Arrêt du 30 mars 2023

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164-20230330-JUD-01-00-EN
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30 MARCH 2023
JUDGMENT
CERTAIN IRANIAN ASSETS (ISLAMIC REPUBLIC OF IRAN v. UNITED STATES OF AMERICA)
___________
CERTAINS ACTIFS IRANIENS (RÉPUBLIQUE ISLAMIQUE D’IRAN c. ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE)
30 MARS 2023
ARRÊT
TABLE DES MATIÈRES
Paragraphes
QUALITÉS 1-20
I. CONTEXTE FACTUEL 21-32
II. QUESTIONS DE COMPÉTENCE ET DE RECEVABILITÉ 33-73
A. Exception d’incompétence ratione materiae : question de savoir si la banque Markazi est une «société» au sens du traité d’amitié 34-54
B. Exception d’irrecevabilité tirée du défaut d’épuisement des voies de recours internes 55-73
III. MOYENS DE DÉFENSE AU FOND INVOQUÉS PAR LES ETATS-UNIS 74-109
A. Moyen fondé sur la doctrine des «mains propres» 76-84
B. Moyen fondé sur l’abus de droit 85-93
C. Article XX, paragraphe 1, alinéas c) et d) du traité d’amitié 94-109
1. Alinéa c) du paragraphe 1 de l’article XX 99-103
2. Alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX 104-109
IV. VIOLATIONS ALLÉGUÉES DU TRAITÉ D’AMITIÉ 110-223
A. Violations alléguées du paragraphe 1 de l’article III et du paragraphe 1 de l’article IV 123-159
B. Violations alléguées du paragraphe 2 de l’article III 160-168
C. Violations alléguées du paragraphe 2 de l’article IV 169-192
D. Violations alléguées du paragraphe 1 de l’article V 193-201
E. Violations alléguées du paragraphe 1 de l’article VII 202-208
F. Violations alléguées du paragraphe 1 de l’article X 209-223
V. REMÈDES 224-235
A. Cessation des faits internationalement illicites 225-229
B. Indemnisation pour les préjudices subis 230-231
C. Satisfaction 232-233
DISPOSITIF 236
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ABRÉVIATIONS, ACRONYMES ET FORMULES SIMPLIFIÉES
Affaire Bennett
Bennett et al. v. The Islamic Republic of Iran et al. (affaire portée devant le tribunal fédéral du district nord de l’Etat de Californie, dont le jugement a été confirmé par la cour d’appel fédérale du neuvième circuit)
Affaire Peterson
Deborah Peterson et al. v. Islamic Republic of Iran (affaire portée devant le tribunal fédéral du district sud de l’Etat de New York, dont le jugement a été confirmé par la Cour suprême des Etats-Unis)
Affaire Weinstein
Weinstein et al. v. Islamic Republic of Iran et al. (affaire portée devant le tribunal fédéral du district est de l’Etat de New York, dont le jugement a été confirmé par la cour d’appel fédérale du deuxième circuit)
Arrêt de 2019
Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 7
Articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat
Articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite
Banque Markazi
Banque Markazi Jomhouri Islami Iran (la banque centrale d’Iran)
Banque Melli
Banque Melli Iran
CDI
Commission du droit international
FSIA
Foreign Sovereign Immunities Act ou loi sur l’immunité des Etats étrangers (loi américaine)
ITRSHRA
Iran Threat Reduction and Syria Human Rights Act ou loi sur la réduction de la menace iranienne et les droits de l’homme en Syrie (loi américaine)
Traité d’amitié
Traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires entre les Etats-Unis d’Amérique et l’Iran, signé à Téhéran le 15 août 1955
TRIA
Terrorism Risk Insurance Act ou loi sur l’assurance contre les risques associés au terrorisme (loi américaine)
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ANNÉE 2023
2023
30 mars
Rôle général
no 164
30 mars 2023
CERTAINS ACTIFS IRANIENS
(RÉPUBLIQUE ISLAMIQUE D’IRAN c. ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE)
Contexte factuel  Signature du traité d’amitié de 1955  Cessation des relations diplomatiques en 1980  Modification de la loi américaine sur l’immunité des Etats étrangers (Foreign Sovereign Immunities Act, «FSIA») en 1996  Promulgation de la loi américaine sur l’assurance contre les risques associés au terrorisme (Terrorism Risk Insurance Act, «TRIA») en 2002  Nouvelle modification de la FSIA en 2008  Promulgation du décret présidentiel no 13599 en 2012  Actifs de l’Iran et de certaines entités iraniennes faisant l’objet de procédures d’exécution  Notification de dénonciation du traité d’amitié en 2018.
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Compétence et recevabilité.
Exception d’incompétence ratione materiae de la Cour fondée sur la question de savoir si la banque Markazi est une «société» au sens du traité d’amitié  Activités de la banque Markazi mentionnées par l’Iran n’étant pas suffisantes pour établir qu’elle se livrait à des activités de nature commerciale  Banque Markazi ne pouvant être qualifiée de «société» au sens du traité d’amitié  Exception d’incompétence tirée du traitement accordé à la banque Markazi étant retenue — Cour n’ayant pas compétence à l’égard des demandes de l’Iran dans la mesure où elles portent sur le traitement réservé à la banque Markazi.
Exception d’irrecevabilité tirée du défaut d’épuisement des voies de recours internes  Demandes présentées par l’Iran tant en son nom propre qu’au nom de sociétés iraniennes  Absence de voies de recours efficaces pour les sociétés iraniennes dans le système
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judiciaire américain  Tribunaux américains ayant conclu à l’absence de conflit entre les mesures américaines et le traité d’amitié  Primauté conférée à la loi fédérale plus récente sur le traité par la jurisprudence américaine  Sociétés iraniennes n’ayant pas eu de possibilité raisonnable de faire valoir avec succès leurs droits dans les procédures judiciaires américaines  Exception d’irrecevabilité tirée du défaut d’épuisement des voies de recours internes ne pouvant être retenue.
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Moyens de défense au fond.
Moyen fondé sur la doctrine des «mains propres»  Doctrine exigeant un comportement illicite du demandeur et un lien entre ce comportement et les demandes présentées  Lien entre le comportement illicite attribué à l’Iran par les Etats-Unis et les demandes de l’Iran étant insuffisant  Moyen ne pouvant être retenu.
Moyen fondé sur l’abus de droit  Nécessité de démontrer que l’Iran cherche à exercer des droits qui lui sont conférés par le traité d’amitié à des fins différentes de celles pour lesquelles ces droits ont été établis, au détriment des Etats-Unis  Etats-Unis n’en ayant pas fait la démonstration  Moyen ne pouvant être retenu.
Moyen fondé sur les alinéas c) et d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié  Mesures adoptées au titre du décret présidentiel no 13599 ne réglementant pas la production ou le commerce des armes au sens de l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article XX  Moyen fondé sur l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article XX ne pouvant être retenu  Mesures n’étant pas nécessaires pour protéger des intérêts vitaux sur le plan de la sécurité au sens de l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX  Moyen fondé sur l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX ne pouvant être retenu.
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Violations alléguées du traité d’amitié.
Paragraphe a) de l’article 201 de la TRIA  Alinéa 1 du paragraphe g) de l’article 1610 de la FSIA  Décret présidentiel no 13599.
Paragraphe 1 de l’article III et paragraphe 1 de l’article IV  Dispositions étroitement liées et traitées conjointement  Portée de l’obligation faite au paragraphe 1 de l’article III de reconnaître le statut juridique des sociétés de l’autre Partie contractante  Existence juridique de la société en tant qu’entité distincte d’autres personnes physiques ou morales  Question du statut juridique distinct au titre du paragraphe 1 de l’article III devant être traitée dans le cadre de l’examen des demandes de l’Iran fondées sur le paragraphe 1 de l’article IV  Première clause concernant le «traitement juste et équitable» incluant une protection contre le déni de justice  Promulgation de dispositions législatives supprimant certains moyens de défense fondés sur la personnalité juridique distincte et leur application par les tribunaux ne constituant pas en
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elles-mêmes un déni de justice  Deuxième clause concernant les «mesures déraisonnables ou discriminatoires»  Sens du terme «déraisonnable» dans le traité d’amitié  Mesures américaines ayant porté atteinte aux droits des sociétés iraniennes de façon manifestement excessive  Mesures étant déraisonnables, en violation du paragraphe 1 de l’article IV  Cour n’ayant pas à rechercher séparément si les mesures américaines étaient «discriminatoires»  Mesures américaines ayant méconnu la personnalité juridique propre des sociétés iraniennes  Etats-Unis ayant donc également violé le paragraphe 1 de l’article III.
Paragraphe 2 de l’article III garantissant non pas les droits substantiels ou procéduraux d’une société, mais uniquement l’accès aux tribunaux  Droits des sociétés iraniennes de comparaître devant les tribunaux américains, de présenter des moyens de droit et de former des recours n’étant pas entravés  Arguments des sociétés fondés sur le traité d’amitié se rapportant aux droits substantiels de celles-ci, et non à la liberté d’accès  Aucune violation du paragraphe 2 de l’article III n’étant établie.
Paragraphe 2 de l’article IV  Interdiction des expropriations, hormis pour cause d’utilité publique et moyennant le paiement rapide d’une juste indemnité  Elément d’illicéité étant requis pour qu’une expropriation soit établie  Paragraphe a) de l’article 201 de la TRIA et alinéa 1 du paragraphe g) de l’article 1610 de la FSIA considérés comme déraisonnables  Dispositions ne constituant pas un exercice licite de pouvoirs de réglementation et étant assimilables à une expropriation en violation du paragraphe 2 de l’article IV  Expropriation n’étant pas établie s’agissant du décret présidentiel no 13599  Demande relative à la protection et à la sécurité les plus constantes  Défaut de protection des biens contre les dommages physiques étant requis  Aucune violation du paragraphe 2 de l’article IV n’étant établie en ce qui concerne la protection et la sécurité les plus constantes.
Paragraphe 1 de l’article V  Droits des ressortissants et sociétés de prendre à bail, d’acquérir, par voie d’achat ou par tout autre moyen, et d’aliéner des biens  Allégations de l’Iran reposant sur le même ensemble de faits que ses demandes concernant l’expropriation fondées sur le paragraphe 2 de l’article IV  Paragraphe 1 de l’article V n’étant pas censé s’appliquer aux situations assimilables à une expropriation  Absence de biens ou de participations dans des biens spécifiquement touchés par le décret présidentiel no 13599, hormis les actifs de la banque Markazi qui ne relèvent pas de la compétence de la Cour  Aucune violation du paragraphe 1 de l’article V n'étant établie.
Paragraphe 1 de l’article VII  Interdiction des restrictions en matière de paiements, remises et autres transferts de fonds se limitant aux restrictions en matière de change  Demandes de l’Iran ne se rapportant pas à des restrictions en matière de change  Aucune violation du paragraphe 1 de l’article VII n’étant établie.
Paragraphe 1 de l’article X  Terme «commerce» employé au paragraphe 1 de l’article X faisant référence aux échanges commerciaux en général  Activités entièrement menées dans le secteur financier constituant un commerce protégé par le paragraphe 1 de l’article X  Exigence que le commerce s’effectue «entre les territoires des Etats-Unis et de l’Iran»  Intermédiaires situés dans différents pays participant aux opérations financières  Décret présidentiel no 13599 constituant une entrave effective à toute transaction ou opération financière devant être réalisée par l’Iran ou les institutions financières iraniennes sur le territoire des Etats-Unis  Application judiciaire de l’alinéa 1 du paragraphe g) de l’article 1610 de la FSIA et du paragraphe a) de l’article 201 de la TRIA ayant concrètement entravé le commerce  Procédures d’exécution concernant les biens du ministère iranien de la défense et de la marine iranienne ne constituant pas
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une entrave au commerce  Procédures d’exécution concernant des dettes contractuelles dans le secteur des télécommunications et dans le secteur du service des cartes de crédit constituant une entrave au commerce  Violation du paragraphe 1 de l’article X étant établie.
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Remèdes.
Cessation des faits internationalement illicites  Obligation relative à la cessation n’existant que si l’obligation de fond violée est toujours en vigueur  Traité d’amitié n’étant plus en vigueur  Demande relative à la cessation étant rejetée.
Indemnisation  Iran étant fondé à recevoir indemnisation pour les préjudices causés par les violations commises par les Etats-Unis  Cour pouvant évaluer les préjudices et le montant de l’indemnité dans le cadre d’une phase ultérieure  En cas d’absence d’accord entre les Parties sur l’indemnisation dans les 24 mois, Cour déterminant, à la demande de l’une d’elles, le montant dû.
Satisfaction  Constat des faits illicites commis par les Etats-Unis constituant une satisfaction suffisante.
ARRÊT
Présents : M. GEVORGIAN, vice-président, faisant fonction de président en l’affaire ; MM. TOMKA, ABRAHAM, BENNOUNA, YUSUF, MMES XUE, SEBUTINDE, MM. BHANDARI, ROBINSON, SALAM, IWASAWA, NOLTE, MME CHARLESWORTH, juges ; MME BARKETT, M. MOMTAZ, juges ad hoc ; M. GAUTIER, greffier.
En l’affaire relative à certains actifs iraniens,
entre
la République islamique d’Iran,
représentée par
M. Tavakol Habibzadeh, président du centre des affaires juridiques internationales de la République islamique d’Iran, avocat, professeur associé de droit international à l’Université Imam Sadiq,
comme agent, conseil et avocat ;
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M. Mohammad H. Zahedin Labbaf, agent de la République islamique d’Iran auprès du Tribunal des réclamations irano-américaines, conseiller juridique auprès du centre des affaires juridiques internationales de la République islamique d’Iran, La Haye,
comme coagent et conseil ;
S. Exc. M. Alireza Kazemi Abadi, ambassadeur de la République islamique d’Iran auprès du Royaume des Pays-Bas,
M. Mohammad Saleh Attar, directeur du centre des affaires juridiques internationales de la République islamique d’Iran, La Haye,
comme hauts représentants de l’Etat et conseillers juridiques ;
M. Vaughan Lowe, KC, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles, Essex Court Chambers, professeur émérite de droit international à l’Université d’Oxford, membre de l’Institut de droit international,
M. Alain Pellet, professeur émérite à l’Université Paris Nanterre, ancien président de la Commission du droit international, président de l’Institut de droit international,
M. Jean-Marc Thouvenin, professeur à l’Université Paris Nanterre, secrétaire général de l’Académie de droit international de La Haye, membre associé de l’Institut de droit international, membre du barreau de Paris, Sygna Partners,
M. Samuel Wordsworth, KC, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles et du barreau de Paris, Essex Court Chambers,
M. Sean Aughey, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles, Essex Court Chambers,
M. Hadi Azari, conseiller juridique auprès du centre des affaires juridiques internationales de la République islamique d’Iran, professeur associé de droit international public à l’Université Kharazmi,
M. Luke Vidal, membre du barreau de Paris, Sygna Partners,
comme conseils et avocats ;
M. Behzad Saberi Ansari, directeur général chargé des affaires juridiques internationales, ministère des affaires étrangères de la République islamique d’Iran,
M. Ali Nasimfar, directeur adjoint chargé des affaires juridiques internationales, ministère des affaires étrangères de la République islamique d’Iran,
M. Yousef Nourikia, conseiller à l’ambassade de la République islamique d’Iran aux Pays-Bas,
M. Mahdad Fallah-Assadi, expert juridique au département des affaires juridiques internationales, ministère des affaires étrangères de la République islamique d’Iran,
comme conseillers juridiques principaux ;
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Mme Tessa Barsac, consultante en droit international, master (Université Paris Nanterre), LLM (Université de Leyde),
Mme Lefa Mondon, master (Université de Strasbourg), Sygna Partners,
comme conseils ;
M. Ali Mokhberolsafa, conseiller juridique auprès du centre des affaires juridiques internationales de la République islamique d’Iran, La Haye,
M. S. Mohammad Asbaghi Namini, conseiller juridique auprès du centre des affaires juridiques internationales de la République islamique d’Iran,
M. Ahmad Reza Tohidi, conseiller juridique auprès du centre des affaires juridiques internationales de la République islamique d’Iran, professeur associé de droit international à l’Université de Qom,
M. Sajad Askari, conseiller juridique auprès du centre des affaires juridiques internationales de la République islamique d’Iran, professeur adjoint à l’Université Shahid Bahonar de Kerman,
M. Vahid Bazzar, conseiller juridique auprès du centre des affaires juridiques internationales de la République islamique d’Iran,
M. Alireza Ranjbar, conseiller juridique auprès du centre des affaires juridiques internationales de la République islamique d’Iran,
comme conseillers juridiques,
et
les Etats-Unis d’Amérique,
représentés par
M. Richard C. Visek, conseiller juridique par intérim, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
comme agent, conseil et avocat ;
M. Steven F. Fabry, conseiller juridique adjoint, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
comme coagent, conseil et avocat ;
Mme Emily J. Kimball, conseillère juridique, ambassade des Etats-Unis d’Amérique aux Pays-Bas,
Mme Jennifer E. Marcovitz, conseillère juridique adjointe, ambassade des Etats-Unis d’Amérique aux Pays-Bas,
comme agentes adjointes et conseils ;
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Sir Daniel Bethlehem, KC, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles, cabinet Twenty Essex, Londres,
Mme Laurence Boisson de Chazournes, professeure à l’Université de Genève (droit international et organisation internationale), membre de l’Institut de droit international,
Mme Lisa J. Grosh, conseillère juridique adjointe, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
M. John D. Daley, conseiller juridique adjoint de deuxième classe, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
M. Nathaniel E. Jedrey, avocat-conseil, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
comme conseils et avocats ;
Mme Kristina E. Beard, avocate-conseil, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
M. David M. Bigge, avocat-conseil, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
Mme Julia H. Brower, avocate-conseil, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
M. Peter A. Gutherie, avocat-conseil, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
M. Matthew S. Hackell, avocat-conseil, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
Mme Melinda E. Kuritzky, avocate-conseil, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
Mme Mary T. Muino, avocate-conseil, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
M. Robert L. Nightingale, avocat-conseil, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
M. Alvaro J. Peralta, avocat-conseil, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
M. David J. Stute, avocat-conseil, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
M. Isaac D. Webb, avocat-conseil, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
comme conseils ;
M. Guillaume Guez, doctorant à l’Université de Genève et à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, attaché d’enseignement et de recherches à la faculté de droit de l’Université de Genève,
Mme Anjail Al-Uqdah, assistante juridique, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
Mme Mariama N. Yilla, assistante juridique, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
Mme Kelly A. Molloy, assistante administrative, département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique,
comme assistants,
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LA COUR,
ainsi composée,
après délibéré en chambre du conseil,
rend l’arrêt suivant :
1. Le 14 juin 2016, la République islamique d’Iran (ci-après l’«Iran») a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre les Etats-Unis d’Amérique (ci-après les «Etats-Unis») au sujet d’un différend concernant de prétendues violations par les Etats-Unis du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires signé par les deux Etats à Téhéran le 15 août 1955 et entré en vigueur le 16 juin 1957 (ci-après le «traité d’amitié» ou le «traité»).
2. Dans sa requête, l’Iran entend fonder la compétence de la Cour sur le paragraphe 2 de l’article XXI du traité d’amitié, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de la Cour.
3. Conformément au paragraphe 2 de l’article 40 du Statut, le greffier a immédiatement communiqué la requête au Gouvernement des Etats-Unis. Il a en outre informé le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies du dépôt par l’Iran de cette requête.
4. De plus, par lettres en date du 20 juin 2016, le greffier a également informé tous les Etats Membres de l’Organisation des Nations Unies du dépôt de la requête susvisée.
5. Conformément au paragraphe 3 de l’article 40 du Statut, le greffier a par la suite informé les Membres de l’Organisation des Nations Unies, par l’entremise du Secrétaire général, du dépôt de la requête en leur transmettant le texte bilingue imprimé de celle-ci.
