Ordonnance du 6 juillet 2023

Document Number
180-20230706-ORD-01-00-EN
Document Type
Incidental Proceedings
Date of the Document
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6 JULY 2023
ORDER
APPLICATION OF THE INTERNATIONAL CONVENTION ON THE ELIMINATION OF ALL FORMS OF RACIAL DISCRIMINATION (ARMENIA v. AZERBAIJAN)
___________
APPLICATION DE LA CONVENTION INTERNATIONALE SUR L’ÉLIMINATION DE TOUTES LES FORMES DE DISCRIMINATION RACIALE (ARMÉNIE c. AZERBAÏDJAN)
6 JUILLET 2023
ORDONNANCE
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ANNÉE 2023
2023
6 juillet
Rôle général
no 180
6 juillet 2023
APPLICATION DE LA CONVENTION INTERNATIONALE SUR L’ÉLIMINATION DE TOUTES LES FORMES DE DISCRIMINATION RACIALE
(ARMÉNIE c. AZERBAÏDJAN)
DEMANDE TENDANT À LA MODIFICATION DE L’ORDONNANCE DU 22 FÉVRIER 2023 INDIQUANT UNE MESURE CONSERVATOIRE
ORDONNANCE
Présents : MME DONOGHUE, présidente ; M. GEVORGIAN, vice-président ; MM. TOMKA, ABRAHAM, BENNOUNA, YUSUF, MMES XUE, SEBUTINDE, MM. BHANDARI, ROBINSON, SALAM, IWASAWA, NOLTE, MME CHARLESWORTH, M. BRANT, juges ; MM. DAUDET, KOROMA, juges ad hoc ; M. GAUTIER, greffier.
La Cour internationale de Justice,
Ainsi composée,
Après délibéré en chambre du conseil,
Vu l’article 41 du Statut de la Cour et l’article 76 de son Règlement,
Rend l’ordonnance suivante :
1. Par requête déposée au Greffe de la Cour le 16 septembre 2021, la République d’Arménie (ci-après l’« Arménie ») a introduit contre la République d’Azerbaïdjan (ci-après l’« Azerbaïdjan »)
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une instance concernant des violations alléguées de la convention internationale du 21 décembre 1965 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (également appelée la « CIEDR »).
2. La requête contenait une demande en indication de mesures conservatoires, présentée au titre de l’article 41 du Statut de la Cour et des articles 73, 74 et 75 de son Règlement (la « première demande »).
3. La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de la nationalité de l’une ou l’autre Partie, chacune d’elles s’est prévalue du droit que lui confère l’article 31 du Statut de procéder à la désignation d’un juge ad hoc pour siéger en l’affaire. L’Arménie a désigné M. Yves Daudet et l’Azerbaïdjan, M. Kenneth Keith. À la suite de la démission du juge ad hoc Keith, l’Azerbaïdjan a désigné M. Abdul G. Koroma pour le remplacer en qualité de juge ad hoc en l’affaire.
4. La Cour, après avoir entendu les Parties, a indiqué les mesures conservatoires suivantes dans l’ordonnance qu’elle a rendue le 7 décembre 2021 :
« 1) La République d’Azerbaïdjan doit, conformément aux obligations que lui impose la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,
a) Protéger contre les voies de fait et les sévices toutes les personnes arrêtées en relation avec le conflit de 2020 qui sont toujours en détention et garantir leur sûreté et leur droit à l’égalité devant la loi ;
b) Prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher l’incitation et l’encouragement à la haine et à la discrimination raciales, y compris par ses agents et ses institutions publiques, à l’égard des personnes d’origine nationale ou ethnique arménienne ;
c) Prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher et punir les actes de dégradation et de profanation du patrimoine culturel arménien, notamment, mais pas seulement, les églises et autres lieux de culte, monuments, sites, cimetières et artefacts ;
2) Les deux Parties doivent s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend dont la Cour est saisie ou d’en rendre le règlement plus difficile. » (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2021, C.I.J. Recueil 2021, p. 392-393, par. 98.)
5. Par ordonnance du 21 janvier 2022, la Cour a fixé au 23 janvier 2023 et au 23 janvier 2024, respectivement, les dates d’expiration des délais pour le dépôt d’un mémoire par l’Arménie et d’un contre-mémoire par l’Azerbaïdjan. Le mémoire a été déposé dans le délai ainsi prescrit.
6. Par lettre en date du 16 septembre 2022, l’Arménie, se référant à l’article 76 du Règlement de la Cour, a prié celle-ci de modifier son ordonnance du 7 décembre 2021 (la « deuxième demande »).
