limit as extended.
15. By a joint letter dated 11 November 2020, the Governments of the Kingdom
of the Netherlands and Canada, referring to Article 53, paragraph 1, of the
Rules of Court, requested to be furnished with copies of pleadings and documents
when they are filed with the Court in the case. After ascertaining the
views of the Parties in accordance with the above-mentioned provision, the
Court decided that it would not be appropriate to grant that request. The Registrar
communicated this decision to the Governments of the Kingdom of the
Netherlands and Canada and to the Parties by letters dated 27 November 2020.
16. On 20 January 2021, within the time-limit prescribed by Article 79bis,
paragraph 1, of the Rules of Court, Myanmar raised preliminary objections to
the jurisdiction of the Court and the admissibility of the Application. Consequently,
by an Order of 28 January 2021, the Court, noting that, by virtue of
Article 79bis, paragraph 3, of the Rules of Court, the proceedings on the merits
were suspended, and taking account of Practice Direction V, fixed 20 May 2021
as the time-limit within which The Gambia could present a written statement of
its observations and submissions on the preliminary objections raised by Myanmar.
The Gambia filed its written statement on 20 April 2021, within the timelimit
thus fixed.
17. By letters dated 7 September 2021, the Parties were informed that hearings
on the preliminary objections raised by Myanmar would be held from 6 to
10 December 2021, and a detailed schedule of the hearings was communicated
to them.
18. By a letter dated 24 September 2021, Myanmar requested the Court to
postpone the hearings on the preliminary objections by four months owing to the
COVID-19 pandemic and issues relating to changes in the composition of its legal
team. By a letter dated 1 October 2021, The Gambia submitted arguments against
a postponement of the hearings but stated that it would leave the matter to the
discretion of the Court. By letters dated 6 October 2021, the Parties were informed
that the Court had decided to postpone the hearings to the week of 21 February
2022, and a revised schedule of the hearings was communicated to them.
19. By a letter dated 15 October 2021, the Registrar, acting pursuant to Article
69, paragraph 3, of the Rules of Court, transmitted to the Secretary-General
of the United Nations copies of the written proceedings filed thus far in the case,
and asked whether the Organization intended to present observations in writing
under that provision in relation to the preliminary objections raised by Myanmar.
By a letter dated 25 October 2021, the Under-Secretary-General for Legal
Affairs of the United Nations stated that the Organization did not intend to
submit any observations in writing within the meaning of Article 69, paragraph
3, of the Rules of Court.
20. Pursuant to Article 53, paragraph 2, of its Rules, the Court, after ascertaining
the views of the Parties, decided that copies of the preliminary objections
of Myanmar and the written statement of The Gambia on those objections, and
the documents annexed thereto, would be made accessible to the public on the
opening of the oral proceedings.
486 application de convention génocide (arrêt)
13
21. Des audiences publiques sur les exceptions préliminaires soulevées par le
Myanmar ont été tenues les 21, 23, 25 et 28 février 2022. La procédure orale a
été menée sous forme hybride, conformément au paragraphe 2 de l’article 59 du
Règlement de la Cour et sur la base des directives à l’intention des parties
concernant l’organisation d’audiences par liaison vidéo, adoptées le 13 juillet
2020 et communiquées aux Parties le 13 décembre 2021. Pendant la procédure
orale, plusieurs juges étaient présents dans la grande salle de justice tandis que
les autres participaient aux audiences par liaison vidéo, ce qui leur permettait de
voir et d’entendre l’intervenant ainsi que de voir toutes les pièces présentées.
Chaque Partie était autorisée à ce que quatre de ses représentants au maximum
soient présents en même temps dans la grande salle de justice et cinq autres au
maximum dans une salle supplémentaire du Palais de la Paix équipée du matériel
nécessaire pour suivre la procédure à distance. Les autres membres de la
délégation de chaque Partie avaient la possibilité de participer aux audiences par
liaison vidéo en tout autre lieu de leur choix.
22. Au cours des audiences susmentionnées, la Cour a entendu en leurs plaidoiries
et réponses :
Pour le Myanmar : S. Exc. M. Ko Ko Hlaing,
M. Christopher Staker,
M. Stefan Talmon,
M. Robert Kolb.
Pour la Gambie : S. Exc. M. Dawda Jallow,
M. Paul S. Reichler,
M. Andrew Loewenstein,
M. Pierre d’Argent,
Mme Tafadzwa Pasipanodya,
M. M. Arsalan Suleman,
M. Philippe Sands.
*
23. Dans la requête, les demandes ci‑après ont été présentées par la Gambie :
« Tout en se réservant le droit de réviser, compléter ou modifier la présente
requête, et sous réserve de la présentation à la Cour des éléments de
preuve et arguments juridiques pertinents, la Gambie prie respectueusement
la Cour de dire et juger que le Myanmar :
— a manqué et continue de manquer aux obligations qui lui incombent au
regard de la convention sur le génocide, notamment celles énoncées à
l’article premier, aux litt. a), b), c), d) et e) de l’article III, ainsi qu’aux
articles IV, V et VI ;
— doit immédiatement mettre fin à tout fait internationalement illicite de
ce type qui se poursuit et se conformer pleinement aux obligations qui
lui incombent au regard de la convention sur le génocide, notamment
celles énoncées à l’article premier, aux litt. a), b), c), d) et e) de l’article
III, ainsi qu’aux articles IV, V et VI ;
— doit s’assurer que les personnes ayant commis le génocide soient punies
par les tribunaux compétents ou une juridiction pénale internationale,
comme l’exigent l’article premier et l’article VI de la convention sur le
génocide ;
application of the genocide convention (judgment) 486
13
21. Public hearings on the preliminary objections raised by Myanmar were
held on 21, 23, 25 and 28 February 2022. The oral proceedings were conducted
in a hybrid format, in accordance with Article 59, paragraph 2, of the Rules of
Court and on the basis of the Court’s Guidelines for the parties on the organization
of hearings by video link, adopted on 13 July 2020 and communicated to
the Parties on 13 December 2021. During the oral proceedings, a number of
judges were present in the Great Hall of Justice, while others joined the proceedings
via video link, allowing them to view and hear the speaker and see any
demonstrative exhibits displayed. Each Party was permitted to have up to four
representatives present in the Great Hall of Justice and up to five other representatives
in an additional room in the Peace Palace equipped with the necessary
facilities to follow the proceedings remotely. The remaining members of each
Party’s delegation were given the opportunity to participate via video link from
other locations of their choice.
22. During the above-mentioned hearings, the Court heard the oral arguments
and replies of :
For Myanmar: H.E. Mr. Ko Ko Hlaing,
Mr. Christopher Staker,
Mr. Stefan Talmon,
Mr. Robert Kolb.
For The Gambia: H.E. Mr. Dawda Jallow,
Mr. Paul S. Reichler,
Mr. Andrew Loewenstein,
Mr. Pierre d’Argent,
Ms Tafadzwa Pasipanodya,
Mr. M. Arsalan Suleman,
Mr. Philippe Sands.
*
23. In the Application, the following requests were made by The Gambia :
“While reserving the right to revise, supplement or amend this Application,
and subject to the presentation to the Court of the relevant evidence
and legal arguments, The Gambia respectfully requests the Court to adjudge
and declare that Myanmar :
— has breached and continues to breach its obligations under the Genocide
Convention, in particular the obligations provided under Articles I,
III (a), III (b), III (c), III (d), III (e), IV, V and VI ;
— must cease forthwith any such ongoing internationally wrongful act and
fully respect its obligations under the Genocide Convention, in particular
the obligations provided under Articles I, III (a), III (b), III (c),
III (d), III (e), IV, V and VI ;
— must ensure that persons committing genocide are punished by a competent
tribunal, including before an international penal tribunal, as
required by Articles I and VI ;
487 application de convention génocide (arrêt)
14
— doit satisfaire à ses obligations de réparation au profit des victimes
d’actes de génocide appartenant au groupe des Rohingya, y compris,
mais sans que cette énumération soit limitative, en permettant le retour,
en toute sécurité et dans la dignité, des membres de ce groupe déplacés
de force, en respectant la citoyenneté à part entière et les droits de
l’homme des Rohingya, et en les protégeant contre la discrimination, la
persécution et d’autres actes y relatifs, conformément à l’obligation de
prévenir le génocide qui lui incombe au titre de l’article premier de la
convention sur le génocide ; et
— doit offrir des assurances et des garanties de non‑répétition des violations
de la convention sur le génocide, notamment en ce qui concerne
les obligations énoncées à l’article premier, aux litt. a), b), c), d) et e)
de l’article III, ainsi qu’aux articles IV, V et VI. »
24. Dans le cadre de la procédure écrite sur le fond, les conclusions ci‑après
ont été présentées au nom du Gouvernement de la Gambie dans le mémoire :
« Pour les raisons exposées dans le présent mémoire, et se réservant le
droit de compléter, préciser ou modifier les présentes conclusions, la République
de Gambie prie respectueusement la Cour internationale de Justice
de dire et juger :
1) Que la République de l’Union du Myanmar est responsable de violations
de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide :
a) en ce que des membres de ses forces armées, de sa police et d’autres
forces de sécurité, ainsi que des personnes de la conduite desquelles
elle est responsable, ont commis un génocide sur son territoire contre
des membres du groupe des Rohingya en se livrant aux actes suivants
:
i) meurtre de membres du groupe ;
ii) atteinte intentionnelle à l’intégrité physique ou mentale de
membres du groupe ;
iii) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence
visant à entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; et
iv) imposition de mesures aux fins d’entraver les naissances au sein
du groupe ; dans l’intention de détruire ledit groupe en tout ou
en partie, en violation de l’article II de la convention ;
b) en ce que des personnes de la conduite desquelles elle est responsable
ont participé à une entente en vue de commettre les actes de génocide
visés à l’alinéa a), se sont rendues complices de ces actes, ont tenté
de commettre d’autres actes de génocide de cette nature et ont incité
des tiers à commettre de tels actes, en violation de l’article III de la
convention ;
c) en ce que, consciente de ce que les actes de génocide visés à l’alinéa
a) étaient ou allaient être commis, elle n’a pris aucune mesure
pour les prévenir, en violation de l’article premier de la convention ;
d) en ce qu’elle n’a pas traduit en justice les personnes relevant de sa
juridiction sur lesquelles pèse une forte présomption d’avoir participé
aux actes de génocide visés à l’alinéa a), ou aux autres actes
visés à l’alinéa b), et continue ainsi de violer les articles premier et IV
de la convention ;
application of the genocide convention (judgment) 487
14
— must perform the obligations of reparation in the interest of the victims
of genocidal acts who are members of the Rohingya group, including
but not limited to allowing the safe and dignified return of forcibly displaced
Rohingya and respect for their full citizenship and human rights
and protection against discrimination, persecution, and other related
acts, consistent with the obligation to prevent genocide under Article I ;
and
— must offer assurances and guarantees of non-repetition of violations of
the Genocide Convention, in particular the obligations provided under
Articles I, III (a), III (b), III (c), III (d), III (e), IV, V and VI.”
24. In the written proceedings on the merits, the following submissions were
presented on behalf of the Government of The Gambia in its Memorial :
“For the reasons given in this Memorial, and reserving the right to supplement,
amplify or amend the present Submissions, the Republic of
The Gambia respectfully requests the International Court of Justice to
adjudge and declare :
(1) That the Republic of the Union of Myanmar is responsible for violations
of the Convention on the Prevention and Punishment of the
Crime of Genocide :
(a) in that members of its armed forces, police and other security
forces, and also persons for whose conduct it is responsible, committed
genocide against members of the Rohingya group on its
territory by :
(i) killing members of the group ;
(ii) causing deliberate bodily or mental harm to members of the
group ;
(iii) deliberately inflicting on the group conditions of life calculated
to bring about its physical destruction in whole or in part ; and
(iv) imposing measures intended to prevent births within the group ;
with the intent to destroy that group in whole or in part, contrary
to Article II of the Convention ;
(b) in that persons for whose conduct it is responsible conspired to
commit the acts of genocide referred to in paragraph (a), were
complicit in respect of those acts, attempted to commit further such
acts of genocide and incited others to commit such acts, contrary
to Article III of the Convention ;
(c) in that, aware that the acts of genocide referred to in paragraph (a)
were being or would be committed, it failed to take any steps to
prevent those acts, contrary to Article I of the Convention ;
(d) in that it has failed to bring to trial persons within its jurisdiction
who are suspected on probable grounds of involvement in the acts
of genocide referred to in paragraph (a), or in the other acts
referred to in paragraph (b), and is thus in continuing breach of
Articles I and IV of the Convention ;
488 application de convention génocide (arrêt)
15
e) en ce qu’elle a manqué de prendre les mesures législatives nécessaires
pour assurer l’application des dispositions de la convention, et
notamment de prévoir des sanctions pénales efficaces frappant les
personnes coupables de génocide ou de l’un quelconque des autres
actes énumérés à l’article III, et continue ainsi de violer l’article V
de la convention.
2) Que, en raison de sa responsabilité pour ces violations de la convention,
la République de l’Union du Myanmar :
a) doit immédiatement mettre fin à tout fait internationalement illicite
qui se poursuit visé au point 1), et notamment :
i) prendre sans délai des mesures efficaces pour adopter la législation
pénale spécifique au génocide visée à l’alinéa e) du point 1) ;
ii) prendre sans délai des mesures efficaces pour traduire devant un
tribunal indépendant et opérationnel ou une juridiction pénale
internationale les membres de ses forces armées, de sa police et
d’autres forces de sécurité ou toute autre personne relevant de
sa juridiction sur lesquels pèse une forte présomption d’avoir
commis des actes de génocide visés à l’alinéa a) du point 1) ou
l’un quelconque des autres actes visés à l’alinéa b) du
point 1), notamment le généralissime AungMin
Hlaing ;
le vice‑généralissime Soe Win ; le général de corps d’armée Aung
Kyaw Zaw ; le général de division Maung Maung Soe ; le général
de brigade Aung Aung et le général de brigade Than Oo, et
veiller à ce que ces personnes soient dûment punies à raison de
leurs crimes si elles sont déclarées coupables ;
iii) prendre sans délai des mesures efficaces pour réprimer et prévenir
toute incitation directe et publique à commettre le génocide ;
b) doit satisfaire à son obligation de réparation au profit des victimes
d’actes de génocide appartenant au groupe des Rohingya et,
i) par voie de restitution,
1) permettre le retour sur leur lieu de résidence, en toute sécurité
et dans la dignité, des membres du groupe des Rohingya
déplacés à l’intérieur du Myanmar ou à l’étranger ;
2) restituer aux Rohingya leurs biens personnels et collectifs, y
compris leurs terres, maisons, lieux de culte et de vie en communauté,
champs, bétail et produits agricoles, ou les remplacer
en nature ;
3) permettre et faciliter la réunification des familles en toute
sécurité et dans la dignité ;
4) prendre des mesures en vue de la rééducation des membres
du groupe des Rohingya ayant subi un préjudice physique
ou moral, celle‑ci devant comprendre des soins médicaux et
psychologiques appropriés ainsi que des services d’ordre juridique
et social ;
5) faciliter la recherche des personnes disparues et aider à la
récupération, à l’identification et à l’inhumation des corps
des personnes tuées conformément aux souhaits exprimés ou
présumés des victimes et aux pratiques culturelles et religieuses
des Rohingya ;
application of the genocide convention (judgment) 488
15
(e) in that it has failed to enact the necessary legislation to give effect
to the provisions of the Convention, and, in particular, to provide
effective penalties for persons guilty of genocide or any of the other
acts enumerated in Article III, and is thus in continuing breach of
Article V of the Convention.
(2) That, as a consequence of its responsibility for these breaches of the
Convention, the Republic of the Union of Myanmar :
(a) must cease forthwith any ongoing internationally wrongful act
referred to in paragraph (1), in particular :
(i) take immediate and effective steps to enact the specific genocide
criminal legislation referred to in paragraph (1) (e) ;
(ii) take immediate and effective steps to submit to trial before an
independent and effective tribunal, including before an international
penal tribunal, those members of its armed forces, police
and other security forces or any other persons within its jurisdiction
who are suspected on probable grounds of having committed
acts of genocide as referred to in paragraph (1) (a), or any of the
other acts referred to in paragraph (1) (b), notably Senior-General
Aung Min Hlaing, Vice Senior-General Soe Win,
Lieutenant-
General Aung Kyaw Zaw, Major-General Maung
Maung Soe, Brigadier-General Aung Aung and Brigadier-General
Than Oo, and to ensure that those persons, if convicted,
are duly punished for their crimes ;
(iii) take immediate and effective steps to suppress and prevent any
direct and public incitement to commit genocide ;
(b) must perform the obligation of reparation in the interest of the
victims of genocidal acts who are members of the Rohingya group,
and must :
(i) by way of restitution :
(1) allow the safe and dignified return to their place of residence
of displaced members of the Rohingya group, whether they
are displaced within Myanmar or abroad ;
(2) return to the Rohingya their individual and collective property,
including their land, houses, places of worship and
communal life, fields, livestock and crops, or replace them
in kind ;
(3) allow and facilitate the safe and dignified reunification of
families ;
(4) provide for the rehabilitation of the physically or mentally
injured members of the Rohingya group ; such rehabilitation
must include adequate medical and psychological care
as well as legal and social services ;
(5) facilitate the search for the disappeared and assist in the
recovery, identification and reburial of the bodies of those
killed in accordance with the expressed or presumed wishes
of the victims and in accordance with the cultural and religious
practices of the Rohingya ;
489 application de convention génocide (arrêt)
16
6) assurer la protection des Rohingya contre la discrimination
et la persécution ;
7) garantir le droit des Rohingya de s’identifier comme tels ;
8) garantir la liberté de circulation des Rohingya sur le territoire
du Myanmar et supprimer toute restriction quant à leur lieu
de résidence ;
9) supprimer toute restriction ou discrimination à l’emploi ou
à l’accès des Rohingya aux moyens de subsistance.
ii) fournir une indemnisation et toute forme de réparation additionnelle
pour les dommages, pertes ou préjudices subis par les victimes
rohingya qui ne peuvent être intégralement réparés par
voie de restitution.
c) doit offrir des assurances et garanties de non‑répétition, notamment
en assurant une citoyenneté pleine et entière à tous les membres du
groupe des Rohingya présents au Myanmar ou qui ont été déplacés
par suite des événements dont celui‑ci est responsable au regard de
la convention.
3) Que la République de l’Union du Myanmar n’a pas pleinement et adéquatement
exécuté l’ordonnance en indication de mesures conservatoires
et doit :
a) au moyen de la restitution visée au litt. i) de l’alinéa b) du point 2)
ci‑dessus, réparer tout préjudice physique ou moral, y compris le
décès, subi par des membres du groupe des Rohingya et tout dommage
matériel causé à leurs biens par suite des manquements du
Myanmar aux points 1), 2) et 3) du dispositif de l’ordonnance ;
b) fournir une indemnisation et toute forme de réparation additionnelle
pour les dommages, pertes ou préjudices visés à l’alinéa a) du
point 3) ci‑dessus qui ne peuvent être intégralement réparés par voie
de restitution.
4) Que, à défaut d’accord entre les Parties sur le montant de l’indemnisation
et toute forme additionnelle de réparation telles que prévues au
litt. ii) de l’alinéa b) du point 2) et à l’alinéa b) du point 3) ci‑dessus, la
question sera tranchée par la Cour lors d’une phase ultérieure de la
procédure en l’affaire.
La Gambie se réserve le droit de compléter ou de modifier en tant que de
besoin les présentes conclusions à la lumière de pièces de procédures ultérieures.
»
25. Les conclusions ci‑après ont été présentées au nom du Gouvernement du
Myanmar dans les exceptions préliminaires :
« Sur la base de chacune des quatre exceptions préliminaires indépendantes
exposées ci‑dessus, le Myanmar prie respectueusement la Cour de
dire et juger qu’elle n’a pas compétence pour connaître de la requête de la
Gambie du 11 novembre 2019 ou que ladite requête est irrecevable.
Le Myanmar se réserve le droit de modifier et de compléter la présente
conclusion conformément aux dispositions du Statut et du Règlement de la
Cour. Il se réserve également le droit de soumettre de nouvelles exceptions
d’incompétence de la Cour et d’irrecevabilité des demandes de la Gambie
lors de toute éventuelle phase ultérieure de l’affaire. »
application of the genocide convention (judgment) 489
16
(6) ensure the protection of the Rohingya against discrimination
and persecution ;
(7) ensure the right of the Rohingya to identify as such ;
(8) ensure the liberty and freedom of movement of the Rohingya
within Myanmar and remove any restriction on their place
of residence ;
(9) remove any restriction or discrimination on the employment
or access to livelihoods of the Rohingya.
(ii) compensate, and provide any additional forms of reparation,
for any harm, loss or injury suffered by the Rohingya victims
that is not capable of full reparation by restitution.
(c) must offer assurances and guarantees of non-repetition by notably
providing full and equal citizenship to all members of the Rohingya
group who are present in Myanmar or have been displaced due to
the events for which Myanmar bears responsibility under the Convention.
(3) That the Republic of the Union of Myanmar has failed to fully and
adequately implement the Provisional Measures Order and must :
(a) by way of restitution as referred to in paragraph (2) (b) (i) above,
make good any bodily or mental injury, including death, suffered
by members of the Rohingya group, or any material injury caused
to their property, as a result of Myanmar’s violations of paragraph
86 (1), (2) or (3) of the Order ;
(b) compensate, and provide any additional forms of reparation, for
any harm, loss or injury referred to in paragraph (3) (a) above that
is not capable of full reparation by restitution.
(4) That, failing agreement between the Parties on the amount of compensation
and any additional forms of reparation referred to in paragraph
(2) (b) (ii) and paragraph (3) (b) above, the question will be
decided by the Court in a subsequent phase of the proceedings in this
case.
The Gambia reserves the right to supplement or amend these submissions
in light of further pleadings and as necessary.”
25. In the preliminary objections, the following submissions were presented
on behalf of the Government of Myanmar :
“On the basis of each of the four independent preliminary objections
set out above, Myanmar respectfully requests the Court to adjudge and
declare that the Court lacks jurisdiction over The Gambia’s Application of
11 November 2019, and/or that the Application is inadmissible.
Myanmar reserves the right to amend and supplement this submission in
accordance with the provisions of the Statute and the Rules of Court.