6. Par lettres en date du 23 juin 2016, le greffier a informé les deux Parties que, se référant au paragraphe 1 de l’article 24 du Statut, le membre de la Cour de nationalité américaine avait fait part à la Cour de son intention de ne pas participer au jugement de l’affaire. Conformément à l’article 31 du Statut et au paragraphe 1 de l’article 37 du Règlement de la Cour, les Etats-Unis ont désigné M. David Caron pour siéger en qualité de juge ad hoc en l’affaire. M. le juge Caron étant décédé le 20 février 2018, les Etats-Unis ont désigné M. Charles Brower pour siéger en qualité de juge ad hoc en l’affaire. A la suite de la démission du juge Brower le 5 juin 2022, les Etats-Unis ont désigné Mme Rosemary Barkett pour siéger en qualité de juge ad hoc.
7. La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de nationalité iranienne, l’Iran s’est prévalu du droit que lui confère le paragraphe 3 de l’article 31 du Statut de procéder à la désignation d’un juge ad hoc pour siéger en l’affaire ; il a désigné M. Djamchid Momtaz.
8. Par ordonnance du 1er juillet 2016, la Cour a fixé au 1er février 2017 et au 1er septembre 2017, respectivement, les dates d’expiration du délai pour le dépôt du mémoire de l’Iran et du contre-mémoire des Etats-Unis. L’Iran a déposé son mémoire dans le délai ainsi prescrit.
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9. Par lettre du 30 mars 2017, les Etats-Unis, invoquant l’article 49 du Statut et les articles 50 et 62 du Règlement, ont prié la Cour d’ordonner à l’Iran de produire ou de rendre accessibles «certains documents ayant trait aux allégations qu’il a[vait] formulées à l’encontre des Etats-Unis d’Amérique, qui ne figur[ai]ent pas dans les annexes de son mémoire et que le défendeur ne p[ouvai]t consulter», en particulier, les pièces de procédure et documents y afférents qui avaient été déposés confidentiellement auprès du tribunal fédéral du district sud de l’Etat de New York en l’affaire Deborah Peterson et al. v. Islamic Republic of Iran (ci-après l’«affaire Peterson»). Par une seconde lettre du 30 mars 2017, les Etats-Unis ont demandé à la Cour que la date d’expiration du délai dans lequel il leur était permis de présenter des exceptions préliminaires soit repoussée jusqu’au 16 juin 2017 ou jusqu’à une date d’au moins 45 jours après l’obtention par eux des documents relatifs à l’affaire Peterson. Par lettre du 12 avril 2017, l’Iran s’est opposé à ces deux demandes. Par lettres du 19 avril 2017, le greffier a informé les Parties que, à ce stade de la procédure, la Cour avait décidé de ne pas user des pouvoirs que lui confère l’article 49 de son Statut de demander à l’Iran de produire les documents relatifs à l’affaire Peterson et que, en conséquence, elle avait également décidé de rejeter la demande de prorogation du délai prévu pour le dépôt d’exceptions préliminaires. Par lettre du 1er mai 2017, les Etats-Unis ont informé la Cour qu’ils entendaient engager une procédure auprès du tribunal fédéral saisi de l’affaire Peterson en vue d’obtenir l’accès aux documents en question et qu’ils s’attacheraient à lui présenter tout autre document pertinent.
10. Le 1er mai 2017, dans le délai fixé au paragraphe 1 de l’article 79 du Règlement de la Cour du 14 avril 1978 tel que modifié le 1er février 2001, les Etats-Unis ont présenté des exceptions préliminaires d’incompétence de la Cour et d’irrecevabilité de la requête. En conséquence, par ordonnance du 2 mai 2017, le président de la Cour, constatant que, en vertu des dispositions du paragraphe 5 de l’article 79 du Règlement de la Cour du 14 avril 1978 tel que modifié le 1er février 2001, la procédure sur le fond était suspendue, et compte tenu de l’instruction de procédure V, a fixé au 1er septembre 2017 la date d’expiration du délai dans lequel l’Iran pouvait présenter un exposé écrit contenant ses observations et conclusions sur les exceptions préliminaires soulevées par les Etats-Unis. L’Iran a déposé un tel exposé dans le délai ainsi fixé, et l’affaire s’est alors trouvée en état pour ce qui est des exceptions préliminaires.
11. Par lettre du 24 août 2017, les Etats-Unis ont informé la Cour que le tribunal fédéral saisi de l’affaire Peterson avait enjoint aux parties de soumettre des versions publiques des documents auxquels ils avaient demandé l’accès (voir le paragraphe 9 ci-dessus), et ont annoncé leur intention de soumettre celles-ci à la Cour, ajoutant qu’elles constitueraient des publications «facilement accessibles» au sens du paragraphe 4 de l’article 56 du Règlement. Par lettre du 30 août 2017, l’Iran a pris acte de la teneur de la lettre des Etats-Unis en date du 24 août 2017 et indiqué qu’il entendait réserver l’ensemble de ses droits, en particulier celui «de répondre à toute demande des Etats-Unis tendant à présenter de nouveaux éléments de preuve ou de nouvelles écritures s’y rapportant en dehors du calendrier fixé par la Cour». Le 19 septembre 2017, les Etats-Unis ont déposé certains documents concernant l’affaire Peterson rendus publics le 31 août 2017. Dans une lettre d’accompagnement, ils ont précisé que ces documents étaient disponibles sur le site Internet du tribunal fédéral concerné et seraient également publiés sur le site Internet du département d’Etat des Etats-Unis. Par lettre du 16 octobre 2017, l’Iran s’est opposé au dépôt des documents relatifs à l’affaire Peterson, affirmant que les Etats-Unis avaient agi en violation des paragraphes 3 à 8 de l’article 79 du Règlement de la Cour et que ces documents n’étaient pas accessibles au public. Par lettre du 3 novembre 2017, les Etats-Unis ont confirmé qu’ils avaient placé les documents relatifs à l’affaire Peterson sur le site Internet de leur département d’Etat.
12. Des audiences publiques sur les exceptions préliminaires soulevées par les Etats-Unis se sont tenues du 8 au 12 octobre 2018. Dans l’arrêt qu’elle a rendu le 13 février 2019 (ci-après l’«arrêt de 2019»), la Cour a dit qu’elle avait compétence pour se prononcer sur la requête déposée par l’Iran,
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excepté à l’égard des demandes de celui-ci fondées sur la violation alléguée des règles de droit international en matière d’immunités souveraines. S’agissant de l’exception préliminaire relative à sa compétence pour connaître des demandes de l’Iran qui se rapportent à des violations supposées des articles III, IV et V du traité d’amitié reposant sur le traitement accordé à la banque Markazi Jomhouri Islami Iran (ci-après la «banque Markazi»), la Cour a considéré que cette exception n’avait pas un caractère exclusivement préliminaire. Elle a également jugé que la requête de l’Iran était recevable.
13. Par ordonnance en date du 13 février 2019, la Cour a fixé au 13 septembre 2019 la nouvelle date d’expiration du délai pour le dépôt du contre-mémoire des Etats-Unis. Par ordonnance en date du 15 août 2019, le président de la Cour a reporté, à la demande du défendeur, cette date au 14 octobre 2019. Le contre-mémoire a été déposé dans le délai ainsi prorogé.
14. Par ordonnance en date du 15 novembre 2019, le président de la Cour a autorisé la présentation d’une réplique par l’Iran et d’une duplique par les Etats-Unis, et fixé au 17 août 2020 et au 17 mai 2021, respectivement, les dates d’expiration des délais dans lesquels ces pièces devaient être déposées. La réplique et la duplique ont été déposées dans les délais ainsi fixés.
15. Conformément au paragraphe 2 de l’article 53 du Règlement, la Cour, après avoir consulté les Parties, a décidé que des exemplaires des pièces de procédure et des documents y annexés seraient rendus accessibles au public à l’ouverture de la procédure orale.
16. Des audiences publiques se sont tenues les 19, 21, 22 et 23 septembre 2022, au cours desquelles ont été entendus en leurs plaidoiries et réponses :
Pour l’Iran : M. Tavakol Habibzadeh,
M. Vaughan Lowe,
M. Hadi Azari,
M. Luke Vidal,
M. Jean-Marc Thouvenin,
M. Samuel Wordsworth,
M. Sean Aughey,
M. Alain Pellet.
Pour les Etats-Unis : M. Richard C. Visek,
Sir Daniel Bethlehem,
Mme Lisa Grosh,
Mme Laurence Boisson de Chazournes,
M. John Daley,
M. Nathaniel E. Jedrey,
M. Steven Fabry.
17. A l’audience, une question a été posée à l’Iran par un membre de la Cour, à laquelle il a été répondu par écrit, conformément au paragraphe 4 de l’article 61 du Règlement. Les Etats-Unis ont présenté des observations sur la réponse écrite de l’Iran, conformément à l’article 72 du Règlement.
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18. Dans la requête, les demandes ci-après ont été formulées par l’Iran :
«Sur la base de ce qui précède et tout en se réservant le droit de compléter, modifier ou reviser la présente requête au cours de la suite de la procédure en l’affaire, l’Iran prie respectueusement la Cour de dire, prescrire et juger :
a) qu’elle a compétence, en vertu du traité d’amitié, pour connaître du différend et statuer sur les demandes présentées par l’Iran ;
b) que, par leurs actes, notamment ceux exposés ci-dessus et en particulier : a) la non-reconnaissance du statut juridique distinct (notamment la personnalité juridique distincte) de toutes les sociétés iraniennes, parmi lesquelles la banque Markazi, b) le traitement injuste et discriminatoire de ces entités, ainsi que de leurs biens, lequel porte atteinte aux droits ou aux intérêts légalement acquis par celles-ci, dont l’exécution de leurs droits contractuels, c) le fait de ne pas assurer à ces entités et à leurs biens, de la manière la plus constante, une protection et une sécurité qui ne doivent en aucun cas être inférieures aux normes fixées par le droit international, d) l’expropriation des biens de ces entités, e) le fait de ne pas accorder à ces entités libre accès aux tribunaux des Etats-Unis, notamment en les privant des immunités que le droit international coutumier et les dispositions du traité d’amitié confèrent à l’Iran et aux sociétés lui appartenant, telle la banque Markazi, ainsi qu’à leurs biens, f) le non-respect du droit de ces entités d’acquérir et d’aliéner des biens, g) l’imposition à ces entités de restrictions en matière de paiements et autres transferts de fonds à destination ou en provenance des Etats-Unis, h) l’entrave à la liberté de commerce, les Etats-Unis ont manqué à leurs obligations envers l’Iran, notamment à celles que leur imposent les paragraphes 1 et 2 de l’article III, les paragraphes 1 et 2 de l’article IV, le paragraphe 1 de l’article V, le paragraphe 1 de l’article VII et le paragraphe 1 de l’article X du traité d’amitié ;
c) que les Etats-Unis doivent veiller à ce qu’aucune mesure ne soit prise sur la base des actes administratifs, législatifs et judiciaires (dont il a été fait état plus haut) en cause dans la présente affaire et dont la Cour aura déterminé qu’ils sont incompatibles avec les obligations qui leur incombent envers l’Iran au titre du traité d’amitié ;
d) que l’Iran et les sociétés propriété de l’Etat iranien jouissent de l’immunité de juridiction devant les tribunaux des Etats-Unis et à l’égard des procédures d’exécution dans ce pays, et que cette immunité doit être respectée par celui-ci (notamment ses tribunaux), dans la mesure établie par le droit international coutumier et exigée par le traité d’amitié ;
e) que les Etats-Unis (y compris leurs tribunaux) sont tenus de respecter le statut juridique (y compris la personnalité juridique distincte) de toutes les sociétés iraniennes, y compris celles qui appartiennent à l’Etat, telle la banque Markazi, et de leur accorder libre accès à leurs tribunaux, et qu’aucune mesure fondée sur les actes administratifs, législatifs et judiciaires (dont il a été fait état plus haut), qui emporte ou suppose la reconnaissance ou l’exécution desdits actes et décisions de justice, ne sera prise contre les actifs ou les intérêts de l’Iran, ni contre une entité ou un ressortissant iranien ;
f) que les Etats-Unis, pour avoir enfreint leurs obligations internationales, sont tenus de réparer intégralement le préjudice ainsi causé à l’Iran, selon un montant à déterminer par la Cour à un stade ultérieur de l’instance, l’Iran se réservant le droit
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d’introduire et de présenter à cette dernière, en temps utile, une évaluation précise des réparations dues par les Etats-Unis ;
g) tout autre remède que la Cour jugerait approprié.»
19. Au cours de la procédure écrite, les conclusions ci-après ont été présentées par les Parties :
Au nom du Gouvernement de l’Iran,
dans le mémoire :
«Sur la base de ce qui précède et tout en se réservant le droit de compléter ou de modifier les présentes demandes au cours de la procédure en l’affaire, l’Iran prie respectueusement la Cour de dire, prescrire et juger :
a) que la responsabilité internationale des Etats-Unis est engagée comme suit :
i) par leurs actes, notamment ceux exposés ci-dessus et en particulier la non-reconnaissance du statut juridique distinct (notamment la personnalité juridique distincte) de toutes les sociétés iraniennes, parmi lesquelles la banque Markazi, les Etats-Unis ont manqué à leurs obligations envers l’Iran, notamment à celles que leur impose le paragraphe 1 de l’article III du traité d’amitié ;
ii) par leurs actes, notamment ceux exposés ci-dessus et en particulier : a) le traitement injuste et discriminatoire de ces entités ainsi que de leurs biens, lequel porte atteinte aux droits ou aux intérêts légalement acquis par celles-ci, dont l’exécution de leurs droits contractuels, b) le fait de ne pas assurer à ces entités et à leurs biens, de la manière la plus constante, une protection et une sécurité qui ne doivent en aucun cas être inférieures aux normes fixées par le droit international, c) le fait d’exproprier ces entités de leurs biens et de ne pas leur accorder libre accès aux tribunaux des Etats-Unis, notamment en les privant des immunités que le droit international coutumier et les dispositions du traité d’amitié de 1955 confèrent à l’Iran et aux sociétés lui appartenant, parmi lesquelles la banque Markazi, ainsi qu’à leurs biens, d) le non-respect du droit de ces entités d’acquérir et d’aliéner des biens, les Etats-Unis ont manqué à leurs obligations envers l’Iran, notamment à celles que leur imposent le paragraphe 2 de l’article III, les paragraphes 1 et 2 de l’article IV, le paragraphe 1 de l’article V et le paragraphe 4 de l’article XI du traité d’amitié ;
iii) par leurs actes, notamment ceux exposés ci-dessus et en particulier : a) l’imposition à ces entités de restrictions en matière de paiements et autres transferts de fonds à destination ou en provenance des Etats-Unis, b) l’entrave à la liberté de commerce, les Etats-Unis ont manqué à leurs obligations envers l’Iran, notamment à celles que leur imposent le paragraphe 1 de l’article VII et le paragraphe 1 de l’article X du traité d’amitié ;
b) que les Etats-Unis doivent mettre fin à un tel comportement et donner à l’Iran l’assurance qu’ils ne répéteront pas leurs actes illicites ;
c) que les Etats-Unis doivent veiller à ce qu’aucune mesure ne soit prise sur la base des actes administratifs, législatifs et judiciaires (tels qu’énumérés plus haut) en cause dans la présente affaire et dont la Cour aura déterminé qu’ils sont incompatibles avec les obligations qui leur incombent envers l’Iran au titre du traité d’amitié de 1955 ;
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d) que les Etats-Unis doivent, en adoptant la législation appropriée ou en recourant à tout autre moyen de leur choix, veiller à ce que cessent de produire effet les décisions de leurs tribunaux ou d’autres autorités qui sont contraires, notamment, au droit des sociétés iraniennes au respect de leur statut juridique et au droit à l’immunité dont jouissent en vertu du traité d’amitié de 1955 et du droit international l’Iran et les sociétés lui appartenant, parmi lesquelles la banque Markazi ;
e) que l’Iran et les sociétés lui appartenant jouissent de l’immunité de juridiction devant les tribunaux des Etats-Unis et à l’égard des procédures d’exécution dans ce pays, et que cette immunité doit être respectée par les Etats-Unis (y compris leurs tribunaux), dans la mesure exigée par le traité d’amitié de 1955 et le droit international ;
f) que les Etats-Unis (y compris leurs tribunaux) sont tenus de respecter le statut juridique (notamment la personnalité juridique distincte) de toutes les sociétés iraniennes, dont celles appartenant à l’Etat iranien, telle la banque Markazi, et de leur accorder libre accès à leurs tribunaux, et qu’aucune mesure fondée sur les actes administratifs, législatifs et judiciaires (dont il a été fait état plus haut), qui emporte ou suppose la reconnaissance ou l’exécution desdits actes et décisions de justice, ne sera prise contre les actifs ou les intérêts de l’Iran ou de toute société iranienne ;
g) que les Etats-Unis, pour avoir enfreint leurs obligations internationales, sont tenus de réparer intégralement le préjudice ainsi causé à l’Iran, sous une forme et selon un montant à déterminer par la Cour à un stade ultérieur de l’instance, l’Iran se réservant le droit d’introduire et de présenter à cette dernière, en temps utile, une évaluation précise des réparations dues par les Etats-Unis ;
h) tout autre remède que la Cour jugerait approprié.»
dans la réplique :
«Sur la base de ce qui précède et tout en se réservant le droit de compléter, modifier ou réviser la présente demande au cours de la procédure en l’affaire, l’Iran prie respectueusement la Cour de dire, prescrire et juger :
a) que les Etats-Unis ont manqué aux obligations mises à leur charge par le traité d’amitié, comme suit :
i) par leurs actes, notamment ceux exposés ci-dessus et en particulier la non-reconnaissance du statut juridique distinct (en ce compris la personnalité juridique distincte) de toutes les sociétés iraniennes, parmi lesquelles la banque Markazi, les Etats-Unis ont manqué à leurs obligations envers l’Iran, notamment à celles que leur impose le paragraphe 1 de l’article III du traité d’amitié ;
ii) par leurs actes, notamment ceux exposés ci-dessus et en particulier a) le traitement injuste et inéquitable qu’ils ont appliqué aux sociétés susvisées et à leurs biens (y compris les participations dans des biens), b) le traitement déraisonnable et discriminatoire qu’ils ont appliqué à ces sociétés et à leurs biens, lequel porte atteinte aux droits ou aux intérêts légalement acquis par lesdites sociétés, c) le manquement à l’obligation d’assurer des voies d’exécution efficaces aux droits contractuels de ces sociétés légitimement nés, d) le manquement à l’obligation d’assurer à ces sociétés et à leurs biens, de la manière la plus constante, une protection et une sécurité qui ne doivent en aucun cas être inférieures aux normes fixées par le droit international,
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e) l’expropriation des biens de ces sociétés et le manquement à l’obligation d’accorder à ces dernières libre accès aux tribunaux des Etats-Unis en vue d’assurer l’administration de la justice, qui découle du traité d’amitié de 1955, ainsi que f) le non-respect du droit de ces sociétés d’acquérir et d’aliéner des biens, les Etats-Unis ont manqué à leurs obligations envers l’Iran, notamment à celles que leur imposent le paragraphe 2 de l’article III, les paragraphes 1 et 2 de l’article IV et le paragraphe 1 de l’article V du traité d’amitié ;
iii) par leurs actes, notamment ceux exposés ci-dessus et en particulier a) l’imposition aux entités susvisées de restrictions en matière de paiements et autres transferts de fonds à destination ou en provenance des Etats-Unis et b) les entraves à la liberté de commerce, les Etats-Unis ont manqué à leurs obligations envers l’Iran, notamment à celles que leur imposent le paragraphe 1 de l’article VII et le paragraphe 1 de l’article X du traité d’amitié ;
b) que les violations du droit international énoncées ci-dessus engagent la responsabilité internationale des Etats-Unis ;
c) que les Etats-Unis sont par conséquent tenus de mettre un terme à la situation née desdites violations du droit international a) par la cessation des actes en cause, b) par la réparation intégrale des préjudices causés par ces actes, réparation dont le quantum sera déterminé à un stade ultérieur de la procédure, et c) par la présentation d’excuses officielles à la République islamique d’Iran à raison des actes illicites susmentionnés et des préjudices qu’ils ont causés ;
d) que les Etats-Unis doivent, en adoptant une législation appropriée ou en recourant à tout autre moyen de leur choix, veiller à ce que les mesures adoptées par leur pouvoir législatif et leur pouvoir exécutif, ainsi que les décisions de leurs tribunaux ou d’autres instances portant atteinte aux droits de l’Iran et de sociétés iraniennes cessent de produire leurs effets dans la mesure où chacune d’elles a été adoptée en violation des obligations imposées aux Etats-Unis envers l’Iran par le traité d’amitié, et à ce que ne soit prise contre les actifs ou les intérêts de l’Iran, d’entités iraniennes ou de ressortissants iraniens aucune mesure emportant ou supposant la reconnaissance ou l’exécution de ces actes ;
e) que l’Iran présentera à la Cour, dans un délai fixé par elle, une évaluation précise des réparations qui lui sont dues pour les préjudices causés par les actes illicites que les Etats-Unis ont commis en violation du traité d’amitié ;
f) que les Etats-Unis doivent prendre en charge les frais engagés par l’Iran pour exposer sa thèse et défendre les droits qu’il tient du traité d’amitié, dont il présentera le détail à la Cour dans un délai fixé par elle ;
g) tout autre remède que la Cour jugerait approprié.»
