Observations écrites de la Ligue des États arabes

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186-20231025-WRI-08-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
18892
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
CONSÉQUENCES DÉCOULANT DES POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ, Y COMPRIS JÉRUSALEM-EST (REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
OBSERVATIONS ÉCRITES DE LA LIGUE DES ÉTATS ARABES
25 octobre 2023
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
1. INTRODUCTION .............................................................................................................................. 1
2. APPLICATION DU RÉGIME DE DROIT INTERNATIONAL : RAPPEL DE LA POSITION SUR L’ILLICÉITÉ ET SES CONSÉQUENCES, AINSI QUE DES POINTS ANTÉRIEUREMENT TRANCHÉS SUR LESQUELS REPOSE CETTE POSITION........................................................................................ 2
2. a) L’illicéité et ses conséquences ............................................................................................ 2
2. b) Points antérieurement tranchés sur lesquels repose la détermination de l’illicéité ............. 3
3. L’ARGUMENT DE LA DÉROGATION JUSTIFIÉE À L’APPLICATION NORMALE DU RÉGIME DE DROIT INTERNATIONAL EXPOSÉ PLUS HAUT, ET SES RÉPERCUSSIONS SUR LA COMPÉTENCE DE LA COUR ET LA QUESTION DE SAVOIR SI L’OCCUPATION EST INTRINSÈQUEMENT ILLICITE ......................................................................................................................................... 3
3. a) L’argument ......................................................................................................................... 3
3. b) Le maintien de l’application normale du droit international pendant la durée des différends internationaux et dans le cadre de leur règlement ....................................... 4
3. c) Les accords d’Oslo ne légalisent pas l’existence de l’occupation ...................................... 6
3. c) i) Dispositions des accords d’Oslo relatives à la présence d’Israël en Cisjordanie et à l’existence de certaines institutions palestiniennes autonomes .......................................................................................................... 6
3. c) ii) Consentement forcé par l’emploi illicite de la force .......................................... 6
3. c) iii) Conflit avec les normes impératives .................................................................. 8
3. c) iv) Annulation : l’ensemble des accords ou seulement certaines dispositions ? ..................................................................................................... 9
3. c) v) Les accords d’Oslo ne légalisent pas l’existence de l’occupation ................... 12
3. d) La relation entre la compétence consultative de la Cour et les négociations de paix ....... 12
4. LA SITUATION DONT EST SAISIE LA COUR EST DE NATURE MULTILATÉRALE ............................. 14
5. LA COUR EST EN MESURE DE JUGER DANS SON INTÉGRALITÉ UNE SITUATION COMPLEXE ET INSTALLÉE DE LONGUE DATE, S’ACQUITTANT AINSI D’UNE FONCTION INDISPENSABLE MISE À SA CHARGE PAR LA CHARTE DES NATIONS UNIES .......................................................... 17
6. L’APPLICABILITÉ DE L’AUTODÉTERMINATION PALESTINIENNE AU TERRITOIRE DE LA CISJORDANIE (Y COMPRIS JÉRUSALEM-EST) ET DE LA BANDE DE GAZA, ET SON IMPORTANCE POUR LA LICÉITÉ DE L’OCCUPATION ET DE L’IMPLANTATION DE COLONIES ........ 20
6. a) La position des Fidji : seul Israël est fondé en droit international à jouir de la souveraineté et de ses attributs sur le territoire de la Cisjordanie et de la bande de Gaza .......................................................................................................... 20
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6. b) Implications et conséquences de l’argument .................................................................... 22
6. c) Les arrangements du mandat confèrent au peuple palestinien, et non à Israël, un titre souverain sur les terres qui s’étendent entre le Jourdain et la mer Méditerranée ...................................................................................................... 23
7. L’ILLICÉITÉ INTRINSÈQUE DE L’OCCUPATION SELON LE JUS AD BELLUM .................................... 28
1. INTRODUCTION
1. La présente réponse aborde certaines questions soulevées par les exposés écrits soumis par différents États et organisations dans le cadre de l’espèce. Elle est en partie liée à l’exposé écrit présenté le 20 juillet 2023 à la Cour par la Ligue des États arabes, qu’elle vient compléter.
2. La réponse proprement dite commence à la section 2 en résumant, à titre de récapitulatif de l’exposé écrit, la position de la Ligue des États arabes relativement à l’illicéité de l’occupation et à ses conséquences, ainsi que les réponses données antérieurement à des questions générales, sur lesquelles cette position est en partie fondée.
3. La section 3 sera consacrée à l’idée avancée dans certains exposés écrits selon laquelle il a été dérogé, à bon droit, à l’application normale du régime juridique international exposé dans la section 2.
a) Ces exposés donnent à penser que l’attachement à un processus de règlement, notamment dans le cadre des accords d’Oslo, a en quelque sorte suspendu l’application normale du droit international à l’occupation, en ce sens que certaines questions clés qui auraient dû être tranchées par une telle application ne pourront l’être que dans le cadre du processus de règlement. Sur cette base, il est affirmé que la question de la licéité de l’occupation ne doit pas être tranchée de la manière indiquée à la section 2 et que la Cour serait malavisée de statuer. Plus précisément, il est également avancé que les accords d’Oslo ont légalisé l’existence de certains éléments de l’occupation et que cette légalisation l’emporte sur la réponse à la question de la licéité de l’occupation à laquelle on arriverait si l’on appliquait la démarche esquissée à la section 2.
b) Il sera expliqué que ces deux positions sont erronées, ne serait-ce que parce qu’elles ne tiennent pas compte du fait que le droit international continue de s’appliquer durant tout processus de règlement d’un différend et qu’il s’agit là d’un principe de droit rendu applicable à un tel processus par la Charte des Nations Unies. La section 2 dresse un tableau juste et complet du régime permettant de déterminer la licéité de l’occupation. Plus précisément, les accords d’Oslo ne fournissent aucune justification en droit à l’existence de l’occupation. L’engagement dans un processus de règlement ne fait nullement obstacle au pouvoir discrétionnaire de la Cour d’exercer sa compétence en l’espèce. De fait, prétendre le contraire risque de compromettre la fonction judiciaire de la Cour en entraînant celle-ci dans une manoeuvre politique qui vise à favoriser l’une des parties au différend, à savoir Israël, c’est-à-dire à étouffer l’effet et l’application du régime de droit international général en ce qui concerne l’occupation d’une manière qui soit à l’avantage d’Israël et au détriment du peuple palestinien.
4. La section 4 répond à l’argument avancé de nouveau dans certains exposés écrits, qui laissent entendre que la situation dont la Cour est saisie est en quelque sorte un différend exclusivement ou essentiellement bilatéral, ce qui entraîne des répercussions sur la question de savoir si la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour répondre à la question qui lui a été posée par l’Assemblée générale. Nous expliquerons qu’il ne s’agit manifestement pas d’un différend bilatéral et que suggérer le contraire revient à minimiser l’importance primordiale de la situation en question pour l’intérêt public mondial, comme l’atteste le rôle joué par l’Organisation des Nations Unies et l’ensemble de ses organes et entités, dont la Cour, depuis la création de l’Organisation. En témoigne également le fait que, comme il est dit dans l’exposé écrit, les règles du droit international violées par Israël à raison tant de l’existence de l’occupation que de sa conduite relèvent de domaines présentant un caractère erga omnes et sont donc aussi par définition de nature non seulement bilatérale, mais aussi multilatérale.
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5. La section 5 répond à l’idée selon laquelle la question posée à la Cour obligerait celle-ci à examiner des sujets qui sont si complexes, qui exigent tant d’information et qui couvrent une si longue période que sa tâche serait foncièrement trop lourde. Il s’ensuivrait que la Cour devrait soit ne pas exercer du tout sa compétence, soit alléger sa tâche en sélectionnant des points individuels couverts par la question sans examiner les autres. Cette idée ne trouve aucun fondement dans la jurisprudence de la Cour, ni au regard de la nécessité urgente d’examiner dans son intégralité la situation dont elle est saisie afin d’aider l’Assemblée générale à s’acquitter des fonctions qui lui sont conférées par la Charte des Nations Unies, à savoir traiter de manière exhaustive les questions qui concernent directement les buts et principes de ladite Charte.
6. La section 6 répond à l’hypothèse avancée dans l’exposé écrit des Fidji, selon laquelle l’accord de mandat de la Société des Nations pour la Palestine aurait eu pour effet de conférer à Israël un titre international sur l’ensemble du territoire s’étendant entre le Jourdain et la mer Méditerranée, tant pour ce qui est de la souveraineté qu’en ce qui touche la colonisation juive. Il en découlerait que le droit des Palestiniens à disposer d’eux-mêmes n’a pas d’assise territoriale et qu’il n’y a donc pas d’obstacle juridique à l’occupation, à l’annexion et à la colonisation juive sur tout ou partie de la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et de Gaza. Or cette hypothèse se trouve aux antipodes de la position correcte en droit international, qui reconnaît au peuple palestinien ce qui est de fait un droit à l’autodétermination externe sur la base de l’article 22 du Pacte de la Société des Nations (de même que, séparément, sur la base du droit à l’autodétermination auquel a donné naissance le droit international applicable aux peuples des territoires coloniaux d’une façon générale au milieu du XXe siècle), droit qui n’a pas été remplacé d’une manière ou d’une autre par un droit équivalent que le peuple juif tiendrait de l’accord de mandat pour la Palestine.
7. La section 7 traite de l’applicabilité du jus ad bellum à l’occupation et les raisons pour lesquelles ces règles ne satisfont pas au critère de licéité, contrairement à l’hypothèse avancée dans l’exposé écrit des Fidji.
2. APPLICATION DU RÉGIME DE DROIT INTERNATIONAL : RAPPEL DE LA POSITION SUR L’ILLICÉITÉ ET SES CONSÉQUENCES, AINSI QUE DES POINTS ANTÉRIEUREMENT TRANCHÉS SUR LESQUELS REPOSE CETTE POSITION
2. a) L’illicéité et ses conséquences
8. Comme il est dit dans l’exposé écrit, l’occupation est intrinsèquement illicite au regard du droit international régissant l’emploi de la force (et constitue, en tant que telle, une agression) et du droit relatif à l’autodétermination. Il doit donc y être mis fin immédiatement. Les règles du droit international violées par la poursuite de l’occupation relèvent de deux domaines de caractère impératif (jus cogens). L’illicéité intrinsèque de l’occupation rend illicites les aspects de l’occupation supposant une prétendue annexion, qu’elle soit de jure ou de facto ; l’existence de l’occupation sur la base de cette prétendue annexion est illicite ; et cette prétendue annexion est sans effet en droit. Dans ces conditions, s’il n’est pas mis fin à l’occupation, le peuple palestinien a le droit d’y résister. L’occupation est également illicite dans la manière dont elle est conduite, notamment eu égard aux exactions et au traitement discriminatoire infligés au peuple palestinien, à l’implantation des colonies juives et au soutien apporté à celles-ci, et au déni du droit de retour du peuple palestinien. Cette illicéité doit aussi cesser immédiatement. Pour cela, Israël doit, par exemple, mettre fin aux exactions et au traitement discriminatoire dont le peuple palestinien fait l’objet, retirer tous les colons et toutes les colonies, et permettre au peuple palestinien de rentrer chez lui.
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2. b) Points antérieurement tranchés sur lesquels repose la détermination de l’illicéité
9. La position susmentionnée sur l’illicéité et ses conséquences repose sur les réponses données antérieurement à des questions plus générales :
a) Le peuple palestinien a droit à l’autodétermination externe.
b) La Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et Gaza font partie du territoire souverain de l’État de Palestine et du peuple palestinien en tant qu’unité susceptible d’autodétermination.
c) La Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et Gaza ne font pas partie du territoire souverain d’Israël. L’autorité exercée par Israël sur ce territoire n’est donc pas fondée sur la souveraineté et vise un territoire relevant de la souveraineté d’une autre personne de droit international.
d) En conséquence, il est interdit en droit à Israël d’annexer tout ou partie de ce territoire.
e) Également en conséquence, la licéité intrinsèque de l’exercice par Israël de son autorité sur ce territoire doit être déterminée conformément au droit relatif à l’autodétermination (du fait que l’autorité s’exerce par le recours à la force militaire) et au droit relatif à l’emploi de la force.
f) Aussi en conséquence, la licéité des modalités d’exercice de l’autorité par Israël sur ce territoire relève du droit relatif à l’occupation et du droit international des droits de l’homme (étant donné que celui-ci s’applique de manière extraterritoriale et que le critère d’applicabilité extraterritoriale est rempli).
g) Le peuple palestinien jouit du droit de retour.
h) Le peuple palestinien est en droit de résister à l’existence de l’occupation, celle-ci emportant violation de son droit à l’autodétermination.
3. L’ARGUMENT DE LA DÉROGATION JUSTIFIÉE À L’APPLICATION NORMALE DU RÉGIME DE DROIT INTERNATIONAL EXPOSÉ PLUS HAUT, ET SES RÉPERCUSSIONS SUR LA COMPÉTENCE DE LA COUR ET LA QUESTION DE SAVOIR SI L’OCCUPATION EST INTRINSÈQUEMENT ILLICITE
3. a) L’argument
10. Un petit nombre d’exposés écrits soumis en l’espèce semblent laisser entendre que, en consentant aux accords de paix d’Oslo et en continuant de soutenir leur application, l’OLP, en tant que représentant du peuple palestinien, aurait en quelque sorte accepté qu’il soit dérogé à l’application du régime de droit international permettant de déterminer la licéité de l’occupation et/ou aux réponses données antérieurement à des questions générales et sur lesquelles la détermination de la licéité est en partie fondée. Étant donné que le processus d’Oslo a reçu et conserve l’aval de l’ONU et de certains États, on semble également laisser entendre que cette prétendue dérogation a été approuvée par l’ONU et ces États.
11. Cette prétendue dérogation comporte deux éléments, le premier étant relativement général et le second, relativement spécifique.