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7. Par ordonnance en date du 12 octobre 2022, la Cour a jugé que « les circonstances, telles qu’elles se présent[ai]ent [alors] à elle, [n’étaient] pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir de modifier les mesures indiquées dans l’ordonnance du 7 décembre 2021 ». Elle a réaffirmé les mesures conservatoires qu’elle avait indiquées dans ladite ordonnance, en particulier celle enjoignant aux Parties de s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend dont elle était saisie ou d’en rendre le règlement plus difficile.
8. L’Arménie, se référant à l’article 41 du Statut de la Cour et à l’article 73 de son Règlement, a présenté une nouvelle demande tendant à ce que soient indiquées certaines mesures conservatoires énoncées dans ses lettres du 28 décembre 2022 et du 26 janvier 2023 (la « troisième demande »).
9. La Cour, après avoir entendu les Parties, a indiqué la mesure conservatoire suivante dans l’ordonnance qu’elle a rendue le 22 février 2023 :
« La République d’Azerbaïdjan doit, dans l’attente de la décision finale en l’affaire et conformément aux obligations qui lui incombent au titre de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, prendre toutes les mesures dont elle dispose afin d’assurer la circulation sans entrave des personnes, des véhicules et des marchandises le long du corridor de Latchine dans les deux sens. »
10. Le 21 avril 2023, dans le délai prescrit au paragraphe 1 de l’article 79bis du Règlement de la Cour, l’Azerbaïdjan a soulevé des exceptions préliminaires d’incompétence de la Cour. Par ordonnance en date du 25 avril 2023, la Cour, notant que la procédure sur le fond était suspendue en application du paragraphe 3 de l’article 79bis du Règlement, et compte tenu de l’instruction de procédure V, a fixé au 21 août 2023 la date d’expiration du délai dans lequel l’Arménie pourrait présenter un exposé écrit contenant ses observations et conclusions sur les exceptions préliminaires soulevées par l’Azerbaïdjan.
11. Par lettre en date du 12 mai 2023 et reçue au Greffe le 15 mai 2023, l’Arménie, se référant à l’article 76 du Règlement de la Cour, a demandé la modification de l’ordonnance rendue par celle-ci le 22 février 2023 (la « quatrième demande »). Par lettre en date du 25 mai 2023, l’Azerbaïdjan a déposé ses observations écrites sur la quatrième demande, dans le délai prescrit à cet effet.
12. Les Parties ont par la suite informé la Cour, par plusieurs lettres, de développements récents et ont présenté chacune des observations sur les communications de l’autre Partie.
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13. L’Arménie prie la Cour de modifier son ordonnance du 22 février 2023 en y incluant une mesure conservatoire additionnelle prescrivant à l’Azerbaïdjan de « procéder au retrait de tout personnel déployé sur le corridor de Latchine ou le long de celui-ci depuis le 23 avril 2023 et de
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s’abstenir de déployer tout personnel sur ce corridor ou le long de celui-ci ». En particulier, l’Arménie allègue que, à la suite de l’ordonnance rendue par la Cour le 22 février 2023, l’Azerbaïdjan a mis en place deux postes de contrôle tenus par ses forces armées sur le corridor de Latchine. Elle soutient qu’il y a eu un changement « fondamental » dans la situation qui justifie une modification de ladite ordonnance, et qu’il est satisfait aux conditions générales pour l’indication de mesures conservatoires.
14. Dans ses observations écrites, l’Azerbaïdjan prie la Cour de rejeter la quatrième demande de l’Arménie au motif qu’il n’y a pas eu de changement dans la situation justifiant une modification de la mesure conservatoire. Il fait valoir que le seul poste de contrôle qu’il a mis en place est un poste de contrôle frontalier, dont l’existence et le fonctionnement ne constituent pas plausiblement une discrimination raciale au sens de la CIEDR. Il argue en outre que la mesure sollicitée par l’Arménie n’est ni urgente ni nécessaire et que, s’il était fait droit à la demande, une modification de l’ordonnance empiéterait indûment sur le droit souverain de l’Azerbaïdjan de surveiller ses frontières.