Au nom du Gouvernement des Etats-Unis,
dans le contre-mémoire :
«Sur la base des faits et arguments exposés ci-dessus, les Etats-Unis d’Amérique prient la Cour, à titre cumulatif ou subsidiaire :
1) de rejeter toutes les demandes fondées sur le traité d’amitié, au motif que l’Iran se présente devant la Cour avec les mains sales ;
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2) de rejeter comme échappant à sa compétence toutes les demandes fondées sur les articles III, IV et V du traité d’amitié qui reposent sur le traitement accordé à la banque Markazi ;
3) de rejeter comme échappant à sa compétence toutes les demandes fondées sur les articles III, IV et V du traité d’amitié qui reposent sur le traitement accordé aux sociétés n’ayant pas épuisé les voies de recours internes ;
4) de rejeter, sur le fondement des alinéas c) et d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié, toutes les demandes alléguant que les mesures américaines qui ont pour effet de bloquer ou geler les actifs du Gouvernement iranien ou des institutions financières iraniennes (telles que définies dans le décret présidentiel no 13599) contreviennent aux dispositions du traité ;
5) de rejeter toutes les demandes fondées sur les articles III, IV, V, VII et X du traité d’amitié, au motif que les Etats-Unis n’ont violé aucune des obligations envers l’Iran que ces articles mettent à leur charge ;
6) au cas où la Cour conclurait que l’Iran, nonobstant les conclusions qui précèdent, a établi le bien-fondé d’une ou plusieurs de ses demandes formulées au titre du traité d’amitié, de rejeter ces demandes au motif que l’invocation par l’Iran des droits qu’il tiendrait dudit instrument constitue un abus de droit.»
dans la duplique :
«Sur la base des faits et arguments exposés ci-dessus, les Etats-Unis d’Amérique prient la Cour, à titre cumulatif ou subsidiaire :
1) de rejeter toutes les demandes fondées sur le traité d’amitié, au motif que l’Iran se présente devant la Cour avec les mains sales ;
2) de rejeter comme échappant à sa compétence toutes les demandes fondées sur les articles III, IV et V du traité d’amitié qui reposent sur le traitement accordé à la banque Markazi ;
3) de rejeter comme échappant à sa compétence toutes les demandes fondées sur les articles III, IV et V du traité d’amitié qui reposent sur le traitement accordé aux sociétés n’ayant pas épuisé les voies de recours internes ;
4) de rejeter, sur le fondement des alinéas c) et d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié, toutes les demandes alléguant que les mesures américaines qui ont pour effet de bloquer ou geler les actifs du Gouvernement iranien ou des institutions financières iraniennes (telles que définies dans le décret présidentiel no 13599) contreviennent aux dispositions du traité ;
5) de rejeter toutes les demandes fondées sur les articles III, IV, V, VII et X du traité d’amitié, au motif que les Etats-Unis n’ont violé aucune des obligations envers l’Iran que ces articles mettent à leur charge ;
6) au cas où la Cour conclurait que l’Iran, nonobstant les conclusions qui précèdent, a établi le bien-fondé d’une ou plusieurs de ses demandes formulées au titre du traité d’amitié, de rejeter ces demandes au motif que l’invocation par l’Iran des droits qu’il tiendrait dudit instrument constitue un abus de droit.»
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20. Lors de la procédure orale, les conclusions ci-après ont été présentées par les Parties :
Au nom du Gouvernement de l’Iran,
«Sur la base de ce qui précède, l’Iran prie respectueusement la Cour de dire, prescrire et juger :
a) premièrement, que les Etats-Unis ont manqué aux obligations mises à leur charge par le traité d’amitié, comme suit :
i) par leurs actes, en particulier la non-reconnaissance du statut juridique distinct (en ce compris la personnalité juridique distincte) de toutes les sociétés iraniennes, parmi lesquelles la banque Markazi, les Etats-Unis ont manqué à leurs obligations envers l’Iran, notamment à celles que leur impose le paragraphe 1 de l’article III du traité d’amitié ;
ii) par leurs actes, en particulier a) le traitement injuste et inéquitable qu’ils ont appliqué aux sociétés susvisées et à leurs biens (y compris les participations dans des biens), b) le traitement déraisonnable et discriminatoire qu’ils ont appliqué à ces sociétés et à leurs biens, lequel porte atteinte aux droits ou aux intérêts légalement acquis par lesdites sociétés, c) le manquement à l’obligation d’assurer des voies d’exécution efficaces aux droits contractuels de ces sociétés légitimement nés, d) le manquement à l’obligation d’assurer à ces sociétés et à leurs biens, de la manière la plus constante, une protection et une sécurité qui ne doivent en aucun cas être inférieures aux normes fixées par le droit international, e) l’expropriation des biens de ces sociétés et le manquement à l’obligation d’accorder à ces dernières libre accès aux tribunaux des Etats-Unis en vue d’assurer l’administration de la justice, qui découle du traité d’amitié de 1955, ainsi que f) le non-respect du droit de ces sociétés d’acquérir et d’aliéner des biens, les Etats-Unis ont manqué à leurs obligations envers l’Iran, notamment à celles que leur imposent le paragraphe 2 de l’article III, les paragraphes 1 et 2 de l’article IV et le paragraphe 1 de l’article V du traité d’amitié ;
iii) par leurs actes, en particulier a) l’imposition aux entités susvisées de restrictions en matière de paiements et autres transferts de fonds à destination ou en provenance des Etats-Unis et b) les entraves à la liberté de commerce, les Etats-Unis ont manqué à leurs obligations envers l’Iran, notamment à celles que leur imposent le paragraphe 1 de l’article VII et le paragraphe 1 de l’article X du traité d’amitié ;
b) deuxièmement, que les violations du droit international énoncées ci-dessus engagent la responsabilité internationale des Etats-Unis ;
c) troisièmement, que les Etats-Unis sont par conséquent tenus de mettre un terme à la situation née desdites violations du droit international a) par la cessation des actes en cause, b) par la réparation intégrale des préjudices causés par ces actes, réparation dont le quantum sera déterminé à un stade ultérieur de la procédure, et c) par la présentation d’excuses officielles à la République islamique d’Iran à raison des actes illicites susmentionnés et des préjudices qu’ils ont causés ;
d) quatrièmement, que les Etats-Unis doivent, en adoptant une législation appropriée ou en recourant à tout autre moyen de leur choix, veiller à ce que les mesures adoptées par leur pouvoir législatif et leur pouvoir exécutif, ainsi que les décisions
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de leurs tribunaux ou d’autres instances portant atteinte aux droits de l’Iran et de sociétés iraniennes cessent de produire leurs effets dans la mesure où chacune d’elles a été adoptée en violation des obligations imposées aux Etats-Unis envers l’Iran par le traité d’amitié, et à ce que ne soit prise contre les actifs ou les intérêts de l’Iran, d’entités iraniennes ou de ressortissants iraniens aucune mesure emportant ou supposant la reconnaissance ou l’exécution de ces actes ;
e) cinquièmement, que l’Iran présentera à la Cour, dans un délai fixé par elle, une évaluation précise des réparations qui lui sont dues pour les préjudices causés par les actes illicites que les Etats-Unis ont commis en violation du traité d’amitié ;
f) sixièmement, que les Etats-Unis doivent prendre en charge les frais engagés par l’Iran pour exposer sa thèse et défendre les droits qu’il tient du traité d’amitié, dont il présentera le détail à la Cour dans un délai fixé par elle ;
g) septièmement, tout autre remède que la Cour jugerait approprié.»
Au nom du Gouvernement des Etats-Unis,
«Pour les motifs exposés à l’audience et dans leurs écritures, et pour tous autres motifs que la Cour pourrait retenir, les Etats-Unis d’Amérique prient la Cour :
1) de rejeter toutes les demandes fondées sur le traité d’amitié, au motif que l’Iran se présente devant la Cour avec les mains sales ;
2) de rejeter comme échappant à sa compétence toutes les demandes fondées sur les articles III, IV et V du traité d’amitié qui reposent sur le traitement accordé à la banque Markazi ;
3) de rejeter comme échappant à sa compétence toutes les demandes fondées sur les articles III, IV et V du traité d’amitié qui reposent sur le traitement accordé aux sociétés n’ayant pas épuisé les voies de recours internes ;
4) de rejeter, sur le fondement des alinéas c) et d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié, toutes les demandes alléguant que les mesures américaines qui ont pour effet de bloquer ou geler les actifs du Gouvernement iranien ou des institutions financières iraniennes (telles que définies dans le décret présidentiel no 13599) contreviennent aux dispositions du traité ;
5) de rejeter toutes les demandes fondées sur les articles III, IV, V, VII et X du traité d’amitié, au motif que les Etats-Unis n’ont violé aucune des obligations envers l’Iran que ces articles mettent à leur charge ;
6) au cas où la Cour conclurait que l’Iran, nonobstant les conclusions qui précèdent, a établi le bien-fondé d’une ou plusieurs de ses demandes formulées au titre du traité d’amitié, de rejeter ces demandes au motif que l’invocation par l’Iran des droits qu’il tiendrait dudit instrument constitue un abus de droit.»
*
* *
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I. CONTEXTE FACTUEL
21. La Cour rappelle que les Parties ont, le 15 août 1955, signé le traité d’amitié qui est entré en vigueur le 16 juin 1957 (voir le paragraphe 1 ci-dessus).
22. L’Iran et les Etats-Unis ont cessé d’entretenir des relations diplomatiques en 1980, à la suite de la révolution iranienne du début 1979 et de la prise de l’ambassade américaine à Téhéran le 4 novembre de la même année.
23. En octobre 1983, le casernement des marines américains à Beyrouth (Liban) a été la cible d’un attentat à la bombe qui a tué 241 militaires américains faisant partie d’une force multinationale de maintien de la paix. Les Etats-Unis soutiennent que l’Iran est responsable de cet attentat, ainsi que d’actes de terrorisme et de violations du droit international commis par la suite, y compris l’attentat à la bombe perpétré en 1996 contre un complexe résidentiel en Arabie saoudite connu sous le nom de tours de Khobar, qui a tué 19 militaires américains. L’Iran rejette ces allégations.
24. En 1984, conformément à leur droit interne, les Etats-Unis ont désigné l’Iran en tant qu’«Etat soutenant le terrorisme», désignation qu’ils ont maintenue jusqu’à ce jour.
25. En 1996, les Etats-Unis ont modifié leur loi sur l’immunité des Etats étrangers (Foreign Sovereign Immunities Act, ci-après la «FSIA») afin de priver les Etats désignés en tant qu’«Etats soutenant le terrorisme» d’immunité devant les juridictions américaines dans certaines affaires concernant des allégations de torture, d’exécution extrajudiciaire, de sabotage d’aéronef, de prise d’otages ou d’appui matériel en vue de la commission de tels actes (art. 1605, par. a), al. 7) de la FSIA). La nouvelle loi créait en outre des exceptions à l’immunité d’exécution applicables dans ces situations (art. 1610, par. a), al. 7), et art. 1610, par. b), al. 2) de la FSIA). Plusieurs actions ont alors été engagées contre l’Iran devant des juridictions américaines, en relation avec des dommages découlant de décès et de préjudices corporels causés par des actes auxquels cet Etat aurait apporté son soutien, y compris financier. Elles ont donné lieu à l’affaire Peterson, qui concernait l’attentat contre le casernement américain à Beyrouth (voir le paragraphe 23 ci-dessus), entre autres affaires ayant trait à des actes de terrorisme allégués. L’Iran a refusé de comparaître dans ces procès, au motif que la loi américaine constituait une violation du droit international sur les immunités de l’Etat.
26. En 2002, les Etats-Unis ont promulgué la loi sur l’assurance contre les risques associés au terrorisme (Terrorism Risk Insurance Act, ci-après la «TRIA»), qui a permis certaines mesures d’exécution des décisions de justice rendues en application de la modification de la FSIA intervenue en 1996. En particulier, l’article 201 de la TRIA dispose, à titre de règle générale, que tout demandeur ayant obtenu gain de cause dans une affaire concernant un acte de terrorisme ou relevant du champ d’application de l’alinéa 7) du paragraphe a) de l’article 1605 de la FSIA peut obtenir des mesures d’exécution sur les actifs d’une entité désignée, par la législation américaine, comme une «partie terroriste» (dont la définition englobe notamment les Etats désignés en tant qu’«Etats soutenant le terrorisme») qui ont été bloqués par le Gouvernement américain  «y compris ceux de tout établissement ou organisme de [cette partie]» , ou procéder à leur saisie en vue de garantir l’exécution de telles décisions (attachment in aid of execution).
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27. En 2008, les Etats-Unis ont de nouveau modifié la FSIA, en élargissant entre autres les catégories d’actifs disponibles pour satisfaire les titulaires d’une créance au titre d’une décision de justice ; y ont notamment été inclus tous les biens des entités propriété des Etats désignés comme «Etats soutenant le terrorisme», qu’ils aient ou non été «bloqués» par le Gouvernement américain (art. 1610, par. g) de la FSIA).
28. En 2012, le président des Etats-Unis a promulgué le décret présidentiel no 13599, qui a bloqué tous les actifs de l’Etat iranien, y compris ceux de la banque Markazi et d’autres institutions financières iraniennes, dès lors que ces actifs se trouvent sur le territoire des Etats-Unis ou «en la possession ou sous le contrôle de toute personne des Etats-Unis, y compris toute succursale étrangère».
29. En 2012 également, les Etats-Unis ont adopté la loi sur la réduction de la menace iranienne et les droits de l’homme en Syrie (Iran Threat Reduction and Syria Human Rights Act ou ITRSHRA), dont l’article 502 a notamment assujetti les actifs de la banque Markazi aux mesures d’exécution ordonnées en règlement de dettes, en application de décisions prononcées par défaut contre l’Iran en l’affaire Peterson. La banque Markazi a contesté la validité de cette disposition devant les juridictions américaines ; la Cour suprême des Etats-Unis en a finalement confirmé la constitutionnalité (Bank Markazi v. Peterson et al., U.S. Supreme Court, 20 April 2016, Supreme Court Reporter, vol. 136, p. 1310 (2016)).
30. A la suite des mesures législatives et administratives prises par les Etats-Unis, les juridictions américaines ont prononcé de nombreux jugements, notamment par défaut, condamnant l’Etat iranien et, dans certains cas, des entités détenues par lui, à d’importants dommages-intérêts. En outre, les actifs de l’Iran et de certaines entités iraniennes, notamment la banque Markazi, font actuellement l’objet de procédures d’exécution dans diverses affaires, aux Etats-Unis ou ailleurs, ou ont d’ores et déjà été alloués à des créanciers ayant obtenu gain de cause par la voie judiciaire.
31. Le 14 juin 2016, l’Iran a introduit la présente instance devant la Cour (voir le paragraphe 1 ci-dessus), soutenant que, par suite des actes administratifs, législatifs et judiciaires des Etats-Unis, lui-même et certaines entités iraniennes subissaient un préjudice grave et continu.
32. Par note diplomatique en date du 3 octobre 2018 adressée au ministère iranien des affaires étrangères par le département d’Etat américain, les Etats-Unis, conformément au paragraphe 3 de l’article XXIII du traité d’amitié, ont donné «par écrit … un préavis d’un an» afin de mettre fin au traité.
II. QUESTIONS DE COMPÉTENCE ET DE RECEVABILITÉ
33. Dans son arrêt de 2019 (voir le paragraphe 12 ci-dessus), la Cour a statué sur plusieurs exceptions d’incompétence et d’irrecevabilité que les Etats-Unis avaient soulevées à titre préliminaire (Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 7). Il lui incombe, au stade actuel de la procédure, d’examiner deux exceptions soulevées par le défendeur : la première, touchant à la compétence ratione materiae de la Cour, concerne la qualification de la banque Markazi ; la seconde, relative à la recevabilité des demandes de l’Iran, est tirée du défaut d’épuisement des voies de recours internes.
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A. Exception d’incompétence ratione materiae : question de savoir si la banque Markazi est une «société» au sens du traité d’amitié
34. La Cour rappelle que, parmi les exceptions préliminaires soulevées par les Etats-Unis, l’une d’entre elles tendait à ce que la Cour rejette «comme échappant à sa compétence toute demande se rapportant à des violations alléguées des articles III, IV et V du traité d’amitié reposant sur le traitement réservé à l’Etat iranien ou à la banque Markazi» (Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 35, par. 81). Après avoir constaté que les demandes de l’Iran fondées sur les articles III, IV et V du traité d’amitié ne concernaient pas le traitement appliqué à l’Etat iranien lui-même, et que par suite l’exception en cause ne concernait que la banque Markazi (ibid., p. 36, par. 84), la Cour a estimé que la question décisive était de déterminer si la banque Markazi était une «société» au sens du traité d’amitié. En effet, les droits et les protections garantis par les articles III, IV et V du traité ont pour bénéficiaires les «ressortissants» (terme qui désigne, dans le traité, des personnes physiques) et les «sociétés».
35. Les Parties s’étant opposées sur la question de savoir si la banque Markazi pouvait être qualifiée de «société», la Cour a estimé, sur la base des arguments échangés devant elle et des éléments d’information qui lui avaient été présentés, qu’
«elle ne dispos[ait] pas de tous les éléments nécessaires pour déterminer si la banque Markazi exerçait, à l’époque pertinente, des activités de la nature de celles qui permettent de caractériser une «société» au sens du traité d’amitié, lesquelles auraient été susceptibles d’être affectées par les mesures dont l’Iran tire grief au regard des articles III, IV et V du traité» (ibid., p. 40, par. 97).
Elle a ajouté que, «[c]es éléments étant en grande partie de nature factuelle et étant par ailleurs étroitement liés au fond de l’affaire, la Cour estime qu’il ne pourra être statué sur la troisième exception qu’après que les Parties auront présenté leurs arguments dans la phase suivante de la procédure» (ibid.). Cela l’a conduite, dans le dispositif de son arrêt, à déclarer que l’exception en cause «n’a[vait] pas dans les circonstances de l’espèce un caractère exclusivement préliminaire» (ibid., p. 45, par. 126, point 3)).
36. Dans leurs conclusions finales présentées au terme des audiences sur le fond, les Etats-Unis ont repris la même exception d’incompétence, à ceci près qu’elle ne mentionne plus, à la différence de leur exception préliminaire, que la seule banque Markazi (point 2) des conclusions finales ; voir le paragraphe 20 ci-dessus).
37. En vue de démontrer que la banque Markazi exerçait, à l’époque pertinente, des activités de nature à caractériser une «société» au sens du traité d’amitié, l’Iran soutient que non seulement la banque Markazi pouvait, d’après ses statuts, se livrer à des activités commerciales, mais aussi qu’elle exerçait effectivement de telles activités.