12. En premier lieu, quelques-uns des exposés écrits laissent entendre que certaines réponses données antérieurement à des questions générales, sur lesquelles la détermination de la licéité serait partiellement fondée et qui sont résumées plus haut, ont été subordonnées à l’issue des négociations
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de paix. Il est soutenu dans ces exposés que la Cour serait malavisée de statuer sur ces questions, puisque les accords d’Oslo prévoient qu’elles doivent être examinées dans le cadre de négociations de paix. En conséquence, la Cour ne saurait se prononcer sur la licéité de l’existence et de la conduite de l’occupation, puisqu’il lui faudrait alors trancher des questions réservées aux négociations.
13. En second lieu, et de manière plus précise, quelques-uns des exposés écrits laissent entendre que, puisque les termes des accords d’Oslo tendent à reconnaître certains aspects de la présence israélienne dans le territoire palestinien durant une période intérimaire, ces aspects se trouvent ainsi autorisés par le droit international. La position sur l’illicéité intrinsèque de l’occupation est donc différente de celle à laquelle on arrive en appliquant le régime de droit international général résumé plus haut. Les accords d’Oslo se trouvent ainsi à déroger à ce régime, en rendant licite ce qui serait autrement illicite.
3. b) Le maintien de l’application normale du droit international pendant la durée des différends internationaux et dans le cadre de leur règlement
14. Si le peuple palestinien ne possédait pas de droit collectif à l’autodétermination externe en droit international, il s’ensuivrait en effet que la question de l’existence de l’occupation n’y est pas liée et que toute solution à cette question dépend uniquement de ce qu’Israël aurait accepté dans le cadre des négociations.
15. Or, comme la Cour l’a elle-même indiqué dans son avis consultatif sur le mur, il est universellement admis que le peuple palestinien possède effectivement le droit à l’autodétermination externe, ce qu’aucun des exposés écrits déposés en l’espèce n’a contesté et que la plupart ont défendu. Cette position entraîne des répercussions sur le statut de la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et de Gaza, et donc sur la licéité de l’occupation de ces territoires par Israël, tant du point de vue de l’existence de celle-ci que de celui de sa conduite. Ces répercussions ont été résumées plus haut.
16. La question est de savoir, d’une part, si les représentants du peuple palestinien ont en quelque sorte accepté de mettre de côté tout le champ d’application du droit à l’autodétermination en concluant et en continuant de soutenir les accords d’Oslo et, d’autre part, si cela emporte renonciation aux effets du droit à l’autodétermination sur la licéité intrinsèque de l’occupation et sur les questions antérieures sur lesquelles la détermination de cette licéité est en partie fondée (comme la question du statut de la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et de Gaza).
17. Or, lorsque les États et les populations prennent part à des négociations ou à quelque autre processus de règlement des différends mettant en cause les droits qu’ils tiennent du droit international, cela ne signifie pas qu’ils ont renoncé à ces droits. Bien qu’un processus de négociation puisse éventuellement amener une partie à accepter la restriction de certains droits, voire à y renoncer, et bien que ce résultat puisse être compris par certaines personnes comme étant l’objectif des négociations (« terre contre paix », par exemple), cette situation ne doit pas être confondue avec l’idée que ces droits n’existent même pas ou que la partie y a en quelque sorte renoncé en entamant des négociations portant sur d’éventuelles concessions.
18. Le peuple palestinien a conservé son droit à l’autodétermination externe en droit international, dans toute son acception et toute sa portée ordinaires, et les répercussions de ce droit sur les questions antérieures dont dépend en partie la détermination de la licéité, notamment le statut de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et de Gaza, ont continué d’opérer tout au long de la période pendant laquelle les représentants palestiniens ont conclu les accords d’Oslo, entre autres, et ont participé à des négociations. Il s’ensuit que les accords et les négociations sont restés sans effet
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sur le régime de droit international général applicable à la licéité de l’existence et de la conduite de l’occupation ainsi que les points de droit antérieurement tranchés et sur lesquels la détermination de la licéité est en partie fondée. Par exemple, si la question de savoir si le peuple palestinien doit renoncer à sa souveraineté sur certaines parties de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, au profit d’Israël, en échange d’un accord de paix permanent (« terre contre paix »), a été et peut encore être soulevée dans le cadre de négociations, cela ne signifie pas que la souveraineté du peuple palestinien sur tout ou partie de ce territoire a par là même déjà été en quelque sorte entamée ou suspendue. Ainsi que l’a dit la Cour dans son avis consultatif sur le mur (donné après les accords d’Oslo), la présence d’Israël sur ce territoire continue d’être celle d’un occupant non souverain. La licéité intrinsèque de cette occupation doit être appréciée à l’aune du régime général du droit international relatif à l’emploi de la force et à l’autodétermination.
19. L’application ininterrompue du droit international pendant la durée de négociations ou de tout autre processus de règlement des différends est une conséquence nécessaire de la primauté du droit international1. C’est ce qu’enseigne le droit international relatif au règlement des différends, qui prévoit notamment, aux termes du paragraphe 3 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies, que « [l]es Membres de l’Organisation règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en danger » (les italiques sont de nous). C’est ce qui ressort également du libellé du paragraphe 1 de l’article 1 de ladite charte, selon lequel l’un des buts des Nations Unies est de réaliser, « conformément aux principes de la justice et du droit international », « l’ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix ».
20. Il s’ensuit que tous les États, en tant que sujets de droit international et parties à la Charte des Nations Unies, sont juridiquement tenus de respecter pleinement l’application normale du droit international pendant la durée de tout processus de règlement d’un différend. De plus, quand l’ONU est associée à un tel processus et/ou prend position à son sujet, cela suppose nécessairement que le processus lui-même n’emporte pas, ni ne saurait emporter suspension de l’application normale du droit international aux questions qui le concernent. Les pouvoirs des organes de l’ONU sont limités par les buts et principes de l’Organisation, énoncés dans la Charte des Nations Unies, y compris, en conséquence, la disposition précitée selon laquelle le règlement des différends doit être conforme aux principes de la justice et du droit international. S’agissant du Conseil de sécurité en particulier, il convient de noter qu’une disposition de la Charte lie expressément ses pouvoirs aux buts et principes de l’ONU. Aux termes du paragraphe 2 de l’article 24, le Conseil « agit conformément aux buts et principes des Nations Unies »2. L’importance que l’ONU attache à la conformité des processus de règlement des différends avec le droit international, tant en général que dans le contexte particulier de la question à l’examen en l’espèce, a été soulignée par la Cour dans son avis consultatif sur le mur lorsqu’elle a appelé l’attention de l’Assemblée générale « sur la nécessité d’encourager [l]es efforts en vue d’aboutir le plus tôt possible, sur la base du droit international, à une solution négociée » (les italiques sont de nous) (p. 201, par. [162]).
1 Voir, par exemple, l’exposé écrit du Bangladesh en l’espèce : « Le droit international doit dicter les termes de toute solution future visant à remédier au sort du peuple palestinien. Ce dernier ne doit pas être contraint de négocier sa liberté face à un comportement illicite » (par. 8), et l’exposé écrit de la Norvège, où celle-ci exprime sa « préférence pour une solution des deux États négociée et pacifique dans le cadre du droit international » (p. 2).
2 Voir Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie (Serbie et Monténégro)), mesures conservatoires, ordonnance du 13 septembre 1993, C.I.J. Recueil 1993, opinion individuelle du juge ad hoc Lauterpacht, p. 440, par. 101, et Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), mesures conservatoires, ordonnance du 14 avril 1992, C.I.J. Recueil 1992, opinion dissidente de M. Weeramantry, p. 61-65, où sont examinés le but et le principe spécifiques en cause, concernant le droit international et le règlement des différends évoqués au paragraphe 1 de l’article 1.
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21. Comme à l’ordinaire, il est demandé à la Cour de se prononcer sur une question qui lui a été posée par un autre organe principal de l’ONU sur la base de cette conception de l’application du droit international lorsqu’un processus de règlement pourrait aussi être en jeu (en sus de la conception qu’elle a développée dans le cadre de sa juridiction contentieuse), en gardant à l’esprit que sa fonction est d’appliquer le droit international et qu’elle existe et fonctionne en tant qu’organe principal de l’ONU sur la base des pouvoirs qui lui sont conférés par la Charte des Nations Unies.
3. c) Les accords d’Oslo ne légalisent pas l’existence de l’occupation
3. c) i) Dispositions des accords d’Oslo relatives à la présence d’Israël en Cisjordanie et à l’existence de certaines institutions palestiniennes autonomes
22. Au moment de la rédaction des présentes observations écrites, les représentants du peuple palestinien (et d’Israël) continuent de soutenir l’applicabilité des accords d’Oslo de 1993 et de 1995 d’une manière générale.
23. Ces accords tendent à reconnaître le maintien de certains aspects de la présence israélienne dans le territoire palestinien pendant une période intérimaire. Ils prévoient également un relâchement partiel de l’autorité d’Israël dans certaines zones et, en conséquence, permettent à certaines institutions palestiniennes autonomes d’agir dans ces zones, même si elles sont toujours soumises à l’occupation dans l’ensemble.
24. Le droit du peuple palestinien et de ses représentants d’exercer de telles prérogatives et fonctions ne dépend pas des accords d’Oslo. Ils jouissent de ce droit, qui s’étend d’ailleurs à l’intégralité du territoire palestinien et pas seulement aux zones visées par les accords d’Oslo, en vertu de leur droit à l’autodétermination en droit international. De même, l’obligation incombant à Israël d’autoriser ces prérogatives et fonctions administratives ne dépend pas exclusivement des accords d’Oslo, mais aussi du droit relatif à l’autodétermination, qui oblige Israël, plus largement, à permettre l’autoadministration palestinienne dans l’ensemble de la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et de Gaza. Les accords d’Oslo ont donc pour effet d’imposer à Israël l’obligation conventionnelle de lever très partiellement ses entraves à l’autodétermination palestinienne, ce dernier étant par ailleurs tenu, au titre du droit international relatif à l’autodétermination, de mettre fin de manière définitive à ces entraves en renonçant entièrement au contrôle de l’ensemble de la Cisjordanie palestinienne, y compris Jérusalem-Est, et de Gaza.
25. Les accords d’Oslo ne légalisent pas l’existence de l’occupation. C’est dans le contexte d’un emploi illicite de la force qu’Israël a obtenu des représentants du peuple palestinien qu’ils acceptent ces accords, dont les dispositions censées permettre à Israël de maintenir sa présence dans le territoire palestinien sont contraires aux normes impératives du droit international. Ces deux facteurs, considérés séparément ou ensemble, entraînent ainsi la nullité des dispositions des accords d’Oslo censées légaliser l’occupation (même si les accords restent en vigueur d’une manière générale).
3. c) ii) Consentement forcé par l’emploi illicite de la force
26. Les accords ont été acceptés par l’OLP dans le contexte de l’occupation préexistante, conduite par l’autre partie, ce qui, comme il a été dit, constituait et reste un emploi illicite de la force.
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27. Dans une disposition reflétant la position du droit international coutumier, la convention de Vienne sur le droit des traités (ci-après la « convention de Vienne ») énonce ce qui suit en son article 52 : « Est nul tout traité dont la conclusion a été obtenue par la menace ou l’emploi de la force en violation des principes de droit international incorporés dans la Charte des Nations Unies »3. Cette règle, que la convention de Vienne (dont la formulation axée sur l’État peut être appliquée ici à une unité non étatique susceptible d’autodétermination) situe (dans le même article) dans le contexte de la « contrainte exercée sur un État par la menace ou l’emploi de la force », exprime la position de principe selon laquelle aucun État ne devrait être admis à employer illicitement la force pour obtenir des avantages qui seraient impossibles ou moins faciles à obtenir par des moyens pacifiques. L’absence d’une telle règle risquerait d’entraîner un recours accru à la guerre à l’échelle internationale. Les efforts visant à limiter la guerre à des circonstances bien précises de légitime défense afin, selon les premiers mots de la Charte des Nations Unies, de « préserver les générations futures du fléau de la guerre », présupposent et exigent non seulement qu’une telle théorie de l’emploi de la force comme moyen d’appropriation soit elle-même illicite, mais aussi, dans cette optique, que des dispositions soient adoptées afin de priver tout État des avantages que procure une guerre illicite. C’est la raison pour laquelle l’emploi de la force visant à annexer un territoire non seulement emporte violation du droit international relatif à l’emploi de la force (ce qui rend les actes d’annexion d’Israël illicites à ce chapitre), mais doit aussi être considéré comme une cause de nullité au regard du droit relatif aux titres territoriaux (en conséquence, Israël n’a aucune souveraineté sur les zones qu’il a prétendument annexées, telles que Jérusalem-Est).
28. Comme il est dit dans l’exposé écrit, l’existence de l’occupation n’est pas seulement pour Israël un moyen d’affirmer l’annexion de jure de certaines zones (il ne s’agit donc pas pour lui d’une occupation, mais d’une affirmation ostensible de souveraineté ou du moins de contrôle sur un territoire sur lequel il revendique un droit souverain). Il s’agit aussi, plus généralement, de la fabrication par Israël d’une « situation sur le terrain » lui conférant une position avantageuse pour la négociation des conditions de tout accord, notamment pour le cas où pareil accord lui attribuerait la souveraineté territoriale sur certaines parties du territoire palestinien. L’un des avantages escomptés est la position de faiblesse flagrante dans laquelle cette domination place manifestement le peuple palestinien en vue des négociations, que l’accord porte sur un statut intérimaire ou sur un statut définitif, a fortiori lorsque l’accord en question porte, comme en l’espèce, sur la nature même de cette domination, c’est-à-dire sur la reconfiguration du fonctionnement de l’occupation.