Myanmar
also reserves the right to submit further objections to the jurisdiction
of the Court and to the admissibility of The Gambia’s claims if the
case were to proceed to any subsequent phase.”
490 application de convention génocide (arrêt)
17
26. Les conclusions ci‑après ont été présentées au nom du Gouvernement de
la Gambie dans l’exposé écrit contenant ses observations et conclusions sur les
exceptions préliminaires :
« Pour les raisons exposées ci‑dessus, la Gambie prie respectueusement la
Cour :
1) de rejeter les exceptions préliminaires soulevées par le Myanmar ;
2) de dire qu’elle a compétence pour connaître des demandes présentées
par la Gambie dans sa requête et son mémoire, et que ces demandes sont
recevables ;
3) de procéder à l’examen de ces demandes au fond. »
27. Lors de la procédure orale sur les exceptions préliminaires, les conclusions
ci‑après ont été présentées par les Parties :
Au nom du Gouvernement du Myanmar,
à l’audience du 25 février 2022 :
« Pour les motifs exposés dans ses exceptions préliminaires écrites et
dans ses plaidoiries lors des audiences consacrées aux exceptions préliminaires,
ainsi que pour tous autres motifs que la Cour pourrait juger appropriés,
le Myanmar prie respectueusement la Cour de dire et juger :
1. que la Cour n’a pas compétence pour connaître de l’affaire introduite
par la Gambie contre le Myanmar ; et/ou
2. que la requête de la Gambie est irrecevable. »
Au nom du Gouvernement de la Gambie,
à l’audience du 28 février 2022 :
« Conformément à l’article 60 du Règlement de la Cour, la République
de Gambie, pour les raisons énoncées dans son exposé écrit du 20 avril
2021 et au cours des présentes audiences, prie respectueusement la Cour :
a) de rejeter les exceptions préliminaires soulevées par la République de
l’Union du Myanmar ;
b) de dire qu’elle a compétence pour connaître des demandes présentées
par la Gambie dans sa requête et son mémoire, et que ces demandes sont
recevables ;
c) de procéder à l’examen de ces demandes au fond. »
* * *
I. Introduction
28. Dans sa requête, la Gambie affirme que le Myanmar, par les actes
visant les membres du groupe rohingya qui ont été adoptés ou accomplis
par son gouvernement, ou avec l’aval de celui‑ci, a manqué et continue de
manquer aux obligations qui lui incombent au regard de la convention sur
le génocide. Plus précisément, elle soutient que, en octobre 2016, l’armée et
d’autres forces de sécurité du Myanmar ont commencé à mener contre le
application of the genocide convention (judgment) 490
17
26. In the written statement of its observations and submissions on the preliminary
objections, the following submissions were presented on behalf of the
Government of The Gambia :
“For the reasons set forth above, The Gambia respectfully requests that
the Court :
(1) Reject the Preliminary Objections presented by Myanmar ;
(2) Find that it has jurisdiction to hear the claims presented by The Gambia
as set forth in its Application and Memorial, and that these claims
are admissible ; and
(3) Proceed to hear those claims on the merits.”
27. At the oral proceedings on the preliminary objections, the following submissions
were presented by the Parties :
On behalf of the Government of Myanmar,
at the hearing of 25 February 2022 :
“For the reasons given in Myanmar’s written preliminary objections and
in its oral arguments at the hearing of the preliminary objections, and for
any other reasons the Court might deem appropriate, Myanmar respectfully
requests the Court to adjudge and declare :
1. that the Court lacks jurisdiction to hear the case brought by The Gambia
against Myanmar ; and/or
2. that The Gambia’s Application is inadmissible.”
On behalf of the Government of The Gambia,
at the hearing of 28 February 2022 :
“In accordance with Article 60 of the Rules of Court, for the reasons
explained in our Written Observations of 20 April 2021 and during these
hearings, the Republic of The Gambia respectfully asks the Court to :
(a) Reject the Preliminary Objections presented by the Republic of the
Union of Myanmar ;
(b) Hold that it has jurisdiction to hear the claims presented by The Gambia
as set out in its Application and Memorial, and that those claims
are admissible ; and
(c) Proceed to hear those claims on the merits.”
* * *
I. Introduction
28. In the Application, The Gambia alleges that Myanmar has
breached and continues to breach its obligations under the Genocide
Convention through acts adopted, taken and condoned by its Government
against the members of the Rohingya group. Specifically, The Gambia
asserts that in October 2016 the Myanmar military and other
Myanmar security forces began widespread and systematic “clearance
491 application de convention génocide (arrêt)
18
groupe rohingya des « opérations de nettoyage » généralisées et systématiques,
au cours desquelles elles ont commis des meurtres de masse, des viols
et d’autres formes de violence sexuelle et se sont livrées à la destruction systématique
des villages rohingya par le feu, souvent alors que les habitants
étaient enfermés dans leurs maisons, et ce, dans l’intention de détruire en
tout ou en partie les Rohingya en tant que groupe. La Gambie ajoute que,
à partir du mois d’août 2017, ces actes de génocide se sont poursuivis avec
la reprise par le Myanmar d’« opérations de nettoyage » menées de manière
plus massive et à une plus grande échelle sur le plan géographique.
29. Lorsque la Cour mentionne, dans le présent arrêt, les « Rohingya »,
il faut comprendre qu’elle fait référence au groupe communément
dénommé rohingya, qui s’identifie lui‑même comme tel et revendique un
lien de longue date avec l’Etat rakhine, lequel fait partie de l’Union
du Myanmar (voir Application de la convention pour la prévention et
la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), mesures
conservatoires,
ordonnance du 23 janvier 2020, C.I.J. Recueil 2020, p. 9,
par. 14‑15).
30. La Gambie entend fonder la compétence de la Cour sur l’article IX
de la convention sur le génocide, lu conjointement avec le paragraphe 1
de l’article 36 du Statut de la Cour. L’article IX de la convention se lit
comme suit :
« Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation,
l’application ou l’exécution de la présente Convention, y compris
ceux relatifs à la responsabilité d’un Etat en matière de génocide
ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III, seront
soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête d’une partie
au différend. »
31. La Gambie et le Myanmar sont tous deux parties à la convention
sur le génocide. Le Myanmar a déposé son instrument de ratification le
14 mars 1956 sans formuler de réserve à l’article IX ; il a en revanche formulé
des réserves aux articles VI et VIII. La Gambie a adhéré à la convention,
sans aucune réserve, le 29 décembre 1978.
32. Le Myanmar soulève quatre exceptions préliminaires d’incompétence
de la Cour et d’irrecevabilité de la requête. Premièrement, il soutient
que la Cour n’a pas compétence ou, à titre subsidiaire, que la requête est
irrecevable, au motif que le « véritable demandeur » en l’affaire est l’Organisation
de la coopération islamique (ci‑après l’« OCI »). Deuxièmement,
il avance que la requête est irrecevable, car la Gambie n’a pas qualité
pour introduire la présente instance. Troisièmement, il fait valoir que la
Cour n’a pas compétence ou que la requête est irrecevable parce que la
Gambie ne peut pas valablement saisir la Cour compte tenu de la réserve
qu’il a formulée à l’article VIII de la convention sur le génocide. Quatrièmement,
le Myanmar affirme que la Cour n’a pas compétence ou, à titre
subsidiaire, que la requête est irrecevable, au motif qu’aucun différend au
titre de la convention sur le génocide n’opposait les Parties à la date du
dépôt de la requête.
application of the genocide convention (judgment) 491
18
operations” against the Rohingya group, during the course of which they
committed mass murder, rape and other forms of sexual violence, and
engaged in the systematic destruction by fire of Rohingya villages, often
with inhabitants locked inside burning houses, with the intent to destroy
the Rohingya as a group, in whole or in part. The Gambia further asserts
that, from August 2017 onwards, such genocidal acts continued with
Myanmar’s resumption of “clearance operations” on a more massive and
wider geographical scale.
29. The Court’s references to the “Rohingya” in this Judgment should
be understood as references to the group that is commonly called the
Rohingya, self-identifies as such and claims a long-standing connection to
Rakhine State, which forms part of the Union of Myanmar (see Application
of the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of
Genocide (The Gambia v. Myanmar), Provisional Measures, Order of
23 January 2020, I.C.J. Reports 2020, p. 9, paras. 14-15).
30. The Gambia seeks to found the jurisdiction of the Court on Article
IX of the Genocide Convention, in conjunction with Article 36, paragraph
1, of the Statute of the Court. Article IX of the Convention reads
as follows :
“Disputes between the Contracting Parties relating to the interpretation,
application or fulfilment of the present Convention, including
those relating to the responsibility of a State for genocide or for any
of the other acts enumerated in article III, shall be submitted to the
International Court of Justice at the request of any of the parties to
the dispute.”
31. The Gambia and Myanmar are parties to the Genocide Convention.
Myanmar deposited its instrument of ratification on 14 March 1956,
without entering a reservation to Article IX, but making reservations to
Articles VI and VIII. The Gambia acceded to the Convention on 29 December
1978, without entering any reservation.
32. Myanmar raises four preliminary objections to the jurisdiction of the
Court and the admissibility of the Application. In its first preliminary objection,
Myanmar argues that the Court lacks jurisdiction, or alternatively that
the Application is inadmissible, on the ground that the “real applicant” in
the proceedings is the Organisation of Islamic Cooperation (hereinafter the
“OIC”). According to the second preliminary objection, the Application is
inadmissible because The Gambia lacks standing to bring this case. Myanmar
asserts in its third preliminary objection that the Court lacks jurisdiction
or that the Application is inadmissible since The Gambia cannot validly
seise the Court in light of Myanmar’s reservation to Article VIII of the
Genocide Convention. In its fourth preliminary objection, Myanmar contends
that the Court lacks jurisdiction, or alternatively that the Application
is inadmissible, because there was no dispute between the Parties under the
Genocide Convention on the date of filing of the Application.
492 application de convention génocide (arrêt)
19
33. La Cour observe que, lorsqu’elle est amenée à se prononcer sur des
exceptions préliminaires, elle n’est pas tenue de suivre l’ordre dans lequel
celles‑ci sont présentées par le défendeur (voir, par exemple, Question de la
délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-
delà
de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 110, par. 17). En
la présente espèce, elle commencera par examiner l’exception préliminaire
ayant trait à la question du « véritable demandeur » en l’affaire (première
exception préliminaire), avant de se pencher sur l’existence d’un différend
(quatrième exception préliminaire) puis sur la réserve formulée par le
Myanmar à l’article VIII de la convention sur le génocide (troisième exception
préliminaire). Elle traitera enfin de l’exception préliminaire relative à
la qualité pour agir de la Gambie (deuxième exception préliminaire), qui
soulève une question de recevabilité uniquement.
II. Question de savoir si la Gambie est le « véritable demandeur »
en la présente espèce (première exception préliminaire)
34. Par sa première exception préliminaire, le Myanmar affirme que la
Cour n’a pas compétence ou, à titre subsidiaire, que la requête est irrecevable,
parce que le « véritable demandeur » en l’instance est l’OCI, une
organisation internationale, qui, conformément au paragraphe 1 de
l’article
34 du Statut de la Cour, ne saurait être partie à une instance
devant celle-
ci. La Cour commencera par examiner la question de sa compétence.
A. Compétence ratione personae
35. Selon le Myanmar, cette exception préliminaire soulève un point de
droit et un point de fait. S’agissant du premier, le Myanmar soutient que
la question de savoir qui est le « véritable demandeur » dans chaque affaire
est une question de fond, et non de forme ou de procédure. Il estime que
la méthode employée par la Cour pour déterminer l’existence d’un différend
devrait être appliquée aux fins d’établir l’identité du « véritable
demandeur », lorsque celle-
ci est en cause. A cet égard, il considère que la
Cour doit aller au‑delà de la question limitée de savoir qui est désigné
comme demandeur dans la requête et déterminer objectivement l’identité
du « véritable demandeur », sur la base des faits et circonstances pertinents
examinés dans leur ensemble. Selon le Myanmar, la question qui se
pose en la présente espèce est de savoir si, en « désignant » un Etat pour
introduire une affaire pour son compte ou en le « chargeant » de le faire,
une entité qui n’est pas un Etat peut contourner les limites voulant que
seuls des Etats ont qualité pour se présenter devant la Cour et que celle‑ci
n’est habilitée à exercer sa compétence dans des affaires contentieuses
qu’avec le consentement des deux parties. Le Myanmar fait valoir qu’une
tierce partie qui n’est pas un Etat et n’est pas liée à l’Etat défendeur par
application of the genocide convention (judgment) 492
19
33. The Court notes that, when deciding on preliminary objections, it
is not bound to follow the order in which they are presented by the
respondent (see, for example, Question of the Delimitation of the Continental
Shelf between Nicaragua and Colombia beyond 200 Nautical Miles
from the Nicaraguan Coast (Nicaragua v. Colombia), Preliminary Objections,
Judgment, I.C.J. Reports 2016 (I), p. 110, para. 17). In the present
case, the Court will start by addressing the preliminary objection relating
to the “real applicant” in the case (first preliminary objection), before
turning to the existence of a dispute (fourth preliminary objection) and
Myanmar’s reservation to Article VIII of the Genocide Convention (third
preliminary objection). Finally, the Court will deal with the preliminary
objection pertaining to the standing of The Gambia (second preliminary
objection), which presents a question of admissibility only.
II. Whether The Gambia Is the “Real Applicant” in This Case
(First Preliminary Objection)
34. In its first preliminary objection, Myanmar argues that the Court
lacks jurisdiction, or alternatively that the Application is inadmissible,
because the “real applicant” in the proceedings is the OIC, an international
organization, which cannot be a party to proceedings before the
Court pursuant to Article 34, paragraph 1, of the Statute of the Court.
The Court will first examine the question of its jurisdiction.
A. Jurisdiction Ratione Personae
35. According to Myanmar, this preliminary objection raises a question
of law and a question of fact. On the question of law, Myanmar
argues that the determination of who is the “real applicant” in every case
is a matter of substance, not a question of form or procedure. It contends
that the approach taken by the Court to determine the existence of a dispute
should be followed in cases where the identity of the “real applicant”
is at issue. According to Myanmar, the Court must look beyond the narrow
question of who is named in the proceedings as the applicant and
make an objective determination as to the identity of the “real applicant”,
based on an examination of the relevant facts and circumstances as a
whole. For Myanmar, the question that arises in this case is whether, by
“appointing” or “tasking” a State to bring a case on its behalf, an entity
that is not a State can circumvent the limitations that only States may be
parties in cases before the Court and that the Court may only exercise
jurisdiction in contentious cases with the consent of both parties. In the
view of Myanmar, a third party that is not a State and does not have a
reciprocal acceptance of jurisdiction with the respondent State cannot use
a “proxy State” to circumvent the limits of the Court’s jurisdiction and
493 application de convention génocide (arrêt)
20
une acceptation réciproque de la compétence ne saurait recourir à un
« Etat mandataire » pour passer outre les limites de la compétence de la
Cour en chargeant celui‑ci d’invoquer pour son compte la clause compromissoire
de la convention sur le génocide.
36. S’agissant du point de fait, le Myanmar affirme que, si la Gambie
est le demandeur nominal en la présente instance, il ressort toutefois clairement
du dossier qu’elle a agi en tant qu’« organe, agent ou mandataire »
de l’OCI, laquelle est le « véritable demandeur » en l’espèce. Selon le Myanmar,
l’OCI et la Gambie ont l’une et l’autre reconnu à maintes reprises que
la seconde avait été « désignée » par la première pour introduire pour le
compte de celle-
ci la présente instance devant la Cour — ou qu’elle avait
été « chargée » de le faire —, et ce, en sa qualité de présidente d’un comité
ministériel ad hoc établi les 5 et 6 mai 2018 par le conseil des ministres des
affaires étrangères de ladite organisation avec pour mission de veiller à ce
que les auteurs des violations des droits de l’homme commises contre les
Rohingya répondent de leurs actes (ci‑après le « comité ad hoc »). A cet
égard, le Myanmar soutient que la proposition d’introduire la présente
instance a été formulée par le comité ad hoc en février 2019, entérinée par
le conseil des ministres des affaires étrangères de l’OCI en mars 2019 et
approuvée par la conférence islamique au sommet en mai 2019.
37. Le Myanmar se réfère également à d’autres éléments qui, selon lui,
démontrent que le « véritable demandeur » en l’espèce est l’OCI. Il renvoie
en particulier à un communiqué de presse publié le 11 novembre 2019 par
les conseils de la Gambie en la présente instance, dans lequel il était indiqué
que la Cour était saisie par cet Etat, « agissa[n]t au nom des 57 Etats
membres » de l’OCI, et que cette dernière « a[vait] désigné la Gambie, un
de ses membres, pour introduire l’instance en son nom ». Le Myanmar
fait en outre valoir que la Gambie tient l’OCI informée de l’état d’avancement
de l’affaire et que les frais de justice qu’elle encourt dans le cadre
de la présente procédure sont intégralement pris en charge par cette organisation,
au moyen d’un fonds spécial alimenté par les contributions de
différents Etats membres et le Fonds de solidarité islamique. Selon le
Myanmar, ces contributions font l’objet d’une gestion conjointe par l’Etat
assumant la présidence du comité ad hoc et le secrétaire général de l’OCI.
*
38. La Gambie considère que cette exception préliminaire du Myanmar
doit être rejetée, car elle est dépourvue de tout fondement, tant juridique que
factuel. Du point de vue juridique, elle soutient qu’il est satisfait aux critères
pertinents régissant la compétence ratione personae de la Cour au regard du
Statut de celle-
ci et de la convention sur le génocide. La Gambie est un Etat,
comme l’exige le paragraphe 1 de l’article 34 du Statut, et, en tant que
Membre de l’Organisation des Nations Unies, ipso facto partie au Statut,
conformément au paragraphe 1 de l’article 35 de celui-
ci. La Gambie et le
Myanmar sont tous deux parties à la convention sur le génocide, et il existe
entre eux un différend quant au respect par ce dernier de la convention, qui
application of the genocide convention (judgment) 493
20
invoke the compromissory clause of the Genocide Convention on its
behalf.
36. On the question of fact, Myanmar submits that, whilst The Gambia
is the nominal Applicant in these proceedings, the record makes it
clear that The Gambia has acted as an “organ, agent or proxy” of the
OIC, which is the “true applicant” in this case. According to Myanmar,
both the OIC and The Gambia have recognized on multiple occasions
that The Gambia was “appointed” or “tasked” by the OIC to bring the
present proceedings before the Court on behalf of the OIC, in its capacity
as chair of an Ad Hoc Ministerial Committee on Accountability for
Human Rights Violations against the Rohingyas (hereinafter the “Ad Hoc
Committee”) that was established on 5-6 May 2018 by the OIC Council
of Foreign Ministers. In this context, Myanmar asserts that the proposal
to bring these proceedings was recommended by the Ad Hoc Committee in
February 2019, endorsed by the OIC Council of Foreign Ministers in March
2019 and approved by the Islamic Summit Conference in May 2019.
37. Myanmar also refers to additional elements which, in its view,
demonstrate that the “real applicant” in these proceedings is the OIC. It
points, in particular, to a press release issued by counsel for The Gambia
in these proceedings on 11 November 2019, in which it was stated that the
case was brought by The Gambia “acting on behalf of the 57 Member
States” of the OIC and that “[t]he OIC appointed The Gambia, an
OIC member, to bring the case on its behalf”. It further claims that
The Gambia briefs the OIC on the progress of the case and that The Gambia’s
legal costs in these proceedings are funded entirely by the OIC from
a special fund financed by donations of various OIC Member States and
the Islamic Solidarity Fund. According to Myanmar, control over these
funds is exercised jointly by the chair of the Ad Hoc Committee and the
OIC Secretary-General.
*
38. The Gambia submits that Myanmar’s preliminary objection must
be rejected as it lacks any basis either in law or in fact. As to the law,
The Gambia contends that the relevant requirements for jurisdiction ratione
personae under the Court’s Statute and the Genocide Convention are
met. The Gambia is a State as required by Article 34, paragraph 1, of the
Statute and, as a Member of the United Nations, is ipso facto a party to
the Statute, pursuant to Article 35, paragraph 1, thereof. The Gambia
and Myanmar are both parties to the Genocide Convention, and there is
a dispute between them over Myanmar’s compliance with the Convention,
which has been brought to the Court pursuant to Article IX of the
494 application de convention génocide (arrêt)
21
a été porté devant la Cour en vertu de l’article IX de cet instrument. Selon
la Gambie, la motivation d’un Etat pour engager une procédure devant la
Cour est dépourvue de pertinence aux fins des questions de compétence.
39. En ce qui concerne les faits, la Gambie soutient qu’elle est, à tous
égards, le « véritable demandeur » en la présente affaire, ce qu’attestent les
lettres accompagnant sa requête, qui montrent clairement que l’instance a
été introduite au seul nom de la République de Gambie. Elle affirme qu’elle
a exprimé ses préoccupations dans diverses enceintes internationales, se
référant en particulier à la déclaration faite par son président, M. Adama
Barrow, devant l’Assemblée générale des Nations Unies le 25 septembre
2018, qui indiquait que la Gambie avait pris l’initiative, en tant que présidente
du prochain sommet de l’OCI, « de plaider … pour la mise en place
d’un mécanisme de responsabilisation qui garantirait que les auteurs des
terribles crimes commis contre les musulmans rohingya [fuss]ent tenus de
rendre des comptes ». La Gambie se réfère également au discours de sa
vice‑présidente, Mme Isatou Touray, prononcé dans cette même enceinte le
26 septembre 2019, qui annonçait l’intention de la Gambie de « jouer un
rôle de chef de file dans le cadre d’efforts concertés visant à porter la question
des Rohingya devant la Cour internationale de Justice ».
40. De plus, la Gambie affirme qu’elle a soulevé la question de manière
bilatérale dans une note verbale adressée à la mission permanente du
Myanmar auprès de l’Organisation des Nations Unies le 11 octobre 2019,
dans laquelle elle indiquait clairement que, en tant qu’Etat partie à la
convention sur le génocide, elle avait un différend avec le Myanmar concernant
les obligations incombant à ce dernier au regard dudit instrument, et
lui demandait de faire le nécessaire pour se conformer à ces obligations.