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15. Pour statuer sur la quatrième demande de l’Arménie, la Cour doit déterminer si les conditions énoncées au paragraphe 1 de l’article 76 de son Règlement sont réunies. Ce paragraphe se lit comme suit :
« À la demande d’une partie ou d’office, la Cour peut, à tout moment avant l’arrêt définitif en l’affaire, rapporter ou modifier toute décision concernant des mesures conservatoires si un changement dans la situation lui paraît justifier que cette décision soit rapportée ou modifiée. »
16. La Cour doit donc d’abord rechercher si, compte tenu des informations que lui ont fournies les Parties au sujet de la situation actuelle, il y a lieu de conclure que celle qui avait motivé l’indication d’une mesure conservatoire en février 2023 a changé. En examinant la quatrième demande, la Cour tiendra compte à la fois des circonstances qui existaient lorsqu’elle a rendu son ordonnance du 22 février 2023 et des changements qui seraient intervenus dans la situation ayant donné lieu à l’indication d’une mesure conservatoire. Si elle constate qu’il y a eu un changement dans cette situation depuis qu’elle a rendu son ordonnance, elle devra alors se demander si ce changement justifie une modification de la mesure qu’elle avait indiquée. Procéder à une telle modification ne serait approprié que si la situation nouvelle requérait à son tour l’indication de mesures conservatoires, c’est-à-dire s’il était satisfait, dans ce cas également, aux conditions générales énoncées à l’article 41 du Statut de la Cour (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), ordonnance du 12 octobre 2022, par. 12).
17. La Cour commencera donc par déterminer si un changement s’est produit dans la situation qui a motivé la mesure indiquée dans son ordonnance du 22 février 2023.
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18. L’Arménie affirme que c’est la mise en place par l’Azerbaïdjan de deux postes de contrôle militaires, l’un, à l’entrée du corridor de Latchine, près du pont sur l’Hakari, et l’autre, plus loin sur le corridor, à proximité de la ville de Chouchi, qui l’a incitée à présenter sa quatrième demande. Selon elle, l’établissement du premier poste de contrôle constitue une nouvelle entrave importante à la circulation des personnes, des véhicules et des marchandises le long du corridor de Latchine. L’Arménie allègue en particulier que seule l’aide humanitaire acheminée par le contingent russe de maintien de la paix et le Comité international de la Croix-Rouge (ci-après le « CICR ») peut franchir ce poste de contrôle et que, depuis le 29 avril 2023, le CICR n’est plus en mesure de transporter de nouveaux malades du Haut-Karabakh vers l’Arménie pour qu’ils y reçoivent des soins. Elle soutient par ailleurs que le poste de contrôle situé à proximité de la ville de Chouchi a été établi à l’endroit où se déroulaient auparavant les prétendus « actes de protestation » auxquels se livraient des personnes que l’Azerbaïdjan qualifiait de « militants écologistes ». L’Arménie considère que la seule raison d’être de ce poste de contrôle est d’entraver la libre circulation, précisant que de nombreuses personnes d’origine arménienne se trouvent à présent coupées non seulement de l’Arménie, mais également d’autres parties du Haut-Karabakh lui-même.
19. L’Arménie fait valoir que l’ordonnance du 22 février 2023 a été rendue dans le contexte de prétendus actes de protestation par des militants écologistes qui entravaient la circulation libre et ininterrompue le long du corridor de Latchine. Elle note que ces « prétendus “actes de protestation” » sont aujourd’hui suspendus et ont cédé la place à deux postes de contrôle tenus et contrôlés par l’Azerbaïdjan. Selon elle, contrairement à ses allégations antérieures selon lesquelles il ne contrôlait pas le corridor de Latchine, le défendeur admet aujourd’hui ouvertement qu’il exerce un tel contrôle. L’Arménie estime par conséquent qu’il y a eu un « changement fondamental » dans la situation ayant justifié l’indication de certaines mesures conservatoires en février 2023.
20. L’Arménie soutient en outre qu’il est satisfait aux conditions générales pour l’indication de mesures conservatoires. Elle relève que la Cour a déjà affirmé qu’elle avait compétence prima facie. Elle observe aussi que la Cour a précédemment considéré que certains au moins des droits dont l’Arménie allègue la violation au regard des articles 2 et 5 de la CIEDR du fait de l’interruption de la circulation le long du corridor de Latchine étaient des droits plausibles. L’Arménie affirme qu’il existe un lien entre ces droits plausibles et la mesure modifiée sollicitée dans sa quatrième demande. Enfin, elle argue que la perturbation alléguée de la circulation crée un risque de préjudice irréparable et qu’il y a urgence.
21. Dans ses communications qui ont suivi la quatrième demande, l’agent de l’Arménie a notamment déclaré que la circulation le long du corridor de Latchine avait été totalement interrompue peu de temps auparavant, et que l’Azerbaïdjan avait complètement interdit la circulation des derniers convois humanitaires dans le corridor de Latchine.