Sur le premier point, l’Iran se réfère à sa loi monétaire et bancaire de 1972. Celle-ci ne se borne pas à confier à la banque Markazi les fonctions classiques d’une banque centrale, dont la demanderesse admet qu’il s’agit de fonctions de souveraineté, mais elle l’habilite aussi, selon l’Iran, à mener d’autres activités financières et bancaires de nature typiquement commerciale, les mêmes que celles qu’effectue toute autre société privée intervenant sur un marché libre et concurrentiel.
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Sur le second point, l’Iran fait état de certaines activités d’investissement et de gestion de titres appartenant à la banque Markazi, détenus en son nom sur un compte-titre auprès de Citibank à New York. Les actifs en question, qui seraient d’une valeur d’environ 1,8 milliard de dollars des Etats-Unis, auraient été constitués, selon l’Iran, par des placements réalisés sous forme d’achats, entre 2002 et 2007, de 22 titres de créance consistant en des droits sur des obligations dématérialisées offertes sur le marché financier américain par des Etats, des entreprises publiques, ou des institutions internationales telles que la Banque mondiale. L’Iran souligne que ces investissements ont généré des profits, au titre desquels la banque Markazi est assujettie à l’impôt en vertu de l’article 25 a) 1) de la loi monétaire et bancaire iranienne, et à raison desquels elle a effectivement payé des impôts d’un montant important au cours de la période considérée.
38. Selon l’Iran, l’achat par la banque Markazi des obligations en cause et la gestion de son portefeuille d’investissement constituent par nature des activités commerciales qui permettent de qualifier la banque de «société» au sens du traité. L’Iran soutient que, dans son arrêt sur les exceptions préliminaires, la Cour a estimé que, pour déterminer si une activité était commerciale, il convenait de s’attacher à la nature de ladite activité, et que l’existence d’un lien entre des fonctions souveraines et une activité donnée n’était pas un critère suffisant pour priver ladite activité de sa nature commerciale. En d’autres termes, selon l’Iran, «il convient de s’attacher à l’activité en tant que telle, et non à la fonction avec laquelle cette activité entretient un quelconque lien». Le demandeur ajoute que tant les autorités politiques que les tribunaux américains ont estimé que les activités d’investissement de la banque Markazi avaient une nature commerciale, raison pour laquelle ils ont considéré que la banque n’était pas fondée à invoquer son immunité à l’encontre des mesures tendant au gel et à la saisie des avoirs en cause. En outre, selon le demandeur, une abondante jurisprudence arbitrale confirmerait que, pour qualifier une activité de commerciale, il conviendrait de s’attacher à la nature de l’activité en tant que telle et non à l’objectif sous-jacent.
39. Pour les Etats-Unis, les activités dont fait état l’Iran ne sont pas d’une nature telle qu’elles permettraient de qualifier la banque Markazi de «société» au sens du traité. Selon le défendeur, la banque Markazi a effectué des transactions s’inscrivant dans le cadre classique des activités souveraines conduites par une banque centrale, et non des transactions de nature commerciale. En effet, l’achat par la banque Markazi de 22 titres de créance consistant en des droits sur des obligations dématérialisées émises par certains gouvernements étrangers et institutions internationales était un élément de la gestion des réserves monétaires de l’Iran, une fonction souveraine qui n’a pas d’équivalent commercial.
Le défendeur souligne que, dans les procédures judiciaires américaines, notamment dans l’affaire Peterson, la banque Markazi a toujours présenté les activités en cause comme une composante de l’exercice de sa fonction souveraine de banque centrale, et non comme de nature commerciale. Il se prévaut, par exemple, de la déclaration de la banque selon laquelle
«[l]a banque Markazi … est la banque centrale d’Iran. Comme d’autres banques centrales, elle détient des réserves de change destinées à lui permettre de mettre en oeuvre des politiques monétaires telles que le maintien de la stabilité des prix. Comme d’autres banques centrales, elle dispose souvent de réserves en obligations émises par des entités souveraines étrangères ou «supranationales» comme la Banque européenne d’investissement»,
ou encore celle selon laquelle
«[d]e toute évidence, les activités des banques centrales telles que le placement des réserves de change ne sont absolument pas comparables aux «activité[s] commerciale[s]
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ou industrielle[s] de quelque nature que ce soit, y compris le transport des marchandises» sur lesquelles porte le paragraphe 4 de l’article XI [du traité] ; elles servent un objectif gouvernemental important.»
Selon les Etats-Unis, la Cour devrait s’en tenir aux affirmations de la banque Markazi elle-même.
* *
40. Bien que dans son arrêt de 2019 la Cour se soit abstenue de statuer sur l’exception d’incompétence présentement examinée, au motif qu’elle ne possédait pas, dans les circonstances de l’espèce, un caractère exclusivement préliminaire (voir le paragraphe 35 ci-dessus), cet arrêt comporte cependant, dans sa motivation, plusieurs indications importantes concernant la notion de «société» telle qu’elle est employée aux articles III, IV et V du traité d’amitié.
41. La Cour a d’abord rappelé que, selon le traité, d’une part, une entité ne pouvait être qualifiée de «société» que si elle possédait une personnalité juridique propre qui lui était conférée par le droit de l’Etat où elle a été créée et, d’autre part, une entité étant en tout ou en partie la propriété d’un Etat pouvait constituer une «société» au sens du traité, puisque le paragraphe 1 de l’article III ne faisait aucune différence, quant à la définition de la «société», entre entreprises privées et entreprises publiques (Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 37, par. 87). Elle en a conclu que la banque Markazi, qui possédait une personnalité juridique propre que lui conférait le droit iranien  et que les Etats-Unis ne pouvaient lui contester , ne devait pas être exclue de la catégorie des «sociétés» pour la seule raison qu’elle était intégralement la propriété de l’Etat iranien, lequel exerçait un pouvoir de direction et un contrôle étroit sur les activités de la banque (ibid., p. 38, par. 88).
42. La Cour a ensuite écarté l’interprétation que soutenait alors le demandeur, selon laquelle la nature des activités exercées par une entité déterminée était indifférente en vue de la qualification de ladite entité comme une «société», et qu’il était, par suite, sans pertinence à cette fin que l’entité considérée exerce des fonctions de caractère régalien, c’est-à-dire de souveraineté ou de puissance publique, ou qu’elle exerce des activités de nature commerciale ou industrielle, ou encore une combinaison des deux types d’activités.
43. Cette interprétation, dont la Cour a relevé qu’elle aboutirait à la conclusion que la possession d’une personnalité juridique propre serait une condition à la fois nécessaire et suffisante pour qualifier une entité donnée de «société» au sens du traité, a été rejetée. Selon la Cour, une telle interprétation manquerait de prendre en compte le contexte de la définition donnée au paragraphe 1 de l’article III, ainsi que l’objet et le but du traité d’amitié. Le traité vise, a indiqué la Cour, «à garantir des droits et à accorder des protections aux personnes physiques et morales qui exercent des activités de nature commerciale, même si ce dernier terme doit être compris dans un sens large». La Cour en a conclu qu’
«une entité qui exercerait exclusivement des activités de souveraineté, liées aux fonctions régaliennes de l’Etat, ne saurait se voir attribuer la qualification de «société»
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au sens du traité, et ne saurait par suite prétendre au bénéfice des droits et protections prévus aux articles III, IV et V» (Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 38, par. 91).
44. La Cour a poursuivi en affirmant que «[c]ependant rien ne permet[tait] d’exclure a priori qu’une même entité exerce à la fois des activités de nature commerciale (ou, plus largement, des activités d’affaires) et des activités souveraines». Elle a estimé qu’
«[e]n pareil cas, puisque c’est la nature de l’activité effectivement exercée qui détermine la qualification de l’entité qui l’exerce, la personne morale dont il s’agit devrait être regardée comme une «société» au sens du traité dans la mesure où elle exerce des activités de nature commerciale, même si ce n’est pas à titre principal» (ibid., p. 38-39, par. 92).
45. La Cour a conclu de tout ce qui précède que la question était de savoir si la banque Markazi exerçait, «à côté de fonctions souveraines qu[e l’Iran] admet[tait], des activités de nature commerciale». Les fonctions souveraines en question étant celles de la banque Markazi en sa qualité de banque centrale, la Cour s’est demandé si l’Iran avait démontré l’existence d’autres activités, permettant de qualifier la banque de «société» au sens du traité (ibid., p. 39, par. 94). A cet égard, elle a relevé que, selon l’Iran, la loi iranienne permettait à la banque Markazi d’exercer certaines activités qui pouvaient inclure des opérations commerciales, mais que «le demandeur ne s’[étai]t guère employé à démontrer» l’existence de telles activités à l’époque pertinente, ce qui pouvait s’expliquer par le fait qu’il soutenait alors à titre principal que la nature des activités exercées était sans pertinence quant à la qualification de «société» au sens du traité (ibid.).
46. C’est au vu de l’ensemble des motifs précédents que la Cour a estimé qu’elle ne disposait pas des éléments nécessaires pour déterminer si la banque Markazi exerçait, à l’époque pertinente, des activités de la nature de celles qui permettent de caractériser une entité comme une «société». Ces éléments étant en grande partie de nature factuelle et liés au fond, la Cour a conclu qu’elle ne pourrait statuer sur l’exception d’incompétence en cause «qu’après que les Parties auront présenté leurs arguments dans la phase suivante de la procédure» (ibid., p. 40, par. 97).
47. La Cour, se plaçant dans la continuité des motifs qu’elle a retenus dans son arrêt de 2019, est donc appelée à présent à décider si les éléments qui lui ont été présentés par l’Iran dans l’ensemble de la procédure, et notamment dans la phase des débats sur le fond, font apparaître que la banque Markazi exerçait, à l’époque pertinente, des activités pouvant être qualifiées de commerciales et susceptibles, par suite, de la caractériser comme une «société» au sens du traité, sans qu’il importe que de telles activités, à les supposer établies, fussent exercées à titre principal ou non.
48. Avant d’aller plus loin dans son analyse, la Cour souligne qu’elle n’est pas appelée, pour répondre à la question précédente, à se prononcer sur le droit international des immunités. D’abord, elle rappelle que dans son arrêt de 2019, en accueillant la deuxième exception préliminaire d’incompétence soulevée par les Etats-Unis, elle a déclaré qu’elle «n’a[vait] pas compétence pour examiner les demandes de l’Iran en ce qu’elles concernent la prétendue violation des règles de droit
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international en matière d’immunités souveraines», notamment au détriment de la banque Markazi (Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 34-35, par. 80). Ensuite, elle relève que, pour se prononcer sur la question de savoir si les activités de la banque Markazi présentées par l’Iran comme ayant un caractère commercial permettent de qualifier la banque de «société» au sens du traité, elle n’est pas appelée à rechercher si l’entité en cause pouvait revendiquer, au titre desdites activités, une immunité de juridiction ou d’exécution en vertu du droit international coutumier. Ces deux questions sont séparées. Les règles relatives aux immunités souveraines et celles que définit le traité d’amitié en ce qui concerne le traitement applicable aux «sociétés» constituent deux corps de règles distincts. En particulier, les questions de savoir si un Etat bénéficie, selon le droit international coutumier, d’une immunité de juridiction dans une procédure relative à une transaction commerciale et, dans l’affirmative, quels critères il y aurait lieu d’appliquer pour déterminer si l’on est en présence d’une telle transaction ne se trouvent pas devant la Cour pour les besoins de l’examen de la présente exception d’incompétence.
49. La Cour va donc se borner à rechercher, à présent, si l’Iran a établi que la banque Markazi exerçait à l’époque pertinente des activités d’une nature telle qu’elle devait être qualifiée de «société» aux fins du traité d’amitié.
Elle relève, à cet égard, que les seules activités dont se prévaut l’Iran pour fonder la qualification de «société» qui serait applicable, selon le demandeur, à la banque Markazi consistent dans l’achat, entre 2002 et 2007, de 22 titres de créance consistant en des droits sur des obligations dématérialisées offertes sur le marché financier américain et dans la gestion des revenus découlant desdits titres (voir le paragraphe 37 ci-dessus).
50. De l’avis de la Cour, de telles opérations ne suffisent pas à établir que la banque Markazi exerçait, à l’époque pertinente, des activités de caractère commercial. En effet, les opérations en cause ont été réalisées dans le cadre et pour les besoins de l’activité principale de la banque Markazi, dont elles ne sont pas séparables. Elles ne constituent qu’une modalité d’exercice de sa fonction souveraine en tant que banque centrale, et non des activités commerciales que la banque Markazi aurait exercées «à côté de [ses] fonctions souveraines», pour reprendre les termes de l’arrêt de 2019 (voir le paragraphe 45 ci-dessus).
51. Contrairement à ce que l’Iran a soutenu (voir le paragraphe 38 ci-dessus), il ne résulte pas de l’arrêt de 2019 que pour déterminer si une activité est commerciale il conviendrait seulement de «s’attacher à l’activité en tant que telle, et non à la fonction avec laquelle cette activité entretient un quelconque lien». Dans l’arrêt de 2019, la Cour s’est bornée à indiquer que ce qui était décisif était de savoir si la banque Markazi exerçait, à côté de ses activités de nature souveraine, d’autres activités, de nature commerciale. Elle n’a pas affirmé que pour déterminer si des activités données présentaient un caractère commercial il ne fallait pas tenir compte de leur lien éventuel avec une fonction souveraine. La Cour considère, au contraire, ce dernier critère comme pertinent. En effet, afin de déterminer si une entité donnée peut être qualifiée de «société», on ne saurait se borner à considérer une transaction  ou une série de transactions  effectuée par elle, «en tant que telle» ; il est nécessaire de replacer cette transaction  ou série de transactions  dans son contexte, en tenant compte notamment de ses liens éventuels avec l’exercice d’une fonction souveraine.
52. Pour parvenir à la conclusion présentée au paragraphe 50 ci-dessus, à savoir que les transactions réalisées par la banque Markazi s’inscrivent dans le cadre de l’activité habituelle d’une banque centrale et ne sont pas dissociables de sa fonction souveraine, la Cour n’attache pas une
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importance décisive aux déclarations faites dans les procédures judiciaires américaines par les conseils de la banque Markazi et dont les Etats-Unis se sont prévalus (voir le paragraphe 39 ci-dessus).
De telles déclarations ne sont pas opposables à l’Iran, qui n’en est d’ailleurs pas l’auteur, et elles peuvent s’expliquer par le fait que la banque cherchait, dans ce contexte, à obtenir l’immunité à laquelle elle estimait avoir droit. L’Iran relève, à juste titre, que tant les autorités politiques que les tribunaux des Etats-Unis ont rejeté à l’époque les prétentions de la banque Markazi et ont affirmé, à l’inverse, la nature commerciale de certaines de ses activités. Comme la Cour l’a rappelé plus haut, la question de l’immunité n’est pas aujourd’hui devant elle.
La Cour considère cependant que les déclarations faites par la banque Markazi dans le cadre de la procédure judiciaire dans l’affaire Peterson, citées plus haut, reflètent correctement la réalité des activités de la banque.
53. Les Parties se sont prévalues devant la Cour de diverses décisions arbitrales pour appuyer leurs conclusions opposées quant à la nature commerciale des activités de la banque Markazi. La Cour relève qu’aucune des décisions citées n’est parfaitement pertinente pour la présente affaire. L’Iran invoque une décision arbitrale rendue dans l’affaire Československá Obchodní Banka, A.S. v. The Slovak Republic (décision du tribunal sur les exceptions à la compétence, 24 mai 1999, Affaire CIRDI no ARB/97/4). Dans cette affaire, toutefois, le tribunal devait répondre à la question de savoir si une banque commerciale devait être considérée comme un national de l’Etat dont elle était la propriété ou comme une simple agence de cet Etat, aux fins de la convention applicable. Plus proche de la présente affaire paraît être la sentence arbitrale rendue dans l’affaire Sergei Paushok, CJSC Golden East Company and CJSC Vostokneftegaz Company v. The Government of Mongolia, invoquée par les Etats-Unis (sentence sur la compétence et la responsabilité, 28 avril 2011). Dans cette affaire, le tribunal était appelé à déterminer si certaines opérations contractuelles de la banque centrale de Mongolie présentaient un caractère commercial ou avaient été réalisées de jure imperii ; il a répondu dans ce dernier sens, en se fondant sur l’objectif poursuivi par les opérations en cause. Mais il s’agissait pour le tribunal de décider si les actions de la banque centrale étaient attribuables à l’Etat de Mongolie lui-même aux fins de l’invocation de la responsabilité internationale de l’Etat, ce qui est une autre question que celle qui est soumise présentement à la Cour. Au total, les décisions citées ne sont guère pertinentes.
54. Pour les motifs qui précèdent, la Cour conclut que la banque Markazi ne saurait être caractérisée comme une «société» au sens du traité d’amitié. En conséquence, l’exception d’incompétence soulevée par les Etats-Unis relativement aux demandes de l’Iran se rapportant à des violations alléguées des articles III, IV et V du traité en raison du traitement réservé à la banque Markazi doit être accueillie. La Cour n’est pas compétente pour connaître des demandes en cause.
B. Exception d’irrecevabilité tirée du défaut d’épuisement des voies de recours internes
55. Dans leurs conclusions finales, les Etats-Unis demandent à la Cour «de rejeter comme échappant à sa compétence toutes les demandes fondées sur les articles III, IV et V du traité d’amitié qui reposent sur le traitement accordé aux sociétés n’ayant pas épuisé les voies de recours internes».
56. Bien que cette demande soit présentée par le défendeur comme une exception d’incompétence, il s’agit en réalité d’une exception d’irrecevabilité : la Cour a jugé qu’une exception
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tirée du défaut d’épuisement des voies de recours internes, lorsqu’une instance est introduite au titre de la protection diplomatique, ne concerne pas sa compétence mais la recevabilité de la requête (Interhandel (Suisse c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1959, p. 26).
57. La Cour relève d’abord que les Etats-Unis ont soulevé ladite exception pour la première fois dans leur contre-mémoire, c’est-à-dire dans le cadre de la procédure au fond et après que la Cour eut rendu son arrêt sur les exceptions préliminaires, le 13 février 2019. Dans cet arrêt, la Cour a examiné et rejeté plusieurs exceptions d’irrecevabilité soulevées par les Etats-Unis (Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 45, par. 126, point 4)) et déclaré la requête recevable (ibid., point 5)).
58. La Cour constate que l’Iran n’objecte pas à la recevabilité de l’exception en cause, en se prévalant de l’arrêt de 2019, mais qu’il lui demande plutôt de rejeter ladite exception comme mal fondée, au motif que la règle de l’épuisement des voies de recours internes est inapplicable en l’espèce et que, de toute façon, les recours offerts par le système judiciaire américain étaient inefficaces.
Dans ces conditions, elle examinera l’exception d’irrecevabilité tirée par les Etats-Unis du défaut d’épuisement des voies de recours internes.
59. Selon les Etats-Unis, la règle qui exige que les nationaux d’un Etat demandeur aient préalablement épuisé les voies de recours internes s’applique en l’espèce, puisque l’Iran présente ses demandes à la Cour au nom des sociétés iraniennes qui ont été affectées par les mesures américaines, et non pas en son nom propre. Or, le système judiciaire américain offre des voies de recours accessibles et efficaces, qui n’ont pas été épuisées par les sociétés iraniennes en cause, sauf dans deux cas, les affaires Bennett et Weinstein, qui concernaient des mesures d’exécution prises à l’égard de la banque Melli. Dans tous les autres cas, le défaut d’épuisement des voies de recours internes empêche la Cour, selon les Etats-Unis, d’examiner les demandes de l’Iran.