41. La Gambie reconnaît qu’elle a cherché et obtenu le soutien de l’OCI
pour amener le Myanmar à répondre des crimes internationaux qui auraient
été commis contre les Rohingya, mais fait valoir que ce soutien n’a aucune
incidence sur la compétence de la Cour. Elle affirme qu’elle a joué un rôle
décisif dans la création du comité ad hoc de l’OCI, qui n’avait cependant
pas pour mandat d’engager des procédures internationales de règlement des
différends au nom de l’organisation, ni d’y participer. Elle affirme également
que la décision d’engager l’instance devant la Cour sur la base de la
convention a été prise au plus haut niveau du Gouvernement gambien,
lequel n’a fait l’objet d’aucune pression, coercition ni incitation de la part
de l’OCI. Le fait que cette dernière ait soutenu cette initiative ne signifie pas
qu’elle serait, d’une quelconque manière, devenue le demandeur en remplacement
de la Gambie. A cet égard, celle‑ci souligne que ni le sommet islamique
ni le conseil des ministres des affaires étrangères de l’OCI n’ont, au
regard de la charte de cette organisation, la compétence institutionnelle
pour lui donner des consignes ou des instructions dans sa procédure devant
la Cour. La Gambie se réfère également au rapport du comité ad hoc du
25 septembre 2019, qui a reconnu sa prérogative de choisir un cabinet
d’avocats chargé de conduire l’affaire qu’elle a introduite devant la Cour.
* *
application of the genocide convention (judgment) 494
21
Convention. For The Gambia, a State’s motivation for commencing litigation
before the Court is irrelevant to matters of jurisdiction.
39. As to the facts, The Gambia argues that it is, by any measure, the
“real applicant” in these proceedings and this is evidenced by the letters
accompanying its Application, which make clear that the proceedings
were instituted only on behalf of the Republic of The Gambia. The Gambia
affirms that it expressed its concerns in a variety of international fora.
It refers, in particular, to the statement of the President of The Gambia,
Mr. Adama Barrow, before the United Nations General Assembly on
25 September 2018, in which he declared that The Gambia had undertaken,
as the upcoming chair of the next OIC Summit, “to champion an
accountability mechanism that would ensure that perpetrators of the terrible
crimes against the Rohingya Muslims are brought to book”.
The Gambia also refers to the speech of the Vice-President of The Gambia,
Ms Isatou Touray, before the United Nations General Assembly on
26 September 2019, in which she announced The Gambia’s intention to
“lead concerted efforts to take the Rohingya issue to the International
Court of Justice”.
40. Moreover, The Gambia affirms that it raised the matter bilaterally
in a Note Verbale sent to the Permanent Mission of Myanmar to the
United Nations on 11 October 2019, which made clear that The Gambia,
as a State party to the Genocide Convention, was in dispute with Myanmar
concerning the latter’s obligations under the Convention and
requested Myanmar to take all necessary actions to comply with those
obligations.
41. The Gambia acknowledges that it sought and obtained the support
of the OIC to hold Myanmar accountable for the international crimes
allegedly committed against the Rohingya, but it maintains that this support
has no bearing on the Court’s jurisdiction. The Gambia claims that
it was instrumental in the establishment of the OIC Ad Hoc Committee,
the mandate of which, however, did not include instituting or participating
in international dispute settlement proceedings on behalf of the OIC.
It also affirms that the decision to initiate the proceedings before the
Court under the Convention was undertaken at the highest levels of
The Gambian Government, which did not act under the pressure, coercion
or inducement of the OIC. The fact that the OIC supported this
initiative does not mean that the OIC has somehow become the applicant
in substitution of The Gambia. In this regard, The Gambia points out
that neither the Islamic Summit nor the OIC Council of Foreign Ministers
has the institutional competence under the Charter of the OIC to
direct or instruct The Gambia in its litigation before the Court. It also
refers to the report of the Ad Hoc Committee of 25 September 2019,
which acknowledged The Gambia’s prerogative to select a legal firm to
pursue the case undertaken by The Gambia in the Court.
* *
495 application de convention génocide (arrêt)
22
42. La Cour établit sa compétence ratione personae sur la base des exigences
énoncées dans les dispositions pertinentes de son Statut et de la
Charte des Nations Unies. Ainsi qu’elle l’a indiqué dans l’affaire relative
à la Licéité de l’emploi de la force (Serbie‑et‑Monténégro c. Belgique), « il
lui appartient d’examiner tout d’abord la question de savoir si le demandeur
remplit les conditions énoncées aux articles 34 et 35 du Statut et si,
de ce fait, la Cour lui est ouverte » (exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 299, par. 46). Aux termes du paragraphe 1 de
l’article 34 du Statut, « [s]euls les Etats ont qualité pour se présenter
devant la Cour ». Aux termes du paragraphe 1 de l’article 35 du Statut,
« [l]a Cour est ouverte aux Etats parties au présent Statut ». Le paragraphe
1 de l’article 93 de la Charte des Nations Unies dispose quant à lui
que « [t]ous les Membres des Nations Unies sont ipso facto parties au Statut
de la Cour internationale de Justice ». La Gambie est Membre de l’Organisation
des Nations Unies depuis le 21 septembre 1965 et, ipso facto,
partie au Statut de la Cour. Celle‑ci considère par conséquent que la
Gambie satisfait aux exigences énoncées ci‑dessus.
43. Le Myanmar soutient cependant que, en portant ses réclamations
devant la Cour, la Gambie a en réalité agi en tant qu’« organe, agent ou
mandataire » de l’OCI, qui serait le « véritable demandeur » en la présente
instance. Son argument principal est qu’une tierce partie, à savoir l’OCI, qui
n’est pas un Etat et qui ne saurait donc être liée à l’Etat défendeur par une
acceptation réciproque de la compétence, a utilisé la Gambie en tant que
« mandataire » afin de contourner les limites de la compétence ratione personae
de la Cour en la chargeant d’invoquer pour son compte la clause compromissoire
de la convention sur le génocide (voir les paragraphes 36‑37
ci-
dessus).
44. La Cour relève que la Gambie a introduit la présente instance en
son nom propre, en tant qu’Etat partie au Statut de la Cour et à la convention
sur le génocide. Elle note également l’affirmation de la Gambie selon
laquelle un différend oppose celle‑ci au Myanmar en ce qui concerne ses
propres droits en tant qu’Etat partie à la convention. La Cour observe que
le fait qu’un Etat puisse avoir accepté la proposition d’une organisation
intergouvernementale dont il est membre de porter une affaire devant elle,
ou puisse avoir recherché et obtenu le soutien financier et politique de cette
organisation ou de ses membres aux fins d’introduire ladite instance, ne
remet nullement en question son statut de demandeur devant la Cour. De
plus, la question de savoir ce qui peut avoir motivé un Etat tel que la
Gambie à introduire une instance est dépourvue de pertinence aux fins
d’établir la compétence de la Cour. Ainsi qu’elle l’a précisé en l’affaire des
Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras),
« [l]a Cour se prononce en droit et n’a pas à s’interroger sur les motivations
d’ordre politique qui peuvent amener un Etat, à un moment donné ou
dans des circonstances déterminées, à choisir le règlement judiciaire »
(compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 91, par. 52).
45. En ce qui concerne l’argument du Myanmar selon lequel la méthode
employée par la Cour pour établir l’existence d’un différend devrait être
application of the genocide convention (judgment) 495
22
42. The Court establishes its jurisdiction ratione personae on the basis
of the requirements laid down in the relevant provisions of its Statute and
of the Charter of the United Nations. As the Court held in the case concerning
the Legality of Use of Force (Serbia and Montenegro v. Belgium),
“it is incumbent upon it to examine first of all the question whether the
Applicant meets the conditions laid down in Articles 34 and 35 of the
Statute and whether the Court is thus open to it” (Preliminary Objections,
Judgment, I.C.J. Reports 2004 (I), p. 299, para. 46). Pursuant to Article
34, paragraph 1, of the Statute, “[o]nly States may be parties in cases
before the Court”. According to Article 35, paragraph 1, of the Statute,
“[t]he Court shall be open to the States parties to the present Statute”.
Article 93, paragraph 1, of the Charter of the United Nations provides
that “[a]ll Members of the United Nations are ipso facto parties to the
Statute of the International Court of Justice”. The Gambia has been a
Member of the United Nations since 21 September 1965 and is ipso facto
a party to the Statute of the Court. The Court therefore considers that
The Gambia meets the above-mentioned
requirements.
43. Myanmar submits, however, that in bringing its claims before the
Court, The Gambia has in fact acted as an “organ, agent or proxy” of the
OIC, which is the “true applicant” in these proceedings. Its main contention
is that a third party, namely the OIC, which is not a State and cannot
therefore have a reciprocal acceptance of jurisdiction with the respondent
State, has used The Gambia as a “proxy” in order to circumvent the
limits
of the Court’s jurisdiction ratione personae and invoke the compromissory
clause of the Genocide Convention on its behalf (see para-
graphs
36-37 above).
44. The Court notes that The Gambia instituted the present proceedings
in its own name, as a State party to the Statute of the Court and to
the Genocide Convention. It also notes The Gambia’s assertion that it
has a dispute with Myanmar regarding its own rights as a State party to
that Convention. The Court observes that the fact that a State may have
accepted the proposal of an intergovernmental organization of which it is
a member to bring a case before the Court, or that it may have sought
and obtained financial and political support from such an organization or
its members in instituting these proceedings, does not detract from its
status as the applicant before the Court. Moreover, the question of what
may have motivated a State such as The Gambia to commence proceedings
is not relevant for establishing the jurisdiction of the Court. As the
Court held in Border and Transborder Armed Actions (Nicaragua v. Honduras),
“the Court’s judgment is a legal pronouncement, and it cannot
concern itself with the political motivation which may lead a State at a particular
time, or in particular circumstances, to choose judicial settlement”
(Jurisdiction and Admissibility, Judgment, I.C.J. Reports 1988, p. 91,
para. 52).
45. With regard to Myanmar’s argument that the approach taken by
the Court to establish the existence of a dispute should be followed in
496 application de convention génocide (arrêt)
23
appliquée aux fins de déterminer l’identité du « véritable demandeur »,
lorsque celle-
ci est en cause (voir le paragraphe 35 ci-
dessus),
la Cour est
d’avis qu’il s’agit là de deux questions juridiques distinctes. En l’espèce, elle
ne voit aucune raison de ne pas s’en tenir au fait que la Gambie a introduit
l’instance contre le Myanmar en son nom propre. En conséquence, la Cour
estime que le demandeur en la présente affaire est la Gambie.
46. Compte tenu de ce qui précède, la première exception préliminaire
soulevée par le Myanmar, dans la mesure où elle a trait à la compétence
de la Cour, doit être rejetée.
B. Recevabilité
47. A titre subsidiaire, le Myanmar fait valoir que, même si la Cour
devait juger qu’elle est compétente, la requête de la Gambie serait, dans
les circonstances de l’espèce, irrecevable. Selon lui, une requête est irrecevable
si l’instance introduite par le demandeur nommément désigné l’est
en réalité pour le compte d’un autre Etat ou d’une entité ne pouvant l’introduire
en son nom propre. Le Myanmar estime que cela peut être qualifié
d’abus de procédure de la part de l’Etat demandeur nominal, qui
recherche un moyen de contourner les limites de la compétence de la
Cour. Il soutient également que, même en faisant abstraction des principes
ayant trait à l’abus de procédure, l’irrecevabilité de la requête de la
Gambie résulte de considérations liées à l’opportunité judiciaire, à l’intégrité
de la Cour en tant qu’institution et au principe selon lequel la compétence
de celle‑ci repose sur le consentement des parties.
*
48. Selon la Gambie, l’argument du Myanmar relatif à la compétence
de la Cour tel que reformulé en exception d’irrecevabilité doit, lui aussi,
être rejeté. La Gambie observe que le Myanmar n’a cité aucune source
faisant autorité à l’appui de son argument, selon lequel la requête devrait
être jugée irrecevable si elle revenait à contourner une limitation de la
compétence de la Cour, estimant qu’une telle exception d’irrecevabilité ne
correspond aucunement aux motifs dont celle‑ci a reconnu qu’ils pouvaient
l’amener à refuser d’exercer sa compétence. La Gambie conteste
l’existence de quelque abus de procédure de sa part, arguant qu’elle n’a
pas engagé la présente instance dans une intention illégitime. Elle souligne
au contraire que les efforts qu’elle a déployés ont été favorablement
accueillis par la communauté internationale, et rappelle que le Secrétaire
général et l’Assemblée générale des Nations Unies se sont félicités de l’ordonnance
en indication de mesures conservatoires rendue par la Cour.
* *
49. La Cour a constaté ci-
dessus
que le demandeur en la présente instance
était la Gambie, Etat partie à son Statut et à la convention sur le
application of the genocide convention (judgment) 496
23
cases where the identity of the “real applicant” is at issue (see paragraph
35 above), the Court is of the view that these are distinct legal questions.
In the present case, the Court sees no reason why it should look
beyond the fact that The Gambia has instituted proceedings against
Myanmar in its own name. The Court is therefore satisfied that the Applicant
in this case is The Gambia.
46. In light of the above, the first preliminary objection raised by
Myanmar, in so far as it concerns the jurisdiction of the Court, must be
rejected.
B. Admissibility
47. In the alternative, Myanmar contends that, even if the Court were
to find that it has jurisdiction, The Gambia’s Application would in the
circumstances be inadmissible. In its view, an application would be inadmissible
if, in reality, the case is brought by the named applicant on behalf
of another State or entity that could not itself have brought the proceedings
as the applicant. For Myanmar, this may be characterized as an
abuse of process on the part of the nominal applicant State that seeks to
facilitate the circumvention of the limits of the Court’s jurisdiction.
Myanmar also maintains that, independently of any consideration of
principles of abuse of process, the inadmissibility of The Gambia’s Application
follows from considerations of judicial propriety, the integrity of
the Court as an institution and the principle that the jurisdiction of the
Court rests on the consent of the parties.
*
48. In The Gambia’s view, the reformulation of Myanmar’s argument
on jurisdiction as a challenge to admissibility must also fail. The Gambia
observes that Myanmar has cited no authority for its argument that
the Application should be found inadmissible if it amounts to a circumvention
of a limitation to the Court’s jurisdiction, and that such an objection
bears no resemblance to other recognized grounds for declining to
exercise jurisdiction. The Gambia denies the existence of any abuse of
process on its part, as it did not initiate these proceedings with an
improper intent. On the contrary, it points out that The Gambia’s efforts
have been well received by the international community, and refers to the
fact that the Court’s Order indicating provisional measures has been
welcomed
by the Secretary-General
and the General Assembly of the
United Nations.
* *
49. The Court has found above that the Applicant in these proceedings
is The Gambia, a State party to the Statute of the Court and a party to the
497 application de convention génocide (arrêt)
24
génocide, qui confère à la Cour compétence à l’égard des différends entre les
parties contractantes relatifs à son interprétation, son application ou son
exécution. Ainsi qu’elle a déjà eu l’occasion de le préciser, seules des circonstances
exceptionnelles peuvent justifier qu’elle rejette pour abus de procédure
une demande fondée sur une base de compétence valable (Certains
actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats‑Unis d’Amérique), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 42‑43, par. 113). La
Cour observe qu’il ne lui a été présenté aucun élément de preuve démontrant
que le comportement de la Gambie constitue un abus de procédure. Elle ne
se trouve pas non plus, en l’espèce, en présence d’autres motifs d’irrecevabilité
qui lui imposeraient de décliner l’exercice de sa compétence. En conséquence,
la première exception préliminaire du Myanmar, dans la mesure où
elle a trait à la recevabilité de la requête de la Gambie, doit être rejetée.
*
50. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que la première exception
préliminaire du Myanmar doit être rejetée.
III. Existence d’un différend entre les Parties
(quatrième exception préliminaire)
51. Par sa quatrième exception préliminaire, le Myanmar fait valoir
que la Cour n’a pas compétence ou, à titre subsidiaire, que la requête est
irrecevable, au motif qu’il n’existait aucun différend entre les Parties à la
date du dépôt de la requête introductive d’instance.
52. Le Myanmar énonce deux conditions auxquelles, selon lui, il doit
être satisfait afin d’établir l’existence d’un différend au sens de l’article IX
de la convention sur le génocide. Premièrement, il soutient que la réclamation
du demandeur doit être formulée avec un minimum de précision
de sorte que le défendeur ait connaissance des faits dont il est allégué
qu’ils constituent une violation du droit international, ainsi que des dispositions
ou règles de droit international qui auraient été violées. Il doit
s’agir d’une réclamation juridique et non pas simplement d’une déclaration
politique. Deuxièmement, le Myanmar fait valoir que l’existence
d’un différend au moment du dépôt de la requête exige la « connaissance
mutuelle », par les parties, de leurs points de vue opposés. Selon lui, il faut
que le demandeur ait formulé une réclamation juridique dont le défendeur
a eu connaissance ou ne pouvait pas ne pas avoir connaissance, et
que cette réclamation se soit heurtée à l’opposition manifeste de ce dernier
d’une manière dont le demandeur a eu connaissance ou ne pouvait
pas ne pas avoir connaissance. Le Myanmar indique toutefois que, dans
certains cas, le silence du défendeur, alors qu’un délai raisonnable s’est
écoulé, peut renseigner le demandeur sur la position de celui-
ci.
53. Selon le Myanmar, l’examen des faits sur lesquels se fonde la Gambie
ne permet pas d’établir qu’il existait entre les Parties un différend rela-
application of the genocide convention (judgment) 497
24
Genocide Convention, which confers on the Court jurisdiction over disputes
between the Contracting Parties relating to the interpretation, application
or fulfilment of the Convention. As the Court has held previously,
it is only in exceptional circumstances that the Court should reject a claim
based on a valid title of jurisdiction on the ground of abuse of process
(Certain Iranian Assets (Islamic Republic of Iran v. United States of America),
Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2019 (I), pp. 42-43,
para. 113). The Court observes that no evidence has been presented to it
showing that the conduct of The Gambia amounts to an abuse of process.
Nor is the Court confronted in the present case with other grounds of
inadmissibility which would require it to decline the exercise of its jurisdiction.
Thus, the first preliminary objection of Myanmar, in so far as it concerns
the admissibility of The Gambia’s Application, must be rejected.
*
50. In light of the foregoing, the Court concludes that the first preliminary
objection of Myanmar must be rejected.
III. Existence of a Dispute between the Parties
(Fourth Preliminary Objection)
51. In its fourth preliminary objection, Myanmar argues that the Court
lacks jurisdiction, or alternatively that the Application is inadmissible,
because there was no dispute between the Parties on the date of filing of
the Application instituting proceedings.
52. Myanmar identifies two requirements which, in its view, must be
met in order to establish the existence of a dispute within the meaning of
Article IX of the Genocide Convention. First, Myanmar argues that the
claim made by the applicant State must be articulated with a minimum
degree of particularity so that the respondent State is made aware of the
facts allegedly constituting a breach of international law, including the
provisions or norms of international law said to have been violated. The
claim must be a legal one and not merely a political statement. Secondly,
it contends that the existence of a dispute at the time of the filing of the
application requires “mutual awareness” of the opposing views of the
parties. For Myanmar, the applicant must have made a legal claim which
the respondent was aware of or could not have been unaware of, and the
respondent must have positively opposed that legal claim in a manner
which the applicant was aware of or could not have been unaware of.
However, Myanmar states that, in certain cases, the applicant may be
aware of the respondent’s position from its silence, after a reasonable
time to respond has passed.
53. In Myanmar’s view, an examination of the facts relied upon by
The Gambia does not establish the existence of a dispute between the
498 application de convention génocide (arrêt)
25
tif à la convention sur le génocide au moment du dépôt de la requête le
11 novembre 2019. Le Myanmar considère en particulier que ni les résolutions
antérieurement adoptées par l’OCI ni le communiqué final de la
quatorzième conférence islamique au sommet publié le 31 mai 2019 ne
sauraient attester l’existence d’un différend entre les Parties relatif à la
convention, étant donné que ces documents n’émanaient pas des organes
officiels de la Gambie et n’étaient pas adressés au Myanmar, et que
celui‑ci ne pouvait donc avoir connaissance, sur cette base, de quelque
réclamation précise formulée contre lui mettant en cause sa responsabilité
en tant qu’Etat à raison d’une violation de cet instrument. Le Myanmar
fait valoir que ces documents ont trait à la responsabilité pénale individuelle
et non à la responsabilité de l’Etat à raison d’actes de génocide, et
sont formulés comme des déclarations politiques et non comme des réclamations
juridiques revêtant un degré de précision suffisant pour révéler
l’existence d’un différend au sens de l’article IX de la convention.
54. En ce qui concerne les rapports de la mission internationale indépendante
d’établissement des faits des Nations Unies sur le Myanmar
(ci‑après la « mission d’établissement des faits » ou la « mission ») publiés
en 2018 et 2019, ce dernier considère qu’ils ne peuvent pas non plus
constituer des éléments de preuve d’un différend entre les Parties relatif à
la convention sur le génocide, étant donné qu’ils expriment les vues personnelles
des trois membres de la mission telles que présentées au Conseil
des droits de l’homme et non le point de vue juridique de la Gambie sur
la responsabilité du Myanmar au regard de cet instrument. Le Myanmar
souligne en outre que le rapport de la mission d’établissement des faits de
2018 n’indiquait pas que sa responsabilité en tant qu’Etat au regard du
droit international était engagée à raison d’actes de génocide, tandis que
le rapport de 2019 et ses « constatations détaillées » (voir le paragraphe 66
ci-
dessous)
étaient trop généraux pour satisfaire à la condition qu’une
réclamation juridique ait été formulée par la Gambie.