29. Les représentants d’un peuple dominé sont censés avoir accepté les conditions de leur domination à l’issue de négociations avec l’État dominateur, alors que cette forme particulière de domination était interdite par le droit international en tant qu’emploi illicite de la force et, de surcroît, en partant du principe que la domination ne prendrait pas fin mais serait simplement reconfigurée, certes à titre prétendument intérimaire. Il n’y a donc pas de solution de continuité entre la ligne de conduite prévue par les accords de la part d’Israël et l’emploi préexistant et illicite de la force par ce dernier. Il s’agit d’une situation insolite où un État utilise illicitement la force pour contraindre la cible de cette force à accepter un arrangement qui équivaut à la continuation, sous une forme partiellement reconfigurée, de l’emploi illicite de la force. La fin immédiate et automatique de l’utilisation illicite de la force (l’occupation), c’est-à-dire ce que le peuple palestinien réclamait (et réclame toujours) et que le droit international exigeait, n’était pas envisageable.
3 Convention de Vienne sur le droit des traités, 2[3] mai 1969, Nations Unies, Recueil des traités (RTNU), vol. 1155, p. [367].
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30. On se souviendra que, dans son avis consultatif au sujet de l’archipel des Chagos, la Cour a dit considérer que
« dans une situation où une partie du territoire non autonome est séparée pour créer une nouvelle colonie, la question du consentement doit être évaluée avec la plus grande vigilance … il n’est pas possible de parler d’un accord international lorsque l’une des parties, à savoir Maurice, qui aurait cédé le territoire au Royaume-Uni, était sous l’autorité de celui-ci » (p. 137, par. 172).
Bien évidemment, les accords d’Oslo ne prévoyaient pas qu’une partie du territoire palestinien ferait partie du territoire souverain israélien. Mais ils tendaient à laisser une partie importante de ce territoire sous contrôle israélien, situation pouvant donner l’impression qu’Israël jouit de la souveraineté associée à un titre juridique (et pouvant, comme il est dit plus haut ainsi que dans l’exposé écrit, servir à mettre en place une « situation sur le terrain » destinée à étayer une revendication de souveraineté). La logique qui incite la Cour à examiner avec la plus grande vigilance la question du consentement prend toute son importance dans le contexte où, au moment de l’adoption des accords, le territoire palestinien « était sous l’autorité d’Israël ».
31. Étant donné qu’une grande partie du droit international repose sur la fiction de l’égalité souveraine des États en dépit de leur inégalité de facto, les traités entre parties inégales ne sont pas nécessairement invalides pour cette raison. Mais le seuil de l’invalidité est franchi lorsque la partie puissante, comme en l’espèce, assujettit l’autre partie par un moyen particulier, à savoir l’emploi illicite de la force, d’une manière qui compromet à ce point la liberté d’action de cette autre partie, lorsqu’il s’agit de son consentement à l’accord, que celui-ci peut être considéré comme ayant été « obtenu » par cette forme particulière d’assujettissement. Les accords d’Oslo répondent à ce critère. De fait, leur signature dans le contexte de l’occupation constitue une forme manifeste et flagrante de coercition. Ce qui est en jeu ici, c’est l’intégrité des règles mondiales régissant l’emploi de la force et l’interdiction de recourir à la force à des fins générales d’appropriation.
32. Cela signifie-t-il que l’ensemble des accords sont nuls, ou cette nullité ne frappe-t-elle que leurs dispositions qui sont au désavantage de la partie palestinienne dont le consentement a été obtenu par l’emploi illicite de la force ? Cette question sera examinée plus loin, ainsi qu’une question voisine découlant du conflit entre certaines stipulations des accords d’Oslo et les normes impératives du droit international.
3. c) iii) Conflit avec les normes impératives
33. Comme il est expliqué dans l’exposé écrit, le droit à l’autodétermination et l’interdiction de l’agression, qui sont violés par l’existence de l’occupation, constituent des normes impératives du droit international. Dans ces conditions, les dispositions des accords d’Oslo qui sont censées donner à Israël l’autorité de maintenir sa présence dans certaines parties du territoire palestinien entrent en conflit avec des normes impératives de la façon suivante :
a) Premièrement, elles visent essentiellement à légaliser une situation interdite par ces normes impératives.
b) Deuxièmement, elles autorisent Israël à invoquer l’occupation illicite (par l’effet coercitif évoqué ci-dessus) pour justifier en droit le maintien de l’occupation, ce qui aurait été difficile, voire impossible, si l’occupation illicite n’avait pas existé au moment où les accords ont été négociés et conclus. Étant donné qu’ils donnent à cet avantage un encrage juridique international, les accords sont en conflit avec l’interdiction de l’emploi de la force qui empêche les États d’utiliser
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la force autrement qu’en cas de légitime défense, c’est-à-dire avec l’interdiction faite à Israël d’employer la force pour obtenir pareil avantage.
c) Troisièmement, ainsi qu’il est expliqué plus haut, les dispositions précitées permettent à Israël de se donner une justification en droit pour contraindre, par l’emploi illicite de la force, les représentants du peuple palestinien à « accepter » les arrangements qu’elles mettent en place, ce qui est incompatible avec le droit à l’autodétermination, qui exige que l’acceptation soit donnée librement. Pour la seule raison qu’elles font fi de l’exigence d’un consentement valable, ces dispositions sont en conflit avec le droit à l’autodétermination. De surcroît, cet état de choses est aggravé du fait que les arrangements visés par ces dispositions impliquent, en substance, le maintien des entraves imposées à l’autonomie administrative du peuple palestinien. On peut s’étonner qu’il faille le préciser, mais c’est violer le droit à l’autodétermination que d’invoquer le déni antérieur de ce droit (l’occupation) pour contraindre un peuple ayant droit à l’autodétermination externe d’accepter une forme modifiée et continue de cette privation.
34. Les accords d’Oslo n’ont pas valeur de jus cogens. Ils doivent donc être interprétés d’une manière compatible avec le caractère péremptoire des normes interdisant l’existence et la conduite de l’occupation par Israël, toute incompatibilité devant être résolue en faveur des normes impératives. Le raisonnement suivi ici aboutit au même résultat que celui exposé ci-dessus concernant la contrainte sous laquelle les Palestiniens ont accepté les accords : la nullité. Ici, la convention de Vienne reprend la position adoptée, à l’article 52, eu égard au point ci-dessus. Son article 53, également compris comme reflétant la position en droit international coutumier, énonce ce qui suit : « Est nul tout traité qui, au moment de sa conclusion, est en conflit avec une norme impérative du droit international général »4. La question soulevée par le point ci-dessus se pose donc ici encore : cela signifie-t-il que l’ensemble du traité est nul, ou cette nullité ne frappe-t-elle que les dispositions contraires aux normes impératives (jus cogens) ? Cette question sera maintenant examinée pour ces deux points.
3. c) iv) Annulation : l’ensemble des accords ou seulement certaines dispositions ?
35. Une question commune est soulevée par la position selon laquelle la signature des accords d’Oslo a été obtenue par l’emploi illicite de la force, et les dispositions des accords qui permettent à Israël de maintenir certaines formes d’autorité sur le territoire palestinien entrent en conflit avec des normes impératives du droit international : cela signifie-t-il que l’ensemble du traité est nul, ou cette nullité ne frappe-t-elle que certaines de ses dispositions ?
36. Comme il a été dit, les dispositions en jeu de la convention de Vienne sont les articles 52 (consentement obtenu par la contrainte) et 53 (conflit avec les normes impératives). (L’article 44 de la convention de Vienne, relatif aux circonstances particulières dans lesquelles une partie à un traité pourrait décider « de dénoncer le traité, de s’en retirer ou d’en suspendre l’application », dispose que, « [d]ans les cas prévus aux articles ... 52 et 53, la division des dispositions d’un traité n’est pas admise ». Cette disposition est sans intérêt pour l’espèce, qui concerne le sens et l’application du traité, que la partie ait ou non cherché à le dénoncer, à s’en retirer ou à en suspendre l’application.)
37. Les articles 52 et 53 de la convention de Vienne disposent que le « traité » visé est « nul ». L’application des principes d’interprétation des traités à ces dispositions, principes qui sont eux-mêmes énoncés dans la convention de Vienne (art. 31), exige qu’elles soient interprétées selon le « sens ordinaire » à attribuer aux termes du traité dans leur « contexte », et « à la lumière » de
4 Convention de Vienne sur le droit des traités, 2[3] mai 1969, RTNU, vol. 1155, p. [367].
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« son objet et de son but » ; en sus du contexte, il doit être « tenu compte », entre autres, de toute « règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties ».
38. Si les accords étaient frappés de nullité intégrale et, par la force des choses, ab initio, il en irait de même des obligations mises à la charge d’Israël, comme il est dit plus haut, à savoir permettre au peuple palestinien une autonomie administrative partielle dans certaines zones. Bien que, comme nous l’avons expliqué, le droit à l’autonomie administrative ne dépende pas juridiquement des accords d’Oslo (en ce qu’il découle du droit à l’autodétermination en droit international, qui resterait inchangé), ceux-ci présentent néanmoins pour le peuple palestinien un avantage, à savoir l’autonomie administrative limitée que permet Israël sous leur régime parce qu’elle y est prévue et non parce que le droit international général lui en fait l’obligation. L’annulation intégrale des accords et des obligations faites à Israël risquerait d’entraîner la perte de cet avantage, étant donné que le comportement adopté par Israël est lié à la présence de ces obligations lex specialis, par opposition à l’obligation que lui fait le droit international de mettre fin à l’occupation. Cela étant dit, la nullité intégrale des accords emporterait également celle des dispositions censées autoriser Israël à poursuivre l’occupation des zones dans lesquelles son autorité n’a pas été transférée aux représentants du peuple palestinien.
39. Comme il est indiqué plus haut, le « contexte » de la règle de droit conventionnel relative à la nullité en cas de contrainte exercée par l’emploi illicite de la force (qui trouve son expression à l’article 52 de la convention de Vienne) est qu’une partie ne doit pas être autorisée à obtenir un avantage de l’autre partie ni à lui porter préjudice (que ce soit ou non à son propre avantage, le cas échéant) en exerçant sur elle une contrainte par l’emploi illicite de la force. Le droit international relatif à l’emploi de la force réside bien évidemment dans « toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties ». La dichotomie avantages/inconvénients peut fonctionner uniformément dans toutes les dispositions du traité et donc pour le traité dans son ensemble, ce qui justifierait l’annulation du traité lui-même. Mais lorsque, comme en l’espèce, une partie est contrainte par l’emploi illicite de la force à accepter un traité et se trouve soumise aux dispositions de ce traité qui sont pour une part à son détriment, mais pour une autre part à son avantage, l’annulation automatique et radicale de l’ensemble du traité atteint seulement le préjudice (injuste en raison de la contrainte illicite) sans tenir compte des avantages. Il serait plus judicieux de rendre nulles les composantes du traité qui sont au détriment de la partie contrainte, en laissant intactes celles qui sont à son avantage. Ainsi, les accords d’Oslo doivent être interprétés d’une manière qui préserve l’obligation incombant à Israël d’autoriser certains aspects de l’autonomie administrative du peuple palestinien, mais qui rend nuls les éléments permettant à Israël de maintenir sa propre présence sur le territoire palestinien.
40. Ainsi que l’a déclaré la Chambre de première instance du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie en l’affaire Furundžija, le « contexte » de la règle de droit conventionnel relative à la nullité en cas de conflit avec les normes impératives du droit international (énoncée à l’article 53 de la convention de Vienne) est que les normes de jus cogens se situent
« dans la hiérarchie internationale à un rang plus élevé que le droit conventionnel et même que les règles du droit coutumier « ordinaire ». La conséquence la plus manifeste en est que les États ne peuvent déroger à ce principe par le biais de traités internationaux, de coutumes locales ou spéciales ou même de règles coutumières générales qui n’ont pas la même valeur normative. »5
5 Le Procureur c/ Anto Furundžija, affaire no IT-95-17/1-T, jugement, 10 décembre 1988, par. 153.
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Pareil raisonnement ne vise nécessairement que les règles qui ont un « rang plus élevé ». Il ne concerne également que les situations où il serait dérogé à ces règles ou à leur application. Cela a deux conséquences pour les accords d’Oslo.
41. En premier lieu, ce raisonnement impose seulement que les dispositions censées légaliser la poursuite de l’occupation soient invalidées.
42. En second lieu, la nécessité de préserver et de protéger l’existence et l’application des normes impératives suppose nécessairement que les autres volets des accords d’Oslo qui permettent une mise en oeuvre partielle du droit du peuple palestinien à disposer de lui-même soient sauvegardés et ne soient pas invalidés. Bien évidemment, ainsi qu’il est expliqué plus haut, si l’ensemble des accords d’Oslo était annulé, y compris ces autres volets clés, le peuple palestinien conserverait son droit d’être libéré de l’occupation, puisque l’existence de ce droit ne dépend pas desdits accords. Il n’en reste pas moins que le poids normatif supplémentaire partiel des accords d’Oslo est considérable pour les raisons susmentionnées. Leur annulation équivaudrait donc à supprimer une garantie supplémentaire de respect partiel d’un droit qui revêt un caractère impératif. Si un droit est impératif en soi, il en va de même du respect de ce droit. En conséquence, la logique qui sous-tend une règle comme celle énoncée à l’article 53 de la convention de Vienne exige que cette règle soit appliquée d’une manière qui n’ait pas de répercussions négatives sur la jouissance des droits à caractère impératif. Cela suppose que seules les dispositions qui emportent violation des normes impératives soient nulles, les autres dispositions qui prévoient une réalisation partielle des droits à caractère impératif restant en vigueur.
43. Le raisonnement applicable à ces deux questions d’annulabilité est donc le même pour chacune d’elles : il convient d’annuler les volets des accords d’Oslo qui permettent à Israël de maintenir sa présence dans le territoire palestinien en particulier, sans rendre nuls les accords dans leur ensemble.
44. On peut considérer que ce raisonnement va à l’encontre du principe du consentement qui est à la base du droit conventionnel (et qui fait donc partie de l’« objet et [du] but » de la convention de Vienne dont il doit être tenu compte pour l’interprétation de ses articles 52 et 53), en ce sens que l’État qui emploie une force illicite pour contraindre une autre partie à accepter un état de choses qui est à son avantage et qui emporte violation de normes impératives a nécessairement lui-même accepté ce traité avec les avantages et les violations qu’il suppose. Partant, Israël ne peut pas être considéré comme ayant consenti aux accords d’Oslo si ces avantages et ces violations sont nuls. Les accords devraient donc être nuls dans leur ensemble.