60. L’Iran soutient que la Cour doit rejeter l’exception, pour deux raisons. D’une part, il affirme que ses demandes découlent de préjudices «causés à l’Etat lui-même, notamment à travers ceux portés aux sociétés lui appartenant, les uns et les autres étant interdépendants», d’où il suivrait que l’exigence de l’épuisement des voies de recours internes est inapplicable. D’autre part, le demandeur affirme que «[l]e mécanisme discriminatoire à l’égard de l’Iran et des sociétés lui appartenant empêche les tribunaux américains d’accorder une réparation efficace», de telle sorte que toute action qui aurait été introduite  en plus de celles qui ont été tentées sans succès  aurait été par avance vouée à l’échec.
* *
61. La Cour rappelle que, en vertu du droit international coutumier, lorsqu’un Etat fait valoir une réclamation internationale au nom d’un ou de plusieurs de ses ressortissants au titre de la protection diplomatique, les recours internes doivent avoir été épuisés pour que cette réclamation puisse être examinée (voir en dernier lieu Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de
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toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (II), p. 605-606, par. 129 ; voir aussi Interhandel (Suisse c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1959, p. 27 ; Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI) (Etats-Unis d’Amérique c. Italie), arrêt, C.I.J. Recueil 1989, p. 42, par. 50 ; Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 599, par. 42).
La Cour a déjà indiqué que la définition de la protection diplomatique donnée à l’article premier des Articles de la Commission du droit international (ci-après la «CDI») sur la protection diplomatique, à savoir que celle-ci
«consiste en l’invocation par un Etat, par une action diplomatique ou d’autres moyens de règlement pacifique, de la responsabilité d’un autre Etat pour un préjudice causé par un fait internationalement illicite dudit Etat à une personne physique ou morale ayant la nationalité du premier Etat en vue de la mise en oeuvre de cette responsabilité»,
reflétait le droit international coutumier (Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 599, par. 39).
62. La Cour relève que le demandeur a indiqué, dans son mémoire, qu’il «soumet[tait] ses prétentions en son nom propre et en celui des sociétés iraniennes qui subissent les effets des mesures américaines en cause» et, dans sa réplique, que ses demandes étaient présentées à raison des préjudices qui lui avaient été causés «notamment à travers ceux portés aux sociétés lui appartenant, les uns et les autres étant interdépendants» (voir le paragraphe 60 ci-dessus).
63. La Cour a estimé, dans l’affaire Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), que l’obligation d’épuiser les voies de recours internes ne s’appliquait pas à une demande par laquelle un Etat faisait valoir à la fois la violation des droits propres dont il soutenait avoir été victime et la violation des droits individuels conférés à ses ressortissants, lorsqu’il existait «[des] circonstances toutes particulières d’interdépendance des droits de l’Etat et des droits individuels» (Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 36, par. 40). Dans cette affaire, l’«interdépendance» constatée par la Cour résultait de ce que les droits en cause étaient le droit pour une personne arrêtée de demander que l’autorité consulaire de l’Etat dont elle est ressortissante soit avertie de son arrestation et celui d’être informée de la possibilité de présenter une telle demande, droits garantis par l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963.
64. Les droits dont il était question dans l’arrêt Avena précité avaient pour particularité de mettre en jeu les relations entre des individus et les autorités de leur Etat de nationalité, de telle sorte qu’ils concernaient de manière indissociable les droits des individus et ceux de l’Etat. Comme l’a observé la Cour, «toute violation des droits que l’individu tient de l’article 36 risque d’entraîner une violation des droits de l’Etat d’envoi et … toute violation des droits de ce dernier risque de conduire à une violation des droits de l’individu» (ibid.).
65. La même relation d’interdépendance ne se rencontre pas, en l’espèce, dans le cas des droits dont l’Iran allègue la violation.
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La Cour n’aperçoit donc aucune raison d’écarter l’application de la règle de l’épuisement des voies de recours internes en suivant un raisonnement similaire à celui qu’elle a adopté dans l’affaire Avena.
66. Selon l’article 14, paragraphe 3, des Articles de la CDI sur la protection diplomatique, les recours internes doivent être épuisés lorsque la réclamation d’un Etat est faite «principalement» en raison du préjudice causé à l’un de ses nationaux. Cette disposition implique qu’en cas de réclamation qui mêle des éléments constitutifs de préjudice pour l’Etat et des éléments constitutifs de préjudice pour ses nationaux, c’est le critère de la «prépondérance» qui permet de déterminer si la règle de l’épuisement des voies de recours internes est applicable ou non (voir le commentaire de l’article 14, Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa cinquante-huitième session, Annuaire de la Commission du droit international, 2006, vol. II, deuxième partie, p. 46, par. 11).
67. En l’espèce, la Cour n’estime pas devoir trancher la question de savoir si la requête de l’Iran a été introduite principalement pour la défense de ses propres droits ou pour la protection de ceux des sociétés iraniennes, à supposer ce critère pertinent (voir sur ce point Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI) (Etats-Unis d’Amérique c. Italie), arrêt, C.I.J. Recueil 1989, p. 43, par. 52). En effet, pour les raisons qui vont être exposées à présent, la Cour est convaincue que les sociétés en cause ne disposaient, dans le système judiciaire américain, d’aucun recours efficace qu’elles se seraient abstenues d’exercer.
68. Selon le droit international coutumier, l’exigence de l’épuisement des voies de recours internes est réputée satisfaite lorsqu’il n’existe pas de recours internes disponibles offrant aux personnes lésées une possibilité raisonnable d’obtenir réparation (voir l’article 15 a) des Articles de la CDI sur la protection diplomatique et les nombreux exemples cités dans le commentaire, Annuaire de la Commission du droit international, 2006, vol. II, deuxième partie, p. 47-48, par. 3-4).
69. Le caractère particulier des mesures américaines dont l’Iran tire grief dans la présente affaire est qu’elles ont été décidées par la voie législative ou par des actes administratifs eux-mêmes fondés sur une base législative, et qu’elles ont été mises en oeuvre par des décisions de justice faisant application de dispositions législatives fédérales.
Or, comme l’a rappelé le conseil de l’Iran, «selon une jurisprudence constante américaine, en cas de contradiction explicite entre un traité et une loi adoptée postérieurement à ce traité, la loi est réputée abroger le traité dans l’ordre juridique américain». Les Etats-Unis n’ont pas cherché à contester le bien-fondé de cette affirmation, qui est corroborée par plusieurs décisions de justice américaines versées au dossier. Il résulte de ces décisions que, chaque fois qu’une entité iranienne a tenté d’obtenir d’un tribunal qu’il écarte l’application d’une disposition législative fédérale au motif qu’elle était contraire aux droits garantis par le traité d’amitié, le tribunal, après avoir affirmé que la disposition en cause n’était pas contraire au traité, s’est référé à la jurisprudence suivant laquelle les tribunaux sont, en tout état de cause, tenus d’appliquer la loi fédérale quand elle est postérieure au traité (ce qui est le cas des dispositions en cause en l’espèce).
70. Par exemple, la banque Melli, dans l’affaire Weinstein, a soutenu devant le tribunal fédéral du district est de l’Etat de New York que la TRIA méconnaissait l’article III, paragraphe 1, du traité d’amitié parce qu’elle permettait la «levée du voile social», déniant ainsi à la banque, selon elle, sa personnalité juridique propre. Le tribunal a répondu que, d’une part, tel n’était pas le cas, et que, d’autre part, «[e]n tout état de cause, dans la mesure où le paragraphe a) de l’article 201 de la TRIA
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peut entrer en conflit avec le paragraphe 1 de l’article III du traité d’amitié, ladite loi prévaudrait sur le traité d’amitié». Sur le second point, le tribunal s’est référé à plusieurs précédents de la Cour suprême établissant que, en cas de conflit entre un traité et une loi fédérale, c’est le plus récent des deux qui l’emporte (Weinstein et al. v. Islamic Republic of Iran et al., tribunal fédéral du district est de l’Etat de New York, ordonnance du 5 juin 2009, Federal Supplement, deuxième série, vol. 624, p. 272, confirmée par la cour d’appel fédérale du deuxième circuit, décision du 15 juin 2010, Federal Supplement, troisième série, vol. 609, p. 43 ; voir aussi Bennett et al. v. The Islamic Republic of Iran et al., cour d’appel fédérale du neuvième circuit, décision du 22 février 2016, Federal Supplement, troisième série, vol. 817, p. 1131, telle que modifiée le 14 juin 2016, Federal Supplement, troisième série, vol. 825, p. 949).
71. Les sociétés iraniennes qui sont parvenues à faire écarter par les tribunaux certaines mesures n’ont pu le faire qu’en démontrant soit que les mesures contestées se situaient hors du champ d’application de la loi sur laquelle elles étaient supposées être fondées, soit qu’elles étaient contraires à la loi elle-même (voir par exemple Rubin v. Islamic Republic of Iran, tribunal fédéral du district nord de l’Illinois, Memorandum and Order du 27 mars 2014, Federal Supplement, troisième série, vol. 33, p. 1003).
72. L’efficacité des voies de recours internes doit s’apprécier au regard des droits revendiqués par les personnes concernées, dans le cas d’espèce les droits garantis aux sociétés iraniennes par le traité d’amitié. Etant donné la combinaison entre le caractère législatif des mesures contestées et la primauté conférée à la loi fédérale plus récente sur le traité par la jurisprudence américaine, il apparaît à la Cour que les sociétés en question, dans les circonstances de la présente affaire, n’avaient aucune possibilité raisonnable de faire valoir leurs droits avec succès dans les procédures judiciaires américaines. La Cour ne porte, par le constat qui précède, aucun jugement sur la qualité du système judiciaire américain, ni sur la répartition des compétences entre le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire, en droit américain, en ce qui concerne l’exécution des obligations internationales dans l’ordre juridique interne.
73. Pour les motifs qui précèdent, la Cour conclut que l’exception d’irrecevabilité tirée du défaut d’épuisement des voies de recours internes ne saurait être accueillie.
III. MOYENS DE DÉFENSE AU FOND INVOQUÉS PAR LES ETATS-UNIS
74. Comme la Cour l’a affirmé à plusieurs reprises, elle est «libre dans le choix des motifs sur lesquels elle fondera son arrêt» (par exemple, Application de la convention de 1902 pour régler la tutelle des mineurs (Pays-Bas c. Suède), arrêt, C.I.J. Recueil 1958, p. 62). Par suite, elle est en principe libre de choisir l’ordre dans lequel elle examinera les questions qui lui sont soumises par les parties (par exemple, Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 180, par. 37).
75. Dans la présente affaire, elle estime approprié d’examiner d’abord les moyens de défense au fond invoqués par les Etats-Unis avant d’examiner, si nécessaire, les griefs du demandeur.
A. Moyen fondé sur la doctrine des «mains propres»
76. Dans leurs exceptions préliminaires, les Etats-Unis soutenaient que la requête de l’Iran était irrecevable parce que l’Iran ne se présentait pas devant la Cour avec les «mains propres». Ils alléguaient en particulier que l’Iran avait «parrainé et soutenu le terrorisme international» et
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s’était «livré à des actions de déstabilisation en violation de ses obligations en matière de non-prolifération nucléaire» (Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 43, par. 116).
Dans son arrêt, la Cour a indiqué que,
«[s]ans avoir à prendre position sur la doctrine des «mains propres», [elle] consid[érait] que, même s’il était démontré que le comportement du demandeur n’était pas exempt de critique, cela ne suffirait pas pour accueillir l’exception d’irrecevabilité soulevée par le défendeur sur le fondement de la doctrine des «mains propres»» (ibid., p. 44, par. 122).
Elle a ajouté qu’
«[u]ne telle conclusion ne préjuge toutefois pas la question de savoir si les allégations des Etats-Unis, concernant notamment le parrainage et le soutien que l’Iran apporterait au terrorisme international, ainsi que ses activités présumées en matière de non-prolifération nucléaire et de trafic d’armes, pourraient servir, le cas échéant, de défense au fond» (ibid., p. 44, par. 123).
Dans le dispositif de l’arrêt de 2019, l’ensemble des exceptions préliminaires d’irrecevabilité soulevées par les Etats-Unis, dont faisait partie l’exception fondée sur la doctrine des «mains propres», ont été rejetées (ibid., p. 45, par. 126, point 4)).
77. Les Etats-Unis reprennent leurs arguments fondés sur l’absence de «mains propres» de l’Iran au soutien de leur défense au fond. Dans leurs conclusions finales, ils demandent à la Cour «de rejeter toutes les demandes fondées sur le traité d’amitié, au motif que l’Iran se présente devant la Cour avec les mains sales» (point 1) des conclusions finales).
78. Selon le défendeur, l’Iran mènerait, en violation du droit international, une campagne concertée et cohérente de défense de ses intérêts politiques par des actes de déstabilisation, dont le terrorisme serait une composante essentielle, et qui viseraient tout particulièrement les ressortissants américains. Tel est le cas, selon le défendeur, de l’attentat à la bombe commis en 1983 contre un casernement de fusiliers marins à Beyrouth qui a causé la mort de 241 militaires américains. L’Iran invoque le traité d’amitié, selon les Etats-Unis, pour tenter de se soustraire au paiement des réparations qu’il doit à ses victimes. Cela justifie, selon le défendeur, que la Cour applique en l’espèce la doctrine des «mains propres» et rejette les demandes de l’Iran fondées sur le traité d’amitié, car les mesures américaines contestées ont été prises en réaction aux actes de terrorisme commis contre les Etats-Unis et leurs ressortissants avec le soutien de l’Iran.
79. L’Iran relève que les Etats-Unis méconnaissent le fait que la Cour s’est déjà prononcée sur le même argument dans son arrêt sur les exceptions préliminaires. Tout en admettant que «la question n’est pas techniquement revêtue de l’autorité de la chose jugée», l’Iran observe que les Etats-Unis se bornent à reprendre la même argumentation dans leur défense au fond, sans faire aucune référence aux conclusions et arguments que la Cour a énoncés dans son arrêt sur les exceptions préliminaires. De l’avis de l’Iran, une grande partie du raisonnement suivi par la Cour dans son arrêt de 2019 s’applique aussi bien au fond, et justifie le rejet du moyen de défense présentement examiné. En outre, l’Iran soutient que la doctrine des «mains propres» n’a jamais été appliquée par les cours et tribunaux internationaux bien qu’elle ait été souvent invoquée.
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80. La Cour observe que si elle a rejeté, dans son arrêt sur les exceptions préliminaires, l’exception d’irrecevabilité fondée sur la doctrine des «mains propres», elle a pris soin de préciser que sa décision «ne préjuge[ait] … pas la question de savoir si les allégations [du défendeur] … pourraient servir … de défense au fond» (voir le paragraphe 76 ci-dessus). En effet, il est en principe loisible à un Etat de reprendre en substance, au soutien d’une défense au fond, des arguments qu’il a précédemment invoqués sans succès à l’appui d’une exception d’incompétence ou d’irrecevabilité. Ni l’autorité de chose jugée qui s’attache à l’arrêt de 2019 ni aucune autre considération ne permet donc de déclarer irrecevable le moyen tiré de la doctrine des «mains propres» tel qu’il est invoqué dans le cadre de la défense au fond des Etats-Unis.
81. La Cour relève que l’argument tiré de la doctrine des «mains propres», quoique souvent invoqué dans le contentieux international, n’a été accueilli que rarement par les organes devant lesquels il était invoqué. La Cour elle-même n’a jamais affirmé que la doctrine en question faisait partie du droit international coutumier ou constituait un principe général de droit. Elle a indiqué, dans son arrêt du 17 juillet 2019 dans l’affaire Jadhav, qu’elle «ne consid[érait] pas qu’une exception fondée sur la doctrine des «mains propres» puisse en soi rendre irrecevable une requête reposant sur une base de compétence valable» (Jadhav (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (II), p. 435, par. 61), confirmant ainsi qu’un tel moyen ne pouvait pas être invoqué au soutien d’une exception d’irrecevabilité.
En tant que moyen de défense au fond, la Cour a toujours traité avec la plus grande circonspection l’invocation de l’absence de «mains propres». Dans son arrêt de 2019 rendu en la présente affaire, elle a précisé qu’elle n’avait pas «à prendre position sur la doctrine des «mains propres»» (voir le paragraphe 76 ci-dessus), réservant ainsi sa position sur le statut juridique de la notion elle-même en droit international. Elle relève en outre que la CDI a refusé d’inclure la doctrine des «mains propres» parmi les circonstances excluant l’illicéité, dans ses Articles sur la responsabilité de l’Etat pour faits internationalement illicites (ci-après les «Articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat»), au motif que cette «théorie … a été principalement invoquée à propos de la recevabilité de demandes devant des cours et tribunaux internationaux, mais rarement appliquée» (voir le commentaire du chapitre V de la première partie des Articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat, Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie, p. 76, par. 9).
82. En tout état de cause, de l’avis même du défendeur, pour que la doctrine des «mains propres» trouve à s’appliquer dans un cas déterminé, il faut au moins que plusieurs conditions soient remplies. Deux d’entre elles seraient qu’une faute ou un fait illicite ait été commis par le demandeur ou pour son compte, et qu’il existe «un lien entre la faute ou le comportement illicite et les demandes présentées par l’Etat demandeur». Les Etats-Unis précisent que «le degré de connexité entre la faute ou le comportement illicite et la prétention du demandeur dépend des circonstances de l’espèce».
83. Dans son arrêt sur les exceptions préliminaires rendu en la présente affaire, la Cour a relevé que «les Etats-Unis n’ont pas soutenu que, par son comportement, l’Iran aurait violé le traité d’amitié sur lequel il fonde sa requête» (Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 44, par. 122). Cette observation est également pertinente en ce qui concerne la doctrine des «mains propres» invoquée comme moyen de défense au fond. De l’avis de la Cour, il n’existe pas, en tout cas, de lien de connexité suffisant entre le comportement illicite imputé à l’Iran par les Etats-Unis et les demandes de l’Iran, qui sont fondées sur la violation alléguée du «traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires».
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84. Pour les motifs qui précèdent, le moyen de défense au fond tiré de la doctrine des «mains propres» ne saurait être accueilli.
B. Moyen fondé sur l’abus de droit
85. Selon les Etats-Unis, les demandes de l’Iran devant la Cour constituent un abus de droit pour deux raisons. En premier lieu, parce que l’Iran «prétend étendre les droits que lui reconnaît le traité  un accord consulaire et commercial  à des circonstances dont les Parties n’avaient manifestement pas l’intention qu’elles soient couvertes par cet instrument» ; en second lieu, parce que le demandeur invoque le traité à seule fin d’échapper à son obligation d’indemniser les victimes américaines des actes de terrorisme auxquels il a apporté son soutien.
86. L’Iran soutient que les Etats-Unis ne font que requalifier d’«abus de droit» l’exception préliminaire fondée sur un «abus de procédure» que la Cour a examinée et rejetée dans son arrêt de 2019. Selon l’Iran, la teneur de l’argument est la même et il ne suffit pas de remplacer un terme par un autre pour soumettre à la Cour la même question, sans tenir aucun compte des raisons données par la Cour pour rejeter l’exception préliminaire d’«abus de procédure» dans son arrêt antérieur. Le demandeur observe que le moyen de défense fondé sur un prétendu «abus de droit» est présenté dans un différend opposant les mêmes parties que celles entre lesquelles a été rendu l’arrêt de 2019 ; il s’appuie sur les mêmes motifs juridiques que ceux sur lesquels était fondée l’exception préliminaire rejetée par la Cour ; il a le même objet, à savoir empêcher l’Iran d’exercer ses droits découlant du traité.
87. L’Iran soutient que le moyen de défense en cause n’est fondé ni en fait ni en droit. Il relève qu’un tel moyen n’a jamais été retenu dans un différend interétatique. Il ajoute que l’abus de droit ne pourrait être retenu en l’espèce que si des preuves claires imposaient d’écarter la présomption de bonne foi dont bénéficie l’Iran comme tout demandeur, et que de telles preuves n’existent pas.
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88. La Cour commencera par observer que le fait que les Etats-Unis aient soulevé des arguments similaires au soutien de leur exception tirée de l’«abus de procédure» rejetée par l’arrêt de 2019 sur les exceptions préliminaires ne fait pas obstacle à l’examen de leur moyen de défense au fond tiré d’un «abus de droit». Une exception d’irrecevabilité et une défense au fond étant distinctes par nature, l’autorité de chose jugée qui s’attache à l’arrêt de 2019 ne saurait faire obstacle à l’invocation de tout moyen de défense au fond.