55. Le Myanmar conteste également la pertinence des déclarations
faites par les Parties elles‑mêmes avant le dépôt de la requête. Selon lui,
rien dans la déclaration prononcée le 25 septembre 2018 devant l’Assemblée
générale des Nations Unies par le président de la Gambie ne laissait
entendre que l’OCI ou la Gambie envisageaient de porter des accusations
contre le Myanmar pour violation des obligations mises à sa charge par
la convention sur le génocide. De plus, le Myanmar souligne que la déclaration
faite le 26 septembre 2019 devant l’Assemblée générale des
Nations Unies par la vice‑présidente de la Gambie ne lui était pas directement
adressée, ne faisait nulle mention d’un génocide ou de la convention
sur le génocide, et n’était pas suffisamment précise. Pour les mêmes
raisons, il estime que la déclaration faite le 29 septembre 2019 devant
l’Assemblée générale des Nations Unies par le ministre auprès du bureau
du conseiller d’Etat de l’Union du Myanmar ne peut être considérée
comme établissant une opposition manifeste de vues entre les deux Parties
sur une question juridique liée au génocide, et encore moins à la convention
sur le génocide.
application of the genocide convention (judgment) 498
25
Parties under the Genocide Convention at the time of the filing of the
Application on 11 November 2019. In particular, Myanmar considers
that neither the resolutions previously adopted by the OIC, nor the Final
Communiqué of the 14th Islamic Summit Conference issued on 31 May
2019 may serve as evidence of the existence of a dispute between the Parties
under the Genocide Convention, as they did not emanate from the
official organs of The Gambia, they were not addressed to Myanmar, and
Myanmar could not have been aware, on the basis of these documents, of
any particularized claims being made against it that it bears State responsibility
for a breach of the Genocide Convention. Myanmar contends that
these documents relate to the criminal accountability of individuals rather
than State responsibility for acts of genocide and are formulated as political
statements rather than legal claims with sufficient particularity to disclose
the existence of a dispute within the meaning of Article IX of the
Convention.
54. With respect to the reports of the United Nations Independent
International Fact-Finding
Mission on Myanmar (hereinafter the “Fact-Finding
Mission”) issued in 2018 and 2019, Myanmar considers that they
too cannot serve as evidence of a dispute between the Parties under the
Genocide Convention, as they express the personal views of the three
individual members addressed to the Human Rights Council rather than
the legal views of The Gambia on Myanmar’s responsibility under the
Convention. Myanmar also points out that the 2018 report of the Fact-Finding
Mission did not suggest that Myanmar bears State responsibility
under international law for acts of genocide, while the 2019 report and its
“Detailed Findings” (see paragraph 66 below) were too general to satisfy
the requirement for a legal claim to have been made by The Gambia.
55. Myanmar also discounts the relevance of the statements made by
the Parties themselves prior to the filing of the Application. In Myanmar’s
view, the statement of the President of The Gambia before the
United Nations General Assembly on 25 September 2018 contains nothing
to suggest that the OIC or The Gambia were contemplating to make
a claim that Myanmar was in breach of its obligations under the Genocide
Convention. Myanmar also contends that the statement of the Vice-President
of The Gambia before the United Nations General Assembly
on 26 September 2019 was not directly addressed to Myanmar, made no
reference to genocide or the Genocide Convention, and was not sufficiently
specific. For the same reasons, Myanmar considers that the statement
of the Union Minister for the Office of the State Counsellor of
Myanmar before the United Nations General Assembly on 29 September
2019 cannot be considered as establishing a positive opposition of views
between the two Parties on a legal issue related to genocide, let alone the
Genocide Convention.
499 application de convention génocide (arrêt)
26
56. Le défendeur fait en outre valoir que, au vu de l’ensemble des circonstances
de l’espèce, la note verbale que la Gambie lui a adressée
le 11 octobre 2019 ne saurait être interprétée comme ayant formulé contre
lui une réclamation juridique. Il soutient que, de par son libellé, ce document
s’apparente à une déclaration politique, et non à une réclamation juridique
fondée sur des faits et des moyens juridiques spécifiques. Selon lui, la
note verbale n’exposait pas les vues de la Gambie avec un degré de précision
suffisant pour permettre de conclure que le Myanmar « ne pouvait pas
ne pas avoir connaissance » qu’une réclamation juridique était formulée
contre lui sur la base de faits et d’éléments de preuve particuliers en vertu
de la convention, et n’énonçait aucune réclamation juridique sur laquelle il
aurait réellement pu prendre position. Dans ces conditions, l’existence d’un
différend entre les Parties ne saurait être déduite de l’absence de réaction du
Myanmar. Enfin, le Myanmar affirme que, même si une réponse s’imposait,
il avait droit à un délai raisonnable pour réagir en connaissance de cause à
ladite note verbale, et que le délai d’un mois dont il a disposé n’était pas
suffisant pour permettre de déduire qu’il s’opposait manifestement aux
demandes générales et peu précises qui y étaient formulées.
*
57. La Gambie prie la Cour de rejeter la quatrième exception préliminaire
du Myanmar au motif qu’elle est dépourvue de fondement en droit
et en fait. En ce qui concerne le critère juridique applicable, elle soutient
que la tentative du Myanmar de fixer un seuil plus élevé que celui qui est
requis pour établir l’existence d’un différend n’est pas étayée par la jurisprudence
de la Cour et, partant, devrait être rejetée. Selon elle, le fait que
le défendeur avait connaissance du point de vue opposé du demandeur
suffit à établir un différend ; il n’est pas nécessaire de démontrer que le
second avait connaissance de ce que le premier s’opposait spécifiquement
à ses réclamations. La Gambie estime que le critère que préconise le Myanmar
créerait un droit de veto à sens unique, par l’effet duquel l’absence de
réaction du défendeur à une réclamation juridique formulée contre lui
pourrait faire obstacle à la constatation de l’existence d’un différend. Elle
considère en outre que les critères de spécificité très exigeants avancés par
le Myanmar, s’agissant de la formulation d’une réclamation, feraient peser
sur le demandeur une charge nouvelle et importante, et restreindraient
grandement l’accès à la Cour en obligeant les Etats à développer intégralement
leurs arguments juridiques et factuels avant de la saisir. En tout état
de cause, la Gambie est d’avis que, même à l’aune des critères proposés
par le Myanmar, l’existence d’un différend entre les Parties avant le dépôt
de la requête serait établie sur la base des éléments de preuve pertinents.
58. Du point de vue factuel, la Gambie soutient qu’il ressort clairement
des éléments de preuve que, avant le dépôt de la requête, il existait entre les
Parties un différend non réglé ayant trait au respect par le Myanmar des
obligations que lui impose la convention sur le génocide. Selon elle, le défendeur
avait connaissance du fait que les Parties avaient des points de vue
application of the genocide convention (judgment) 499
26
56. The Respondent further contends that the Note Verbale sent by
The Gambia to Myanmar on 11 October 2019 cannot, in the circumstances
as a whole, be understood as advancing a legal claim against it.
Myanmar argues that the wording of the Note Verbale reads as a political
statement rather than a legal claim based on specific facts and legal
grounds. According to Myanmar, the Note Verbale did not set out
The Gambia’s views with a sufficient degree of particularity to conclude
that Myanmar “could not have been unaware” that a legal claim was
being made against it on the basis of specific facts and evidence under the
Convention, nor did the Note Verbale advance a legal claim that Myanmar
could meaningfully take a position on. In these circumstances, a dispute
between the Parties cannot be inferred from the lack of reaction by
Myanmar. Finally, Myanmar asserts that, even if a response was called
for, it was entitled to an appropriate period of time to give a considered
reaction to that Note Verbale, and that a one-month period was not sufficient
to warrant the inference of Myanmar’s positive opposition to the
broad and unparticularized claims in the Note Verbale.
*
57. The Gambia requests the Court to reject Myanmar’s fourth preliminary
objection as it has no merit either in law or in fact. With respect
to the applicable legal standard, The Gambia contends that Myanmar’s
attempt to set a higher bar than is required for establishing the existence
of a dispute does not find support in the jurisprudence of the Court and
should therefore be rejected. In its view, the respondent’s awareness of
the applicant’s opposed views is sufficient to establish a dispute ; it is not
necessary to show the applicant’s awareness of the respondent’s specific
opposition to its claims. Myanmar’s proposed standard would, according
to The Gambia, create a one-way veto in which a respondent’s silence in
the face of a legal claim could prevent the finding of a dispute. Furthermore,
the Applicant considers that the very exacting standards of specificity
in the assertion of a claim suggested by Myanmar would impose a
major new burden on potential applicants and significantly restrict access
to the Court by requiring States fully to develop their legal and factual
claims prior to seising the Court. The Gambia considers in any event
that, even under the standards proposed by Myanmar, the existence of a
dispute between the Parties prior to the filing of the Application would be
established on the basis of the relevant evidence.
58. With respect to the facts, The Gambia maintains that the evidence
makes clear that, prior to the filing of the Application, there was an unresolved
dispute between the Parties relating to Myanmar’s fulfilment of its
obligations under the Genocide Convention. It considers that Myanmar
was aware of the fact that the Parties held opposite views regarding
500 application de convention génocide (arrêt)
27
opposés quant à l’exécution de ses obligations au regard de la convention
sur le génocide et que son refus de reconnaître ses actes de génocide contre
le groupe des Rohingya se heurtait à l’opposition manifeste de la Gambie.
59. La Gambie estime que ses vues concernant la responsabilité qu’elle
imputait au Myanmar à raison des actes de génocide commis contre les
Rohingya étaient connues de ce dernier dès le 6 mai 2018, date à laquelle
elle s’est employée, lors d’une réunion ministérielle de l’OCI, à faire adopter
la déclaration de Dhaka, dans laquelle les Etats membres de l’organisation
ont exprimé leur profonde préoccupation face aux « actes brutaux
systématiquement perpétrés par les forces de sécurité contre la communauté
musulmane rohingya au Myanmar, qui [avaie]nt pris les proportions
d’un véritable nettoyage ethnique, ce qui représent[ait] une violation
grave et flagrante du droit international ». Le fait que le défendeur ait eu
connaissance de cette déclaration est attesté par la communication publiée
par son ministère des affaires étrangères trois jours plus tard, dans laquelle
le Myanmar a catégoriquement contesté la présentation qui avait été faite
des événements survenus dans l’Etat rakhine et nié être responsable de
quelque manquement à des obligations internationales applicables. La
Gambie invoque également le rejet par un porte‑parole du Gouvernement
du Myanmar de différentes résolutions adoptées par les Etats membres de
l’OCI, qui démontre que le défendeur avait connaissance des vues de ces
derniers, et notamment de celles de la Gambie en sa qualité de présidente
du comité ad hoc chargé de ces questions.
60. La Gambie invoque en outre les déclarations faites par des représentants
des deux Parties devant l’Assemblée générale des Nations Unies en tant
qu’éléments de preuve supplémentaires de l’existence d’un différend. Elle
relève que, dans le rapport de la mission d’établissement des faits en date du
12 septembre 2018, il est indiqué que les crimes commis dans l’Etat rakhine
étaient de nature, de gravité et d’ampleur semblables à celles de crimes qui
avaient permis d’établir l’intention génocidaire dans d’autres contextes. Le
25 septembre 2018, le président de la Gambie, M. Adama Barrow, a déclaré
devant l’Assemblée générale des Nations Unies que son gouvernement avait
pris l’initiative « de plaider … pour la mise en place d’un mécanisme de responsabilisation
qui garantirait que les auteurs des terribles crimes commis
contre les musulmans rohingya soient tenus de rendre des comptes ». Trois
jours plus tard, M. Kyaw Tint Swe, ministre auprès du bureau du conseiller
d’Etat de l’Union du Myanmar, a prononcé un discours devant cette même
instance dans lequel il rejetait les conclusions de la mission au motif qu’« elles
s’appu[ya]ient sur des [récits] et non sur des preuves tangibles ». Selon la
Gambie, ces déclarations faites devant l’Assemblée générale des Nations
Unies en 2018 indiquent que les Parties avaient des points de vue nettement
opposés quant à la question de savoir si des crimes internationaux avaient
été commis contre les Rohingya et à la nécessité de mesures internationales
en vue de contraindre leurs auteurs à en répondre.
61. La Gambie se réfère également au rapport publié par la mission
d’établissement des faits en 2019, dans lequel celle-
ci indiquait que « la responsabilité
de l’Etat [du Myanmar était] engagée au regard de l’interdic-
application of the genocide convention (judgment) 500
27
Myanmar’s compliance with its obligations under the Genocide Convention
and that The Gambia positively opposed Myanmar’s denials of its
acts of genocide against the Rohingya group in Myanmar.
59. According to The Gambia, Myanmar was aware of the Applicant’s
views on its responsibility for acts of genocide against the Rohingya as of
6 May 2018, when The Gambia led an effort at an OIC ministerial meeting
to issue the Dhaka Declaration, in which the OIC Member States
expressed their serious concerns over the “systematic brutal acts perpetrated
by security forces against the Rohingya Muslim Community in
Myanmar that ha[ve] reached the level of ethnic cleansing, which
constitute[s] a serious and blatant violation of international law”. Myanmar’s
awareness of this Declaration is demonstrated by the statement of
its Ministry of Foreign Affairs three days later, in which Myanmar categorically
rejected the description of the events in the Rakhine State and
disclaimed any responsibility for violating applicable international obligations.
The Gambia also points to the rejection by a spokesperson of the
Myanmar Government of various resolutions adopted by OIC Member
States, which demonstrates Myanmar’s awareness of the views of
OIC Members, including The Gambia as the chair of the Ad Hoc Committee
responsible for these issues.
60. The Gambia also relies on the statements made by representatives
of both Parties before the United Nations General Assembly as further
evidence of the existence of a dispute. The Gambia notes that the report
of the Fact-Finding
Mission dated 12 September 2018 stated that the
crimes in Rakhine State were similar in nature, gravity and scope to those
that have allowed genocidal intent to be established in other contexts. On
25 September 2018, the President of The Gambia, Mr. Adama Barrow,
declared before the United Nations General Assembly that his Government
had undertaken “to champion an accountability mechanism that
would ensure that perpetrators of the terrible crimes against the Rohingya
Muslims are brought to book”. Three days later, Myanmar’s Union Minister
for the Office of the State Counsellor, Mr. Kyaw Tint Swe, delivered
a speech to the United Nations General Assembly, in which he dismissed
the findings of the Fact-Finding
Mission as “based on narratives and not
on hard evidence”. According to The Gambia, these statements at the
United Nations General Assembly in 2018 indicate that the Parties held
clearly opposed views regarding the question whether international crimes
had been committed against the Rohingya and the need for international
accountability measures.
61. The Gambia also refers to the report issued by the Fact-Finding
Mission in 2019, which stated that “Myanmar incurs State responsibility
under the prohibition against genocide” and welcomed the efforts of
501 application de convention génocide (arrêt)
28
tion d[u] crime[] de génocide » et se félicitait des efforts déployés par la
Gambie et l’OCI « pour encourager et engager une procédure contre le
Myanmar devant la Cour internationale de Justice au titre de la convention
sur le génocide ». A la suite de la publication de ce rapport, la vice‑présidente
de la Gambie, Mme Isatou Touray, a annoncé devant l’Assemblée
générale des Nations Unies, le 26 septembre 2019, que son gouvernement
avait l’intention de « jouer un rôle de chef de file dans le cadre d’efforts
concertés visant à porter la question des Rohingya devant la Cour internationale
de Justice ». Deux jours plus tard, le ministre auprès du bureau du
conseiller d’Etat de l’Union du Myanmar, M. Kyaw Tint Swe, a rejeté le
rapport de la mission d’établissement des faits au motif qu’il était « biaisé[]
et lacunaire[], basé[] non sur des faits mais sur des [récits] », et déclaré que
son gouvernement « rejet[ait] … le nouveau Mécanisme d’enquête indépendant
pour le Myanmar, qui a[vait] été créé pour amener [ce dernier] devant
des juridictions telles que la Cour pénale internationale [et] suscit[ait] une
forte objection de [sa] part ». Au vu de ces échanges, la Gambie estime que
le Myanmar ne pouvait pas ne pas avoir connaissance de ce qu’elle avait
des vues manifestement opposées aux siennes s’agissant de sa responsabilité
juridique au regard de la convention sur le génocide.
62. Outre ces échanges dans des enceintes multilatérales, la Gambie
invoque une note verbale qu’elle a adressée au Myanmar le 11 octobre
2019. Dans ce document, elle se référait aux conclusions auxquelles la mission
d’établissement des faits était parvenue en 2019 « en ce qui concerne le
génocide qui continu[ait] d’être commis contre le peuple rohingya », rejetait
la position du Myanmar consistant à nier sa responsabilité et à refuser de
s’acquitter des obligations lui incombant au regard de la convention, et
exhortait celui-
ci à prendre toutes les mesures nécessaires pour respecter cet
instrument. Selon la Gambie, ladite note verbale établit que les Parties
avaient des vues nettement opposées quant au respect par le Myanmar de
ses obligations au titre de la convention. Le demandeur souligne que ce
dernier n’a pas répondu à la note verbale dans le mois qui a suivi, « alors
même que la gravité de celle-
ci et l’insistance avec laquelle la Gambie l’exhortait
à mettre un terme à ses actes de génocide appelaient clairement une
réaction de sa part ». La Gambie rejette également l’argument du Myanmar
selon lequel il avait droit à un délai approprié pour réagir à cette note en
connaissance de cause, soulignant qu’il avait déjà reçu les différents rapports
de la mission d’établissement des faits et avait assez précisément
connaissance de leur teneur. Enfin, elle estime que le silence du Myanmar
ne saurait être interprété comme signifiant que celui‑ci ignorait que ses vues
concernant sa responsabilité au regard de la convention se heurtaient à
l’opposition manifeste de la Gambie, relevant que, cinq jours après le dépôt
de la requête, un porte‑parole du Gouvernement du Myanmar a publiquement
admis que son gouvernement prévoyait, depuis plus d’un mois, que le
Myanmar pourrait faire l’objet de poursuites devant la Cour, élément factuel
que le défendeur n’a jamais traité au cours de la présente procédure.
* *
application of the genocide convention (judgment) 501
28
The Gambia and the OIC “to encourage and pursue a case against Myanmar
before the International Court of Justice (ICJ) under the Genocide
Convention”. Following the publication of this report, the Vice-President
of The Gambia, Ms Isatou Touray, announced before the United Nations
General Assembly on 26 September 2019 that it was her Government’s
intention to “lead concerted efforts to take the Rohingya issue to the
International Court of Justice”. Two days later, Myanmar’s Union Minister
for the Office of the State Counsellor, Mr. Kyaw Tint Swe, dismissed
the Fact-Finding
Mission’s report as “biased and flawed, based not on
facts but on narratives” and stated that his Government “reject[ed] the
establishment of the new Independent Investigative Mechanism for
Myanmar, which was set up to bring Myanmar before such tribunals as
the International Criminal Court, to which [his Government] strongly
object[ed]”. In view of these exchanges, The Gambia considers that
Myanmar could not possibly have been unaware that The Gambia held
views positively opposed to its own regarding the legal responsibility of
Myanmar under the Genocide Convention.
62. In addition to these exchanges in multilateral settings, The Gambia
refers to a Note Verbale that it sent to Myanmar on 11 October 2019. In
that Note Verbale, The Gambia referred to the findings of the Fact-Finding
Mission of 2019 “regarding the ongoing genocide against the
Rohingya people”, rejected Myanmar’s denial of its responsibility and its
refusal to fulfil its obligations under the Convention, and asked Myanmar
to take all necessary actions to comply with the Convention. According
to The Gambia, the Note Verbale establishes that the Parties held clearly
opposite views regarding Myanmar’s fulfilment of its obligations under
the Convention. The Applicant underscores that Myanmar did not
respond to the Note Verbale in the month that followed “even though the
gravity of the communication and The Gambia’s insistence on Myanmar
desisting from acts of genocide clearly called for a response”. The Gambia
also rejects Myanmar’s argument that the latter was entitled to an
appropriate period of time to give a considered reaction, pointing out
that Myanmar had already received the various reports from the Fact-Finding
Mission and was sufficiently aware of their contents. Finally,
The Gambia points out that Myanmar’s silence cannot be interpreted to
mean that it was unaware that The Gambia positively opposed its views
on Myanmar’s responsibility under the Convention, noting that five days
after the filing of the Application a spokesperson for the Government of
Myanmar publicly admitted that his Government had expected for over a
month that it could face litigation before the Court, a factual element that
has not been addressed by Myanmar anywhere in these proceedings.
* *
502 application de convention génocide (arrêt)
29
63. L’existence d’un différend entre les parties est une condition pour
que la Cour ait compétence en vertu de l’article IX de la convention sur
le génocide. Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, un
différend est « un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction,
une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts » entre les parties
(Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I.
série A no 2, p. 11). Pour qu’un différend existe, « [i]l faut démontrer que
la réclamation de l’une des parties se heurte à l’opposition manifeste de
l’autre » (Sud‑Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique
du Sud), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 328). Les
points de vue des deux parties quant à l’exécution ou à la non‑exécution
de certaines obligations internationales doivent être nettement opposés
(Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course
aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire (Iles Marshall c. Inde),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 270, par. 34 ;
Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer
des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 26, par. 50).
64. La détermination par la Cour de l’existence d’un différend est une
question de fond, et non de forme ou de procédure (Application de la
convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 84, par. 30). En principe, la date à laquelle
doit être appréciée l’existence d’un différend est celle du dépôt de la requête
(Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer
des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 27, par. 52). Toutefois, le comportement des
parties postérieur à la requête peut être pertinent à divers égards et, en
particulier, aux fins de confirmer l’existence d’un différend (Obligations
relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes
nucléaires et le désarmement nucléaire (Iles Marshall c. Inde), compétence
et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 272, par. 40). La Cour a
également précisé que, aux fins de trancher ce point, elle tient notamment
compte de l’ensemble des déclarations ou documents échangés entre les
parties (Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique
c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 443‑445, par. 50‑55),
ainsi que des échanges qui ont eu lieu dans des enceintes multilatérales
(Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 94‑95, par. 51 et 53).
Ce faisant, elle accorde une attention particulière « aux auteurs des déclarations
ou documents, aux personnes auxquelles ils étaient destinés ou qui
en ont effectivement eu connaissance et à leur contenu » (ibid., p. 100,
par. 63).
65. A cet égard, la Cour relève que quatre déclarations pertinentes
faites par des représentants des Parties devant l’Assemblée générale des
Nations Unies en septembre 2018 et septembre 2019 ont été versées au
application of the genocide convention (judgment) 502
29
63. The existence of a dispute between the parties is a requirement for
the Court’s jurisdiction under Article IX of the Genocide Convention.