45. Pareil raisonnement repose sur une logique particulière, en ce qui concerne les avantages et les inconvénients réciproques et bilatéraux des traités, qui ne tient pas compte du contexte plus large dans lequel certains traités sont adoptés, comme c’est le cas en l’espèce, ni du régime de droit international applicable dans ce contexte plus large. Lorsqu’un traité représente l’accord intervenu entre deux parties sur les droits et obligations qui leur sont réciproques et exclusifs, c’est-à-dire les droits et obligations applicables aux deux parties, qui sont dus par l’une à l’autre et vice versa, il est toujours difficile de le déconstruire en vue d’annuler certains volets avantageux pour l’une des parties, en gardant à l’esprit que l’octroi de ces avantages à cette partie pourrait être lié à sa disposition à accepter d’autres volets de l’accord qui sont à son détriment. Tout détissage risque de perturber l’équilibre coûts/avantages initialement à la base de l’acceptation du traité par cet État.
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46. Cela étant, les traités sont rarement adoptés dans un vide juridique où les questions qu’ils concernent n’obéiraient pas déjà à des règles de droit international, et il en va certainement ainsi des accords d’Oslo. En ce qu’ils font officiellement partie d’un processus de règlement, ils doivent en effet, ainsi qu’il est expliqué plus haut, être conformes au régime de droit international général applicable. Si les accords étaient nuls dans leur ensemble, la position en droit international serait (comme c’est le cas) que l’occupation est intrinsèquement illicite, ce qui signifie qu’Israël ne serait pas fondé en droit à exercer une quelconque autorité où que ce soit dans le territoire palestinien. Israël aurait aussi l’obligation positive de permettre au peuple palestinien d’exercer le plein contrôle de ce territoire. Si en revanche les accords d’Oslo continuaient de s’appliquer malgré l’annulation des dispositions censées lui fournir le fondement nécessaire à l’exercice de certaines formes d’autorité dans le territoire palestinien, Israël se trouverait alors dans la même position que si les accords étaient annulés dans leur ensemble. Ainsi, les deux avenues possibles, à savoir l’annulation de l’ensemble des accords ou celle des seuls volets qui sont censés légaliser l’autorité d’Israël sur certaines parties du territoire palestinien, aboutissent au même résultat en ce qui concerne le droit d’Israël d’exercer son autorité sur ce territoire. Présenter les accords d’Oslo comme un « marché » réciproque impliquant qu’Israël renonce à certains de ses droits afin d’obtenir certaines choses revenant de droit au peuple palestinien et vice versa est foncièrement inconciliable avec la position qui était et reste celle des deux parties au regard du droit international. Israël n’a aucun droit sur ce qu’il a convenu de permettre au peuple palestinien d’exercer en partie, alors que ce dernier était déjà fondé en droit à faire ce qu’Israël prétendait lui permettre de faire en partie. L’annulation des volets des accords d’Oslo qui sont censés permettre à Israël de continuer l’occupation n’invalide donc pas ces accords au regard du principe du consentement. Elle ne priverait pas injustement Israël d’une chose qu’il aurait reçue en contrepartie de la cession d’autre chose, puisque Israël n’avait aucun droit sur la chose qu’il aurait « cédée » et qu’il aurait été tenu d’abandonner indépendamment de toute obligation prévue en ce sens par les accords d’Oslo, et qui revenait déjà de droit à l’autre partie.
3. c) v) Les accords d’Oslo ne légalisent pas l’existence de l’occupation
47. Pour résumer l’analyse qui précède, les accords d’Oslo ne changent en rien le sens et l’application du régime de droit international général sur la question de l’illicéité intrinsèque de l’occupation puisque, d’une part, ils ne confèrent pas à Israël un titre conventionnel valable lui permettant d’exercer une quelconque autorité sur le territoire palestinien et, d’autre part, ils ne prévoient pas d’acceptation réciproque par le peuple palestinien de l’exercice d’une telle autorité.
3. d) La relation entre la compétence consultative de la Cour et les négociations de paix
48. On aurait tort de penser que, en venant clarifier la position du droit concernant la licéité de l’existence et de la conduite de l’occupation et en se prononçant pour ce faire sur des questions de droit antérieures, la Cour mettrait en péril l’issue des négociations ou se trouverait à y substituer son propre avis, car les questions qu’elle examine trouvent déjà leur réponse en droit international, qu’elles finissent ou non par être abordées dans le cadre des négociations et indépendamment de l’issue éventuelle de celles-ci. En effet, comme il est dit dans l’exposé écrit, la question de l’illicéité de l’existence et de la conduite de l’occupation se pose depuis 1967.
49. En outre, dans son avis consultatif sur le mur, la Cour s’est déjà prononcée sur certaines des principales questions de fond résumées plus haut (le droit du peuple palestinien à disposer de lui-même ; la relation non souveraine d’Israël avec la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est ; l’application consécutive du droit relatif à l’occupation et l’application extraterritoriale du droit des droits de l’homme ; l’interdiction consécutive de l’annexion et des colonies), ainsi que sur certains éléments de la question de la licéité. Elle était bien consciente du cadre et du processus des négociations, qu’elle a d’ailleurs évoqués, et du fait qu’ils étaient mis en avant par les représentants
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du peuple palestinien, d’Israël et de l’ONU. De toute évidence, elle n’a pas considéré que l’existence du cadre et du processus des négociations l’empêchait de statuer.
50. De fait, la Cour s’est prononcée alors que le processus de négociation se trouvait dans ce qui devait être une phase temporaire et intérimaire, entamée depuis près de dix ans à la suite des accords d’Oslo. Deux autres décennies se sont écoulées depuis, soit trois décennies au total. Si l’attachement continu à un processus n’était nullement considéré comme un obstacle pour statuer, alors il en va certainement de même aujourd’hui, 20 ans plus tard.
51. Certes, la question dont la Cour est saisie aujourd’hui est plus large que dans la procédure précédente. En conséquence, l’éventail des points sur lesquels elle doit se prononcer est plus large. Mais il ne s’agit là que d’une différence de degré. En substance, il est aujourd’hui demandé à la Cour de faire ce qu’elle a été capable de faire à l’époque. De fait, comme nous l’avons dit, elle s’est prononcée clairement à l’époque sur certaines des questions générales de fond et sur certains aspects de l’illicéité substantielle, qu’elle est aujourd’hui priée d’examiner.
52. Il importe aussi de souligner qu’il est demandé à la Cour de déterminer la position actuelle du droit international concernant la licéité de l’existence et de la conduite de l’occupation, et d’examiner à cette fin, selon que de besoin, toute question générale préalable. Il ne lui est pas demandé de statuer sur des questions ex aequo et bono. Rien de ce qu’elle dira dans sa réponse n’empiétera donc sur quoi que ce soit qui ne serait pas déjà tranché par le droit international : la Cour ne fera que clarifier en quoi consiste cette position. Quand elle a constaté dans son avis consultatif sur le mur que, par exemple, le peuple palestinien avait le droit de disposer de lui-même en droit international, qu’Israël ne jouissait pas de la souveraineté sur le territoire palestinien occupé depuis 1967 et que l’implantation par Israël de colonies de peuplement en Cisjordanie était illicite, la Cour n’a d’aucune façon créé ces positions en droit international. Ainsi, l’avis consultatif donné le 9 juillet 2004 n’a pas eu pour effet soudain de conférer au peuple palestinien le droit à l’autodétermination externe, de priver Israël de toute autorité sur la Cisjordanie et de rendre illicites les colonies israéliennes en Cisjordanie. Tel était déjà le cas. De même, en l’espèce, il n’est pas demandé à la Cour de rendre illicites l’existence et la conduite de l’occupation israélienne. Il lui est demandé de dire si le droit international les tient pour illicites. Si elle parvient à la conclusion que l’occupation est illicite, ce qui est notre position, sa décision ne rendra pas l’occupation soudainement illicite à la date du prononcé. Elle fera autorité en tant que confirmation d’une situation préexistante et déjà à l’oeuvre, notamment durant toute la période suivant la signature des accords d’Oslo. En conséquence, l’avis que pourrait donner la Cour sur la question dont elle est saisie ne saurait en aucun cas être interprété comme une ingérence dans le processus diplomatique. Il s’agit simplement de clarifier le contexte juridique international dans lequel ce processus s’est déroulé et se déroule (si tant est que l’on puisse considérer qu’il continue d’exister).
53. En effet, étant donné le rôle central du droit international dans le règlement des différends, comme il est expliqué plus haut, le fait que la Cour apporte de telles clarifications doit nécessairement être considéré comme une contribution positive aux perspectives et au processus de règlement et, plus précisément, comme une orientation utile que l’organe judiciaire principal donne à l’organe politique qui sollicite son avis et aux autres organes non judiciaires de l’ONU, notamment le Conseil de sécurité6. Dans ce contexte, il est étrange de voir que les exposés écrits soumis par quelques États, dont Israël, s’opposent à la présente procédure en invoquant le processus de colonisation. Sur quoi
6 Voir, par exemple, les exposés écrits soumis en l’espèce par la Norvège (« un avis consultatif de la Cour apportera de précieuses orientations à l’Assemblée générale et au Conseil de sécurité et contribuera à faire avancer le processus de négociation d’une solution des deux États fondée sur des paramètres internationalement convenus et le droit international public », p. 2) ; et la Chine (« la Cour devrait … []aider [l’Organisation des Nations Unies] à traiter la question de la Palestine et [lui] apporter son concours à la recherche d’une solution appropriée à la question », par. 15).
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ces États (certes très peu nombreux) peuvent-ils se fonder pour avancer qu’il serait préjudiciable au processus de règlement de ce conflit que la Cour clarifie le cadre juridique international applicable aux différends ?
54. On peut supposer que ces exposés écrits traduisent la position selon laquelle le processus de négociation doit être mené sur une autre base que le droit international, pour aboutir à un résultat et à un accord qui s’écartent de l’application de celui-ci. Pareille position serait grandement avantageuse pour Israël et, par conséquent, au grave détriment du peuple palestinien, étant donné que les revendications et les aspirations d’Israël à la souveraineté territoriale au-delà de ses frontières de 1948 coïncident exactement avec le territoire, à savoir tout ou partie de la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est), qui relève de la souveraineté territoriale de l’État de Palestine et du peuple palestinien en tant qu’unité susceptible d’autodétermination (et donc sur lequel Israël ne possède aucun droit souverain valable). Or pareille position n’entre pas dans les paramètres juridiquement admissibles du droit relatif au règlement des différends internationaux. Elle ne saurait donc constituer un motif valable pour s’opposer à ce que la Cour clarifie la situation en droit. Cela reviendrait à tenter d’entraîner cette dernière (en réussissant à la convaincre d’exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas exercer sa compétence) dans le processus politique consistant à minimiser et à occulter le sens et l’importance du droit international dans un différend, afin de donner un avantage à l’une des parties dans les efforts déployés par elle pour aboutir à un règlement du différend qui soit contraire au droit international. Cela impliquerait que la Cour, abusant ainsi de sa fonction judiciaire, adopte une position politique qui, de surcroît, emporte violation de la Charte des Nations Unies.
55. Ces objections peuvent par ailleurs traduire la volonté cynique d’invoquer un processus qui n’est en réalité nullement mené ou considéré comme un moyen viable de produire un règlement définitif. L’existence de ce processus sert au contraire à éviter la question fondamentale de la licéité du contrôle exercé par Israël sur la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et Gaza, contrôle qui se poursuit depuis plus d’un demi-siècle. Si tel est le cas, non seulement ces États se réclament d’un processus qu’ils considèrent comme un simulacre, mais ils le font de mauvaise foi devant la Cour, qui serait là encore amenée à épouser une position politique. Il s’agirait alors de détourner l’attention de la question fondamentale de l’illicéité afin d’en faire profiter l’État, à savoir Israël, qui en est responsable. Le bénéfice résiderait dans les avantages qu’Israël retire en maintenant la situation illicite et en se soustrayant à l’examen attentif et aux critiques que susciterait la reconnaissance du fait que l’occupation est intrinsèquement illicite et que l’illicéité de sa conduite est généralisée, systématique et flagrante. De même, la Cour serait également poussée à accorder des avantages connexes aux États qui ont soutenu Israël dans la mise à effet de l’occupation ou qui, à tout le moins, ont refusé de la contester pleinement à cet égard, et dont la responsabilité et la réputation propres sont ainsi en jeu, en ce qu’elles sont liées au comportement et à la réputation d’Israël.
4. LA SITUATION DONT EST SAISIE LA COUR EST DE NATURE MULTILATÉRALE
56. Il est avancé dans quelques-uns des exposés écrits que la situation dont la Cour est saisie est exclusivement ou essentiellement un différend bilatéral, ce qui entraîne des répercussions sur la question de savoir si la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour répondre à la question qui lui a été posée par l’Assemblée générale.
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57. La situation dont la Cour est saisie, qui est depuis longtemps et reste au coeur de l’intérêt public mondial, est manifestement de nature multilatérale7, et ce, entre autres, parce que le territoire qui s’étend entre le Jourdain et la mer Méditerranée et ses habitants revêtent une importance historique, religieuse et culturelle pour de nombreuses personnes dans le monde, notamment sur le plan religieux, en raison du rôle central de ce territoire et des sites qu’il abrite, particulièrement Al-Qods/Jérusalem, dans les trois principales religions abrahamiques. C’est aussi parce que l’espèce intéresse des questions — colonisation, décolonisation et autodétermination ; emploi de la force militaire, y compris l’occupation militaire, et recherche de la paix ; interdiction de la discrimination raciale ; autres protections fondamentales des droits de l’homme — qui sont considérées comme étant d’intérêt mondial commun.