89. Cependant la Cour doit tenir compte, dans l’examen du moyen, des raisons qu’elle a données dans son arrêt antérieur pour justifier le rejet de l’exception d’irrecevabilité fondé sur des arguments similaires.
90. A cet égard, la Cour relève qu’en soutenant que l’Iran commet un abus de droit en cherchant à appliquer le traité d’amitié à des mesures qui sont sans rapport avec le commerce, les Etats-Unis ne font qu’affirmer, d’une autre manière, que les demandes de l’Iran se situent en dehors du champ d’application ratione materiae du traité. Cette question a été abordée par la Cour, sous
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l’angle de sa compétence, dans son arrêt de 2019 ; elle sera évoquée dans la section suivante du présent arrêt, sous l’angle du fond, à propos de l’examen des griefs de l’Iran tirés de la violation alléguée de diverses dispositions du traité.
91. En ce qui concerne la seconde branche de l’argumentation des Etats-Unis, à savoir que le but poursuivi par l’Iran est d’échapper à son obligation d’indemniser les victimes de ses actes (voir le paragraphe 85 ci-dessus), la Cour commencera par rappeler les éléments essentiels de sa jurisprudence en la matière.
92. Dès 1926, la Cour permanente de Justice internationale a affirmé qu’un abus de droit ou un manquement au principe de la bonne foi «ne se présume[nt] pas, mais [qu’]il incombe à celui qui [les] allègue de fournir la preuve de son allégation» (Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, fond, arrêt no 7, 1926, C.P.J.I. série A no 7, p. 30). Comme la Cour l’a noté dans son arrêt de 2018 en l’affaire des Immunités et procédures pénales, sa devancière la Cour permanente «a, en plusieurs occasions, rejeté des arguments concernant un abus de droit au stade du fond, faute d’éléments de preuve suffisants» (Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France, exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 335-336, par. 147).
93. La Cour ne pourrait retenir en l’espèce le moyen de défense au fond tiré de l’abus de droit que s’il était démontré par le défendeur, sur la base de preuves convaincantes, que le demandeur revendique l’exercice des droits qui lui sont conférés par le traité d’amitié à des fins différentes de celles pour lesquelles les droits en cause ont été établis, et ce au détriment du défendeur.
La Cour est d’avis que les Etats-Unis n’ont pas fait une telle démonstration.
En conséquence, le moyen de défense fondé sur un prétendu abus de droit ne saurait être accueilli.
C. Article XX, paragraphe 1, alinéas c) et d) du traité d’amitié
94. La Cour rappelle que dans leurs exceptions préliminaires les Etats-Unis s’étaient prévalus des alinéas c) et d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié pour demander à la Cour de rejeter comme échappant à sa compétence toutes les demandes de l’Iran alléguant que les mesures adoptées par les Etats-Unis en vertu du décret présidentiel no 13599 contreviennent au traité d’amitié. La Cour a rejeté cette exception d’incompétence au motif que les dispositions invoquées n’ont pas pour effet de restreindre sa compétence mais offrent seulement aux Parties une défense au fond qu’il leur appartient, le cas échéant, de faire valoir le moment venu (Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 25, par. 45, se référant à Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 811, par. 20).
95. Dans leurs conclusions finales présentées au terme de la procédure au fond, les Etats-Unis se prévalent à nouveau des mêmes dispositions pour demander à la Cour «de rejeter, sur le fondement des alinéas c) et d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié, toutes les demandes alléguant que les mesures américaines qui ont pour effet de bloquer ou geler les actifs de l’Etat iranien ou des institutions financières iraniennes (telles que définies dans le décret présidentiel no 13599) contreviennent aux dispositions du traité».
96. Les dispositions invoquées sont ainsi rédigées :
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«1. Le présent traité ne fera pas obstacle à l’application de mesures :
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
c) [r]églementant la production ou le commerce des armes, des munitions et du matériel de guerre, ou le commerce d’autres produits lorsqu’il a pour but direct ou indirect d’approvisionner des unités militaires ;
d) [o]u nécessaires à l’exécution des obligations de l’une ou l’autre des Hautes Parties contractantes relatives au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales ou à la protection des intérêts vitaux de cette Haute Partie contractante sur le plan de la sécurité.»
97. Il y a lieu de préciser que, dans l’argumentation qu’il a développée devant la Cour concernant l’alinéa d), le défendeur ne s’est prévalu de cet alinéa que dans sa seconde branche, celle qui vise «la protection des intérêts vitaux … sur le plan de la sécurité» ; il n’a pas allégué que les mesures contestées seraient «nécessaires à l’exécution de ses obligations relatives au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales».
98. La Cour examinera successivement les arguments des Parties concernant les deux dispositions invoquées comme moyens de défense par les Etats-Unis.
1. Alinéa c) du paragraphe 1 de l’article XX
99. Le décret présidentiel no 13599, promulgué en 2012, a eu pour objet de bloquer tous les actifs de l’Etat iranien, et ceux des institutions financières iraniennes, dès lors que ces actifs se trouvent sur le territoire des Etats-Unis ou «en la possession ou sous le contrôle de toute personne des Etats-Unis, y compris toute succursale étrangère» (voir le paragraphe 28 ci-dessus).
100. Selon les Etats-Unis, le décret no 13599 entre bien dans le champ de l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article XX dès lors qu’il vise «à contenir par la voie réglementaire le commerce international d’armes auquel se livre l’Iran, sa production de missiles balistiques et son soutien financier au terrorisme» par le gel des actifs d’entités publiques iraniennes qui se trouvent sur le territoire américain ou sous le contrôle d’une personne américaine. Les Etats-Unis ajoutent que, contrairement à ce que prétend l’Iran, l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article XX ne se limite pas aux mesures par lesquelles chaque Partie réglementerait sa propre production ou ses propres exportations ou importations d’armes ; il vise plus largement «le commerce des armes», terme qui renvoie au commerce international d’armement, y compris les transactions qui rendent possible ou facilitent ledit commerce, en favorisant la prolifération des armes à travers les frontières au bénéfice d’acteurs qui en feraient un usage dangereux.
101. L’Iran soutient que le décret no 13599 n’a aucunement pour objet de «réglementer la production ou le commerce des armes», comme le ferait, par exemple, une interdiction d’exporter des armes américaines vers l’Iran. Il ne contient d’ailleurs même pas le mot «armes» et les objectifs qu’il poursuit, selon ses propres termes, sont de nature purement financière et ne présentent aucun lien direct avec la production et le commerce des armes.
* *
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102. La Cour ne saurait souscrire à l’interprétation large que font les Etats-Unis de la disposition en cause. Les termes de l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article XX, pris dans leur sens ordinaire et considérés à la lumière de l’objet et du but du traité, ne permettent pas de faire entrer dans son champ d’application des mesures autres que celles qui visent, de la part d’une partie au traité, à réglementer sa propre production ou son propre commerce d’armes, ou à réglementer les exportations d’armes vers l’autre partie ou les importations d’armes en provenance de l’autre partie. De l’avis de la Cour, l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article XX ne saurait être invoqué pour justifier des mesures prises par une partie, qui seraient susceptibles de porter atteinte aux droits garantis par le traité et qui viseraient seulement à produire un effet indirect sur la production et le commerce des armes par l’autre partie ou sur le territoire de l’autre partie.
103. Rien dans le décret no 13599 ne répond aux critères définis au paragraphe précédent. En conséquence, le moyen de défense des Etats-Unis fondé sur l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié ne saurait être accueilli.
2. Alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX
104. Selon les Etats-Unis, le décret no 13599 constitue une mesure «nécessaire[] … à la protection [de ses] intérêts vitaux … sur le plan de la sécurité», au sens de l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité. Les Etats-Unis exposent que le décret permet de protéger leurs intérêts vitaux en luttant contre le soutien apporté par l’Iran au trafic d’armes, au terrorisme et au développement de capacités balistiques. Le défendeur souligne que la notion d’intérêts vitaux en matière de sécurité est large, comme la Cour l’a admis dans sa jurisprudence antérieure ; il se réfère à cet égard à l’arrêt de 1986 en l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique) (C.I.J. Recueil 1986, p. 117, par. 224).
En outre, selon le défendeur, l’organe judiciaire doit accorder une grande déférence à l’Etat qui invoque un tel motif en s’appuyant sur une exception prévue par le traité applicable ; une telle exception, soutient-il, «accorde à chaque partie, agissant de bonne foi, un large pouvoir discrétionnaire de décider quelles mesures sont nécessaires pour protéger ses intérêts de sécurité». A cet égard, le défendeur se réfère à l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire relative à Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France) (C.I.J. Recueil 2008, p. 229, par. 145).
Enfin, les Etats-Unis relèvent qu’il n’est pas contestable que la prévention du terrorisme et du financement du terrorisme et l’interruption du programme balistique d’un Etat hostile entrent bien dans le cadre de leurs intérêts vitaux sur le plan de la sécurité.
105. L’Iran soutient que les Etats-Unis n’ont pas fait la démonstration, qui leur incombe, de ce que le décret no 13599 constituait une mesure nécessaire à la protection de leurs intérêts vitaux en matière de sécurité.
Le demandeur souligne qu’il ne suffit pas qu’un Etat affirme qu’une mesure est justifiée par le motif énoncé à l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX pour qu’il soit fondé, ipso facto, à se prévaloir de cette disposition. Il appartient à la Cour d’exercer un contrôle effectif sur la réalité des «intérêts vitaux» invoqués et sur la nécessité de la mesure contestée. Le critère de nécessité, selon le demandeur, implique un contrôle de proportionnalité, celle-ci devant être appréciée au regard du dommage infligé par les mesures concernées. L’Iran se réfère à la jurisprudence de la Cour, notamment ses arrêts dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
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celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique) (C.I.J. Recueil 1986, p. 117, par. 224, et p. 141, par. 282) et dans celle des Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique) (C.I.J. Recueil 2003, p. 183, par. 43).
* *
106. La Cour a déjà examiné un moyen de défense tiré de l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié dans son arrêt rendu sur le fond en l’affaire des Plates-formes pétrolières. Se référant à l’arrêt rendu en l’affaire des Activités militaires et paramilitaires, susmentionnée, dans lequel elle avait fait application d’une disposition d’un autre traité rédigée en termes similaires, la Cour a indiqué que «les mesures ne doivent pas simplement tendre à protéger les intérêts vitaux de sécurité de la partie qui les adopte ; elles doivent être «nécessaires» à cette fin» et que «la question de savoir si une mesure … est «nécessaire» ne «relève pas de l’appréciation subjective de la partie intéressée» … et peut donc être évaluée par la Cour» (Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 183, par. 43, citant Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 141, par. 282).
La Cour ne voit aucune raison de s’écarter de cette jurisprudence dans la présente affaire.
107. Il est vrai que dans son arrêt rendu en l’affaire Djibouti c. France, auquel les Etats-Unis se sont référés, la Cour a considéré que le traité applicable en l’espèce, qui permettait à une partie de se prévaloir de ses «intérêts essentiels» notamment en matière de «sécurité», conférait «un très large pouvoir discrétionnaire» à l’Etat qui l’invoquait (Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 229-230, par. 145-147). Mais la disposition en cause était rédigée dans des termes significativement différents de ceux employés à l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX. La convention d’entraide judiciaire entre Djibouti et la France prévoyait que l’Etat requis pourrait rejeter une demande d’entraide judiciaire s’il «estim[ait] que l’exécution de la demande [étai]t de nature à porter atteinte à sa souveraineté, à sa sécurité, à son ordre public ou à d’autres de ses intérêts essentiels» (ibid., p. 226, par. 135). Les termes mêmes de cette disposition conféraient à l’Etat en cause, par l’emploi du verbe «estimer», une importante marge de discrétion, supérieure à celle que l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié accorde aux Etats parties.
108. En tenant compte des considérations qui précèdent, la Cour estime qu’il appartenait aux Etats-Unis de démontrer que le décret no 13599 constituait une mesure nécessaire à la protection de leurs intérêts vitaux en matière de sécurité, et qu’ils n’ont pas fait une telle démonstration de manière convaincante. Elle ne saurait se satisfaire, même en acceptant que le défendeur possède une certaine marge de discrétion, des affirmations de celui-ci. Elle note en outre que les motifs que le décret lui-même énonce pour justifier les mesures spécifiques qu’il met en vigueur se rapportent aux pratiques financières des banques iraniennes, aux déficiences du régime iranien de lutte contre le blanchiment et aux risques en résultant pour le système financier international ; ils ne mentionnent pas de considérations de sécurité.
109. En conséquence, la Cour conclut que le moyen de défense tiré de l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité ne saurait être accueilli.
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IV. VIOLATIONS ALLÉGUÉES DU TRAITÉ D’AMITIÉ
110. La Cour examinera à présent les manquements allégués des Etats-Unis aux obligations que leur impose le traité d’amitié.
111. Les demandes de l’Iran se rapportent à un ensemble de mesures législatives, administratives et judiciaires prises par les Etats-Unis depuis 2002. Ces mesures comprennent le paragraphe a) de l’article 201 de la TRIA et l’alinéa 1 du paragraphe g) de l’article 1610 de la FSIA (voir les paragraphes 26-27 ci-dessus), ainsi que l’application de ces dispositions par les tribunaux américains.
112. L’article 201 de la TRIA est intitulé «Exécution de jugements sur des actifs bloqués de terroristes, d’organisations terroristes et d’Etats soutenant le terrorisme». Son paragraphe a) se lit comme suit :
«En général. — Nonobstant toute autre disposition de la loi, mais sous réserve du paragraphe b), dans tous les cas où il a été fait droit à la demande formée contre une partie terroriste et fondée sur un acte de terrorisme, ou pour laquelle la partie terroriste est privée de l’immunité par application de l’alinéa 7) du paragraphe a) de l’article 1605 du titre 28 du code des Etats-Unis, les actifs bloqués de cette partie terroriste (y compris ceux de tout organisme ou agence de celle-ci) sont saisissables en exécution dudit jugement à concurrence du montant des dommages-intérêts compensatoires au paiement desquels ladite partie terroriste aura été condamnée.»
L’alinéa 1 du paragraphe g) de l’article 1610 de la FSIA est ainsi libellé :
«g) Biens dans certaines actions —
1) En général — Sous réserve du paragraphe 3, les biens de l’Etat étranger contre lequel un jugement est rendu en application de l’article 1605A, ainsi que ceux des organismes et agences de cet Etat, y compris les biens constituant une entité juridique distincte ou une participation détenue directement ou indirectement dans une telle entité, sont saisissables en exécution de ce jugement, conformément au présent article, et ce, indépendamment —
A) du degré de contrôle économique exercé par le gouvernement de l’Etat étranger sur les biens en question ;
B) de la question de savoir si les bénéfices tirés de ces biens reviennent ou non à ce gouvernement ;
C) de la mesure dans laquelle les fonctionnaires de ce gouvernement interviennent dans la gestion desdits biens ou les activités dont ils font l’objet ;
D) de la question de savoir si ce gouvernement est, à l’égard des biens, le seul titulaire de l’intérêt bénéficiaire ;
E) de la question de savoir si la constitution des biens en entité distincte conférerait quelque avantage à l’Etat étranger devant les tribunaux américains tout en l’exonérant de ses obligations.»
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113. Les décisions de justice dont l’Iran tire grief ont été rendues par des tribunaux américains en application de ces dispositions législatives. Elles ont ordonné des mesures de saisie, d’exécution, de remise ou de distribution d’actifs appartenant à certaines sociétés iraniennes.
114. Les demandes de l’Iran se rapportent également au décret présidentiel no 13599 de 2012, intitulé «Blocage des biens de l’Etat iranien et des institutions financières iraniennes». L’article premier de ce décret dispose ce qui suit :
«a) Tous les biens et participations dans des biens de l’Etat iranien, y compris ceux de la banque centrale iranienne, se trouvant actuellement ou à l’avenir sur le territoire des Etats-Unis ou en la possession ou sous le contrôle de toute personne des Etats-Unis, y compris toute succursale étrangère, sont bloqués et ne peuvent faire l’objet d’aucun transfert, paiement, exportation, retrait ou autre opération.
b) Tous les biens et participations dans des biens des institutions financières iraniennes, y compris ceux de la banque centrale iranienne, se trouvant actuellement ou à l’avenir sur le territoire des Etats-Unis ou en la possession ou sous le contrôle de toute personne des Etats-Unis, y compris toute succursale étrangère, sont bloqués et ne peuvent faire l’objet d’aucun transfert, paiement, exportation, retrait ou autre opération.
c) Tous les biens et participations dans des biens se trouvant actuellement ou à l’avenir sur le territoire des Etats-Unis ou en la possession ou sous le contrôle de toute personne des Etats-Unis, y compris toute succursale étrangère, sont bloqués et ne peuvent faire l’objet d’aucun transfert, paiement, exportation, retrait ou autre opération, dès lors qu’ils appartiennent à l’une des personnes suivantes : toute personne physique ou morale dont le secrétaire au trésor établit, en consultation avec le secrétaire d’Etat, qu’elle est détenue ou contrôlée par une personne dont les biens et les participations dans des biens sont bloqués en application du présent décret, ou qu’elle a agi ou aurait agi, directement ou indirectement, pour le compte d’une telle personne ou en son nom.»
115. Les Parties conviennent que, s’agissant des procédures internes contestées par l’Iran dans la présente instance, le décret présidentiel no 13599 a eu pour principal effet de bloquer les actifs de la banque Markazi. Ayant conclu qu’elle n’avait pas compétence en vertu du traité d’amitié pour connaître de demandes relatives à des violations alléguées des articles III, IV et V fondées sur le traitement accordé à ladite banque (voir le paragraphe 54 ci-dessus), la Cour n’examinera pas les demandes de l’Iran concernant le décret présidentiel no 13599 dans la mesure où elles se rapportent à cette entité. Pour la même raison, elle ne s’intéressera pas non plus aux allégations de l’Iran relatives à l’affaire Peterson et à l’article 502 de la ITRSHRA (voir le paragraphe 29 ci-dessus). La Cour traitera en revanche les autres demandes de l’Iran qui concernent le décret présidentiel no 13599.
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116. L’Iran fait valoir que, par suite des mesures rappelées ci-dessus, les sociétés iraniennes et lui-même ont été privés des droits dont ils jouissaient en vertu du traité d’amitié. Ils ont été dépossédés de leurs actifs, et la liberté de commerce et de navigation garantie par le traité s’est
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trouvée gravement entravée. L’Iran reproche aux Etats-Unis d’avoir instauré un régime juridique d’exception, modifiant leurs lois et règlements pour faire en sorte que les actifs des sociétés iraniennes puissent être saisis aux fins de l’exécution de jugements rendus contre lui, en dépit du fait que ces sociétés n’ont aucun lien avec lesdits jugements ou avec les allégations sur lesquels ils sont fondés. Le demandeur ajoute que les moyens de défense dont les sociétés iraniennes auraient dû pouvoir bénéficier en vertu du traité d’amitié ont été «systématiquement neutralis[és]» par les dispositions législatives que les Etats-Unis ont adoptées, et «systématiquement rejet[és]» par les tribunaux.
117. L’Iran estime que, par ces mesures, les Etats-Unis ont méconnu le principe de la séparation des personnalités juridiques, et bloqué et saisi de manière illicite des biens appartenant à certaines sociétés iraniennes et à lui-même. Il prend note de l’assertion des Etats-Unis selon laquelle ces derniers ont adopté lesdites mesures dans le cadre de leurs «[i]nitiatives visant à assurer réparation aux victimes d’actes de terrorisme». Cependant, de son point de vue, les Etats-Unis n’ont pas expliqué en quoi ces initiatives pourraient justifier leur comportement à l’égard de sociétés iraniennes se livrant à des activités commerciales.