According to the established case law of the Court, a dispute is “a disagreement
on a point of law or fact, a conflict of legal views or of interests”
between parties (Mavrommatis Palestine Concessions, Judgment
No. 2, 1924, P.C.I.J., Series A, No. 2, p. 11). In order for a dispute to
exist, “[i]t must be shown that the claim of one party is positively opposed
by the other” (South West Africa (Ethiopia v. South Africa ; Liberia v.
South Africa), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1962,
p. 328). The two sides must hold clearly opposite views concerning the
question of the performance or non-performance
of certain international
obligations (Obligations concerning Negotiations relating to Cessation of
the Nuclear Arms Race and to Nuclear Disarmament (Marshall Islands v.
India), Jurisdiction and Admissibility, Judgment, I.C.J. Reports 2016 (I),
p. 270, para. 34 ; Alleged Violations of Sovereign Rights and Maritime
Spaces in the Caribbean Sea (Nicaragua v. Colombia), Preliminary Objections,
Judgment, I.C.J. Reports 2016 (I), p. 26, para. 50).
64. The Court’s determination of the existence of a dispute is a matter
of substance and not a question of form or procedure (Application of the
International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination
(Georgia v. Russian Federation), Preliminary Objections, Judgment,
I.C.J. Reports 2011 (I), p. 84, para. 30). In principle, the date for
determining the existence of a dispute is the date on which the application
is submitted to the Court (Alleged Violations of Sovereign Rights and Maritime
Spaces in the Caribbean Sea (Nicaragua v. Colombia), Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2016 (I), p. 27, para. 52). However,
conduct of the parties subsequent to the application may be relevant for
various purposes, in particular to confirm the existence of a dispute (Obligations
concerning Negotiations relating to Cessation of the Nuclear Arms
Race and to Nuclear Disarmament (Marshall Islands v. India), Jurisdiction
and Admissibility, Judgment, I.C.J. Reports 2016 (I), p. 272, para. 40). The
Court has also previously held that, in making such a determination, it
takes into account in particular any statements or documents exchanged
between the parties (Questions relating to the Obligation to Prosecute or
Extradite (Belgium v. Senegal), Judgment, I.C.J. Reports 2012 (II),
pp. 443‑445, paras. 50-55), as well as any exchanges made in multilateral
settings (Application of the International Convention on the Elimination of
All Forms of Racial Discrimination (Georgia v. Russian
Federation), Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2011 (I), pp. 94‑95,
paras. 51 and 53). In so doing, it pays special attention to “the author of
the statement or document, their intended or actual addressee, and their
content” (ibid., p. 100, para. 63).
65. In this regard, the Court notes that in the present case there are
four relevant statements made by representatives of the Parties before the
United Nations General Assembly in September 2018 and September
503 application de convention génocide (arrêt)
30
dossier de la présente espèce. Ces déclarations ont été prononcées durant
les débats généraux de l’Assemblée de 2018 et 2019, qui se sont déroulés
dans les semaines suivant la publication de deux rapports par la mission
d’établissement des faits sur le Myanmar établie par le Conseil des droits
de l’homme des Nations Unies, les 12 septembre 2018 et 8 août 2019, respectivement.
La note verbale que la Gambie a adressée à la mission permanente
du Myanmar auprès de l’Organisation des Nations Unies le
11 octobre 2019 est également pertinente aux fins de l’établissement de
l’existence d’un différend.
66. Dans son premier rapport, en date du 12 septembre 2018, la mission
d’établissement des faits a indiqué que « [l]es infractions commises
dans l’Etat rakhine, et la manière dont elles l’[avaie]nt été, [étaie]nt de
nature, de gravité et d’ampleur semblables à celles [de crimes] qui [avaie]nt
permis d’établir l’intention génocidaire dans d’autres contextes »
(Nations Unies, Rapport de la mission internationale indépendante d’établissement
des faits sur le Myanmar, doc. A/HRC/39/64, 12 septembre
2018, par. 85). Sur cette base, elle a conclu qu’il existait des informations
suffisantes « pour justifier que des hauts responsables de la chaîne de commandement
de la Tatmadaw fassent l’objet d’enquêtes et de poursuites,
de façon qu’un tribunal compétent puisse déterminer leur responsabilité
dans le génocide, au regard de la situation dans l’Etat rakhine », et appelé
la communauté internationale, par l’intermédiaire de l’Organisation des
Nations Unies, à mettre en oeuvre tous les moyens pacifiques « pour aider
le Myanmar à s’acquitter de son devoir de protéger sa population contre
le génocide » (ibid., par. 87 et 104). La mission d’établissement des faits a
réitéré ces déclarations dans la version détaillée de ce même rapport,
publiée le 17 septembre 2018, dans laquelle elle a relevé que « les autorités
du Myanmar [avaie]nt démontré qu’elles n[’étaie]nt ni capables ni désireuses
d’engager efficacement » le processus « d’enquêtes et de poursuites
relatives aux crimes de droit international » et que, partant, « c’[étai]t la
communauté internationale qui d[eva]it donner l’élan à l’application du
principe de responsabilité » (United Nations, Report of the Detailed Findings
of the Independent International Fact‑Finding Mission on Myanmar,
UN doc. A/HRC/39/CRP.2, 17 septembre 2018, par. 1648). Un exemplaire
de ce rapport a été communiqué au Gouvernement du Myanmar
avant sa publication (ibid., par. 3).
67. Le 25 septembre 2018, dans son allocution devant l’Assemblée générale,
le président de la Gambie, M. Adama Barrow, a déclaré que, en tant
que présidente du prochain sommet de l’OCI, la Gambie « a[vait] pris l’initiative
de plaider, par l’intermédiaire d’une résolution, pour la mise en
place d’un mécanisme de responsabilisation qui garantirait que les auteurs
des terribles crimes commis contre les musulmans rohingya soient tenus de
rendre des comptes » (Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée
générale, doc. A/73/PV.7, 25 septembre 2018, p. 32). Dans un discours
prononcé trois jours plus tard, au cours de la même session de l’Assemblée
générale, le ministre auprès du bureau du conseiller d’Etat de l’Union
du Myanmar, M. Kyaw Tint Swe, a exprimé de vives préoccupations
application of the genocide convention (judgment) 503
30
2019. These statements were made during the 2018 and 2019 general
debates of the Assembly, which took place in the weeks following the
publication of two reports by the Fact-Finding
Mission on Myanmar
established by the Human Rights Council of the United Nations, on
12 September 2018 and on 8 August 2019, respectively. Also relevant to
the determination of the existence of a dispute is the Note Verbale that
The Gambia sent to the Permanent Mission of Myanmar to the
United Nations on 11 October 2019.
66. In its first report, dated 12 September 2018, the Fact-Finding
Mission
stated that “[t]he crimes in Rakhine State, and the manner in which
they were perpetrated, are similar in nature, gravity and scope to those
that have allowed genocidal intent to be established in other contexts”
(United Nations, Report of the Independent International Fact-Finding
Mission on Myanmar, UN doc. A/HRC/39/64, 12 September 2018,
para. 85). On that basis, the Fact-Finding
Mission concluded that there
was sufficient information “to warrant the investigation and prosecution
of senior officials in the Tatmadaw chain of command, so that a competent
court can determine their liability for genocide in relation to the situation
in Rakhine State” and called upon the international community,
through the United Nations, to use all peaceful means “to assist Myanmar
in meeting its responsibility to protect its people from genocide”
(ibid., paras. 87 and 104). The Fact-Finding
Mission reiterated these
statements in the “Detailed Findings” version of the same report published
on 17 September 2018, where it noted that “the Myanmar authorities
have demonstrated that they are unable and unwilling to meaningfully
engage” in the process of “investigating and prosecuting crimes under
international law” and that consequently “the impetus for accountability
must come from the international community” (United Nations, Report
of the Detailed Findings of the Independent International Fact-Finding
Mission
on Myanmar, UN doc. A/HRC/39/CRP.2, 17 September 2018,
para. 1648). A copy of the report was shared with the Government of
Myanmar prior to its release (ibid., para. 3).
67. On 25 September 2018, the President of The Gambia, Mr. Adama
Barrow, stated in his address to the General Assembly that, as the upcoming
chair of the next summit of the OIC, The Gambia “ha[d] undertaken,
through a resolution, to champion an accountability mechanism that
would ensure that perpetrators of the terrible crimes against the Rohingya
Muslims are brought to book” (United Nations, Official Records of the
General Assembly, UN doc. A/73/PV.7, 25 September 2018, p. 29). In a
speech delivered three days later in the same session of the General
Assembly, Myanmar’s Union Minister for the Office of the State Counsellor,
Mr. Kyaw Tint Swe, expressed Myanmar’s serious concerns over
the report of the Fact-Finding
Mission and rejected its findings as “based
504 application de convention génocide (arrêt)
31
concernant le rapport de la mission d’établissement des faits, dont il a
rejeté les conclusions comme « s’appu[yant] sur des [récits] et non sur des
preuves tangibles » (Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée
générale, doc. A/73/PV.13, 28 septembre 2018, p. 50).
68. Dans son second rapport, publié le 8 août 2019, la mission d’établissement
des faits a jugé qu’elle avait des motifs raisonnables de
conclure, notamment, que « la responsabilité de l’Etat [du Myanmar était]
engagée au regard de l’interdiction d[u] crime[] de génocide », et s’est
« félicit[ée] des efforts déployés par certains Etats, en particulier le
Bangladesh et la Gambie, et par l’Organisation de la coopération
islamique pour encourager et engager une procédure contre le Myanmar
devant la Cour internationale de Justice au titre de la Convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide »
(Nations Unies, Rapport de la mission internationale indépendante
d’établissement des faits sur le Myanmar, doc. A/HRC/42/50, 8 août
2019, par. 18‑19 et 107).
La mission a réitéré ses déclarations dans la version détaillée de ce même
rapport publiée le 16 septembre 2019, ajoutant que « le Myanmar ne s’acquitt[
ait] pas de son obligation de prévenir le génocide, d’enquêter sur les
actes de génocide et de prendre des mesures législatives effectives pour
ériger le génocide en infraction et le punir » (United Nations, Report of
the Independent
International Fact-Finding
Mission on Myanmar, UN
doc. A/HRC/42/CRP.5, 16 septembre 2019, par. 40, 58, 213 et 220). Un exemplaire
de ce rapport a également été fourni au Myanmar (ibid., par. 29).
69. A la suite de la publication du second rapport et des « constatations
détaillées » de la mission d’établissement des faits, la vice‑présidente
de la Gambie, Mme Isatou Touray, dans une allocution prononcée le
26 septembre 2019 devant l’Assemblée générale, a déclaré que, « [e]n tant
que communauté mondiale dotée d’une conscience, nous ne pouv[i]ons
pas continuer à fermer les yeux sur le sort des Rohingya », précisant que
son gouvernement avait l’intention de « jouer un rôle de chef de file dans
le cadre d’efforts concertés visant à porter la question des Rohingya
devant la Cour internationale de Justice au nom de l’Organisation de la
coopération islamique » (Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée
générale, doc. A/74/PV.8, 26 septembre 2019, p. 34). Deux jours
après ce discours de la Gambie, le ministre auprès du bureau du conseiller
d’Etat de l’Union du Myanmar, M. Kyaw Tint Swe, a déclaré devant
l’Assemblée générale que les rapports de la mission d’établissement des
faits, « sans exception, [étaie]nt biaisés et lacunaires » et que « [l]es derniers
rapports en date [étaie]nt encore pires » (Nations Unies, Documents officiels
de l’Assemblée générale, doc. A/74/PV.12, 28 septembre 2019,
p. 26‑27). Le défendeur a également « rejet[é] … le nouveau Mécanisme
d’enquête indépendant pour le Myanmar, qui a[vait] été créé pour amener
[ce dernier] devant des juridictions telles que la Cour pénale internationale
[et] suscit[ait] une forte objection de [la] part [du Gouvernement du
Myanmar] » (ibid., p. 27).
application of the genocide convention (judgment) 504
31
on narratives and not on hard evidence” (United Nations, Official
Records of the General Assembly, UN doc. A/73/PV.13, 28 September
2018, p. 45).
68. In its second report published on 8 August 2019, the Fact-Finding
Mission stated that it had reasonable grounds to conclude, inter alia, that
“Myanmar incurs State responsibility under the prohibition against genocide”
and
“welcome[d] the efforts of States, in particular Bangladesh and
The Gambia, and the Organization of Islamic Cooperation to encourage
and pursue a case against Myanmar before the International
Court of Justice under the Convention on the Prevention and
Punishment
of the Crime of Genocide” (United Nations, Report of
the Independent International Fact-Finding
Mission on Myanmar
(8 August 2019), UN doc. A/HRC/42/50, paras. 18-19 and 107).
The Fact-Finding
Mission repeated these statements in the “Detailed
Findings” version of the same report published on 16 September 2019 and
added that “Myanmar is failing in its obligation to prevent genocide, to
investigate genocide and to enact effective legislation criminalizing and
punishing genocide” (United Nations, Report of the Independent International
Fact-Finding
Mission on Myanmar, UN doc. A/HRC/42/CRP.5,
16 September 2019, paras. 40, 58, 213 and 220). A copy of this report was
also provided to Myanmar (ibid., para. 29).
69. Following the publication of the second report and the “Detailed
Findings” of the Fact-Finding Mission, the Vice-President
of The
Gambia,
Ms Isatou Touray, in an address to the General Assembly on
26 September
2019, stated that “[a]s a global community with a conscience,
we cannot
continue to ignore the plight of the Rohingya”, and
declared her Government’s intention to “lead concerted efforts to take the
Rohingya issue to the International Court of Justice on behalf of the
Organization of Islamic Cooperation” (United Nations, Official Records
of the General Assembly, UN doc. A/74/PV.8, 26 September 2019, p. 31).
Two days after the address by The Gambia, Myanmar’s Union Minister
for the Office of the State Counsellor, Mr. Kyaw Tint Swe, stated before
the General Assembly that the Fact-Finding
Mission’s reports “without
exception, have been biased and flawed” and that “[t]he latest reports are
even worse” (United Nations, Official Records of the General Assembly,
UN doc. A/74/PV.12, 28 September 2019, p. 24). Myanmar also “reject[ed]
the establishment of the new Independent Investigative Mechanism
for Myanmar, which was set up to bring Myanmar before such tribunals
as the International Criminal Court, to which [it] strongly object[ed]”
(ibid.).
505 application de convention génocide (arrêt)
32
70. Le Myanmar conteste l’existence d’un différend entre les Parties
pour deux raisons. En premier lieu, il affirme que les déclarations faites
devant l’Assemblée générale et la note verbale que lui a adressée la Gambie
le 11 octobre 2019 n’étaient pas suffisamment précises, au sens où la
Gambie n’a pas précisément articulé ses réclamations juridiques. En
second lieu, le Myanmar soutient que l’exigence de la « connaissance
mutuelle » n’est pas satisfaite parce qu’il n’a jamais rejeté aucune réclamation
particulière de la Gambie. La Cour examinera à présent ces deux
raisons invoquées par le Myanmar pour contester l’existence d’un différend
entre les Parties.
71. En ce qui concerne l’argument selon lequel l’existence d’un différend
exige ce que le Myanmar appelle la « connaissance mutuelle » par les
parties de leurs positions respectives manifestement opposées (voir le
paragraphe 52 ci-
dessus),
il n’est pas nécessaire, pour conclure que les
parties ont des points de vue nettement opposés concernant l’exécution
d’obligations juridiques, que le défendeur se soit expressément opposé
aux réclamations du demandeur. Si tel était le cas, cela permettrait au
défendeur de faire obstacle à la constatation de l’existence d’un différend
en restant silencieux face aux réclamations juridiques du demandeur. Une
telle conséquence serait inacceptable. C’est la raison pour laquelle la Cour
considère que, dans le cas où le défendeur s’est abstenu de répondre aux
réclamations du demandeur, il est possible d’inférer de ce silence, dans
certaines circonstances, qu’il rejette celles-
ci et que, par suite, un différend
existe à la date de la requête. En conséquence, la Cour estime que l’exigence
d’une « connaissance mutuelle » fondée sur deux positions explicitement
opposées, telle que mise en avant par le Myanmar, est dépourvue de
fondement juridique.
72. S’agissant de l’argument du Myanmar selon lequel les déclarations
faites par la Gambie devant l’Assemblée générale des Nations Unies
n’étaient pas suffisamment précises, la Cour relève que ces déclarations
ne faisaient pas expressément mention de la convention sur le génocide.
Elle n’estime cependant pas qu’une référence particulière à un traité
ou à ses dispositions soit requise à cet égard. Ainsi qu’elle l’a déjà
précisé,
« [s]’il n’est pas nécessaire qu’un Etat mentionne expressément, dans
ses échanges avec l’autre Etat, un traité particulier pour être ensuite
admis à invoquer ledit traité devant la Cour …, il doit néanmoins
s’être référé assez clairement à l’objet du traité pour que l’Etat contre
lequel il formule un grief puisse savoir qu’un différend existe ou
peut exister à cet égard » (Application de la convention internationale
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie
c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 85, par. 30).
Sur ce point, la Cour relève que les déclarations de la Gambie de septembre
2018 et septembre 2019 ont été formulées peu de temps après la
publication des rapports de la mission d’établissement des faits. Celui de
application of the genocide convention (judgment) 505
32
70. Myanmar contests the existence of a dispute between the Parties on
two grounds. First, Myanmar argues that the statements made in the
General Assembly and the Note Verbale sent by The Gambia on 11 October
2019 lacked sufficient particularity, in the sense that The Gambia did
not specifically articulate its legal claims. Secondly, Myanmar maintains
that the requirement of “mutual awareness” is not satisfied because it has
never rejected specific claims by The Gambia. The Court will now examine
these two grounds advanced by Myanmar to contest the existence of
a dispute between the Parties.
71. With regard to Myanmar’s argument that the existence of a dispute
requires what Myanmar refers to as “mutual awareness” by both parties
of their respective positively opposed positions (see paragraph 52 above),
the conclusion that the parties hold clearly opposite views concerning the
performance or non-performance
of legal obligations does not require
that the respondent must expressly oppose the claims of the applicant. If
that were the case, a respondent could prevent a finding that a dispute
exists by remaining silent in the face of an applicant’s legal claims. Such a
consequence would be unacceptable. It is for this reason that the Court
considers that, in case the respondent has failed to reply to the applicant’s
claims, it may be inferred from this silence, in certain circumstances, that
it rejects those claims and that, therefore, a dispute exists at the time of
the application. Consequently, the Court is of the view that the requirement
of “mutual awareness” based on two explicitly opposed positions,
as put forward by Myanmar, has no basis in law.
72. Turning to Myanmar’s argument that the statements made by
The Gambia before the United Nations General Assembly lacked sufficient
particularity, the Court notes that those statements did not specifically
mention the Genocide Convention. The Court, however, does not
consider that a specific reference to a treaty or to its provisions is required
in this regard. As the Court has affirmed in the past,
“[w]hile it is not necessary that a State must expressly refer to a specific
treaty in its exchanges with the other State to enable it later to
invoke that instrument before the Court . . . the exchanges must refer
to the subject-matter
of the treaty with sufficient clarity to enable the
State against which a claim is made to identify that there is, or may
be, a dispute with regard to that subject-matter”
(Application of the
International Convention on the Elimination of All Forms of Racial
Discrimination (Georgia v. Russian Federation), Preliminary Objections,
Judgment, I.C.J. Reports 2011 (I), p. 85, para. 30).
In this context, the Court notes that the statements of The Gambia in
September 2018 and in September 2019 were made shortly after the publication
of the Fact-Finding Mission’s reports. The 2018 report specifi-
506 application de convention génocide (arrêt)
33
2018 contenait des allégations spécifiques quant à la perpétration dans
l’Etat rakhine de crimes de nature, de gravité et d’ampleur semblables à
celles de crimes qui avaient permis d’établir l’intention génocidaire dans
d’autres contextes, tandis que celui de 2019 faisait expressément mention
de la responsabilité du Myanmar au regard de la convention sur le génocide.
Dans ses déclarations, la Gambie se référait indubitablement aux
conclusions énoncées dans ces documents, qui étaient les principaux
rapports
de l’Organisation des Nations Unies consacrés à la situation de
la population rohingya au Myanmar et avaient été mentionnés dans
divers rapports soumis à l’Assemblée générale. Dans le second rapport de
la mission d’établissement des faits, la Gambie était en particulier citée
comme l’un des Etats déployant des efforts en vue d’engager une procédure
contre le Myanmar devant la Cour sur le fondement de la convention.
Ce dernier ne pouvait pas ne pas en avoir connaissance. De même,
le fait que le Myanmar ait rejeté les conclusions desdits rapports démontre
que les allégations selon lesquelles un génocide était commis par ses forces
de sécurité contre les communautés rohingya au Myanmar ainsi que la
mise en cause de sa responsabilité au regard de la convention à raison
d’actes de génocide se heurtaient à son opposition manifeste. De telles
allégations étaient contenues dans les deux rapports et ont été publiquement
reprises par la Gambie.
73. La Cour considère que les déclarations faites par les Parties devant
l’Assemblée générale des Nations Unies en 2018 et 2019 indiquent que
celles-
ci avaient des points de vue opposés sur la question de savoir si le
traitement du groupe des Rohingya était conforme aux obligations du
Myanmar au regard de la convention sur le génocide. Celui‑ci ne pouvait
pas ne pas avoir connaissance de ce que la Gambie avait indiqué, à la
suite de la publication du rapport de la mission d’établissement des faits
de 2018, qu’elle plaiderait pour la mise en place d’un mécanisme de responsabilisation
concernant les crimes qui auraient été commis contre les
Rohingya. Plus important encore, l’annonce faite par la vice‑présidente
de la Gambie devant l’Assemblée générale pendant le débat général, en
septembre 2019, selon laquelle son gouvernement entendait mener des
efforts concertés visant à porter la question des Rohingya devant la Cour,
n’a pas pu échapper au Myanmar. La Gambie, et la Gambie seule, a
exprimé une telle intention devant l’Assemblée générale en 2019. Par les
déclarations qu’il a faites en 2018 et 2019 devant l’Assemblée générale, le
ministre auprès du bureau du conseiller d’Etat de l’Union du Myanmar a
présenté des vues de son gouvernement opposées à celles de la Gambie et
indiquant clairement un rejet des rapports et conclusions de la mission
d’établissement des faits.