58. C’est ce qui ressort des éléments suivants :
a) La position de la Palestine en tant que territoire placé sous mandat de la Société des Nations, visé par les obligations internationales spéciales découlant de la « mission sacrée de civilisation » énoncée dans le Pacte de la Société des Nations (art. 22) (qui fait partie du traité multilatéral de Versailles) et soumise à la surveillance de la Société des Nations, celle-ci étant l’organisation multilatérale prééminente en son temps.
b) Le rôle subséquent et consécutif joué par l’ONU, qui est l’organisation multilatérale prééminente depuis 1945, et de l’ensemble de ses organes et entités, dont la Cour (dans deux procédures antérieures et deux procédures en cours, y compris la présente instance consultative), depuis sa création, dans la situation de l’ensemble du territoire qui s’étend entre le fleuve et la mer et de ses habitants, en général, et dans celle du territoire palestinien occupé par Israël depuis 1967, en particulier8. Dans ce contexte, l’Assemblée générale a réaffirmé en 2002 que « l’Organisation des Nations Unies a[vait] une responsabilité permanente à assumer en ce qui concerne la question de Palestine jusqu’à ce qu’elle soit réglée sous tous ses aspects de manière satisfaisante et dans le respect de la légitimité internationale »9.
c) Comme il est expliqué dans l’exposé écrit, les règles du droit international violées par Israël à raison tant de l’existence que de la conduite de l’occupation relèvent de différents domaines — le droit relatif à l’autodétermination, l’interdiction de l’agression, l’interdiction de la discrimination raciale en général et de l’apartheid en particulier, les normes fondamentales du droit international humanitaire, notamment l’implantation de colonies dans les territoires occupés, l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants — qui ont tous un caractère erga omnes et sont de ce fait, selon la définition du droit international, de nature bilatérale et multilatérale10.
7Voir aussi les exposés écrits soumis en l’espèce par les États suivants : Jordanie, par. 2.15 ; Palestine, par. 1.57 ; Liechtenstein, par. 1.56 ; Égypte, par. 44 ; Arabie saoudite, par. 17-18 ; Qatar, par. 6.100-6.101 ; Suisse, par. 16 ; Russie, par. 21 ; Yémen, par. 9 ; Pakistan, par. 13 ; Afrique du Sud, par. 35 ; Chine, par. 14 ; Irlande, par. 9 ; Malaisie, par. 18 ; Indonésie, par. 20.
8 Il convient de noter que, dans son avis consultatif sur le mur, la Cour s’est fondée sur ces éléments quand elle s’est dite d’avis que « la construction du mur d[eva]it être regardée comme intéressant directement l’Organisation des Nations Unies » et que la question dont elle était saisie « intéress[ait] tout particulièrement les Nations Unies, et … s’inscri[vai]t dans un cadre bien plus large que celui d’un différend bilatéral », réfutant ainsi l’affirmation voulant que l’objet de la requête de l’Assemblée générale soit « seulement … une question bilatérale entre Israël et la Palestine » : avis consultatif sur le mur, par. 49-50. Étant donné que ces éléments ne sont pas propres à la construction du mur, mais concernent, à tout le moins, l’ensemble de la situation dans le Territoire palestinien occupé dont la Cour est saisie aujourd’hui, le raisonnement qui sous-tend la conclusion de celle-ci relativement à la construction du mur en particulier est transposable à la situation en l’espèce.
9 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 57/107 du 3 décembre 2002, préambule.
10 Voir aussi les exposés écrits soumis en l’espèce par le Luxembourg, par. 22 ; le Brésil, par. 12 ; et la Suisse, par. 16.
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d) Le fait que 57 États et organisations internationales ont décidé de participer à la présente procédure pour soutenir, dans la grande majorité des cas, l’exercice de la compétence de la Cour en l’espèce et pour présenter leurs observations sur le fond de la question soumise à celle-ci. Il s’agit là du plus grand nombre, au moment de la rédaction des présentes observations, d’États et d’organisations internationales enregistré en 77 ans d’existence de la Cour, et ces États représentent plus du quart de l’ensemble des Membres de l’ONU.
59. Or, parmi ces nombreux États participant à la présente procédure, quelques-uns, autres qu’Israël, ont avancé que l’objet de la présente procédure était d’une manière ou d’une autre exclusivement ou essentiellement bilatéral. Qu’Israël fasse valoir cet argument est une chose, mais il est étrange de voir d’autres États intervenir dans la procédure pour déclarer, au nom du même argument, qu’ils n’auraient aucun intérêt légitime dans l’instance portée devant la Cour. Ils rejettent ainsi l’existence d’un intérêt général ou, à tout le moins, affirment que celui-ci n’est guère important lorsqu’il s’agit de la nature de la question posée à la Cour, mais invoquent un intérêt général manifeste (comme fondement nécessaire de leur intervention) lorsqu’il s’agit de déterminer si la Cour doit répondre à la question. Or ils ne peuvent pas jouer sur les deux tableaux. L’acte même d’intervenir sape l’argument soutenu dans leur intervention.
60. (De fait, dans certains cas, ces États semblent vouloir jouer sur tous les tableaux. Le Royaume-Uni, par exemple, insiste pour dire que la situation est essentiellement bilatérale et ne devrait donc pas être tranchée par la Cour, tout en avançant ses propres arguments, dans le même exposé écrit, qui présupposent la résolution des questions générales sur lesquelles il dit que la Cour ne doit pas se prononcer. Pour le Royaume-Uni, l’injonction de se tenir à l’écart d’une question essentiellement bilatérale ou, à titre subsidiaire, la qualification de cette situation comme étant essentiellement bilatérale, semble avoir une application sélective qui serait limitée à la Cour internationale de Justice et, indirectement, à l’Assemblée générale (en tant qu’organe de l’ONU auquel l’avis est destiné), mais pas en ce qui le concerne.)
61. De même, compte tenu de la nature même du Conseil de sécurité et du fondement juridique de son action, il est déconcertant de voir ces États invoquer l’importance de ses résolutions relatives au processus de paix pour curieusement étayer l’argument voulant que la situation en question dans ce processus soit de nature essentiellement bilatérale. En effet, les États membres du Conseil qui avancent l’argument du caractère « essentiellement bilatéral » ne tiennent pas compte du fait qu’ils agissent en cette qualité au nom de l’ensemble de l’Organisation et que toute intervention du Conseil, notamment en l’espèce, reflète en soi le caractère multilatéral de la situation et y contribue.
62. À la vérité, ces quelques États s’emploient à exprimer une position de fond sur ce qu’est et doit être la position multilatérale mondiale commune au sujet des questions soumises à la Cour, tout en prétextant avec mauvaise foi que ces questions n’ont que peu ou pas de caractère multilatéral pour masquer l’objet de leur intervention. Ainsi qu’il a été dit plus haut concernant les positions défendues par certains États, dont certains soutiennent l’argument en question, il existe une préférence politique pour que la situation en Cisjordanie palestinienne (y compris Jérusalem-Est) et à Gaza soit abordée dans un contexte multilatéral, mais sans qu’il soit pleinement fait référence ou donné effet à l’application normale du droit international, et ce, tant en ce qui concerne la façon dont cette situation est comprise aujourd’hui que les fondements d’un éventuel règlement. Pour ces États et Israël, l’avis de la Cour risque de montrer à quel point leur dessein politique mondial en la matière va à l’encontre de la position multilatérale sur la situation lorsque cette position est appréciée au regard du droit international.
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63. Il s’agit donc d’une tentative faite par quelques États pour empêcher la Cour de révéler à quel point leur propre position est éloignée de la position multilatérale à laquelle mène le droit international. De plus, comme il a été dit précédemment, la manoeuvre a pour but de pousser la Cour à entériner le rejet de l’importance du caractère multilatéral de la situation, qu’ils préconisent afin de servir leur dessein, c’est-à-dire faire en sorte que cette situation soit comprise et traitée sur une base autre que celle à laquelle conduit l’application du droit international. Encore une fois, il s’agit d’une tentative d’ingérence dans la fonction judiciaire de la Cour, au service d’un traitement de la situation qui irait à l’encontre de la règle voulant que les différends doivent être réglés conformément au droit international. Cette tentative ne vise donc pas seulement à persuader la Cour de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire d’exercer sa compétence en l’espèce. Elle vise également à amener la Cour à accepter leur qualification de la situation, avec des répercussions importantes et exemplaires, au-delà de la présente procédure, sur la façon dont cette situation est comprise et devrait être réglée.
5. LA COUR EST EN MESURE DE JUGER DANS SON INTÉGRALITÉ UNE SITUATION COMPLEXE ET INSTALLÉE DE LONGUE DATE, S’ACQUITTANT AINSI D’UNE FONCTION INDISPENSABLE MISE À SA CHARGE PAR LA CHARTE DES NATIONS UNIES
64. On a laissé entendre que la question posée à la Cour imposerait à celle-ci d’examiner des sujets qui sont si complexes, qui exigent tant d’information et qui couvrent une si longue période que sa tâche serait foncièrement trop lourde. La Cour devrait en conséquence soit ne pas exercer du tout sa compétence, soit alléger sa tâche en sélectionnant des points précis couverts par la question sans traiter les autres.
65. Il est difficile de comprendre cet argument si l’on éprouve quelque respect envers la Cour et ses membres. Et si l’on possède ne serait-ce qu’une connaissance superficielle de sa jurisprudence, qui démontre une expérience manifeste, sur une très longue période, dans le traitement du type de procédure qui est maintenant présentée comme débordant, assez curieusement, les capacités de la Cour. On se souviendra que l’Afrique du Sud de l’époque de l’apartheid a soulevé la question de la complexité factuelle pour contester la compétence de la Cour dans la procédure consultative au sujet de la Namibie. Elle a « mis en doute que la Cour soit compétente pour donner un avis ou encore qu’elle doive le faire si, pour cela, il lui fa[llai]t se prononcer sur des questions de fait d’une portée étendue »11. La Cour a conclu que pareilles « limites … [à ses] pouvoirs … n’[avaie]nt de fondement ni dans la Charte ni dans le Statut »12.
66. Comme il a été dit plus haut, ce qui pourrait passer pour un simple effort en vue d’empêcher ou de restreindre l’examen de la question peut aussi être interprété comme une tentative plus troublante de mettre à exécution un dessein politique visant à contourner la primauté du droit international, en présentant la situation à la Cour comme si elle dépassait en quelque sorte l’entendement humain et ne pouvait pas être jugée rationnellement et équitablement, sur la base des éléments de preuve, en l’occurrence par un organe judiciaire appliquant le droit international. Il ne resterait donc, dans ces conditions, qu’à trancher les questions soumises à la Cour sur la base du pouvoir. Cette logique constitue une offense à la notion même de primauté du droit international. En lui demandant d’exercer son pouvoir discrétionnaire de refuser d’exercer sa compétence sur cette base, ces États tentent de gagner la Cour à leur dessein politique. Il ne s’agit pas seulement d’un manque de respect ordinaire envers la fonction judiciaire de la Cour. Il est aussi demandé à la Cour de se livrer à une forme de sabordage (en sus d’une autocritique de ses capacités supposées limitées)
11 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 27, par. 40.
12 Ibid.
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qui dégrade le fonctionnement même du système juridique international dont non seulement elle fait partie, mais dont l’existence même est liée à la sienne.
67. La sélection de points individuels, par opposition au rejet pur et simple de la requête dans son intégralité en raison de sa prétendue inintelligibilité, sert aussi un dessein politique qui va à l’encontre de la primauté du droit international et qui, en particulier, est contraire au rôle des Nations Unies et, en son sein, à celui de la Cour et d’un autre organe principal, soit l’Assemblée générale qui soumet cette question à la Cour. Une réponse partielle à la question favoriserait une démarche sélective et superficielle dans l’examen des questions globales au regard du droit international, sans égard aux éléments structurels qui sont des déterminants majeurs des problèmes visibles en surface.
68. Pareille démarche contrevient à la Charte des Nations Unies, le texte sous-tendant l’existence et le rôle de l’Assemblée générale et de la Cour. L’Organisation dont elles sont les organes principaux a pour vocation d’examiner les questions structurelles qui, selon ces quelques États, devraient être amputées de la présente procédure. Le préambule de la Charte des Nations Unies énonce les buts de l’Organisation, qui visent
« à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances,
à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites,
à créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect des obligations nées des traités et autres sources du droit international,
à favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande ».
Les premier, deuxième et quatrième buts sont ceux des règles de droit que la Cour a été invitée à appliquer à la présente question et sur lesquelles l’Assemblée générale a décidé qu’elle souhaitait recevoir un avis. Le premier but concerne la licéité intrinsèque de l’occupation au regard du droit relatif à l’emploi de la force et la licéité de la conduite de l’occupation par rapport au droit international humanitaire et au droit international des droits de l’homme. Le deuxième but concerne la licéité intrinsèque de l’occupation au regard du droit international relatif à l’autodétermination et du droit de résistance connexe qui est conféré aux populations privées de leur droit à l’autodétermination externe, ainsi que la licéité de la conduite de l’occupation au regard du droit international des droits de l’homme et de tout l’éventail des droits, y compris l’interdiction de la discrimination raciale en général et de l’apartheid en particulier, ainsi que le droit de retour. Le quatrième but concerne la licéité intrinsèque de la domination économique et de l’exploitation par Israël du peuple palestinien et de sa terre, et les effets nuisibles de la conduite de l’occupation sur la jouissance par le peuple palestinien de ses droits socioéconomiques. Le troisième but reflète la fonction de la Cour lorsqu’elle est appelée à donner un avis consultatif clarifiant l’état du droit au regard de ces trois règles et la valeur de cette fonction pour l’Assemblée générale. Il n’est possible de chercher à réaliser le but consistant à créer les « conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect des obligations nées des traités et autres sources du droit international » que si le sens et l’exécution de ces obligations sont clairs. C’est pourquoi, comme à l’ordinaire, la Cour est invitée à jouer un rôle essentiel dans le fonctionnement de l’Organisation dont elle constitue un élément central, en apportant cette clarté sous la forme d’un avis consultatif. Les États qui s’y opposent demandent donc à la Cour et, par extension, à l’Assemblée générale à qui l’avis consultatif est
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destiné, de renoncer en quelque sorte à la fonction officielle qu’elles tiennent de la Charte des Nations Unies.