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22. Dans ses observations écrites, l’Azerbaïdjan affirme qu’il n’est « présent nulle part le long de la route de Latchine, qui reste sous le contrôle temporaire des forces russes de maintien de la paix ». Il soutient qu’il n’a établi aucun poste de contrôle et n’est pas non plus présent de quelque autre manière à l’endroit où se déroulaient les actes de protestation, mais admet avoir mis en place un poste de contrôle à l’entrée du corridor de Latchine, près du pont sur l’Hakari, pour « mettre fin au transfert illégal, vers son territoire souverain, d’armes, de matériel militaire et de soldats ». Selon
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l’Azerbaïdjan, ledit corridor a aussi été utilisé « pour faire entrer en Arménie des minerais extraits illégalement au Garabagh ». Le défendeur affirme que, pendant la période de plus de deux ans qui a précédé l’établissement du poste de contrôle, il a maintes fois demandé au contingent russe de maintien de la paix stationné le long du corridor de Latchine de procéder à l’inspection des véhicules empruntant cette voie et de mettre fin à l’entrée illégale d’armes et de forces armées arméniennes sur son territoire. Il fait valoir qu’il a également cherché à régler le problème par la voie diplomatique et en engageant directement le dialogue avec l’Arménie. Selon le défendeur, le poste en question n’est pas un poste de contrôle militaire, son personnel est composé de membres du Service national des frontières de l’Azerbaïdjan, il est régi par la loi azerbaïdjanaise sur le contrôle des frontières et le personnel qui y est affecté procède à des contrôles de routine de documents d’identité et de marchandises.
23. L’Azerbaïdjan maintient que l’Arménie n’a pas démontré que l’existence et le fonctionnement de ce poste de contrôle mettaient en cause des droits plausibles au regard de la CIEDR. Il estime que le simple fait pour un État d’établir un poste de contrôle pour protéger ses frontières internationales ne saurait être constitutif de discrimination raciale, et que l’Arménie n’a présenté aucun élément prouvant qu’il faisait usage du poste en cause de manière discriminatoire. L’Azerbaïdjan affirme en outre que la modification demandée n’est ni urgente ni nécessaire, car les civils peuvent passer le poste de contrôle sans aucune entrave de sa part. Selon lui, depuis la mise en place de ce poste, au moins 1 927 résidents arméniens l’ont franchi en circulant entre l’Arménie et le Haut-Karabakh. L’Azerbaïdjan soutient que le CICR avait décidé de suspendre temporairement ses activités en attendant que soit trouvé un accord quant aux procédures applicables au niveau du poste de contrôle, mais qu’il les a reprises, y compris le transfert des personnes gravement malades du Haut-Karabakh vers l’Arménie, le 17 mai 2023. Il ajoute que, depuis le 25 mai 2023, la circulation des véhicules civils a repris, mais qu’elle demeure sujette à des restrictions et limitations imposées par l’Arménie elle-même. L’Azerbaïdjan fait enfin valoir que la décision sollicitée par l’Arménie empiète indûment sur ses droits souverains au sens où elle l’empêcherait de fait de surveiller et de sécuriser ses frontières.
24. L’Azerbaïdjan soutient enfin que, le 15 juin 2023, les forces armées arméniennes ont attaqué un groupe de gardes-frontières azerbaïdjanais et le contingent russe de maintien de la paix qui les accompagnait. Il déclare que, en conséquence, la circulation par le poste de contrôle a été temporairement suspendue, mais que celui-ci a été rouvert le 24 juin 2023 pour permettre le passage de résidents arméniens pour raisons de santé et la reprise du transport de fournitures médicales.
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25. La Cour rappelle que, le 9 novembre 2020, le président de la République d’Azerbaïdjan, le premier ministre de la République d’Arménie et le président de la Fédération de Russie ont signé une déclaration, dite « déclaration trilatérale » par les Parties. Aux termes de cette déclaration, le corridor de Latchine, « qui reliera le Haut-Karabakh à l’Arménie … , reste sous le contrôle du contingent russe de maintien de la paix ». Il y est également stipulé que « [l]’Azerbaïdjan garantit la sécurité de la circulation des citoyens, des moyens de transport et des marchandises le long du corridor de Latchine, dans les deux sens ». La Cour rappelle aussi que, dans son ordonnance du 22 février 2023, elle a indiqué une mesure prescrivant à l’Azerbaïdjan, dans l’attente de la décision finale en l’affaire et conformément aux obligations qui lui incombent au titre de la CIEDR, de prendre toutes les mesures dont il dispose afin d’assurer la circulation sans entrave des personnes, des véhicules et des marchandises le long du corridor de Latchine dans les deux sens (voir paragraphe 9 ci-dessus).