74. De surcroît, la note verbale adressée par la Gambie à la mission
permanente du Myanmar auprès de l’Organisation des Nations Unies le
11 octobre 2019 mettait clairement l’accent sur la divergence de vues
manifeste entre les Parties, en exprimant spécifiquement et en des termes
juridiques la position de la Gambie concernant les violations alléguées,
par le Myanmar, de ses obligations au regard de la convention sur le
application of the genocide convention (judgment) 506
33
cally alleged the perpetration of crimes in Rakhine State that were similar
in nature, gravity and scope to those that have allowed genocidal intent
to be established in other contexts, while the 2019 report specifically
referred to Myanmar’s responsibility under the Genocide Convention.
The Gambia was undoubtedly referring in its statement to the findings of
these reports, which were the key United Nations reports on the situation
of the Rohingya population in Myanmar and which had been referred to
in various reports that were before the General Assembly. In particular,
the second report of the Fact-Finding Mission identified The Gambia as
one of those States making efforts to pursue a case against Myanmar
before the Court under the Convention. Myanmar could not have been
unaware of this fact. Similarly, Myanmar’s rejection of the findings of
these reports demonstrates that it was positively opposed to any allegations
of genocide being committed by its security forces against the
Rohingya communities in Myanmar, as well as to the allegations of its
responsibility under the Genocide Convention for carrying out acts of
genocide. Such allegations were contained in the two reports and publicly
taken up by The Gambia.
73. The Court considers that the statements made by the Parties before
the United Nations General Assembly in 2018 and 2019 indicate the
opposition of their views on the question whether the treatment of the
Rohingya group was consistent with Myanmar’s obligations under the
Genocide Convention. Myanmar could not have been unaware of the fact
that The Gambia had expressed the view that it would champion an
accountability mechanism for the alleged crimes against the Rohingya,
following the release of the Fact-Finding
Mission’s report of 2018. More
importantly, Myanmar could not have failed to know of the announcement
by the Vice-President
of The Gambia before the General Assembly
during the general debate in September 2019 that her Government
intended to lead concerted efforts to take the Rohingya issue to the Court.
It was The Gambia, and The Gambia alone, that had expressed such an
intention before the General Assembly in 2019. The statements made in
both 2018 and 2019 before the General Assembly by Myanmar’s Union
Minister for the Office of the State Counsellor express views of his Government
which are opposed to those of The Gambia’s and clearly reject
the reports and findings of the Fact-Finding
Mission.
74. Moreover, the Note Verbale sent by The Gambia to the Permanent
Mission of Myanmar to the United Nations on 11 October 2019 brought
clearly into focus the positive opposition of views between the Parties, by
expressing specifically and in legal terms The Gambia’s position concerning
Myanmar’s alleged violations of its obligations under the Genocide
Convention. In its Note Verbale, The Gambia referred to the findings of
507 application de convention génocide (arrêt)
34
génocide. Dans cette note, la Gambie se référait aux conclusions de la
mission d’établissement des faits, et notamment à celles concernant « le
génocide qui continu[ait] d’être commis contre le peuple rohingya de la
République de l’Union du Myanmar en violation des obligations qu’impose
à celle‑ci la convention sur la prévention et la répression du crime de
génocide », dont elle considérait qu’elles étaient « solidement étayées et
hautement crédibles ». De plus, la Gambie « contest[ait] formellement la
position du Myanmar consistant à nier sa responsabilité à l’égard du
génocide en cours contre sa population rohingya et à refuser de s’acquitter
des obligations lui incombant au regard de la convention », et exhortait
le défendeur à s’acquitter de ces obligations.
75. La Cour relève en outre que le Myanmar n’a jamais répondu à
cette note verbale. Ainsi qu’elle l’a déjà précisé, « le fait que la réclamation
de l’une des parties se heurte à l’opposition manifeste de l’autre ne
doi[t] pas nécessairement être énoncé[] expressis verbis … il est possible …
d’établir par inférence quelle est en réalité la position ou l’attitude d’une
partie » (Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria
(Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998,
p. 315, par. 89). En particulier, « l’existence d’un différend peut être
déduite de l’absence de réaction d’un Etat à une accusation dans des circonstances
où une telle réaction s’imposait » (Application de la convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 84, par. 30). La question de savoir si une telle
déduction peut être faite dépend des circonstances particulières de chaque
affaire.
76. La Cour rappelle que le Myanmar était informé, par les rapports
de la mission d’établissement des faits de 2018 et de 2019, des allégations
formulées contre lui au sujet de violations de la convention sur le génocide.
Ainsi que cela ressort des déclarations faites par les représentants
des deux Etats devant l’Assemblée générale des Nations Unies, il avait
également une indication de ce que ses vues sur ce point se heurtaient à
l’opposition de la Gambie. Ce n’est donc pas dans la note verbale que
lesdites allégations ont été portées pour la première fois à la connaissance
du Myanmar. Compte tenu de la nature et de la gravité des griefs qui y
étaient formulés, et étant donné que ce dernier en connaissait déjà
l’existence,
la Cour est d’avis que son rejet des allégations formulées
par la Gambie peut être aussi déduit du fait qu’il n’a pas répondu à la
note verbale dans la période d’un mois qui a précédé le dépôt de la
requête.
77. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu’il existait entre les
Parties, au moment du dépôt de la requête par la Gambie le
11 novembre 2019, un différend relatif à l’interprétation, l’application et
l’exécution de la convention sur le génocide. La quatrième exception préliminaire
du Myanmar doit par conséquent être rejetée.
application of the genocide convention (judgment) 507
34
the Fact-Finding
Mission, especially those regarding “the ongoing genocide
against the Rohingya people of the Republic of the Union of Myanmar
in violation of Myanmar’s obligations under the Convention on the
Prevention and Punishment of the Crime of Genocide”, which it considered
to be “well-supported
by the evidence and highly credible”. It also
“emphatically reject[ed] Myanmar’s denial of its responsibility for the
ongoing genocide against Myanmar’s Rohingya population, and its
refusal to fulfill its obligations under the Genocide Convention”, and it
asked Myanmar to comply with those obligations.
75. The Court further notes that Myanmar never responded to this
Note Verbale. As was previously held by the Court, “the positive opposition
of the claim of one party by the other need not necessarily be stated
expressis verbis . . . the position or the attitude of a party can be established
by inference, whatever the professed view of that party” (Land
and Maritime Boundary between Cameroon and Nigeria (Cameroon v.
Nigeria), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1998,
p. 315, para. 89). In particular, “the existence of a dispute may be inferred
from the failure of a State to respond to a claim in circumstances where a
response is called for” (Application of the International Convention on the
Elimination of All Forms of Racial Discrimination (Georgia v. Russian
Federation), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2011 (I),
p. 84, para. 30). The question whether such an inference may be drawn
depends on the particular circumstances of each case.
76. The Court recalls that Myanmar was informed, through the reports
of the Fact-Finding
Mission of 2018 and 2019, of the allegations made
against it concerning violations of the Genocide Convention. It also had
an indication of The Gambia’s opposition to its views on this matter, as
reflected in statements by the representatives of The Gambia and Myanmar
before the United Nations General Assembly. Thus, the Note Verbale
did not constitute the first time that these allegations were made
known to Myanmar. In light of the nature and gravity of the allegations
made in The Gambia’s Note Verbale and Myanmar’s prior knowledge of
their existence, the Court is of the view that Myanmar’s rejection of the
allegations made by The Gambia can also be inferred from its failure to
respond to the Note Verbale within the one-month period preceding the
filing of the Application.
77. In light of the foregoing, the Court concludes that a dispute relating
to the interpretation, application and fulfilment of the Genocide Convention
existed between the Parties at the time of the filing of the
Application by The Gambia on 11 November 2019. The fourth preliminary
objection of Myanmar must therefore be rejected.
508 application de convention génocide (arrêt)
35
IV. Réserve formulée par le Myanmar à l’article VIII
de la convention sur le génocide (troisième exception préliminaire)
78. Par sa troisième exception préliminaire, le Myanmar soutient que
la Cour n’a pas compétence, ou que la requête de la Gambie est irrecevable,
au motif que celle‑ci ne peut valablement saisir la Cour au titre de
la convention sur le génocide. Tel est, selon lui, l’effet de la réserve qu’il a
formulée à l’article VIII de cet instrument.
79. Le Myanmar fait valoir que la saisine de la Cour est régie par l’article
VIII de la convention sur le génocide, qui est ainsi libellé :
« Toute Partie contractante peut saisir les organes compétents de
l’Organisation des Nations Unies afin que ceux-
ci prennent, conformément
à la Charte des Nations Unies, les mesures qu’ils jugent
appropriées pour la prévention et la répression des actes de génocide
ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III. »
Ainsi qu’il est rappelé ci-
dessus,
le Myanmar, à l’époque l’Union birmane,
a déposé son instrument de ratification de la convention le 14 mars 1956
(voir le paragraphe 31). Cet instrument contenait la réserve suivante : « En
ce qui concerne l’article VIII, l’Union birmane formule la réserve suivante
: les dispositions dudit article ne seront pas applicables à l’Union. »
(Nations Unies, Recueil des traités, vol. 230, p. 435.)
80. Le Myanmar soutient que la mention, à l’article VIII, des « organes
compétents de l’Organisation des Nations Unies » inclut la Cour. Il
affirme que cette interprétation est étayée par le libellé même dudit article,
qui ne limite nullement le champ d’application de ce dernier à des organes
particuliers de l’ONU. Le Myanmar avance également que les termes
employés dans les versions française et espagnole — qui font également
foi — de l’article VIII pour décrire la faculté conférée à une partie
contractante (soit, respectivement, « saisir » et « recurrir ») sont généralement
utilisés dans le contexte de l’introduction d’instances devant la
Cour, ce qui confirme que celle‑ci figure bien parmi les organes visés dans
ladite disposition.
81. Le Myanmar allègue que l’article VIII serait vidé de son sens s’il ne
s’appliquait qu’aux organes politiques de l’ONU, car la Charte des
Nations Unies permet déjà aux Etats Membres de demander à l’Assemblée
générale ou au Conseil de sécurité de prendre des mesures appropriées
en cas de génocide. Selon lui, dès lors que la Charte régit la saisine
des organes politiques de l’ONU, l’article VIII a nécessairement un objet
différent. Le Myanmar en déduit que cette disposition a vocation à régir
la saisine de la Cour, l’article IX ne portant quant à lui que sur la compétence
de celle‑ci.
82. Le Myanmar considère que, étant donné que l’article VIII régit la
saisine de la Cour, la réserve qu’il y a formulée exclut que cette dernière
ait pu être valablement saisie par la Gambie en la présente espèce. S’il n’a
pas émis de réserve à l’article IX, il avance cependant que celle qu’il a
formulée à l’article VIII doit être interprétée comme empêchant les « Etats
application of the genocide convention (judgment) 508
35
IV. Myanmar’s Reservation to Article VIII of the Genocide
Convention (Third Preliminary Objection)
78. In its third preliminary objection, Myanmar submits that the Court
lacks jurisdiction, or that The Gambia’s Application is inadmissible,
because The Gambia cannot validly seise the Court under the Genocide
Convention. In Myanmar’s view, this is the effect of its reservation to
Article VIII of the Genocide Convention.
79. Myanmar argues that the seisin of the Court is governed by Article
VIII of the Genocide Convention, which provides :
“Any Contracting Party may call upon the competent organs of the
United Nations to take such action under the Charter of the
United Nations as they consider appropriate for the prevention and
suppression of acts of genocide or any of the other acts enumerated
in article III.”
As recalled above, Myanmar, then the Union of Burma, deposited its
instrument of ratification of the Convention on 14 March 1956 (see paragraph
31). That instrument of ratification contained the following reservation:
“With reference to Article VIII, the Union of Burma makes the
reservation that the said Article shall not apply to the Union.”
(United Nations, Treaty Series, Vol. 230, p. 435.)
80. Myanmar submits that the reference in Article VIII to the “competent
organs of the United Nations” includes the Court. It claims that this
interpretation is supported by the plain wording of Article VIII, which
does not contain any qualifier indicating that its scope is limited to specific
organs of the United Nations. Myanmar also maintains that the
terms used in the equally authentic French and Spanish versions of Article
VIII to describe the capacity of a Contracting Party (“saisir” and
“recurrir”, respectively) are typically used in relation to proceedings
before the Court, thus confirming that the Court is included among the
organs envisaged therein.
81. Myanmar argues that Article VIII would be rendered meaningless
if it only applied to the political organs of the United Nations, because
the Charter of the United Nations already permits Member States to call
upon the General Assembly or the Security Council to take appropriate
action in the face of genocide. In Myanmar’s view, since the Charter governs
the seisin of political organs of the United Nations, then Article VIII
must have a different purpose. Myanmar thus submits that Article VIII is
intended to govern the seisin of the Court. By contrast, Myanmar considers
that Article IX governs the Court’s jurisdiction only.
82. In Myanmar’s view, because Article VIII governs the seisin of the
Court, its reservation to that provision precludes the valid seisin of the
Court by The Gambia in the present case. Myanmar has not entered a
reservation to Article IX, but it suggests that its reservation to Article
VIII must be interpreted as barring “non-injured
States” from seising
509 application de convention génocide (arrêt)
36
non lésés » de saisir la Cour d’un différend relatif à la convention. Soulignant
qu’il importe de respecter l’intention des Etats lorsqu’ils émettent
des réserves, le Myanmar soutient que toute autre interprétation de sa
réserve priverait cette dernière d’effet juridique.
*
83. Selon la Gambie, la réserve formulée par le Myanmar à l’article
VIII de la convention est dépourvue de pertinence parce que cette
disposition ne régit pas la saisine de la Cour.
84. La Gambie fait valoir que, d’après le sens ordinaire de l’article VIII,
la Cour ne saurait être l’un des organes « compétents » de l’ONU,
puisqu’elle ne peut prendre des « mesures » en vertu de la Charte des
Nations Unies sur la base de ce qu’elle juge « approprié ». Elle soutient
également que le verbe « call upon » figurant dans le texte anglais de la
convention — version qui fait également foi — n’est pas couramment
employé s’agissant de procédures judiciaires, mais l’est en revanche dans
le contexte de demandes tendant à ce que soit exercé un pouvoir discrétionnaire.
La Gambie conteste en outre la pertinence de l’argument tenant
aux verbes retenus dans les versions française et espagnole de l’article VIII
(« saisir » et « recurrir », respectivement), qui, bien que parfois utilisés
dans des contextes juridiques, le sont également, selon elle, dans le cadre
de demandes d’intervention adressées à des organes politiques.
85. La Gambie propose trois arguments en réponse à l’affirmation du
Myanmar suivant laquelle l’article VIII n’aurait pas de sens s’il n’englobait
pas la saisine de la Cour. Elle avance, premièrement, qu’il ressort de
cette disposition que le paragraphe 7 de l’article 2 de la Charte ne fait pas
obstacle à la saisine des organes politiques de l’ONU en cas de génocide.
Deuxièmement, la Gambie fait valoir que l’article VIII autorise les parties
contractantes qui ne sont pas Membres de l’ONU à saisir les organes
politiques de l’Organisation afin que ceux‑ci prennent des mesures, y
compris contre des Etats qui ne sont pas parties contractantes. Troisièmement,
la Gambie soutient que, contrairement à l’article IX, l’article VIII
autorise les parties contractantes à saisir les organes compétents afin que
ceux‑ci prennent des mesures sans même qu’un différend ne se soit cristallisé
au regard du droit international, ou contre des acteurs non étatiques.
* *
86. Par sa troisième exception préliminaire, le Myanmar soulève la
question de la saisine de la Cour. Celle‑ci a déjà précisé ce qui suit :
« comme acte introductif d’instance, la saisine est un acte de procédure
autonome par rapport à la base de compétence invoquée ; et, à
ce titre, elle est régie par le Statut et le Règlement de la Cour. La
Cour ne saurait cependant connaître d’une affaire tant que la base de
compétence considérée n’a pas trouvé son complément nécessaire
application of the genocide convention (judgment) 509
36
the Court in a case arising under the Genocide Convention. Emphasizing
the importance of respecting the intention of States when entering reservations,
Myanmar contends that any different interpretation of its reservation
would render it devoid of legal effect.
*
83. For The Gambia, Myanmar’s reservation to Article VIII of the
Convention is irrelevant, because that provision does not govern the seisin
of the Court.
84. The Gambia argues that, according to the ordinary meaning of
Article VIII, the Court cannot be one of the “competent” organs of the
United Nations, because it may not take “action” under the Charter of
the United Nations based on what it considers “appropriate”. The Gambia
further contends that the expression to “call upon” in the equally
authentic English version of the text is not commonly employed in connection
with judicial proceedings, but that such terminology is instead
routinely used to refer to appeals to the exercise of discretion. The Gambia
also contests the relevance of the argument concerning the verbs used
in the French and Spanish texts of Article VIII (“saisir” and “recurrir”,
respectively). In The Gambia’s view, while these terms are sometimes
used in legal contexts, they are also employed in connection with appeals
to political bodies.
85. The Gambia offers three arguments in response to Myanmar’s contention
that Article VIII would be deprived of meaning if it did not
encompass the seisin of the Court. First, in The Gambia’s view, Article
VIII clarifies that the engagement of the political organs of the
United Nations in the face of genocide is not barred by Article 2, paragraph
7, of the Charter. Second, The Gambia argues that Article VIII
permits Contracting Parties that are not Member States of the
United Nations to call upon the Organization’s political organs to take
action, including action against States that are not Contracting Parties.
Third, The Gambia maintains that, unlike Article IX, Article VIII permits
Contracting Parties to call upon the competent organs to take action
even without a dispute having crystallized under international law or
against non-State actors.
* *
86. Myanmar’s third preliminary objection raises the question of the
seisin of the Court. The Court has previously held that,
“as an act instituting proceedings, seisin is a procedural step independent
of the basis of jurisdiction invoked and, as such, is governed by
the Statute and the Rules of Court. However, the Court is unable to
entertain a case so long as the relevant basis of jurisdiction has not
been supplemented by the necessary act of seisin : from this point of
510 application de convention génocide (arrêt)
37
dans un acte de saisine : de ce point de vue, la question de savoir si la
Cour a été valablement saisie apparaît comme une question de compétence.
» (Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar
et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1995, p. 23, par. 43.)
87. Afin de déterminer si l’article VIII régit sa saisine, la Cour aura
recours aux règles coutumières de droit international relatives à l’interprétation
des traités, telles que reflétées aux articles 31 à 33 de la convention
de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 (ci‑après la
« convention de Vienne ») (voir Application de la convention internationale
pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Ukraine c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2019 (II), p. 598, par. 106 ; Application de la convention pour
la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie‑Herzégovine
c. Serbie‑et‑Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 109‑110,
par. 160).
88. La Cour observe que, suivant son sens ordinaire, l’expression
« organes compétents de l’Organisation des Nations Unies », considérée
isolément, pourrait sembler l’englober, en sa qualité d’organe judiciaire
principal de l’Organisation. L’article VIII lu dans son ensemble appelle
toutefois une interprétation différente. Ladite disposition prévoit en particulier
que les organes compétents de l’Organisation des Nations Unies
peuvent « pren[dre] … les mesures qu’ils jugent appropriées », ce qui
donne à penser que ces organes disposent d’un pouvoir discrétionnaire
pour déterminer les mesures à prendre en vue de « la prévention et [de] la
répression des actes de génocide ou de l’un quelconque des autres actes
énumérés à l’article III ». La fonction desdits organes au regard de cette
disposition est donc différente de celle de la Cour, « dont la mission est de
régler conformément au droit international les différends qui lui sont soumis
», tel qu’énoncé au paragraphe 1 de l’article 38 de son Statut, et de
donner des avis consultatifs sur toute question juridique, ainsi que le prévoit
le paragraphe 1 de l’article 65. En ce sens, l’article VIII peut être
considéré comme ayant trait à la prévention et à la répression du génocide
« au niveau politique et non plus sous l’angle de la responsabilité
juridique » (Application de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide (Bosnie‑Herzégovine c. Serbie‑et‑Monténégro), arrêt,
C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 109, par. 159).
89. De plus, conformément au droit international coutumier, tel que
reflété à l’article 31 de la convention de Vienne, les termes de l’article VIII
doivent être interprétés dans leur contexte et, en particulier, à la lumière
des autres dispositions de la convention sur le génocide. A cet égard, la
Cour accorde une attention particulière à l’article IX, qui constitue le fondement
de sa compétence au titre de cet instrument. La Cour estime que
les articles VIII et IX de la convention sur le génocide ont des champs
d’application distincts. L’article IX énonce les conditions requises pour
application of the genocide convention (judgment) 510
37
view, the question of whether the Court was validly seised appears to
be a question of jurisdiction.” (Maritime Delimitation and Territorial
Questions between Qatar and Bahrain (Qatar v. Bahrain), Jurisdiction
and Admissibility, Judgment, I.C.J. Reports 1995, p. 23, para. 43.)
87. For the purpose of ascertaining whether Article VIII governs the
seisin of the Court, the Court will have recourse to the rules of customary
international law on treaty interpretation as reflected in Articles 31 to 33
of the Vienna Convention on the Law of Treaties of 23 May 1969 (hereinafter
the “Vienna Convention”) (see Application of the International
Convention for the Suppression of the Financing of Terrorism and of the
International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination
(Ukraine v. Russian Federation), Preliminary Objections,
Judgment, I.C.J. Reports 2019 (II), p. 598, para. 106 ; Application of the
Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide
(Bosnia and Herzegovina v. Serbia and Montenegro), Judgment, I.C.J.
Reports 2007 (I), pp. 109-110, para. 160).
88. The Court observes that the ordinary meaning of the expression
“competent organs of the United Nations”, viewed in isolation, could
appear to encompass the Court, the principal judicial organ of the
United Nations. However, reading Article VIII as a whole leads to a different
interpretation. In particular, Article VIII provides that the competent
organs of the United Nations may “take such action . . . as they
consider appropriate”, which suggests that these organs exercise discretion
in determining the action that should be taken with a view to “the
prevention and suppression of acts of genocide or any of the other acts
enumerated in article III”. The function of the competent organs envisaged
in this provision is thus different from that of the Court, “whose
function is to decide in accordance with international law such disputes as
are submitted to it” pursuant to Article 38, paragraph 1, of its Statute
and to give advisory opinions on any legal question pursuant to Article
65, paragraph 1, of its Statute. In this sense, Article VIII may be seen
as addressing the prevention and suppression of genocide “at the political
level rather than as a matter of legal responsibility” (Application of the
Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide
(Bosnia and Herzegovina v. Serbia and Montenegro), Judgment, I.C.J.