69. Pareille dérogation aux buts de la Charte conviendrait à Israël et aux États qui adoptent une position unilatérale ou bancale en faveur d’Israël, s’agissant des questions dont la Cour est saisie. Il est plus facile de justifier l’existence, le maintien et la conduite de l’occupation du territoire palestinien si les aspects juridiques qui déterminent ces questions ne sont que partiellement examinés. Il ne s’agit pas seulement de réduire la portée et l’ampleur de ce qui doit être justifié, mais bien de créer une image déformée destinée à fournir une justification alors qu’il n’en existe aucune. Comme il est expliqué dans l’exposé écrit, la question posée à la Cour par l’Assemblée générale peut être simplifiée par sa scission en deux sous-questions, la première étant de savoir si l’occupation de la Cisjordanie palestinienne (y compris de Jérusalem-Est) et de Gaza est intrinsèquement illicite et la seconde consistant à déterminer si et en quoi la conduite de l’occupation est illicite. L’examen partiel de ces deux sous-questions produirait les effets exposés ci-après.
70. En ce qui concerne la licéité intrinsèque, une réponse partielle constituerait, en un sens important, une non-réponse. Ne pas examiner cette sous-question dans son ensemble signifie nécessairement que l’existence de l’occupation pourrait rester juridiquement défendable sur une base qui reste non examinée. Comme dans le cas de la solution radicale précédemment évoquée et consistant à rejeter la requête dans son intégralité, cela reviendrait à déclarer au monde que, de l’avis de l’organe judiciaire principal des Nations Unies, il est en quelque sorte impossible de trancher la question fondamentale de savoir si l’occupation est, en définitive, intrinsèquement licite. Cela permettrait à Israël et à ses partisans de faire valoir, à tort, que la question de savoir si et quand l’occupation peut et doit prendre fin est exclusivement une question de pouvoir et de politique. La question de l’autodétermination palestinienne pourrait être présentée, non pas telle qu’elle est, à savoir comme le droit opposable et automatique à la liberté, mais plutôt comme un vague et éventuel « droit » indéfiniment reportable et susceptible de n’être réalisé que si et quand l’État à la source de sa privation y consent. Du point de vue du droit international, ce serait là revenir à une période de l’histoire où les peuples, comme le peuple palestinien, ne possédaient pas le droit à l’autodétermination externe que l’on connaît aujourd’hui. Il fut un temps où la question de savoir si et quand les peuples coloniaux pouvaient s’affranchir dépendait, juridiquement, de la bienveillance du colonisateur. Comme nous le verrons plus loin, la situation juridique du peuple palestinien à cet égard a changé avec l’adoption des dispositions de l’article 22 du Pacte de la Société des Nations applicables aux mandats de classe « A » ainsi qu’avec l’émergence complémentaire, vers le milieu du XXe siècle, du droit à l’autodétermination externe applicable à tous les peuples coloniaux. Une réponse partielle à la question de la licéité intrinsèque aurait donc pour effet de réduire à néant une grande partie de la signification pratique et politique de ce droit, de sorte à permettre que le peuple palestinien soit traité comme s’il vivait dans le monde qui existait il y a plus d’un siècle. Cela imposerait aussi à la Cour et à l’Assemblée générale de mettre de côté leur souci permanent de la position normative sur l’autodétermination, telle qu’elle a évolué en droit international, alors que, selon les termes employés par la Cour dans son avis consultatif au sujet de l’archipel des Chagos, l’Assemblée « s’est toujours employée sans relâche à mettre un terme au colonialisme » et que, s’agissant de l’ONU dans son ensemble, « la question de la décolonisation … intéresse particulièrement les Nations Unies »13. Ce faisant, la Cour et l’Assemblée générale se trouveraient à abdiquer le rôle crucial qu’elles ont joué et continuent de jouer dans la réalisation de l’un des buts et principes des Nations Unies, à savoir : « [d]évelopper entre les nations des relations amicales fondées
13 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 118, par. 87-88, respectivement.
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sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes » (paragraphe 2 de l’article 1 de la Charte des Nations Unies)
14.
71. En ce qui concerne l’illicéité de la conduite de l’occupation, une réponse partielle signifierait que, bien que la question des violations soit susceptible d’être clarifiée dans certains domaines précis (par exemple, s’agissant de l’implantation des colonies), la question de savoir si d’autres violations, de nature plus complexe et sous-jacente, ont pu être commises (par exemple, en matière de discrimination raciale en général et d’apartheid en particulier) ne sera pas abordée ou ne sera que partiellement tranchée. Or les violations isolées sont souvent liées à des violations sous-jacentes, et apprécier les premières sans tenir compte des secondes est donc souvent insuffisant en soi. D’un point de vue plus abstrait, ne pas examiner les éléments sous-jacents ouvrirait la voie à une appréciation superficielle d’une situation qui nécessite si manifestement d’être examinée en bonne et due forme si l’on veut avoir quelque espoir de la régler.
72. Enfin, comme en témoigne le traitement exhaustif et parfois interdépendant des différents aspects juridiques abordés dans l’exposé écrit, s’agissant des deux sous-questions, à savoir la licéité intrinsèque et la licéité de la conduite, l’une ne peut être correctement appréciée en l’absence d’un examen complet de l’autre. Si par exemple, comme cela est soutenu dans l’exposé écrit, l’occupation est intrinsèquement illicite, cette qualification entraîne des conséquences importantes sur l’illicéité de la manière dont elle est conduite. Ainsi, toute forme d’autorité qu’Israël exercerait par l’intermédiaire de ses soldats en Cisjordanie serait illicite, et pas seulement celle qui violerait le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme en général. De même, certains aspects de l’illicéité intrinsèque, notamment les exigences de nécessité et de proportionnalité prévues par le droit relatif à l’emploi de la force, nécessitent un examen complet de la conformité de la conduite de l’occupation avec le droit international humanitaire (même si pareille conformité, qui n’est manifestement pas avérée, ne suffirait pas à rendre l’occupation intrinsèquement licite compte tenu des vices plus profonds qui entachent son existence).
6. L’APPLICABILITÉ DE L’AUTODÉTERMINATION PALESTINIENNE AU TERRITOIRE DE LA CISJORDANIE (Y COMPRIS JÉRUSALEM-EST) ET DE LA BANDE DE GAZA, ET SON IMPORTANCE POUR LA LICÉITÉ DE L’OCCUPATION ET DE L’IMPLANTATION DE COLONIES
6. a) La position des Fidji : seul Israël est fondé en droit international à jouir de la souveraineté et de ses attributs sur le territoire de la Cisjordanie et de la bande de Gaza
73. L’exposé écrit des Fidji, dont la position sur le fond présente une ressemblance frappante avec certains raisonnements soutenus par Israël (l’exposé écrit d’Israël n’abordant toutefois que les questions de compétence), soulève une question importante sur l’applicabilité territoriale du droit à l’autodétermination du peuple palestinien et, de manière connexe, sur la portée des titres territoriaux d’Israël. La réponse à cette question générale et fondamentale permet en partie de déterminer la licéité de l’existence de l’occupation de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et de Gaza, de l’annexion présumée par Israël de tout ou partie de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et de Gaza, ainsi que de l’implantation par Israël de colonies dans ces territoires.
74. D’un côté, les Fidji affirment qu’« [i]l ne fait aucun doute que le peuple palestinien a le droit de disposer de lui-même » (p. 6). De l’autre, elles donnent à entendre dans leur exposé écrit que
14 S’agissant de l’importance du rôle de l’Assemblée générale concernant l’autodétermination dans le contexte de la demande d’avis consultatif, voir aussi l’exposé écrit soumis par la Malaisie en l’espèce, par. 20.
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ce droit n’englobe pas de titre territorial clair, tandis qu’Israël détient des titres territoriaux sur la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et Gaza.
75. En ce qui concerne Jérusalem-Est en particulier, les Fidji font observer que « les allégations selon lesquelles Israël a de manière illicite annexé Jérusalem-Est présupposent que le droit international interdit l’annexion en toutes circonstances, y compris lors de la réunification d’une capitale nationale » (p. 5). En droit international, l’annexion n’est, de fait, interdite que si le territoire relève déjà de la souveraineté d’une autre personne de droit international (un État ou une unité non étatique susceptible d’autodétermination) ou si cette personne de droit international peut validement prétendre à la souveraineté sur ce territoire. Ainsi, pour que la prétendue annexion de Jérusalem-Est par Israël échappe à cette interdiction, il faut que Jérusalem-Est ne fasse pas partie du territoire souverain de l’État de Palestine, ou de celui du peuple palestinien en tant qu’unité susceptible d’autodétermination si l’on ne peut pas parler d’État de Palestine (soit sur la base erronée que cette entité n’est pas un État en droit, soit pour couvrir la période antérieure à la date d’effet de son statut d’État en droit international) ou, à défaut, que Jérusalem-Est ne soit pas un territoire sur lequel le peuple palestinien pourrait prétendre à la souveraineté en droit international.
76. Jérusalem-Est fait partie de la Cisjordanie, dont Israël s’est emparé pendant la guerre illicite de 1967. C’est ce que l’Assemblée générale appelle le « territoire palestinien occupé depuis 1967 » dans la question posée à la présente Cour. Les Fidji affirment que le terme « territoire palestinien » employé dans cette question est « un concept politique sans spécificité juridique ». Selon elles, « [i]l est dès lors possible de considérer que la question de la souveraineté sur les territoires en cause est en suspens jusqu’à ce qu’un accord de paix soit conclu » (p. 6). La notion de souveraineté « en suspens » a été utilisée par le juge Arnold McNair dans l’opinion individuelle qu’il a jointe à l’avis consultatif donné par la Cour sur le Statut international du Sud-Ouest africain15. Cette notion désignait alors, et a priori ici encore, la situation où la souveraineté au sens de titre territorial, en quelque sorte la « propriété » du territoire en droit international, n’appartenait pour l’heure à aucune personne de droit international. Dans cette hypothèse, selon les Fidji, la prétendue annexion par Israël de Jérusalem-Est, qui fait partie de la Cisjordanie, serait sans effet en droit.
77. De façon plus large, cependant, les Fidji font valoir que, bien que la souveraineté sur la Cisjordanie et la bande de Gaza n’appartienne pour l’heure à aucune personne de droit international, Israël peut prétendre à cette souveraineté qui, en conséquence, n’appartient pas au peuple palestinien :
« Il convient, de plus, de mentionner que l’article 2 du mandat pour la Palestine, attribué en 1922 par le Conseil de la Société des Nations, a une portée juridique certaine, puisque cet article, en imposant l’obligation en droit d’assurer l’établissement du foyer national juif sur le territoire situé entre la Méditerranée et le Jourdain, reconnaît les droits du peuple juif à cet égard. Le mandat incluait, en son article 6, un droit à l’immigration et à l’établissement du peuple juif sur ce territoire [notes de bas de page omises].
Le principe des “droits juridiques acquis” en droit international faisait partie des dispositions transitoires entre le système des mandats de la Société des Nations et le régime de tutelle de la Charte des Nations Unies. L’article 80 de ladite Charte a maintenu les droits du peuple juif et des autres peuples dont les territoires étaient placés sous le système des mandats. Lorsque les Britanniques ont unilatéralement mis fin à leurs responsabilités au titre du mandat et que l’État d’Israël a été proclamé le 14 mai
15 Statut international du Sud-Ouest africain, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, opinion individuelle de Sir Arnold McNair, p. 150.
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1948, les droits prévus par le mandat sont restés applicables sur le territoire qui n’était pas encore sous le contrôle du nouvel État. La Cour a souligné l’importance des droits conférés par un mandat aux peuples concernés dans ses avis consultatifs sur le Sud-Ouest africain et la Namibie. » [Notes de bas de page, renvoyant à la page 133 du premier avis et aux pages 33 à 38 du second, omises ; p. 6.]
6. b) Implications et conséquences de l’argument
78. L’argument soutenu par les Fidji implique qu’Israël serait fondé, en droit international, à jouir de la souveraineté sur l’ensemble du territoire de l’ancienne Palestine sous mandat, y compris le territoire occupé depuis 1967. La relation entre Israël et ce territoire serait donc celle d’un État qui ne jouit pas de la souveraineté, bien qu’il y ait droit. Cela suppose que la Cisjordanie et Gaza ne sont pas des territoires « palestiniens », en ce sens que l’État de Palestine et/ou l’unité susceptible d’autodétermination qu’est le peuple palestinien n’y sont pas souverains. Cela suppose également que le peuple palestinien n’a aucun droit territorial sur la Cisjordanie et Gaza qui puisse se substituer à la jouissance actuelle de la souveraineté (autrement dit, le peuple palestinien n’a pas le droit de se voir investi de la souveraineté sur ce territoire).
79. En conséquence, il n’existerait aucun obstacle juridique à l’annexion par Israël de tout ou partie de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. En effet, toute annexion par Israël serait fondée en droit international sur la jouissance du droit à la souveraineté. Ainsi, bien que les Fidji semblent laisser entendre que la prétendue annexion de Jérusalem-Est par Israël est restée sans effet quant à l’acquisition par lui de la souveraineté (elles avancent que la souveraineté sur la Cisjordanie serait « en suspens », à moins que la mention de la Cisjordanie ne soit ici censée exclure Jérusalem-Est), il ne s’agirait pas d’un acte illicite puisque Israël ne ferait qu’exercer un droit qu’il tient du droit international.