118. En conséquence, l’Iran soutient que les Etats-Unis ont manqué aux obligations que leur imposent les paragraphes 1 et 2 de l’article III, les paragraphes 1 et 2 de l’article IV, le paragraphe 1 de l’article V, le paragraphe 1 de l’article VII et le paragraphe 1 de l’article X du traité d’amitié.
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119. Les Etats-Unis, pour leur part, considèrent que le différend est indissociablement lié à leur réponse nationale visant à amener les Etats soutenant le terrorisme à rendre des comptes et à accorder réparation aux victimes d’actes de terrorisme. Le défendeur affirme que les mesures qu’il a prises progressivement sur une période de plusieurs années, afin de permettre auxdites victimes de demander réparation des pertes qu’elles ont subies, ainsi que les décisions de justice connexes, n’emportent pas violation du traité d’amitié.
120. Les Etats-Unis soutiennent que les dispositions législatives en question, qui permettent aux plaignants de faire exécuter des jugements en responsabilité rendus contre l’Iran sur les biens de l’Etat et de ses organismes et agences, constituent une réponse raisonnable et mesurée au «refus des Etats soutenant le terrorisme d’assumer leur responsabilité pour les immenses dommages qu’ils ont causés». Le défendeur souligne que ces mesures s’appliquent de manière égale à tous les Etats désignés en tant qu’Etats soutenant le terrorisme, et non pas seulement à l’Iran, et qu’elles étaient en vigueur avant l’engagement des procédures d’exécution en cause. S’agissant de ces procédures, les Etats-Unis relèvent que l’Iran n’a pas allégué la moindre irrégularité procédurale de la part des tribunaux, qui déterminent s’il est satisfait aux critères prévus par la loi et donnent aux parties intéressées la possibilité d’être entendues. Ils ajoutent que les décisions concernées sont susceptibles d’appel.
121. Le défendeur avance que les mesures en cause n’entrent pas dans les prévisions du traité d’amitié car elles ne visent pas le commerce et les transactions entre les parties. Il rejette l’argument selon lequel cet instrument requiert l’existence d’une personnalité juridique distincte en toute circonstance, soutenant que les articles III, IV et V ne limitent pas le pouvoir réglementaire dont
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dispose chaque partie d’autoriser les victimes à agir en justice pour contraindre les Etats soutenant le terrorisme à rendre des comptes et à les indemniser. Il ajoute que le paragraphe 1 de l’article VII et le paragraphe 1 de l’article X ne s’appliquent pas au type de mesures en cause.
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122. La Cour observe que les Parties ont des vues divergentes sur la question de savoir dans quelle mesure le traité d’amitié impose des limites aux pouvoirs réglementaires d’un Etat. A cet égard, leurs désaccords ont trait, pour l’essentiel, à la méconnaissance alléguée de la personnalité juridique distincte des sociétés iraniennes, ainsi qu’à la saisie des actifs de celles-ci en vue de l’exécution de jugements en responsabilité rendus contre l’Iran. Leurs arguments principaux sur ces points concernent l’interprétation du paragraphe 1 de l’article III et du paragraphe 1 de l’article IV du traité, ainsi que leur application dans les circonstances de l’espèce. Les arguments des Parties relatifs à ces dispositions étant étroitement liés, la Cour traitera ensemble les prétentions de l’Iran fondées sur le paragraphe 1 de l’article III et le paragraphe 1 de l’article IV, avant d’examiner ses autres demandes.
A. Violations alléguées du paragraphe 1 de l’article III et du paragraphe 1 de l’article IV
123. Le paragraphe 1 de l’article III du traité d’amitié se lit comme suit :
«Le statut juridique des sociétés constituées sous le régime des lois et règlements de l’une des Hautes Parties contractantes applicables en la matière sera reconnu dans les territoires de l’autre Haute Partie contractante. Il est entendu toutefois qu’en elle-même la reconnaissance de ce statut juridique ne donnera pas aux sociétés le droit de se livrer à l’activité en vue de laquelle elles sont organisées. Au sens du présent Traité, le terme «sociétés» doit s’entendre des sociétés de capitaux ou de personnes, des compagnies et de toutes associations, qu’elles soient ou non à responsabilité limitée et à but lucratif.» [Traduction du Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies.]
Le paragraphe 1 de l’article IV du traité est ainsi libellé :
«Chacune des Hautes Parties contractantes accordera en tout temps un traitement juste et équitable aux ressortissants et aux sociétés de l’autre Haute Partie contractante, ainsi qu’à leurs biens et à leurs entreprises ; elle ne prendra aucune mesure déraisonnable ou discriminatoire pouvant porter atteinte à leurs droits ou à leurs intérêts légalement acquis ; et en conformité des lois applicables en la matière, elle assurera des voies d’exécution efficaces à leurs droits contractuels légitimement nés.» [Traduction de la Cour.]
124. L’Iran fait valoir que, de par les mesures législatives, administratives et judiciaires en cause, les Etats-Unis ont privé les sociétés iraniennes de la personnalité juridique indépendante qu’elles tenaient de leur statut juridique et assimilé leurs actifs à ceux de l’Etat iranien, en violation du paragraphe 1 de l’article III du traité d’amitié. Il affirme également que, en supprimant la personnalité juridique distincte des sociétés iraniennes, en les privant d’un moyen de défense qui aurait autrement été à leur disposition et en les rendant responsables d’actes prétendument illicites
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de l’Iran qui avaient fait l’objet de jugements rendus dans des procédures auxquelles elles n’étaient pas parties, les Etats-Unis n’ont pas accordé aux sociétés iraniennes le traitement prescrit par le paragraphe 1 de l’article IV du traité.
125. Selon l’Iran, le statut juridique d’une société est défini par le droit de l’Etat dans lequel elle a été créée, et c’est ce droit qui détermine si une entité possède une personnalité juridique propre, et quels en sont les éléments spécifiques. Les Etats-Unis sont par conséquent tenus de donner effet au statut juridique des sociétés iraniennes tel qu’il a été établi par le droit iranien, notamment en reconnaissant que ces sociétés possèdent une personnalité juridique distincte qui leur est propre. L’Iran soutient que, en application du paragraphe 1 de l’article III du traité d’amitié, la personnalité juridique propre à une société doit être reconnue, et que ses éléments constitutifs, y compris ses actifs, ne sauraient être assimilés à ceux d’autres personnes morales. Le demandeur estime que l’interprétation du paragraphe 1 de l’article III avancée par les Etats-Unis n’est pas compatible avec la jurisprudence de la Cour.
126. En ce qui concerne le paragraphe 1 de l’article IV du traité d’amitié, l’Iran soutient qu’il comporte trois obligations de protection autonomes, lesquelles ont toutes été violées par les Etats-Unis. Pour ce qui est de la première obligation, l’Iran allègue que le standard de «traitement juste et équitable» prévu par le traité n’est pas lié au standard minimum de traitement du droit international coutumier. Selon lui, il est bien établi que, pour rechercher si l’obligation d’accorder un traitement juste et équitable a été violée, les juridictions internationales examinent si le comportement en cause a) est arbitraire, manifestement inéquitable, injuste ou singulier ; b) est discriminatoire ; c) se traduit par une absence de procédure régulière conduisant à un résultat contraire à une bonne administration de la justice, y compris, mais non exclusivement, un déni de justice ; ou d) est contraire aux attentes légitimes des sociétés et ressortissants iraniens. L’Iran fait valoir que, même selon l’interprétation restrictive faite par les Etats-Unis, il y a eu déni de justice, ses sociétés n’ayant pas pu se prévaloir de leur personnalité juridique distincte.
127. S’agissant de la deuxième obligation énoncée au paragraphe 1 de l’article IV, qui interdit d’imposer des mesures déraisonnables ou discriminatoires, l’Iran soutient que, pour qu’une mesure soit raisonnable, il doit exister une corrélation adéquate entre l’objectif de politique publique poursuivi par l’Etat et la mesure adoptée pour y parvenir, relevant que, dans le cadre de l’appréciation du caractère raisonnable, les juridictions se réfèrent également à la notion de proportionnalité. En ce qui concerne la troisième obligation, celle qui consiste à accorder des voies d’exécution efficaces aux droits contractuels légitimement nés, le demandeur affirme que les Etats-Unis ne l’ont pas fait vis-à-vis de certaines sociétés iraniennes, puisque les procédures d’exécution en question ont mis en jeu des fonds représentant des dettes contractuelles dues à des sociétés iraniennes par des sociétés américaines.
128. L’Iran conteste l’argument avancé par les Etats-Unis, en ce qui concerne tant le paragraphe 1 de l’article III que le paragraphe 1 de l’article IV, selon lequel la «levée du voile social» aux fins de l’indemnisation des victimes était juste et raisonnable. Il soutient qu’aucun des exemples examinés par la Cour en l’affaire relative à la Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (nouvelle requête : 1962) (Belgique c. Espagne) n’est applicable dans les circonstances de la présente espèce. Le demandeur ajoute que les Etats-Unis ne produisent aucun élément de preuve susceptible de justifier chaque «levée», et qu’ils ont adopté une mesure collective, à savoir l’«élimination de la personnalité juridique indépendante» des sociétés.
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129. Les Etats-Unis rejettent les demandes de l’Iran fondées sur le paragraphe 1 de l’article III et le paragraphe 1 de l’article IV, qu’ils qualifient de «quasi identique[s]».
130. Le défendeur allègue que la reconnaissance du statut juridique au sens du paragraphe 1 de l’article III implique seulement de reconnaître l’existence d’une société en tant qu’entité juridique et non de reconnaître sa personnalité juridique distincte. Il avance que cette disposition ne confère aucun autre droit à une société. Les Etats-Unis soutiennent que le fait même que certaines sociétés iraniennes aient comparu dans des procédures judiciaires et participé à celles-ci démontre que leur statut juridique a été reconnu.
131. Selon les Etats-Unis, la Cour a observé en l’affaire relative à la Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (nouvelle requête : 1962) (Belgique c. Espagne) et dans des arrêts ultérieurs que, en droit interne, le privilège de la forme sociale n’était pas considéré comme absolu et qu’il pouvait en être fait abstraction dans des cas exceptionnels. Le défendeur allègue que sa décision de permettre à des victimes d’actes de terrorisme d’obtenir une indemnisation en engageant des procédures d’exécution contre des organismes et agences appartenant à l’Etat iranien constitue l’un de ces cas.
132. Pour ce qui est du paragraphe 1 de l’article IV, les Etats-Unis affirment que l’expression «traitement juste et équitable» reflète l’un des éléments constitutifs du standard minimum de traitement des étrangers prévu par le droit coutumier, tel qu’on l’entendait au moment de la conclusion du traité d’amitié, à savoir la protection contre un déni de justice. Ils estiment que les deuxième et troisième clauses, qui portent respectivement sur les «mesure[s] déraisonnable[s] ou discriminatoire[s]» et les «voies … efficaces», ne créent pas des obligations indépendantes, mais éclairent l’interprétation du standard de traitement juste et équitable.
133. Les Etats-Unis soutiennent que, pour qu’un déni de justice soit établi, le comportement relatif à l’administration de la justice doit être notoirement injuste ou grave. Ils allèguent que, en la présente espèce, il n’est pas satisfait au critère susmentionné parce que les sociétés iraniennes ont pu participer aux mêmes procédures judiciaires que d’autres justiciables aux Etats-Unis et que leurs tribunaux nationaux ont veillé à protéger les droits des sociétés même lorsque l’Iran ou des entités iraniennes avaient décidé de ne pas prendre part aux procédures. Le défendeur fait en outre valoir qu’il n’y a pas eu déni de justice car «il était à la fois raisonnable et justifié» de lever le voile social et de permettre aux victimes bénéficiaires de jugements condamnant l’Iran du chef de terrorisme de saisir les actifs des organismes et agences de cet Etat.
134. Les Etats-Unis estiment que, même à l’aune des critères que propose l’Iran, ils n’ont pas violé le paragraphe 1 de l’article IV du traité. Ils affirment que les mesures contestées s’inscrivent dans une politique rationnelle visant à répondre au soutien persistant apporté à des actes de terrorisme et à garantir l’exécution de jugements valablement rendus contre l’Iran. Selon eux, ces mesures présentaient un lien raisonnable avec cette politique, puisqu’elles n’autorisaient que la saisie d’actifs détenus entièrement ou majoritairement par l’Iran ou ses organismes et agences, et non par des sociétés privées. Les Etats-Unis soulignent qu’il n’est pas fait mention de la proportionnalité au paragraphe 1 de l’article IV, mais allèguent que les mesures étaient, en tout état de cause, proportionnelles. Ils font en outre valoir qu’il n’y a pas eu absence de procédure régulière, les mesures en cause n’ayant pas empêché les sociétés iraniennes d’interroger des témoins, de produire des éléments de preuve, de désigner des conseils ou d’engager des procédures d’appel. Ils avancent également que, en droit international coutumier, il n’existe pas de doctrine des attentes légitimes, et que l’Iran n’a de toute façon pas démontré qu’une quelconque société aurait eu des attentes
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pertinentes ou que les Etats-Unis auraient exprimé des positions particulières. Le défendeur ajoute qu’il n’y a pas eu discrimination, les mesures étant applicables à tous les Etats désignés comme des Etats soutenant le terrorisme et ne se limitant pas à l’Iran. Les Etats-Unis affirment que les demandes de l’Iran relatives au défaut d’assurer des voies d’exécution efficaces à des droits contractuels devraient être rejetées parce que les mesures n’ont permis que la saisie du produit de certains contrats et l’application de mesures d’exécution à l’égard de celui-ci, et qu’elles n’ont pas eu d’incidence sur les droits contractuels eux-mêmes ou sur la capacité des sociétés de les faire appliquer devant les tribunaux.
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135. La Cour commencera par examiner la portée de l’obligation créée par la première phrase du paragraphe 1 de l’article III du traité, qui se lit comme suit : «Le statut juridique des sociétés constituées sous le régime des lois et règlements de l’une des Hautes Parties contractantes applicables en la matière sera reconnu dans les territoires de l’autre Haute Partie contractante.» Le désaccord entre les Parties porte sur le sens de l’expression «le statut juridique … sera reconnu». Selon l’Iran, cette expression emporte l’obligation de donner effet au statut juridique des sociétés, tel qu’il a été déterminé par l’Etat dans lequel elles ont été créées, y compris à leur personnalité juridique distincte. Selon les Etats-Unis, cette expression fait référence à la reconnaissance de l’existence juridique d’une société, et non de sa personnalité juridique distincte.
136. La Cour rappelle que, dans son arrêt de 2019, elle s’est penchée sur la définition du terme «société», tel qu’il figure dans la troisième phrase du paragraphe 1 de l’article III du traité. Sur le fondement de cette définition, elle a estimé que le point suivant n’était pas douteux :
«Une entité ne peut être qualifiée de «société» au sens du traité que si elle possède une personnalité juridique propre que lui confère le droit de l’Etat où elle a été créée, lequel détermine son statut juridique. A cet égard, le paragraphe 1 de l’article III précise à son début que «[l]e statut juridique des sociétés constituées sous le régime des lois et règlements de l’une des Hautes Parties contractantes applicables en la matière sera reconnu dans les territoires de l’autre Haute Partie contractante».» (Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 37, par. 87.)
En conséquence, la Cour estime que l’expression «statut juridique» fait référence à la personnalité juridique propre des sociétés. La reconnaissance de la personnalité juridique propre d’une société suppose l’existence juridique de cette société en tant qu’entité distincte d’autres personnes physiques ou morales, dont les Etats.
137. Il ne s’ensuit pas, toutefois, que la situation juridique d’une telle entité sera toujours la même que dans l’Etat dans lequel cette dernière a été constituée. En l’affaire relative à la Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (nouvelle requête : 1962) (Belgique c. Espagne), la Cour a observé que le droit international reconnaissait la société comme une institution créée par les Etats et relevant de leur compétence nationale, et expliqué que la situation juridique de pareilles entités était déterminée par le droit interne, qui leur conférait des droits et des obligations qui leur étaient propres (deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 33-34, par. 38-41). La Cour a en outre affirmé que «l’existence indépendante de la personnalité morale ne saurait être considérée comme un absolu» et observé que l’on avait estimé justifié de faire abstraction de la personnalité juridique dans certaines circonstances exceptionnelles (ibid., p. 38-39, par. 56-58).
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138. En la présente espèce, il n’est pas contesté que les sociétés qui auraient été touchées par les mesures des Etats-Unis ont été constituées sous le régime du droit iranien en tant que personnes morales distinctes dotées d’une personnalité juridique propre. Les Parties sont en désaccord sur les points de savoir si les Etats-Unis ont fait abstraction de la personnalité juridique des sociétés par leurs mesures législatives, administratives et judiciaires, et si cela était justifié. De l’avis de la Cour, le fait que les sociétés aient comparu dans des procédures judiciaires nationales et participé à celles-ci n’indique pas nécessairement qu’il a été satisfait à l’obligation, imposée par le paragraphe 1 de l’article III, de reconnaître le statut juridique des sociétés de l’autre Partie contractante. La Cour examinera toutes les mesures en cause afin de déterminer si les Etats-Unis ont écarté la personnalité juridique des sociétés iraniennes et, dans l’affirmative, si cela était justifié.
La Cour traitera ces questions dans le cadre de son examen des demandes formulées par l’Iran au titre du paragraphe 1 de l’article IV du traité d’amitié.
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139. En ce qui concerne le paragraphe 1 de l’article IV, la Cour rappelle que cette disposition, dans son ensemble, «vise la manière dont les personnes physiques et morales en cause doivent, dans l’exercice de leurs activités privées ou professionnelles, être traitées par 1’Etat concerné» (Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 816, par. 36).
140. Le paragraphe 1 de l’article IV se compose de trois clauses, séparées par un point-virgule, qui contiennent chacune un verbe au futur valant impératif (voir le paragraphe 123 ci-dessus). Si on l’interprète de bonne foi, conformément au sens ordinaire à attribuer à ses termes dans leur contexte, il apparaît clairement que cette disposition comprend trois obligations distinctes. L’interprétation proposée par les Etats-Unis selon laquelle les deuxième et troisième clauses du paragraphe 1 de l’article IV ne créent pas d’obligations indépendantes ne trouve aucun fondement dans le libellé du traité.
141. Le paragraphe 1 de l’article IV ne mentionne nullement le «standard minimum de traitement du droit coutumier», pas plus qu’il n’emploie d’autres formulations parfois associées à ce standard, telles que «normes fixées par le droit international». Point n’est donc besoin d’examiner la teneur du standard minimum de traitement du droit coutumier. La Cour s’attachera au paragraphe 1 de l’article IV du traité et l’appliquera à la présente espèce.
142. La première clause du paragraphe 1 de l’article IV dispose que «[c]hacune des Hautes Parties contractantes accordera en tout temps un traitement juste et équitable aux ressortissants et aux sociétés de l’autre Haute Partie contractante, ainsi qu’à leurs biens et à leurs entreprises». Les Parties conviennent que l’obligation d’accorder un «traitement juste et équitable» inclut une protection contre le déni de justice. L’Iran allègue que pareil déni est constitué s’il y a entrave à l’accès aux tribunaux ou manquement à l’obligation de fournir les garanties généralement considérées comme indispensables à la bonne administration de la justice. Il soutient que les actes administratifs, législatifs et judiciaires en cause ont entraîné un déni de justice. Les Etats-Unis, pour leur part, affirment que le niveau de preuve en matière de déni de justice est élevé, puisqu’il convient de démontrer l’existence d’une violation notoirement injuste ou grave dans l’administration de la justice, qui soit contraire à la bonne règle judiciaire. Du point de vue du défendeur, les mesures en question n’ont rien d’injuste ou de grave.
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143. Dans la présente affaire, les droits des sociétés iraniennes de comparaître devant les tribunaux américains, d’avancer des arguments juridiques et de former des appels n’ont pas été entravés. La promulgation de dispositions législatives supprimant certains moyens de défense fondés sur la personnalité juridique distincte et leur application par les tribunaux ne constituent pas en elles-mêmes un grave manquement dans l’administration de la justice qui équivaille à un déni de justice.