Reports 2007 (I), p. 109, para. 159).
89. Furthermore, pursuant to customary international law, as reflected
in Article 31 of the Vienna Convention, the terms of Article VIII must be
interpreted in their context and, in particular, in light of other provisions
of the Genocide Convention. In this regard, the Court pays specific attention
to Article IX of the Genocide Convention, which constitutes the
basis of its jurisdiction under the Convention. In the Court’s view, Articles
VIII and IX of the Genocide Convention have distinct areas of application.
Article IX provides the conditions for recourse to the principal
511 application de convention génocide (arrêt)
38
recourir à l’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies
en cas de différend entre des parties contractantes, tandis que l’article VIII
permet à toute partie contractante de faire appel à d’autres organes compétents
de l’Organisation, même en l’absence de différend avec une autre
partie contractante.
90. Il ressort donc du sens ordinaire des termes de l’article VIII considérés
dans leur contexte que cette disposition ne régit pas la saisine de la
Cour. A la lumière de cette conclusion, la Cour estime qu’il n’est pas
nécessaire de faire appel à des moyens supplémentaires d’interprétation,
tels que les travaux préparatoires de la convention sur le génocide.
91. Etant donné que l’article VIII ne se rapporte pas à la saisine de la
Cour, la réserve formulée par le Myanmar à cette disposition n’est pas
pertinente aux fins de déterminer si la Cour est régulièrement saisie de
l’affaire qui lui a été soumise. Point n’est donc besoin que la Cour examine
la teneur de cette réserve.
92. La Cour conclut en conséquence que la troisième exception préliminaire
soulevée par le Myanmar doit être rejetée.
V. Qualité de la Gambie pour porter le différend devant la Cour
(deuxième exception préliminaire)
93. Par sa deuxième exception préliminaire, le Myanmar soutient que la
requête de la Gambie est irrecevable au motif que cette dernière n’a pas
qualité pour porter le présent différend devant la Cour. Il estime en particulier
que seuls les « Etats lésés », qu’il définit comme des Etats « atteint[s]
par un fait internationalement illicite », ont qualité pour saisir la Cour. De
l’avis du Myanmar, la Gambie n’est pas un « Etat lésé » (expression que
celui-
ci semble employer comme un synonyme de l’expression « Etat spécialement
atteint ») et n’a pas démontré qu’elle possédait un intérêt juridique
individuel. En conséquence, elle est, selon le Myanmar, dépourvue de qualité
pour agir au titre de l’article IX de la convention sur le génocide.
94. Le Myanmar opère une distinction entre le droit d’invoquer la responsabilité
d’un Etat en droit international général et la qualité pour agir
devant la Cour. Il affirme que, même s’il était établi qu’une partie contractante
à la convention sur le génocide « non lésée » a le droit d’invoquer la
responsabilité d’un autre Etat à raison de violations de cet instrument,
cela ne signifierait pas nécessairement qu’elle est fondée à introduire une
instance devant la Cour. Il soutient à cet égard qu’il existe une différence
entre l’intérêt commun à ce que les fins de la convention sur le génocide
soient préservées et l’intérêt juridique individuel qu’un Etat peut chercher
à faire valoir en introduisant une instance devant la Cour. Du point de
vue du Myanmar, seuls les Etats « spécialement atteints » par un fait internationalement
illicite ont qualité pour porter un différend devant celle-
ci.
95. Le Myanmar estime que l’arrêt rendu en l’affaire relative à des
Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique
c. Sénégal) ne confirme pas la qualité pour agir d’Etats « non lésés », et ce,
application of the genocide convention (judgment) 511
38
judicial organ of the United Nations in the context of a dispute between
Contracting Parties, whereas Article VIII allows any Contracting Party
to appeal to other competent organs of the United Nations, even in the
absence of a dispute with another Contracting Party.
90. It thus follows from the ordinary meaning of the terms of Article
VIII considered in their context that that provision does not govern
the seisin of the Court. In light of this finding, the Court is of the view
that there is no need to resort to supplementary means of interpretation,
such as the travaux préparatoires of the Genocide Convention.
91. Given that Article VIII does not pertain to the seisin of the Court,
Myanmar’s reservation to that provision is irrelevant for the purposes of
determining whether the Court is properly seised of the case before it.
Consequently, it is not necessary for the Court to examine the content of
Myanmar’s reservation to Article VIII.
92. The Court therefore concludes that Myanmar’s third preliminary
objection must be rejected.
V. The Gambia’s Standing to Bring the Case before the Court
(Second Preliminary Objection)
93. In its second preliminary objection, Myanmar submits that
The Gambia’s Application is inadmissible because The Gambia lacks
standing to bring this case before the Court. In particular, Myanmar considers
that only “injured States”, which Myanmar defines as States
“adversely affected by an internationally wrongful act”, have standing to
present a claim before the Court. In Myanmar’s view, The Gambia is not
an “injured State” (a term that Myanmar appears to use interchangeably
with the term “specially affected State”) and has failed to demonstrate an
individual legal interest. Therefore, according to Myanmar, The Gambia
lacks standing under Article IX of the Genocide Convention.
94. Myanmar draws a distinction between the right to invoke State
responsibility under general international law and standing before the
Court. It argues that, even if it were established that a “non-injured”
Contracting Party to the Genocide Convention has the right to invoke
another State’s responsibility for violations of the Convention, this would
not necessarily entail the right to bring a case before the Court. To this
end, Myanmar contends that there exists a difference between the common
interest in the accomplishment of the purposes of the Genocide Convention
and a State’s individual legal interest that may be enforced
through the institution of proceedings before the Court. In Myanmar’s
view, only States “specially affected” by an internationally wrongful act
have standing to bring a claim before the Court.
95. Myanmar insists that the Judgment in the case concerning Questions
relating to the Obligation to Prosecute or Extradite (Belgium v. Senegal) did
not affirm the standing of “non-injured” States to institute proceedings
512 application de convention génocide (arrêt)
39
parce que cette affaire se distingue de la présente espèce à deux égards.
Premièrement, il précise que la Belgique se considérait comme un Etat
« spécialement atteint », puisqu’elle s’était prévalue du droit d’exercer sa
compétence et de demander l’extradition que lui conférait l’article 5 de la
convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants du 10 décembre 1984 (ci-
après la « convention contre
la torture »). Deuxièmement, la convention contre la torture se distingue,
selon le Myanmar, de la convention sur le génocide, en ce qu’elle envisage
expressément l’exercice d’une compétence universelle. L’article VI de la
convention sur le génocide, en revanche, ne prescrit que l’exercice d’une
compétence territoriale et ne confère aucun pouvoir d’exécution à des
parties contractantes autres que celle sur le territoire de laquelle les actes
de génocide allégués auraient été commis.
96. Le Myanmar affirme en outre que le libellé et la structure de la
convention sur le génocide excluent la possibilité pour un Etat « non lésé »
d’engager une instance devant la Cour. De son point de vue, l’absence du
déterminant « tout » ou « tous » avant le terme « différends » à l’article IX
indique que les différends qui y sont visés englobent non pas tous les différends
susceptibles de se faire jour au titre de la convention, mais uniquement
ceux qui surviendraient entre des parties contractantes. Le
Myanmar avance un argument similaire s’agissant de l’expression
« [t]oute Partie contractante » employée à l’article VIII, par opposition à
l’expression « les Parties contractantes » qui figure à l’article IX (les italiques
sont de la Cour), estimant que cette différence signifie que l’article
IX n’a pas vocation à s’appliquer à toutes les parties contractantes.
97. Le Myanmar fait valoir que son interprétation est corroborée par
les travaux préparatoires de la convention sur le génocide. De son point
de vue, il existait entre les Etats ayant pris part aux négociations un
consensus clair sur le fait que l’article VIII pourrait être mis en oeuvre par
toutes les parties contractantes à la convention, alors que rien ne témoigne
d’un consensus analogue s’agissant de la portée de l’article IX. Le Myanmar
appelle en outre l’attention sur l’expression « à la requête d’une partie
au différend » figurant à la fin de l’article IX, qui fut retenue en lieu et
place de l’autre formulation envisagée, « à la requête d’une Haute Partie
contractante ». L’expression adoptée atteste, selon lui, d’une intention de
limiter les parties autorisées à porter un différend devant la Cour sur la
base de l’article IX aux Etats « spécialement atteints » par les violations
alléguées de la convention.
98. Le Myanmar soutient ensuite que les réclamations de la Gambie
sont irrecevables, car elles n’ont pas été portées devant la Cour conformément
à la règle relative à la nationalité des réclamations telle que consacrée,
selon lui, à l’alinéa a) de l’article 44 des articles de la Commission
du droit international sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement
illicite (ci-
après les « articles de la CDI sur la responsabilité de
l’Etat »). Le défendeur affirme que la règle relative à la nationalité des
réclamations s’applique à l’invocation de la responsabilité tant par des
Etats « lésés » que par des Etats « non lésés », et quand bien même l’obli-
application of the genocide convention (judgment) 512
39
because, in Myanmar’s view, that case was different from the present one in
two respects. First, according to Myanmar, Belgium considered itself a
“specially affected” State, because it had availed itself of the right under
Article 5 of the Convention against Torture and Other Cruel, Inhuman or
Degrading Treatment or Punishment of 10 December 1984 (hereinafter the
“Convention against Torture”) to exercise jurisdiction and to request extradition.
Second, Myanmar submits that the Convention against Torture is
to be distinguished from the Genocide Convention, in so far as the former
explicitly contemplates the exercise of universal jurisdiction. By contrast,
according to Myanmar, Article VI of the Genocide Convention only provides
an obligation to exercise territorial jurisdiction and does not envisage
any form of enforcement by Contracting Parties other than those on whose
territory the alleged acts of genocide were committed.
96. Myanmar also argues that the wording and structure of the Genocide
Convention exclude the possibility of a “non-injured” State bringing
a case before the Court. In Myanmar’s view, the omission of the terms
“any” or “all” before the term “[d]isputes” in Article IX indicates that the
disputes contemplated therein only include those between Contracting
Parties rather than all disputes that could arise under the Convention.
Myanmar makes a similar claim with respect to the phrase “[a]ny Contracting
Party” used in Article VIII, compared to the phrase “the Contracting
Parties” used in Article IX (emphasis added). Myanmar interprets
this as meaning that Article IX does not include all Contracting Parties
within its ambit.
97. Myanmar contends that its interpretation is supported by the
drafting history of the Genocide Convention. For Myanmar, a clear consensus
existed among the negotiating States that Article VIII could be
triggered by every Contracting Party to the Convention, whereas no similar
consensus is evident with respect to the scope of Article IX. Myanmar
also points to the phrase “at the request of any of the parties to the dispute”
at the end of Article IX, which was adopted instead of the alternative
proposed wording “at the request of any of the High Contracting
Parties”. According to Myanmar, the adopted wording demonstrates an
intention to limit the parties that could bring a dispute before the Court
under Article IX to those “specially affected” by alleged violations of the
Convention.
98. Myanmar further submits that The Gambia’s claims are inadmissible
in so far as they are not brought before the Court in accordance with
the rule concerning the nationality of claims which, according to Myanmar,
is reflected in Article 44 (a) of the International Law Commission’s
Articles on the Responsibility of States for Internationally Wrongful Acts
(hereinafter the “ILC Articles on State Responsibility”). Myanmar asserts
that the rule concerning the nationality of claims applies to the invocation
of responsibility by both “injured” and “non-injured” States and irrespective
of whether the obligation breached is an erga omnes partes or erga
513 application de convention génocide (arrêt)
40
gation faisant l’objet du manquement serait erga omnes partes ou erga
omnes. Il en conclut que la Gambie n’a pas qualité pour invoquer sa responsabilité
dans l’intérêt des membres du groupe rohingya, qui ne sont
pas des ressortissants de cet Etat.
99. Enfin, le Myanmar avance que, même à supposer que les parties
contractantes qui ne sont pas « spécialement atteintes » par une violation
alléguée de la convention aient qualité pour saisir la Cour d’un différend
en vertu de l’article IX, cette qualité pour agir demeurerait subsidiaire à
celle des Etats « spécialement atteints » et en dépendrait. Il fait valoir que
le Bangladesh est « l’Etat pour lequel il aurait été le plus naturel » d’introduire
la présente instance, étant donné que celui-
ci partage avec lui une
frontière et a accueilli un grand nombre des personnes qui auraient été
victimes de génocide. Selon le défendeur, la réserve qu’a formulée le Bangladesh
à l’article IX de la convention sur le génocide non seulement
empêche cet Etat d’introduire une instance contre lui, mais prive en outre
tout Etat « non lésé », tel que la Gambie, de la possibilité de le faire. Le
Myanmar soutient encore que la volonté d’un Etat « non lésé » ne saurait
prendre le pas sur la faculté de l’Etat « spécialement atteint » par le manquement
allégué de décider comment faire valoir ses droits de la manière
servant au mieux ses intérêts. Il signale que la conclusion inverse conduirait
à une prolifération des différends et soulèverait des questions quant
au droit des Etats « non lésés » de demander réparation au nom de victimes
présumées qui ne seraient pas leurs ressortissants.
*
100. La Gambie rejette les arguments avancés par le Myanmar à l’appui
de sa deuxième exception préliminaire et souligne que les conditions
établies par l’article IX sont toutes remplies. Elle argue que toutes les parties
contractantes à la convention sur le génocide ont un intérêt commun
à ce qu’il soit satisfait aux obligations énoncées dans cet instrument, lesquelles
sont dues erga omnes partes, et que, en conséquence, un manquement
à ces obligations porte préjudice à chacune d’elles. C’est la raison
pour laquelle, de son point de vue, tout Etat partie à la convention est en
droit d’invoquer la responsabilité d’un autre à raison de la violation
d’obligations erga omnes partes imposées par celle-
ci. Contestant la distinction
faite par le Myanmar entre le droit d’invoquer la responsabilité
d’un Etat et celui d’engager une instance devant la Cour, la Gambie
affirme que le droit d’invoquer la responsabilité à raison de la violation
d’obligations erga omnes partes implique qualité pour saisir la Cour du
différend qui en découle.
101. La Gambie soutient, en se fondant sur la jurisprudence de la
Cour, que la compétence que celle‑ci tient de l’article IX n’est pas limitée
aux différends portés par des Etats « spécialement atteints » (termes qu’elle
considère équivalents à l’expression « directement lésés ») par une violation
alléguée de la convention sur le génocide. Elle se réfère à l’arrêt rendu
en l’affaire relative à des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou
application of the genocide convention (judgment) 513
40
omnes obligation. Consequently, in Myanmar’s view, The Gambia lacks
standing to invoke Myanmar’s responsibility in the interest of members
of the Rohingya group, who are not nationals of The Gambia.
99. Finally, Myanmar maintains that, even if Contracting Parties that
are not “specially affected” by an alleged violation of the Convention are
assumed to have standing to submit a dispute to the Court under Article
IX, this standing is subsidiary to and dependent upon the standing of
States that are “specially affected”. Myanmar argues that Bangladesh
would be “the most natural State” to institute proceedings in the present
case, because it borders Myanmar and has received a significant number
of the alleged victims of genocide. In Myanmar’s view, the reservation by
Bangladesh to Article IX of the Genocide Convention not only precludes
Bangladesh from bringing a case against Myanmar, but it also bars any
“non-injured” State, such as The Gambia, from doing so. Myanmar further
argues that “non-injured”
States may not override the right of a
State “specially affected” by the alleged breach to decide how to vindicate
its rights in a way that would best serve its own interests. Myanmar warns
that the opposite conclusion would lead to a proliferation of disputes and
raise questions concerning the entitlement of “non-injured” States to
claim reparation on behalf of alleged victims who are not their nationals.
*
100. The Gambia rejects Myanmar’s arguments in support of its second
preliminary objection and insists that all the conditions of Article IX
of the Convention have been met. The Gambia argues that all Contracting
Parties have a common interest in compliance with the obligations
under the Genocide Convention, which The Gambia considers to be
owed erga omnes partes, and that therefore a breach of those obligations
injures all Contracting Parties to the Convention. For that reason, according
to The Gambia, any State party to the Convention is entitled to
invoke the responsibility of another State party for breach of obligations
erga omnes partes under the Convention. Rejecting Myanmar’s separation
of the right to invoke the responsibility of a State from the right to
institute proceedings before the Court, The Gambia contends that the
right to invoke responsibility for a breach of obligations erga omnes partes
entails the right to submit a dispute resulting from such breach to the
Court.
101. Relying on the Court’s jurisprudence, The Gambia maintains that
the Court’s jurisdiction under Article IX is not limited to cases brought
by States “specially affected” (a term that The Gambia treats as equivalent
to “directly injured”) by an alleged violation of the Convention.
The Gambia points to the Court’s Judgment in Questions relating to the
Obligation to Prosecute or Extradite (Belgium v. Senegal), where, in its
514 application de convention génocide (arrêt)
41
d’extrader (Belgique c. Sénégal), dans lequel la Cour a, selon elle,
confirmé la qualité pour agir de la Belgique sur la seule base du caractère
erga omnes partes des obligations dont la violation était alléguée. Elle
conteste en outre l’argument du Myanmar consistant à distinguer la
convention contre la torture de la convention sur le génocide. Bien que
reconnaissant que, à la différence de la première, la seconde n’établit pas
de compétence universelle, elle affirme que cela n’a pas d’incidence sur sa
qualité pour introduire la présente instance.
102. La Gambie fait valoir que le sens ordinaire des termes de l’article
IX, lus dans leur contexte, ne permet pas de conclure que, pour pouvoir
saisir la Cour d’un différend, les Etats doivent — pour reprendre ses
propres mots — être « spécialement lésés » par le manquement allégué à la
convention sur le génocide. On ne saurait, selon elle, considérer que l’utilisation
des termes « [l]es différends » et « les Parties contractantes » à l’article
IX limite le champ de la compétence de la Cour. La Gambie estime
que, dûment interprétée, cette disposition s’étend à tout différend né entre
des parties contractantes, quelles qu’elles soient, à condition que celui-
ci
porte sur l’interprétation, l’application ou l’exécution de la convention, ce
qui inclut les différends concernant la responsabilité d’un Etat pour
n’avoir pas satisfait aux obligations lui incombant au regard de cet instrument.
103. La Gambie allègue en outre que son interprétation de l’article IX
est confirmée par l’histoire rédactionnelle de cette disposition. Elle soutient
que, dès l’origine, cette clause compromissoire avait été conçue pour
donner effet à l’idée selon laquelle tout différend découlant de la convention
sur le génocide intéressait l’ensemble des parties contractantes. Selon
elle, les Etats participant aux négociations entendaient conférer à la Cour
une large compétence, étant entendu que, si seuls les Etats « spécialement
lésés » devaient avoir qualité pour agir, cela compromettrait l’efficacité de
la convention à l’égard d’actes de génocide qui seraient commis par un
Etat sur son propre territoire contre une population minoritaire. La
Gambie réfute l’interprétation que fait le Myanmar de l’expression « à la
requête d’une partie au différend », affirmant que, dans l’esprit des Etats
participant aux négociations, il s’agissait d’un amendement d’ordre rédactionnel,
dépourvu d’effet sur le fond.
104. La Gambie affirme également que la règle relative à la nationalité
des réclamations, telle qu’elle trouve son expression à l’alinéa a) de l’article
44 des articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat, est inapplicable
dans les cas où, comme en la présente espèce, elle serait contraire à
l’objet et au but d’un traité. Elle fait observer que le génocide est susceptible
d’être dirigé contre des ressortissants de l’Etat génocidaire ou contre
les membres d’un groupe privés de leur nationalité par l’Etat qui les persécute.
Selon elle, la règle relative à la nationalité des réclamations exclurait
la possibilité d’invoquer la responsabilité d’un Etat à l’égard de telles personnes
et irait donc à l’encontre de l’objet et du but de la convention sur
le génocide, laquelle deviendrait caduque. Rappelant les travaux préparatoires
de la convention et les circonstances de son adoption, la Gambie
application of the genocide convention (judgment) 514
41
view, the Court affirmed Belgium’s standing solely on the basis of the
erga omnes partes character of the obligations allegedly breached.
The Gambia also disputes Myanmar’s argument distinguishing the Convention
against Torture from the Genocide Convention. It acknowledges
that, unlike the Convention against Torture, the Genocide Convention
does not establish universal jurisdiction, but it contends that this has no
bearing on The Gambia’s standing in the present case.
102. The Gambia argues that the ordinary meaning of the terms of
Article IX in their context does not support a finding that States must be,
in its words, “specially injured” by an alleged breach of the Genocide
Convention in order to bring a dispute before the Court. It considers that
the use of the terms “[d]isputes” and “the Contracting Parties” in Article
IX cannot be understood to limit the scope of the Court’s jurisdiction.
In The Gambia’s view, Article IX should be interpreted to encompass any
dispute between any of the Contracting Parties, provided that the dispute
relates to the interpretation, application or fulfilment of the Convention,
which includes disputes relating to the responsibility of a State for failing
to fulfil its obligations under the Convention.
103. According to The Gambia, the drafting history further supports
its interpretation of Article IX. The Gambia submits that, from its inception,
this compromissory clause was intended to give effect to the fact
that any dispute arising under the Convention is a matter that affects all
Contracting Parties. The Gambia claims that the negotiating States
embraced a broad jurisdictional scope for the Court, on the understanding
that the limitation of standing to “specially injured” States would
undermine the effectiveness of the Convention with respect to acts committed
within a State’s territory against a minority population.
The Gambia
refutes Myanmar’s interpretation of the phrase “at the
request of any of the parties to the dispute”, arguing that that revision
was regarded by the negotiating States as editorial in character, without
substantive effect.
104. The Gambia also contends that the rule concerning the nationality
of claims, as reflected in Article 44 (a) of the ILC Articles on State
Responsibility, is inapplicable in cases such as the present one, where its
application would be contrary to the object and purpose of a treaty.