80. Une autre conséquence est que la question de la licéité intrinsèque du contrôle par Israël de la Cisjordanie et de la bande de Gaza ne dépendrait pas de l’effet de l’occupation sur le droit à l’autodétermination qui permettrait au peuple palestinien d’y exercer quelque souveraineté ou contrôle territorial, pareil droit ne pouvant exister puisqu’il entrerait en conflit avec la souveraineté qu’Israël serait fondé à exercer sur ce territoire. Il s’ensuit que, lorsque les Fidji affirment qu’« [i]l ne fait aucun doute que le peuple palestinien a le droit de disposer de lui-même » (p. 6), ce « droit » est vidé d’un élément crucial : le territoire. Le peuple palestinien ne jouirait donc de ce droit que d’une façon virtuelle, entièrement déconnectée du monde matériel du point de vue du territoire que ce peuple habiterait. (Israël pourrait permettre au peuple palestinien d’habiter et de contrôler une partie du territoire en Cisjordanie et à Gaza, voire d’y exercer une éventuelle souveraineté, mais de tels arrangements reposeraient non pas sur des droits appartenant au peuple palestinien, mais sur la bienveillance du détenteur de ces droits, à savoir Israël.) Il ne s’agit pas là du droit à l’autodétermination externe prévu par le droit international. Les Fidji refusent de reconnaître ce droit au peuple palestinien mais cachent ce refus derrière leur affirmation générale antérieure qui, en réalité, est sans rapport avec ce droit tel qu’il est généralement compris en droit international.
81. Une autre conséquence encore est que la licéité intrinsèque de l’occupation par Israël de la Cisjordanie et de Gaza ne dépendrait pas de son incidence sur la capacité du peuple palestinien à jouir de l’autodétermination relativement à ce territoire, puisque la jouissance de ce droit n’y serait pas associée.
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82. Une fois supprimés les obstacles juridiques à l’annexion et à l’autodétermination, l’occupation serait intrinsèquement licite (l’occupation en tant qu’emploi de la force n’est illicite que si elle entame un droit à l’autodétermination).
83. En ce qui concerne la licéité de la conduite de l’occupation, l’une des principales prescriptions du droit relatif à l’occupation, soit l’interdiction d’implanter des colonies, est expressément et implicitement contestée lorsqu’il s’agit de la licéité des colonies juives en territoire palestinien. Ainsi, il est expressément contesté que cette interdiction consacrée par le droit relatif à l’occupation couvre aussi les migrations civiles non forcées (p. 6). Cette assertion audacieuse remet en question la position consensuelle sur cette interdiction en théorie et dans son application à la situation actuelle, position épousée par un grand nombre d’États (comme en témoignent de nombreux exposés écrits déposés en l’espèce) ainsi que par divers organes de l’ONU, notamment les organes principaux, dont la Cour dans son avis consultatif sur le mur. La contestation implicite réside dans l’invocation des arrangements du mandat. L’autorité prétendue d’Israël, en droit international, sur tout le territoire s’étendant entre le Jourdain et la mer Méditerranée a pour corollaire le droit de coloniser ce territoire, lequel est expressément invoqué par les Fidji quand elles parlent d’« un droit à l’immigration et à l’établissement du peuple juif sur ce territoire ». En un sens, donc, peu importerait la position adoptée lorsqu’il s’agit d’interpréter cette interdiction de la colonisation consacrée par le droit relatif à l’occupation, car les dispositions du mandat existent et sont vraisemblablement comprises comme l’emportant en quelque sorte sur ce droit, peut-être en tant que lex specialis.
84. Ainsi, selon les Fidji, non seulement l’existence de l’occupation est licite, mais l’implantation de colonies juives sur les territoires occupés l’est également.
85. Tout ce qui précède repose sur une interprétation des arrangements du mandat qui est foncièrement erronée. Dans l’exposé écrit initial, il était dit que le peuple palestinien disposait du droit à l’autodétermination externe, en partie grâce aux dispositions de l’article 22 du Pacte de la Société des Nations (par. 13 , al. 1). Il convient ici d’exposer le raisonnement qui sous-tend cette phrase unique16, afin d’expliquer pourquoi les arguments que les Fidji tirent des arrangements du mandat et qui sont résumés plus haut sont erronés.
6. c) Les arrangements du mandat confèrent au peuple palestinien, et non à Israël, un titre souverain sur les terres qui s’étendent entre le Jourdain et la mer Méditerranée
86. À la fin de la première guerre mondiale, les alliés se sont emparés des colonies des puissances vaincues, en récompense de leur victoire. Le Royaume-Uni est devenu la puissance en Palestine, en lieu et place de l’Empire ottoman vaincu. Ces arrangements ont été placés sous l’autorité de la Société des Nations dans le régime des mandats. Contrairement aux autres, ces colonies étaient soumises aux stipulations du Pacte de la Société des Nations, lequel faisait partie intégrante du traité de Versailles et avait donc un caractère contraignant en droit international pour les États qui administraient les territoires sous mandat dans le cadre de l’accord international auquel ils étaient parties.
16 Voir Ralph Wilde, « Tears of the Olive Trees: Mandatory Palestine, the UK, and accountability for colonialism in international law », Journal of the History of International Law (2022), accessible à l’adresse suivante : https://brill.com/view/journals/jhil/aop/article-10.1163-15718050-12340216/article-10.1163-15718050-12340216.xml? language=en.
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87. L’administration de chaque mandat individuel était définie dans un « accord de mandat » spécifique (appelé « mandat pour la Palestine » dans l’extrait précité de l’exposé écrit des Fidji), qui était lui-même un acte de droit international contraignant adopté par le Conseil de la Société des Nations (et non pas, il faut le souligner, un « accord » impliquant la participation ou le consentement des habitants du territoire). Dans le cas du mandat pour la Palestine, qui couvre l’intégralité des terres s’étendant entre le Jourdain et la mer Méditerranée, cet accord, adopté en 1922 et entré en vigueur en 1923, reprenait les termes de la déclaration Balfour faite en 191717. Il énonce ce qui suit dans son préambule :
« les Principales Puissances Alliées ont, en outre, convenu que le Mandataire serait responsable de la mise à exécution de la déclaration originairement faite le 2 novembre 1917 par le Gouvernement britannique et adoptée par lesdites Puissances, en faveur de l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif ».
On lit ce qui suit à l’article 2 :
« Le Mandataire assumera la responsabilité d’instituer dans le pays un état de choses politique, administratif et économique de nature à assurer l’établissement du foyer national pour le peuple juif, comme il est prévu au préambule, et à assurer également le développement d’institutions de libre gouvernement ».
L’article 6 est ainsi libellé :
« Tout en veillant à ce qu’il ne soit pas porté atteinte aux droits et à la situation des autres parties de la population, l’Administration de la Palestine facilitera l’immigration juive dans des conditions convenables et de concert avec l’organisme juif mentionné à l’article 4, elle encouragera l’établissement intensif des Juifs sur les terres du pays, y compris les domaines de l’État et les terres incultes inutilisées pour les services publics. »
Comme on l’a vu dans la citation qui précède, les Fidji citent ces deux articles pour étayer les arguments qu’elles avancent concernant le prétendu titre territorial d’Israël sur la Cisjordanie et Gaza et le droit connexe d’y installer des colons juifs.
88. Certaines critiques de l’adoption de l’accord de mandat par le Conseil de la Société des Nations et/ou de l’exécution de ce mandat par le Royaume-Uni invoquent l’idée d’un droit à l’autodétermination en droit international appartenant aux habitants du territoire. En général, ils associent ce droit, assez vaguement, à l’autodétermination wilsonienne et à la Société des Nations. Quoi qu’il en soit, selon la position bien arrêtée en droit international, à cette époque, il n’existait aucun droit à l’autodétermination externe permettant aux peuples coloniaux de s’affranchir de la domination coloniale. Ce droit est apparu plus tard, vers le milieu du XXe siècle. Ainsi, le peuple palestinien a peut-être ce droit à l’heure actuelle, mais il ne l’avait pas à l’époque. (C’est pourquoi il est dit dans l’exposé écrit initial que le peuple palestinien possède un droit à l’autodétermination externe sur ce fondement (par. 13, al. 2).) En conséquence, le Royaume-Uni et le Conseil de la Société des Nations avaient selon eux les mains libres sur la question de l’avenir de la Palestine. S’ils décidaient que tout ou partie de celle-ci allait devenir un « foyer national pour le peuple juif », même si la plupart des personnes qui y vivaient à cette époque n’étaient pas juives, cela n’avait rien de répréhensible en droit. Ainsi, comme l’avancent les Fidji, ces stipulations peuvent servir de
17 Mandat pour la Palestine, texte approuvé par le Conseil de la Société des Nations, dix-neuvième session, 13e séance, 24 juillet 1922, référence de la bibliothèque des Nations Unies C.529. M.314. 1922. VI., accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/unispal/document/auto-insert-201057/, entré en vigueur le 29 septembre 1923, procès-verbal de la réunion du Conseil de la Société des Nations tenue à Genève le 29 septembre 1923, référence de la bibliothèque des Nations Unies C.L.101.1923.VI., accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/unispal/document/auto-insert-204395/.
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fondement aux titres souverains qu’aurait Israël sur la Cisjordanie et Gaza, ainsi qu’au droit d’implanter des colonies sur ce territoire.
89. Ce raisonnement est erroné. La Société des Nations n’avait aucune raison internationalement valable d’incorporer l’engagement Balfour dans l’accord de mandat. Et dans la mesure où elle l’a fait, notamment dans les dispositions précitées, ces stipulations sont nulles. Comme il a été mentionné, le régime des mandats de la Société des Nations a été créé par l’article 22 du Pacte de la Société des Nations, texte contraignant en droit international en ce qu’il fait partie intégrante du traité de Versailles entré en vigueur en 192018. Aux termes de l’article 22, ces arrangements relevaient d’une « mission sacrée de civilisation ». Cet article comportait une disposition cruciale énonçant ce qui suit au sujet des mandats visant les anciens dominions de l’Empire ottoman qui sont devenus les mandats de classe « A » (trois classes de mandat étaient prévues dans le Pacte) : « leur existence comme nations indépendantes peut être reconnue provisoirement, à la condition que les conseils et l’aide d’un mandataire guident leur administration jusqu’au moment où elles seront capables de se conduire seules ». Il s’agit, en pratique, d’une forme sui generis d’autodétermination, différente du droit immédiat à l’indépendance qui a été reconnu en droit international, dans la seconde moitié du XXe siècle, aux peuples de tous les territoires coloniaux (et donc aujourd’hui, comme nous l’avons dit, au peuple palestinien à Jérusalem, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza). Mais cette forme s’en rapproche, en ce qu’elle exige que la qualité d’État indépendant soit l’objectif manifestement visé et, de surcroît, que cette qualité soit « reconnue provisoirement ». Les populations visées par les mandats de classe « A » ont été placées dans une catégorie privilégiée par rapport à celles des autres colonies, y compris les autres classes de mandat, en ce qui concerne leur droit à l’autonomie en droit international général.
90. Cet état de choses est souvent méconnu car les peuples des territoires coloniaux n’ont généralement pas ce droit, qui a fait son apparition plus tard. Les mandats de classe « A » sont parfois regroupés à tort dans une catégorie générale, où l’autodétermination telle qu’elle est comprise depuis le milieu du XXe siècle n’entrait pas en jeu pour la période antérieure. Cette méconnaissance revient à traiter la position des populations visées par ces mandats, notamment celle de la Palestine sous mandat, comme si le statut de leur territoire relevait de l’entière discrétion du Conseil de la Société des Nations et/ou de la puissance mandataire. Ce pouvoir discrétionnaire a effectivement prévalu dans le cas de nombreux autres territoires coloniaux (jusqu’à l’émergence ultérieure du droit général à l’autodétermination en droit international). Les choses étaient toutefois différentes pour les mandats de classe « A ».
91. Le régime sui generis prévu par l’article 22 devait s’appliquer dès le début du mandat. La communauté qui devait être « reconnue provisoirement » comme « nation[] indépendante[] » était celle de la Palestine sous mandat à cette époque, dont la population était composée à 90 % de Palestiniens non juifs.
92. Il existe donc une contradiction fondamentale entre l’indépendance provisoire prévue à l’article 22 du Pacte et le plan de la déclaration Balfour consacré par l’accord de mandat, puis mis à exécution par le Royaume-Uni dans les faits et maintenant invoqué par les Fidji comme fondement des prétendus droits d’Israël concernant la souveraineté et la colonisation de la Cisjordanie et de Gaza. Certains auteurs avancent qu’elle peut être résolue, d’une manière ou d’une autre, au profit de l’accord de mandat et qu’il n’y a donc, à proprement parler, aucune contradiction. Les Fidji fondent peut-être leur position sur ces auteurs, mais la plupart des acteurs qui ont été associés et qui ont réagi
18 Traité de Versailles, signé à Versailles le 28 juin 1919, entré en vigueur le 10 janvier 1920 (1919) UKTS 4 (Cmd. 153), partie I, Pacte de la Société 1919 : Pacte de la Société des Nations, 28 avril 1919, accessible à l’adresse suivante : https://www.ungeneva.org/en/about/league-of-nations/covenant.
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au processus d’adoption de l’accord de mandat, y compris Arthur Balfour lui-même, et la plupart des auteurs de l’époque et ceux qui ont suivi ont tenu pour acquise cette contradiction fondamentale entre le plan de la déclaration Balfour et le Pacte. Certains auteurs critiquent l’accord de mandat, qu’ils considèrent comme une dérogation injustifiée au Pacte, la qualifiant de « violation » de celui-ci. Toutefois, ils n’expliquent pas si cela a entraîné des conséquences sur la validité de l’accord et, en conséquence, sur la licéité des mesures prises par le Royaume-Uni pour sa mise à effet. C’est comme si, malgré la violation du Pacte, l’accord de mandat était resté valable en ce qu’il s’en écartait et emportait pareille violation. Cela aboutit au même résultat, selon ce que supposent certains auteurs, sans même reconnaître qu’il s’agit d’une supposition et encore moins la justifier, à savoir que l’accord l’emporte juridiquement et valablement sur le Pacte puisque ces deux textes sont contradictoires. Quoi qu’il en soit, il est donc avancé que l’accord de mandat était exécutoire en dépit de sa contradiction fondamentale avec le Pacte. Ces explications peuvent aussi éclairer l’argument avancé par les Fidji dans leur exposé écrit.