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26. La Cour observe que, dans sa quatrième demande, l’Arménie se réfère à deux postes de contrôle mis en place par l’Azerbaïdjan sur le corridor de Latchine. L’Azerbaïdjan conteste toutefois l’existence d’un quelconque poste de contrôle près de la ville de Chouchi. De plus, dans ses communications qui ont suivi la quatrième demande, l’agent de l’Arménie n’a mentionné qu’un poste de contrôle tenu par l’Azerbaïdjan et situé près de la frontière, à proximité du pont sur l’Hakari.
27. À l’appui de sa troisième demande, l’Arménie avait affirmé que la perturbation de la circulation des personnes, des véhicules et des marchandises le long du corridor de Latchine était causée par des « actes de protestation » prétendument orchestrés et soutenus par l’Azerbaïdjan. Dans son ordonnance du 22 février 2023 (voir paragraphe 9 ci-dessus), la Cour a observé que la circulation le long du corridor de Latchine avait été perturbée et constaté les conséquences de cette perturbation, qui empêchait les personnes d’origine nationale ou ethnique arménienne hospitalisées au Haut-Karabakh d’être transférées vers des établissements médicaux en Arménie pour y recevoir des soins urgents, et créait des obstacles à l’importation, au Haut-Karabakh, de produits de première nécessité, ce qui avait provoqué des pénuries de nourriture, de médicaments et d’autres fournitures médicales vitales (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), ordonnance du 22 février 2023, par. 54).
28. Dans sa quatrième demande, l’Arménie indique que les « prétendus “actes de protestation” » ont cessé. En revanche, elle affirme que la circulation le long du corridor de Latchine est actuellement perturbée par la mise en place par l’Azerbaïdjan d’un ou de plusieurs postes de contrôle et la manière dont celui-ci les fait fonctionner. La Cour estime que, même si l’on peut considérer, au vu de ces développements, qu’il y a eu un changement dans la situation qui prévalait lorsqu’elle a rendu son ordonnance du 22 février 2023, la quatrième demande concerne toujours des allégations de perturbation de la circulation le long du corridor de Latchine. Les conséquences de toute perturbation de cette nature pour les personnes d’origine nationale ou ethnique arménienne seraient les mêmes que celles que la Cour avait constatées dans l’ordonnance précitée. De plus, la mesure que la Cour y a prescrite s’applique quelle que soit la cause de la perturbation de la circulation.
29. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que les circonstances auxquelles se réfère l’Arménie dans sa quatrième demande ne constituent pas un changement dans la situation justifiant une modification de l’ordonnance du 22 février 2023 au sens de l’article 76 de son Règlement.
30. La Cour considère que la précarité de la situation entre les Parties confirme la nécessité d’une mise en oeuvre effective de la mesure indiquée dans son ordonnance du 22 février 2023. Dans ces conditions, elle juge nécessaire de réaffirmer la mesure indiquée au paragraphe 67 de ladite ordonnance (voir le paragraphe 9 ci-dessus) et de réaffirmer que, en application de son ordonnance du 7 décembre 2021, les deux Parties doivent s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend dont elle est saisie ou d’en rendre le règlement plus difficile.
31. La Cour rappelle que ses « ordonnances indiquant des mesures conservatoires au titre de l’article 41 [du Statut] ont un caractère obligatoire » (LaGrand (Allemagne c. États-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 506, par. 109) et créent donc des obligations juridiques internationales pour toute partie à laquelle ces mesures sont adressées.
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32. Enfin, la Cour souligne que la présente ordonnance est sans préjudice de toute décision au fond concernant le respect par les Parties de son ordonnance du 22 février 2023.
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33. Par ces motifs,
LA COUR,
1) À l’unanimité,
Dit que les circonstances, telles qu’elles se présentent aujourd’hui à elle, ne sont pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir de modifier l’ordonnance du 22 février 2023 indiquant une mesure conservatoire ;
2) À l’unanimité,
Réaffirme la mesure conservatoire indiquée dans son ordonnance du 22 février 2023.
Fait en anglais et en français, le texte anglais faisant foi, au Palais de la Paix, à La Haye, le six juillet deux mille vingt-trois, en trois exemplaires, dont l’un restera déposé aux archives de la Cour et les autres seront transmis respectivement au Gouvernement de la République d’Arménie et au Gouvernement de la République d’Azerbaïdjan.
La présidente,
(Signé) Joan E. DONOGHUE.
Le greffier,
(Signé) Philippe GAUTIER.
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Demande tendant à la modification de l’ordonnance du 22 février 2023 indiquant une mesure conservatoire

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