The Gambia observes that genocide is likely to be directed against nationals
of the State committing it, or against individuals who have been
deprived of their nationality by the persecuting State. According to
The Gambia, the rule concerning the nationality of claims would preclude
the invocation of responsibility in relation to these individuals and would
therefore be inconsistent with the object and purpose of the Convention,
rendering that treaty a “dead letter”. Recalling the drafting history of the
Genocide Convention and the circumstances of its conclusion, The Gam-
515 application de convention génocide (arrêt)
42
argue que la règle relative à la nationalité des réclamations est contraire
aux fins de cet instrument et qu’elle est par conséquent inapplicable.
105. Enfin, la Gambie conteste l’autre argument du Myanmar, selon
lequel la qualité pour agir des Etats non « spécialement atteints » par le
manquement à une obligation erga omnes partes est subsidiaire à celle des
Etats « spécialement atteints » et en est tributaire. Elle fait valoir que la
compétence de la Cour pour connaître d’un différend entre deux Etats au
titre de la convention ne dépend que du consentement de ces Etats, et non
de celui d’un quelconque tiers. La Gambie conteste que ses droits en vertu
de la convention puissent être subordonnés à ceux du Bangladesh, ou que
la renonciation éventuelle par ce dernier à certains droits emporte renonciation
valable par elle à ses propres droits.
* *
106. La question dont est saisie la Cour est celle de savoir si la Gambie
a le droit d’invoquer devant elle la responsabilité du Myanmar à raison
de manquements allégués aux obligations auxquelles il est soumis au
regard de la convention sur le génocide. La Cour note que les Parties ont
employé l’une et l’autre des formulations très diverses dans leur argumentation
concernant la position et les droits d’une partie contractante à la
convention sur le génocide en cas de manquement allégué d’une autre aux
obligations qui en découlent. S’appuyant notamment sur les articles de la
CDI sur la responsabilité de l’Etat, le Myanmar utilise les termes « Etat
(non) lésé » et « Etat spécialement atteint », la Gambie se référant, quant à
elle, à un « Etat spécialement lésé » et à un « Etat directement lésé ». La
Cour n’estime pas nécessaire, en la présente espèce, d’examiner la portée
juridique des différents termes employés par les Parties. Il lui suffit de
rappeler l’avis consultatif qu’elle a donné sur les Réserves à la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide, dans lequel elle a
expliqué le lien juridique établi entre les Etats parties à cet instrument :
« Dans une telle convention, les Etats contractants n’ont pas d’intérêts
propres ; ils ont seulement, tous et chacun, un intérêt commun,
celui de préserver les fins supérieures qui sont la raison d’être de la
convention. Il en résulte que l’on ne saurait, pour une convention de
ce type, parler d’avantages ou de désavantages individuels des Etats,
non plus que d’un exact équilibre contractuel à maintenir entre les
droits et les charges. La considération des fins supérieures de la
Convention est, en vertu de la volonté commune des parties, le fondement
et la mesure de toutes les dispositions qu’elle renferme. »
(C.I.J. Recueil 1951, p. 23.)
107. Tous les Etats parties à la convention sur le génocide ont donc, en
souscrivant aux obligations contenues dans cet instrument, un intérêt
commun à veiller à ce que le génocide soit prévenu, réprimé et puni. Ainsi
que la Cour l’a précisé, un tel intérêt commun implique que les obligations
en cause sont dues par tout Etat partie à tous les autres Etats parties
application of the genocide convention (judgment) 515
42
bia argues that the rule concerning the nationality of claims is inconsistent
with the aims of the Convention and that it is therefore inapplicable.
105. Finally, The Gambia challenges Myanmar’s alternative argument
that the standing of States not “specially affected” by a breach of an obligation
erga omnes partes is subsidiary to and dependent upon the standing
of “specially affected” States. The Gambia submits that the Court’s
jurisdiction over a dispute between two States under the Convention
depends only upon the consent of those States rather than that of any
third party. The Gambia disputes the contention that its rights under the
Convention are subordinate to those of Bangladesh or that any waiver of
rights by Bangladesh would entail a valid waiver of its own rights.
* *
106. The question to be answered by the Court is whether The Gambia
is entitled to invoke Myanmar’s responsibility before the Court for alleged
breaches of Myanmar’s obligations under the Genocide Convention. The
Court notes a significant terminological variety in the arguments of both
Parties with reference to the position and rights of a Contracting Party to
the Genocide Convention in the face of an alleged breach by another
Contracting Party of obligations arising thereunder. Relying in part on
the ILC Articles on State Responsibility, Myanmar uses the terms “(non-)
injured State” and “specially affected State”, whereas The Gambia refers
to “specially injured State” and “directly injured State”. The Court does
not find it necessary, in the present case, to explore the legal significance
of the various terms employed by the Parties. It suffices to recall the Advisory
Opinion on Reservations to the Convention on the Prevention and
Punishment of the Crime of Genocide, in which the Court explained the
legal relationship established among States parties under the Genocide
Convention :
“In such a convention the contracting States do not have any interests
of their own ; they merely have, one and all, a common interest,
namely, the accomplishment of those high purposes which are the
raison d’être of the convention. Consequently, in a convention of this
type one cannot speak of individual advantages or disadvantages to
States, or of the maintenance of a perfect contractual balance between
rights and duties. The high ideals which inspired the Convention provide,
by virtue of the common will of the parties, the foundation and
measure of all its provisions.” (I.C.J. Reports 1951, p. 23.)
107. All the States parties to the Genocide Convention thus have a
common interest to ensure the prevention, suppression and punishment
of genocide, by committing themselves to fulfilling the obligations contained
in the Convention. As the Court has affirmed, such a common
interest implies that the obligations in question are owed by any State
516 application de convention génocide (arrêt)
43
au traité en question ; ce sont des obligations erga omnes partes, en ce sens
que, quelle que soit l’affaire, chaque Etat partie a un intérêt à ce qu’elles
soient respectées (Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader
(Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 449,
par. 68 ; voir également Barcelona Traction, Light and Power Company,
Limited (nouvelle requête : 1962) (Belgique c. Espagne), deuxième phase,
arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 32, par. 33).
108. Ayant conclu, dans son arrêt en l’affaire relative à des Questions
concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal),
que tous les Etats parties à la convention contre la torture avaient un
intérêt commun à ce qu’il fût satisfait aux obligations pertinentes découlant
de cet instrument, la Cour a jugé qu’il n’y avait pas lieu pour elle de
se prononcer sur la question de savoir si la Belgique, en tant que demandeur,
avait un « intérêt particulier » à ce que le Sénégal se conformât auxdites
obligations (arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 449‑450, par. 68-70).
Il découle de l’intérêt commun à ce que soient respectées les obligations
pertinentes énoncées dans la convention sur le génocide que tout Etat
partie, sans distinction, est en droit d’invoquer la responsabilité d’un
autre à raison d’une violation alléguée d’obligations erga omnes partes.
La responsabilité à l’égard d’un manquement allégué à des obligations
erga omnes partes découlant de la convention sur le génocide peut être
invoquée par l’introduction d’une instance devant la Cour, qu’un intérêt
particulier puisse, ou non, être établi. Si un tel intérêt était requis à cette
fin, aucun Etat ne serait, dans bien des situations, en mesure de présenter
une telle demande. Pour ces raisons, la distinction que le Myanmar
cherche à opérer entre le droit d’invoquer la responsabilité au titre de la
convention sur le génocide et la qualité pour présenter une demande à cet
effet devant la Cour est dépourvue de fondement juridique.
109. Aux fins de l’introduction d’une instance devant la Cour, un Etat
n’est pas tenu de démontrer que les victimes éventuelles d’une violation
alléguée d’obligations erga omnes partes découlant de la convention sur le
génocide sont ses ressortissants. La Cour rappelle que, lorsqu’une personne
physique ou morale se trouve lésée par le fait internationalement
illicite d’un Etat, celui dont elle a la nationalité peut être en droit d’exercer
une protection diplomatique, laquelle consiste en l’invocation de la
responsabilité de l’Etat en question à l’égard de ce préjudice (Ahmadou
Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 599, par. 39).
La Cour note en outre que le champ d’application de la protection diplomatique
a été élargi pour inclure, notamment, les violations alléguées des
droits de l’homme internationalement garantis (ibid.). La faculté d’invoquer
devant la Cour la responsabilité d’un Etat partie à la convention sur
le génocide à raison de violations alléguées d’obligations erga omnes partes
est toutefois distincte du droit que peut avoir un Etat d’exercer la protection
diplomatique en faveur de ses ressortissants. La faculté susmentionnée
découle de l’intérêt commun de tous les Etats parties à ce que ces
obligations soient respectées et n’est donc pas limitée à l’Etat de nationa-
application of the genocide convention (judgment) 516
43
party to all the other States parties to the relevant convention ; they are
obligations erga omnes partes, in the sense that each State party has an
interest in compliance with them in any given case (Questions relating to
the Obligation to Prosecute or Extradite (Belgium v. Senegal), Judgment,
I.C.J. Reports 2012 (II), p. 449, para. 68 ; see also Barcelona Traction,
Light and Power Company, Limited (New Application: 1962) (Belgium v.
Spain), Second Phase, Judgment, I.C.J. Reports 1970, p. 32, para. 33).
108. Having concluded, in its Judgment in the case concerning
Questions
relating to the Obligation to Prosecute or Extradite (Belgium v.
Senegal), that all States parties to the Convention against Torture had a
common interest in compliance with the relevant obligations under that
treaty, the Court held that there was no need to pronounce on whether
Belgium, as the applicant, had a “special interest” in respect of Senegal’s
compliance with those obligations (Judgment, I.C.J. Reports 2012 (II),
pp. 449‑450, paras. 68-70). The common interest in compliance with the
relevant obligations under the Genocide Convention entails that any
State party, without distinction, is entitled to invoke the responsibility of
another State party for an alleged breach of its obligations erga omnes
partes. Responsibility for an alleged breach of obligations erga omnes partes
under the Genocide Convention may be invoked through the institution
of proceedings before the Court, regardless of whether a special
interest can be demonstrated. If a special interest were required for that
purpose, in many situations no State would be in a position to make a
claim. For these reasons, Myanmar’s purported distinction between the
entitlement to invoke responsibility under the Genocide Convention and
standing to pursue a claim for this purpose before the Court has no basis
in law.
109. For the purpose of the institution of proceedings before the Court,
a State does not need to demonstrate that any victims of an alleged breach
of obligations erga omnes partes under the Genocide Convention are its
nationals. The Court recalls that, where a State causes injury to a natural
or legal person by an internationally wrongful act, that person’s State of
nationality may be entitled to exercise diplomatic protection, which consists
of the invocation of State responsibility for such injury (Ahmadou
Sadio Diallo (Republic of Guinea v. Democratic Republic of the Congo),
Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2007 (II), p. 599,
para. 39). The Court further notes that the scope of diplomatic protection
has been extended to include, inter alia, alleged violations of internationally
guaranteed human rights (ibid.). However, the entitlement to invoke
the responsibility of a State party to the Genocide Convention before the
Court for alleged breaches of obligations erga omnes partes is distinct
from any right that a State may have to exercise diplomatic protection in
favour of its nationals. The aforementioned entitlement derives from the
common interest of all States parties in compliance with these obligations,
and it is therefore not limited to the State of nationality of the
alleged victims. In this connection, the Court observes that victims of
517 application de convention génocide (arrêt)
44
lité des victimes présumées. A cet égard, la Cour observe que les victimes
de génocide sont souvent des ressortissants de l’Etat auquel sont reprochées
les violations d’obligations erga omnes partes.
110. La convention sur le génocide n’impose pas de conditions supplémentaires
à l’invocation de la responsabilité ni à la recevabilité des demandes
soumises à la Cour. Si l’article IX emploie l’expression « les Parties contractantes
», c’est parce que la compétence de la Cour au titre de cette disposition
exige qu’un différend existe entre deux parties contractantes ou plus,
l’article VIII prévoyant en revanche que « [t]oute Partie contractante » peut
faire appel aux organes compétents de l’ONU, et ce, même en l’absence de
différend avec une autre partie contractante. En outre, l’utilisation des
termes « [l]es différends » — plutôt que « tout différend » ou « tous les différends
» —, qui figurent à l’article IX de la convention sur le génocide, n’est
pas rare dans les clauses compromissoires des traités multilatéraux (voir, par
exemple, l’article premier du protocole de signature facultative à la convention
de Vienne sur les relations diplomatiques, concernant le règlement obligatoire
des différends (conclu le 18 avril 1961 et entré en vigueur le 24 avril
1964), Nations Unies, Recueil des traités, vol. 500, p. 241). La Cour note que
cette formulation figurait dans le projet initial établi par le Secrétaire général
de l’ONU (Article XIV du projet de convention sur le crime de génocide,
Nations Unies, doc. E/447, 26 juin 1947) et a été reprise dans le texte final de
la convention sans donner lieu à discussions.
111. De même, l’indication, à l’article IX, que les différends doivent
être soumis à la Cour « à la requête d’une partie au différend », et non de
toute partie contractante, ne limite pas la catégorie des parties contractantes
autorisées à intenter une action à raison de violations alléguées
d’obligations erga omnes partes découlant de la convention. Ce membre
de phrase précise que seule une partie au différend peut porter celui‑ci
devant la Cour, mais n’impose en aucun cas qu’un tel différend oppose un
Etat partie qui aurait violé la convention à un Etat « spécialement atteint »
par la violation alléguée.
112. Il s’ensuit que tout Etat partie à la convention sur le génocide
peut invoquer la responsabilité d’un autre Etat partie, notamment par
l’introduction d’une instance devant la Cour, en vue de faire constater le
manquement allégué de ce dernier à des obligations erga omnes partes lui
incombant au titre de la convention et d’y mettre fin.
113. La Cour reconnaît que le Bangladesh, qui jouxte le Myanmar, s’est
trouvé confronté à un afflux massif de membres du groupe rohingya qui
fuyaient celui-
ci. Cela ne saurait toutefois affecter le droit de toutes les autres
parties contractantes de faire valoir l’intérêt commun à ce qu’il soit satisfait
aux obligations erga omnes partes énoncées dans la convention ni, en conséquence,
exclure la qualité de la Gambie pour engager la présente instance.
Comme la Cour l’a souligné, la convention sur le génocide « a été manifestement
adoptée dans un but purement humain et civilisateur » et « vise d’une
part à sauvegarder l’existence même de certains groupes humains, d’autre
part à confirmer et à sanctionner les principes de morale les plus élémentaires
» (Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime
application of the genocide convention (judgment) 517
44
genocide are often nationals of the State allegedly in breach of its obligations
erga omnes partes.
110. The Genocide Convention does not attach additional conditions
to the invocation of responsibility or the admissibility of claims submitted
to the Court. The use of the expression “the Contracting Parties” in Article
IX is explained by the fact that the Court’s jurisdiction under Article
IX requires the existence of a dispute between two or more Contracting
Parties. By contrast, “[a]ny Contracting Party” may seek recourse before
the competent organs of the United Nations under Article VIII, even in
the absence of a dispute with another Contracting Party. Besides, the use
of the word “[d]isputes”, as opposed to “any dispute” or “all disputes”, in
Article IX of the Genocide Convention is not uncommon in compromissory
clauses contained in multilateral treaties (see, for example, Article I
of the Optional Protocol to the Vienna Convention on Diplomatic Relations,
concerning the Compulsory Settlement of Disputes (concluded
18 April 1961 ; entered into force 24 April 1964), United Nations, Treaty
Series, Vol. 500, p. 241). The Court notes that this formulation appears in
the first draft of the Convention prepared by the Secretary-General of the
United Nations (Article XIV of the Draft Convention on the Crime of
Genocide, UN doc. E/447, 26 June 1947) and was included in the final
text of the Convention without any debate.
111. Similarly, the terms of Article IX providing that disputes are to be
submitted to the Court “at the request of any of the parties to the dispute”,
as opposed to any of the Contracting Parties, do not limit the category
of Contracting Parties entitled to bring claims for alleged breaches
of obligations erga omnes partes under the Convention. This phrase clarifies
that only a party to the dispute may bring it before the Court, but it
does not indicate that such a dispute may only arise between a State party
allegedly violating the Convention and a State “specially affected” by
such an alleged violation.
112. It follows that any State party to the Genocide Convention may
invoke the responsibility of another State party, including through the
institution of proceedings before the Court, with a view to determining
the alleged failure to comply with its obligations erga omnes partes under
the Convention and to bringing that failure to an end.
113. The Court acknowledges that Bangladesh, which borders Myanmar,
has faced a large influx of members of the Rohingya group who have
fled Myanmar. However, this fact does not affect the right of all other
Contracting Parties to assert the common interest in compliance with the
obligations erga omnes partes under the Convention and therefore does
not preclude The Gambia’s standing in the present case. As the Court has
affirmed, the Genocide Convention “was manifestly adopted for a purely
humanitarian and civilizing purpose”, and “its object on the one hand is to
safeguard the very existence of certain human groups and on the other to
confirm and endorse the most elementary principles of morality” (Reservations
to the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of
518 application de convention génocide (arrêt)
45
de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951, p. 23). La Cour n’a donc
pas à examiner les arguments du Myanmar se rapportant à la réserve qu’a
formulée le Bangladesh à l’article IX de la convention sur le génocide.
114. Pour les raisons exposées ci-
dessus,
la Cour conclut que la Gambie
a qualité, en tant qu’Etat partie à la convention sur le génocide, pour
invoquer la responsabilité du Myanmar à raison des manquements allégués
aux obligations incombant à celui‑ci au regard des articles I, III, IV
et V de cet instrument. En conséquence, la deuxième exception préliminaire
du Myanmar doit être rejetée.
* * *
115. Par ces motifs,
La Cour,
1) A l’unanimité,
Rejette la première exception préliminaire soulevée par la République
de l’Union du Myanmar ;
2) A l’unanimité,
Rejette la quatrième exception préliminaire soulevée par la République
de l’Union du Myanmar ;
3) A l’unanimité,
Rejette la troisième exception préliminaire soulevée par la République
de l’Union du Myanmar ;
4) Par quinze voix contre une,
Rejette la deuxième exception préliminaire soulevée par la République
de l’Union du Myanmar ;
pour : Mme Donoghue, présidente ; M. Gevorgian, vice-président
; MM. Tomka,
Abraham, Bennouna, Yusuf, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson,
Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, juges ; Mme Pillay, M. Kress,
juges ad hoc ;
contre : Mme Xue, juge ;
5) Par quinze voix contre une,
Dit qu’elle a compétence, sur la base de l’article IX de la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide, pour connaître
de la requête introduite par la République de Gambie le 11 novembre
2019, et que ladite requête est recevable.
pour : Mme Donoghue, présidente ; M. Gevorgian, vice-président
; MM. Tomka,
Abraham, Bennouna, Yusuf, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson,
Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, juges ; Mme Pillay, M. Kress,
juges ad hoc ;
contre : Mme Xue, juge.
application of the genocide convention (judgment) 518
45
Genocide, Advisory Opinion, I.C.J. Reports 1951, p. 23). Accordingly, the
Court does not need to address the arguments of Myanmar relating to
Bangladesh’s reservation to Article IX of the Genocide Convention.
114. For these reasons, the Court concludes that The Gambia, as a
State party to the Genocide Convention, has standing to invoke the
responsibility of Myanmar for the alleged breaches of its obligations
under Articles I, III, IV and V of the Convention. Therefore, Myanmar’s
second preliminary objection must be rejected.
* * *
115. For these reasons,
The Court,
(1) Unanimously,
Rejects the first preliminary objection raised by the Republic of the
Union of Myanmar ;
(2) Unanimously,
Rejects the fourth preliminary objection raised by the Republic of the
Union of Myanmar ;
(3) Unanimously,
Rejects the third preliminary objection raised by the Republic of the
Union of Myanmar ;
(4) By fifteen votes to one,
Rejects the second preliminary objection raised by the Republic of the
Union of Myanmar ;
in favour : President Donoghue ; Vice-President
Gevorgian; Judges Tomka,
Abraham, Bennouna, Yusuf, Sebutinde, Bhandari, Robinson, Salam,
Iwasawa,
Nolte, Charlesworth ; Judges ad hoc Pillay, Kress;
against : Judge Xue ;
(5) By fifteen votes to one,
Finds that it has jurisdiction, on the basis of Article IX of the Convention
on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide, to
entertain the Application filed by the Republic of The Gambia on
11 November 2019, and that the said Application is admissible.
in favour : President Donoghue ; Vice-President
Gevorgian; Judges Tomka,
Abraham, Bennouna, Yusuf, Sebutinde, Bhandari, Robinson, Salam,
Iwasawa,
Nolte, Charlesworth ; Judges ad hoc Pillay, Kress;
against : Judge Xue.
519 application de convention génocide (arrêt)
46
Fait en français et en anglais, le texte français faisant foi, au Palais de
la Paix, à La Haye, le vingt-deux juillet deux mille vingt‑deux, en trois
exemplaires, dont l’un restera déposé aux archives de la Cour et les autres
seront transmis respectivement au Gouvernement de la République
de Gambie et au Gouvernement de la République de l’Union du
Myanmar.
La présidente,
(Signé) Joan E. Donoghue.
Le greffier,
(Signé) Philippe Gautier.
Mme la juge Xue joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente ; M. le
juge ad hoc Kress joint une déclaration à l’arrêt.
(Paraphé) J.E.D.
(Paraphé) Ph.G.
application of the genocide convention (judgment) 519
46
Done in French and in English, the French text being authoritative, at
the Peace Palace, The Hague, this twenty-second
day of July, two thousand
and twenty-two, in three copies, one of which will be placed in the
archives of the Court and the others transmitted to the Government of
the Republic of The Gambia and the Government of the Republic of the
Union of Myanmar, respectively.
(Signed) Joan E. Donoghue,
President.
(Signed) Philippe Gautier,
Registrar.
Judge Xue appends a dissenting opinion to the Judgment of the Court ;
Judge ad hoc Kress appends a declaration to the Judgment of the Court.
(Initialled) J.E.D.
(Initialled) Ph.G.
 

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Exceptions préliminaires

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Arrêt du 22 juillet 2022

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