93. Ainsi que l’explique Ralph Wilde, tous ces raisonnements passent sous silence la question juridique fondamentale qui se pose chaque fois qu’interviennent les organes des organisations internationales, en l’occurrence le Conseil de la Société des Nations19, soit celle de savoir si cet organe avait, au titre de l’acte constitutif de l’organisation dont il faisait partie, en l’occurrence le Pacte de la Société des Nations, la compétence voulue pour modifier, comme il l’a fait alors, l’effet d’une stipulation fondamentale de ce même acte. Il faut également examiner quelles seraient les conséquences de son éventuelle incompétence sur la validité des dispositions du mandat pour la Palestine qui contredisaient l’article 22. Selon les principes généraux du droit international relatifs aux pouvoirs des organisations internationales, la compétence du Conseil de la Société des Nations était limitée par le Pacte, soit l’acte constitutif de l’organisation. Il s’ensuit que le Conseil n’avait pas le pouvoir de prendre des mesures contraires aux dispositions expresses du Pacte. Partant, il ne pouvait valablement approuver aucune stipulation de l’accord de mandat qui était incompatible avec ces dispositions, sous peine d’agir ultra vires. En conséquence, l’approbation concernée serait inopérante, c’est-à-dire nulle ab initio.
94. De la même manière, tous les États, y compris le Royaume-Uni en tant que mandataire en Palestine, étaient tenus de respecter les dispositions du Pacte se rapportant à la Palestine sous mandat, puisque celui-ci s’inscrivait dans un traité international contraignant. Cette obligation interdisait au Royaume-Uni toute action non conforme à ces dispositions. Toute violation de cette interdiction est une violation du droit international et, inévitablement, ne saurait servir de base valable à de nouveaux arrangements censés l’emporter sur les dispositions antérieures en cause du Pacte. Il découle des pouvoirs limités du Conseil de la Société des Nations et de la position du Royaume-Uni en tant que partie au traité de Versailles que le régime international applicable à la Palestine sous mandat incluait l’ensemble des dispositions applicables du Pacte de la Société des Nations ainsi que les seuls éléments de l’accord de mandat qui étaient compatibles avec les dispositions du Pacte.
95. Doivent donc être considérées comme non écrites les dispositions de l’accord de mandat qui donnent effet à l’engagement Balfour et contredisent l’article 22 du Pacte.
96. Il s’ensuit que l’accord de mandat pour la Palestine n’offre aucun fondement en droit international à l’existence d’une patrie juive, ni aucun fondement connexe pour étayer la colonisation juive en Palestine, pas plus qu’il ne confère quelque « portée juridique » à ces prétentions, pour emprunter les termes employés dans l’exposé écrit des Fidji.
19 Ralph Wilde, « Tears of the Olive Trees », supra.
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97. Il est rappelé que les Fidji disent ce qui suit dans leur exposé écrit :
« Le principe des “droits juridiques acquis” en droit international faisait partie des dispositions transitoires entre le système des mandats de la Société des Nations et le régime de tutelle de la Charte des Nations Unies. L’article 80 de ladite Charte a maintenu les droits du peuple juif et des autres peuples dont les territoires étaient placés sous le système des mandats. Lorsque les Britanniques ont unilatéralement mis fin à leurs responsabilités au titre du mandat et que l’État d’Israël a été proclamé le 14 mai 1948, les droits prévus par le mandat sont restés applicables sur le territoire qui n’était pas encore sous le contrôle du nouvel État. La Cour a souligné l’importance des droits conférés par un mandat aux peuples concernés dans ses avis consultatifs sur le Sud-Ouest africain et la Namibie. » [Notes de bas de page, renvoyant à la page 133 du premier avis et aux pages 33 à 38 du second, omises ; p. 6.]
98. La citation qui précède comporte de multiples erreurs d’interprétation et autres.
99. La mention de l’article 80 relatif au régime de tutelle de l’ONU est sans intérêt puisque, bien évidemment, la Palestine n’a pas été officiellement placée sous ce régime. Cela étant, la référence aux « droits juridiques acquis » dans un sens plus large, c’est-à-dire conférés par le mandat ou le mandataire (le Royaume-Uni) à Israël plutôt qu’à un territoire sous tutelle ou à l’autorité administrante de celui-ci, pourrait en effet venir étayer l’allégation voulant qu’Israël soit investi d’un droit territorial sur la Cisjordanie et Gaza sur la base du régime applicable au mandat pour la Palestine. Toutefois, les « droits » revenant au peuple juif « sous le système des mandats » qu’il aurait fallu qu’Israël ait « acquis », à savoir le droit à la terre de Palestine en tant que patrie (c’est-à-dire le droit à la souveraineté) et le droit de coloniser cette terre, n’appartenaient pas, pour les raisons exposées ci-dessus, au peuple juif sous ce régime, et Israël n’a donc pas pu les acquérir.
100. De surcroît et dans le même ordre d’idées, puisque pareils droits n’existaient pas dans le régime des mandats, il va de soi que la proclamation d’Israël sur une partie du territoire sous mandat en 1948 ainsi que la reconnaissance de l’État d’Israël par certains États et son adhésion à l’ONU ne peuvent pas être fondées sur les stipulations du mandat. Il s’agissait au contraire d’une sécession illicite. En conséquence, Israël n’était et n’est d’aucune manière le successeur ou le continuateur, sous une forme différente (son statut d’État ne valant que pour une partie du territoire), du mandat pour la Palestine. Il était et reste une personne de droit international nouvelle et distincte créée à l’encontre du mandat et du régime établi par celui-ci, régime attaché au statut d’État indépendant pour l’ensemble du territoire sous mandat comme l’imposaient les obligations découlant de la « mission sacrée de civilisation » énoncée à l’article 22 du Pacte.
101. Les Fidji ont raison de dire dans leur exposé écrit que, au moment de la proclamation d’Israël en 1948, « les droits prévus par le mandat sont restés applicables sur le territoire qui n’était pas encore sous le contrôle du nouvel État [israélien] ». Mais ces droits qui n’ont pas été conférés au peuple juif en 1948 ou avant cette date ne l’ont pas été davantage depuis lors. Au contraire, ils ont été et restent dévolus au peuple palestinien. Dans leur exposé écrit, les Fidji font observer que « [l]a Cour a souligné l’importance des droits conférés par un mandat aux peuples concernés dans ses avis consultatifs sur le Sud-Ouest africain et la Namibie » (notes de bas de page, renvoyant à la page 133 du premier avis et aux pages 33 à 38 du second, omises, p. 6). C’est effectivement ce qu’a dit la Cour dans lesdits avis, mais, point essentiel, en se référant aux droits énoncés non seulement dans l’accord de mandat applicable, mais aussi à l’article 22 du Pacte. De plus, il est important de noter pour les besoins de l’espèce que l’accord de mandat alors en cause, concernant le Sud-Ouest africain, ne présentait pas, à l’égard de celui-ci, de disposition radicalement divergente par rapport à ce
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qu’indiquait l’article 22 du Pacte. Ainsi, rien dans ces avis n’étaye l’argument des Fidji selon lequel l’accord de mandat pour la Palestine aurait pour effet de légaliser une dérogation à l’article 22.
102. Ces avis confirment l’application ininterrompue du régime juridique international aux terres s’étendant entre le Jourdain et la mer Méditerranée au titre de l’article 22 du Pacte de la Société des Nations, complété par l’accord de mandat dans la stricte mesure où ses dispositions sont compatibles avec ledit article 22. Ce régime juridique prévoit un droit correspondant de fait à l’autodétermination du peuple palestinien sur l’ensemble de ces terres. Il ne consacre aucun droit équivalent et concurrent, ni aucun droit connexe à la colonisation, en faveur du peuple juif et dont Israël aurait hérité d’une manière ou d’une autre. La seule différence existant aujourd’hui, par rapport à la situation à l’époque de la Société des Nations, est que, comme nous l’avons expliqué plus haut, le droit à l’autodétermination en droit international doit être réalisé instantanément et automatiquement, et pas seulement « reconnu[] provisoirement ». Tel est le résultat de la synthèse des deux fondements distincts qui sous-tendent, en droit international, l’autodétermination palestinienne, à savoir le fondement prévu à l’article 22 du Pacte de la Société des Nations et le mouvement anticolonial général qui a suivi (fondements énoncés, comme nous l’avons rappelé, aux alinéas 1 et 2 du paragraphe 13 de l’exposé écrit initial).
103. Il s’ensuit que la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et Gaza font partie, comme il est dit dans l’exposé écrit, du territoire souverain de l’État de Palestine et du peuple palestinien en tant qu’unité susceptible d’autodétermination. Israël n’a aucun droit souverain sur ce territoire ni le droit d’y installer des colons juifs. La licéité de l’exercice par Israël de quelque autorité sur ce territoire, de sa prétendue annexion de tout ou partie de celui-ci et de l’implantation de colonies de peuplement doit donc être déterminée en conformité avec le droit international et en fonction du statut des territoires dans cette perspective. Cette démarche, fondée sur l’application des règles de droit relatives à l’autodétermination, à l’emploi de la force et à l’occupation, conduit à la conclusion, formulée dans l’exposé écrit, que l’occupation est intrinsèquement illicite en tant que violation du droit à l’autodétermination et en tant qu’agression, que la prétendue annexion est également illicite pour les mêmes raisons et que l’implantation de colonies juives sur le territoire est illicite en tant que violation des règles de droit relatives à l’occupation et à l’autodétermination.
7. L’ILLICÉITÉ INTRINSÈQUE DE L’OCCUPATION SELON LE JUS AD BELLUM
104. Dans leur exposé écrit, les Fidji insistent pour dire que l’occupation est intrinsèquement licite au regard du jus ad bellum. Le raisonnement sous-jacent est quelque peu obscur. D’un côté, elles affirment que « le simple fait de l’occupation n’entraîne pas l’illicéité » et que « [l]e droit international n’impose aucune contrainte en ce qui concerne la durée de l’occupation » (p. 5). Ce raisonnement donnerait à penser que l’existence de l’occupation échappe au droit international et que la seule question que la Cour puisse examiner serait donc celle de la licéité de la conduite de l’occupation. Pourtant, les Fidji ajoutent que « [l]e droit s’y rapportant reste applicable tout au long d’un conflit armé et perdure jusqu’à ce qu’il soit résolu » (p. 5). On peut donc supposer qu’une occupation n’est juridiquement fondée que s’il existe un « droit » permettant de la mener, et que le critère applicable est négatif : la « non-résolution » du « conflit armé ».
105. Les Fidji ne font référence au conflit armé dans leur exposé écrit que lorsque, d’une part, elles rappellent qu’« Israël occupe un reste de territoires dont il a pris le contrôle au titre de la légitime défense en juin 1967 », et que, d’autre part, elles mentionnent « [l]es actes d’agression qui ont continué d’être commis contre Israël depuis la bande de Gaza ».
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106. La guerre de 1967 opposait Israël à l’Égypte, à la Jordanie et à la Syrie, et non au peuple palestinien en Cisjordanie et à Gaza. À l’issue de cette guerre, qui a duré six jours, Israël a conclu des accords de paix avec l’Égypte et la Jordanie, les États à qui il avait respectivement pris Gaza et la Cisjordanie pendant ces six jours. La situation entre Israël et ces deux États n’est en aucune façon, notamment au regard du droit international, un « conflit armé ». Il n’y a donc manifestement aucun lien entre la guerre de 1967 et l’occupation actuelle eu égard à la justification invoquée par Israël (à tort, ainsi qu’il est expliqué dans l’exposé écrit) pour cette guerre, qualifiée à juste titre par les Fidji de légitime défense.
107. La situation entre Israël, d’une part, et la Cisjordanie et la bande de Gaza, de l’autre, met en scène un État occupant et un territoire occupé, ce dernier étant celui du peuple palestinien, qui a le droit de disposer de lui-même en droit international. La référence faite par les Fidji aux « actes d’agression … commis contre Israël depuis la bande de Gaza » implique que les attaques menées contre Israël depuis Gaza sont en quelque sorte illicites selon le jus ad bellum (d’où le terme « agression »), ce qui, le cas échéant, impliquerait nécessairement qu’Israël se trouve en situation de légitime défense et, en conséquence, pourrait donner un fondement juridique à l’existence de l’occupation, du moins celle de Gaza (à supposer que les exigences de nécessité et de proportionnalité soient remplies, supposition qui ne peut pas être faite en l’occurrence). Comme il a été dit dans l’exposé écrit, d’une manière plus générale, l’objectif défensif constitue une explication possible à la poursuite de l’occupation par Israël de la Cisjordanie et de Gaza, à savoir prévenir les menaces susceptibles de surgir de ces territoires contre lui (une action préventive de ce type n’entre pas, bien évidemment, dans les limites de la légitime défense).
108. Mais le raisonnement est tout à fait circulaire : les actes de résistance violente à l’occupation, et/ou le risque que de tels actes se produisent, sont invoqués en ce qu’ils seraient censés donner le droit d’employer la force pour maintenir l’occupation. Le point de départ doit être l’occupation proprement dite et la question de savoir si elle était justifiée d’entrée de jeu, étant donné que, par définition, ses origines sont sans rapport avec de quelconques actes de résistance du peuple palestinien à Gaza ou en Cisjordanie, mais sont liées à quelque chose de tout à fait différent et nécessairement antérieur à de tels actes. Si aucun fondement licite ne justifiait a priori le lancement et la conduite de l’occupation à raison de menaces émanant du peuple palestinien (et Israël n’a jamais prétendu que de telles menaces étaient la raison pour laquelle il s’était emparé de la Cisjordanie et de Gaza), on ne saurait dès lors invoquer à cet égard des menaces qui sont des actes de résistance à l’occupation. Le maintien de l’occupation ne peut se justifier sur la seule base des conséquences de la résistance qui lui est opposée.
Original déposé au Greffe de la Cour.
S. Exc. M. l’ambassadeur et
chef de la mission permanente
de la Ligue des États arabes à Bruxelles,
(Signé) Abdelhamid ZEHANI.
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Observations écrites de la Ligue des États arabes

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