144. La deuxième clause du paragraphe 1 de l’article IV dispose que «[c]hacune des Hautes Parties contractantes … ne prendra aucune mesure déraisonnable ou discriminatoire pouvant porter atteinte [aux] droits ou [aux] intérêts légalement acquis [des ressortissants et des sociétés de l’autre Haute Partie contractante]». Bien que les deux premières clauses de ce paragraphe fixent deux obligations distinctes, il existe un chevauchement entre la protection contre les «mesure[s] déraisonnable[s] ou discriminatoire[s]» mentionnée dans la deuxième clause et le standard plus large de «traitement juste et équitable» prévu dans la première, ledit traitement pouvant englober une protection contre pareilles mesures.
145. La Cour relève que la deuxième clause emploie une conjonction disjonctive «ou», et non conjonctive «et», pour prescrire une protection contre les «mesure[s] déraisonnable[s] ou discriminatoire[s]». En l’affaire de l’Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI) (Etats-Unis d’Amérique c. Italie), la Cour s’est livrée à des examens distincts pour déterminer si les mesures en cause étaient soit «discriminatoires» soit «arbitraires» (voir arrêt, C.I.J. Recueil 1989, p. 72-77, par. 121-130). La Cour considère que les termes «déraisonnable» et «discriminatoire» figurant dans la deuxième clause du paragraphe 1 de l’article IV reflètent deux critères différents à l’aune desquels le comportement d’un Etat peut être apprécié séparément.
146. La Cour commencera par rechercher si les mesures prises par les Etats-Unis et contestées par l’Iran sont «déraisonnables». Dans son sens ordinaire, le mot «déraisonnable» signifie dénué de justification fondée sur des motifs rationnels.
La Cour a expliqué que, pour examiner le «caractère raisonnable» d’une réglementation, une juridiction
«d[eva]it reconnaître que c’est à l’autorité de réglementation … que revient la responsabilité principale d’apprécier la nécessité de réglementer et, en se fondant sur sa connaissance de la situation, de retenir à cette fin la mesure qu’[elle] estime la plus appropriée. Il ne suffit pas, pour contester une réglementation, d’affirmer en termes généraux qu’elle est déraisonnable ; pour qu’une juridiction fasse droit à une telle contestation, des faits concrets et spécifiques doivent lui être présentés.» (Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 253, par. 101.)
En effet, ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend nécessairement des circonstances (voir Interprétation de l’accord du 25 mars 1951 entre l’OMS et l’Egypte, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1980, p. 96, par. 49 ; Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1982, p. 60, par. 72).
147. De l’avis de la Cour, une mesure est déraisonnable au sens du traité d’amitié si elle ne satisfait pas à certaines conditions.
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Tout d’abord, une mesure est déraisonnable si elle ne vise pas un but d’utilité publique légitime. En la présente espèce, les Etats-Unis affirment que les dispositions législatives contestées par l’Iran, ainsi que les décisions de justice qui ont fait application de ces dispositions, avaient pour but de fournir une indemnisation à des victimes d’«actes de terrorisme» dont l’Iran avait été jugé responsable par des tribunaux américains. En règle générale, le fait d’assurer des voies d’exécution efficaces à des plaignants qui se sont vu accorder des dommages-intérêts peut constituer un but d’utilité publique légitime.
148. Ensuite, une mesure est déraisonnable s’il n’existe pas de lien adéquat entre le but poursuivi et la mesure adoptée. Les mesures de saisie et d’exécution prises à l’égard des actifs d’un défendeur qui a été jugé responsable par des tribunaux nationaux peuvent en règle générale être considérées comme présentant un lien adéquat avec le but consistant à fournir une indemnisation à des plaignants.
149. Enfin, une mesure est déraisonnable si son incidence négative est manifestement excessive par rapport au but poursuivi. En l’affaire du Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), la Cour a recherché si le Nicaragua avait le pouvoir de réglementer l’exercice par le Costa Rica du droit de libre navigation qu’il tenait du traité de limites de 1858. Soulignant que ce pouvoir n’était pas illimité, la Cour a défini le mot «déraisonnable» comme suit :
«[Une mesure de réglementation] ne doit pas être déraisonnable, ce qui signifie que son incidence négative sur l’exercice du droit en question ne doit pas être manifestement excessive par rapport au bénéfice qu’elle présente pour atteindre le but recherché.» (Arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 249-250, par. 87.)
150. En la présente espèce, le paragraphe a) de l’article 201 de la TRIA fait référence aux «actifs bloqués de … tout organisme ou agence» (les italiques sont de la Cour). L’alinéa 1 du paragraphe g) de l’article 1610 de la FSIA mentionne les «biens … des organismes et agences», incluant expressément les «biens constituant une entité juridique distincte ou une participation détenue directement ou indirectement dans une telle entité» (les italiques sont de la Cour). Les deux dispositions emploient des termes très larges, qui sont susceptibles d’englober toute personne morale, indépendamment du type ou du degré de contrôle que l’Iran exerce sur elle. Qui plus est, en supprimant l’exigence que les actifs concernés aient au préalable été «bloqués», l’alinéa 1 du paragraphe g) de l’article 1610 garantit que tous les actifs de ces personnes morales peuvent faire l’objet de mesures de saisie et d’exécution. Ces mesures législatives ont donc clairement écarté, à dessein, la personnalité juridique propre des sociétés iraniennes, de sorte qu’il peut être porté atteinte aux droits et intérêts légalement acquis par ces dernières, à savoir ceux qui se rapportent à leur droit de propriété sur les actifs saisissables à des fins d’exécution, ou à leur participation dans ces actifs.
151. Le paragraphe a) de l’article 201 de la TRIA et l’alinéa 1 du paragraphe g) de l’article 1610 de la FSIA ont été appliqués par des tribunaux américains dans plusieurs procédures d’exécution concernant des sociétés iraniennes.
Dans les affaires Weinstein et Bennett (voir le paragraphe 70 ci-dessus), la seule société en cause était la banque Melli.
152. Pour ce qui est de l’affaire Levin (Levin et al. v. Bank of New York et al., tribunal fédéral du district sud de l’Etat de New York, affaire no 09-cv-5900, introduite le 26 juin 2009), les Etats-Unis,
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s’ils n’ont pas contesté que des sociétés iraniennes avaient pu participer aux procédures d’exécution, ont néanmoins relevé que l’Iran ne les avait pas nommément désignées. Il est vrai que certaines décisions de justice et autres documents judiciaires portés à l’attention de la Cour par les deux Parties ont été expurgés ou ne mentionnent par ailleurs aucune société iranienne, mais les éléments versés au dossier montrent que les procédures d’exécution en l’affaire Levin portaient sur des actifs qui étaient détenus par la banque Melli, la banque Saderat et la National Iranian Oil Company ou dans lesquels ces entités avaient une participation.
153. Les affaires Heiser concernaient la Telecommunication Infrastructure Company, l’Iranohind Shipping Company, l’Export Development Bank of Iran, la banque Saderat, la Behran Oil Company, l’Iran Marine Industrial Company, la Sediran Drilling Company, Iran Air et la banque Melli, entités qui ont toutes été touchées par une ou plusieurs décisions (Estate of Michael Heiser v. Islamic Republic of Iran, tribunal fédéral du district de Columbia, Memorandum Opinion du 10 août 2011, Federal Supplement, deuxième série, vol. 807, p. 9 ; Estate of Michael Heiser et al. v. The Bank of Tokyo Mitsubishi UFJ, New York Branch, tribunal fédéral du district sud de l’Etat de New York, Memorandum and Order du 29 janvier 2013, Federal Supplement, deuxième série, vol. 919, p. 411 ; Estate of Michael Heiser v. Bank of Baroda, New York Branch, tribunal fédéral du district sud de l’Etat de New York, affaire no 11-cv-1602, ordonnance du 19 février 2013.
154. L’Iran a soutenu que trois autres entités, IRISL Benelux NV, Bank Sepah International PLC et Bank Melli PLC U.K., avaient également été touchées par des procédures d’exécution dans les affaires Heiser. La Cour fait toutefois observer que IRISL Benelux NV a été constituée sous le régime du droit belge, tandis que Bank Melli PLC U.K. et Bank Sepah International PLC l’ont été sous celui du droit britannique. En conséquence, ces trois entités ne sont pas des sociétés constituées sous le régime des lois de l’une ou l’autre des Hautes Parties contractantes applicables en la matière, comme l’exige le paragraphe 1 de l’article III du traité d’amitié. La Cour n’examinera donc pas les demandes de l’Iran en ce qu’elles se rapportent à ces trois entités.
155. En l’affaire relative à la Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (nouvelle requête : 1962) (Belgique c. Espagne), la Cour a relevé que «l’on a[vait] estimé justifié et équitable de «lever le voile social» ou de «faire abstraction de la personnalité juridique» dans certaines circonstances ou à certaines fins» (deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 39, par. 56). Cependant, dans les circonstances de la présente espèce, la personnalité juridique propre aux sociétés iraniennes a été écartée dans les conditions décrites plus haut (voir le paragraphe 150), en relation avec des jugements en matière de responsabilité rendus dans des affaires auxquelles ces sociétés n’ont pas pu participer et avec des faits dans lesquels elles ne semblent pas avoir été impliquées. La Cour considère qu’il n’est pas justifié de faire abstraction de la personnalité juridique dans de telles circonstances.
156. A la lumière de ce qui précède, la Cour estime que, même à supposer qu’elles aient visé un but d’utilité publique légitime, les dispositions législatives adoptées par les Etats-Unis et leur application par les tribunaux américains ont porté atteinte aux droits des sociétés iraniennes de façon manifestement excessive par rapport au bénéfice qu’elles présentaient pour atteindre le but recherché. La Cour en conclut que les mesures législatives et judiciaires étaient déraisonnables, ce qui emporte violation de l’obligation découlant du paragraphe 1 de l’article IV du traité d’amitié.
157. S’agissant du décret présidentiel no 13599, la Cour rappelle que cette mesure administrative a bloqué tous les biens et participations dans des biens de l’Iran et des institutions financières iraniennes entrant dans son champ d’application (voir le paragraphe 114 ci-dessus).
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La mesure en question a été adoptée en 2012, soit plusieurs années après que l’alinéa 1 du paragraphe g) de l’article 1610 de la FSIA eut supprimé l’exigence selon laquelle les actifs devaient déjà être bloqués pour pouvoir faire l’objet de mesures de saisie et d’exécution. Il apparaît donc que le décret présidentiel no 13599 n’a pas été pris aux fins de fournir une indemnisation aux plaignants ayant obtenu gain de cause dans les procédures en responsabilité qu’ils avaient engagées contre l’Iran. De fait, les Etats-Unis affirment que ce décret a été adopté en réponse au «soutien persistant» apporté par l’Iran «à des actes de terrorisme». Etant donné qu’il englobe «[t]ous les biens et participations dans des biens des institutions financières iraniennes», le décret présidentiel no 13599 est manifestement excessif au regard du but poursuivi. La Cour en conclut que ce décret est aussi une mesure déraisonnable, ce qui emporte violation de l’obligation découlant du paragraphe 1 de l’article IV.
158. Comme cela a été précisé plus haut (voir le paragraphe 145), la deuxième clause du paragraphe 1 de l’article IV du traité d’amitié emploie la conjonction disjonctive «ou» pour assurer une protection contre les mesures «déraisonnables» ou «discriminatoires». En conséquence, une mesure emportera manquement à l’obligation prévue par la deuxième clause si elle n’est pas conforme à l’un ou à l’autre de ces critères. La Cour ayant conclu que les mesures législatives et judiciaires adoptées par les Etats-Unis sont «déraisonnables», point n’est besoin de rechercher séparément si elles sont «discriminatoires». Il n’y a pas lieu non plus d’examiner les autres motifs sur lesquels l’Iran s’est fondé pour invoquer des manquements des Etats-Unis au paragraphe 1 de l’article IV.
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159. Ayant établi que les mesures prises par les Etats-Unis étaient déraisonnables (voir les paragraphes 156-157), la Cour conclut que le défendeur a manqué à l’obligation mise à sa charge par le paragraphe 1 de l’article IV du traité d’amitié.
En parvenant à cette conclusion, elle a déterminé que lesdites mesures méconnaissaient la personnalité juridique propre des sociétés iraniennes, et que cela n’était pas justifié. Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour conclut également que les Etats-Unis ont manqué à l’obligation de reconnaître le statut juridique des sociétés iraniennes que leur impose le paragraphe 1 de l’article III.
B. Violations alléguées du paragraphe 2 de l’article III
160. Le paragraphe 2 de l’article III du traité d’amitié est ainsi libellé :
«En vue d’assurer une administration rapide et impartiale de la justice, chacune des Hautes Parties contractantes accordera, dans ses territoires, aux ressortissants et aux sociétés de l’autre Haute Partie contractante, libre accès aux tribunaux judiciaires et aux organismes administratifs, à tous les degrés de la juridiction, tant pour faire valoir que pour défendre leurs droits. En toute circonstance, elle leur assurera cet accès dans des conditions non moins favorables que celles qui sont applicables à ses propres ressortissants et sociétés ou à ceux de tout pays tiers. Il est entendu que la même latitude sera donnée aux sociétés n’exerçant aucune activité dans le pays, sans qu’elles aient à se faire immatriculer ou à accomplir des formalités ayant pour objet de les assimiler aux sociétés nationales.» [Traduction du Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies.]
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161. L’Iran affirme que le paragraphe 2 de l’article III fait obligation à chacune des Parties contractantes d’accorder aux ressortissants et aux sociétés de l’autre Partie contractante un accès «réel» aux tribunaux pour leur permettre de défendre dûment leurs droits. Il souligne qu’il convient de donner plein effet à l’expression «[e]n vue d’assurer une administration rapide et impartiale de la justice» et rappelle que la disposition en cause s’inscrit dans le cadre de l’obligation de reconnaître le statut juridique des sociétés qui est énoncée au paragraphe 1 de l’article III. Le demandeur soutient que, par conséquent, les sociétés n’ont pas libre accès aux tribunaux au sens du paragraphe 2 lorsqu’elles ne sont pas reconnues comme des entités juridiques distinctes. Selon lui, la Cour n’a pas tranché cette question dans son arrêt de 2019, son raisonnement relatif au paragraphe 2 de l’article III ayant porté essentiellement sur la question des immunités souveraines.
162. L’Iran affirme que les mesures prises par les Etats-Unis ont privé les sociétés iraniennes de toute possibilité d’avoir un accès réel aux tribunaux américains, en supprimant le droit de ces sociétés à la reconnaissance de leur statut juridique distinct et en engageant leur responsabilité dans l’exécution de décisions de justice rendues contre lui dans des procédures auxquelles elles n’étaient pas parties. Selon le demandeur, il ne pouvait pas y avoir d’accès réel dès lors que l’issue des actions en exécution de décisions de justice avait été déterminée d’avance par la loi. L’Iran soutient que, de fait, les sociétés iraniennes reçoivent un traitement moins favorable que celui qui est appliqué aux sociétés de tout pays tiers.
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163. Les Etats-Unis, pour leur part, font valoir que le paragraphe 2 de l’article III confère simplement aux sociétés le droit d’accéder aux tribunaux pour faire valoir d’autres droits qu’elles prétendraient posséder et ne garantit en soi aucun droit, procédural ou substantiel. Selon eux, la Cour a tranché cette question d’interprétation dans son arrêt de 2019. Le défendeur rejette l’effet que l’Iran attribue à l’expression «[e]n vue d’assurer une administration rapide et impartiale de la justice».
164. Les Etats-Unis soulignent qu’il a toujours été permis aux sociétés iraniennes de comparaître devant les juridictions américaines pour présenter l’ensemble de leurs arguments. Selon eux, la participation active de certaines sociétés iraniennes à des procédures judiciaires dans lesquelles elles étaient représentées par des conseils et ont présenté des moyens de droit est un motif suffisant pour rejeter les demandes de l’Iran fondées sur la disposition à l’examen.
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165. Dans son arrêt de 2019, la Cour a mentionné le paragraphe 2 de l’article III du traité d’amitié en ces termes :
«La disposition en cause ne vise pas à garantir des droits substantiels, ni même des droits procéduraux qu’une société d’une partie contractante entendrait faire valoir devant les tribunaux et autorités de l’autre partie, mais seulement à protéger la possibilité pour une telle société d’accéder à ces tribunaux ou autorités en vue de faire valoir les droits (substantiels ou procéduraux) qu’elle prétend posséder. Le libellé du
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paragraphe 2 de l’article III n’oriente pas vers l’interprétation extensive suggérée par l’Iran. Les droits qui y sont garantis le sont «[e]n vue d’assurer une administration rapide et impartiale de la justice». L’accès aux tribunaux d’une partie contractante doit être assuré «dans des conditions non moins favorables» que celles qui sont applicables aux ressortissants et sociétés de cette partie elle-même, «ou à ceux de tout pays tiers».» (Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 32, par. 70.)
166. La Cour s’est exprimée ainsi dans le cadre de son examen des arguments invoqués par l’Iran sur la question des immunités souveraines. Cependant, la portée de cette appréciation du paragraphe 2 de l’article III est plus large. Il existe une nette différence entre le libre accès aux tribunaux en vue de faire valoir des droits et le contenu des droits substantiels ou procéduraux susceptibles d’être invoqués devant les tribunaux. Ainsi que cela ressort du passage précité, la Cour a déjà examiné l’expression «[e]n vue d’assurer une administration rapide et impartiale de la justice» en interprétant le paragraphe 2 de l’article III. Selon elle, cette expression exprime le but dans lequel les parties au traité ont reconnu à leurs sociétés et ressortissants respectifs le droit d’avoir libre accès aux tribunaux judiciaires et aux organismes administratifs. Elle ne garantit en soi aucun droit procédural ou substantiel ni n’élargit de quelque manière le «libre accès» établi au paragraphe 2 de l’article III.
167. La Cour a relevé plus haut (voir le paragraphe 143) que, au vu des circonstances de la présente espèce, les droits des sociétés iraniennes de comparaître devant les juridictions américaines, de présenter des moyens de droit et de former des recours n’avaient fait l’objet d’aucune restriction. Les demandes formulées par l’Iran au titre du paragraphe 2 de l’article III ont trait aux droits que les sociétés iraniennes ont fait valoir devant les juridictions américaines et aux chances de succès qui s’offraient à ces sociétés. L’application de lois défavorables aux sociétés iraniennes par les juridictions américaines et le fait que les moyens tirés du traité d’amitié par ces sociétés n’aient pas prospéré sont des questions liées aux droits substantiels de celles-ci. Ces questions ne remettent pas en cause le «libre accès» aux tribunaux dont bénéficiaient les sociétés en question ni l’objectif d’assurer «une administration rapide et impartiale de la justice» au sens du paragraphe 2 de l’article III du traité d’amitié.
168. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que l’Iran n’a pas établi que les Etats-Unis avaient manqué aux obligations que leur impose le paragraphe 2 de l’article III du traité d’amitié.
C. Violations alléguées du paragraphe 2 de l’article IV
169. Le paragraphe 2 de l’article IV du traité d’amitié se lit comme suit :
«La protection et la sécurité des biens appartenant aux ressortissants et aux sociétés de l’une des Hautes Parties contractantes, y compris les participations dans des biens, seront assurées de la manière la plus constante dans les territoires de l’autre Haute Partie contractante, et ne seront inférieures en aucun cas aux normes fixées par le droit international. Lesdits biens ne pourront être expropriés que pour cause d’utilité publique et moyennant le paiement rapide d’une juste indemnité. Cette indemnité devra être fournie sous une forme aisément convertible en espèces et correspondre à la valeur intégrale des biens expropriés. Des dispositions adéquates devront être prises, au moment de la dépossession ou avant cette date, en vue de la fixation et du règlement de l’indemnité.» [Traduction du Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies.]
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170. L’Iran relève que les mesures adoptées par les Etats-Unis ont abouti au blocage, à la saisie ou à l’aliénation de biens appartenant à des sociétés iraniennes. Il soutient que, dans chaque cas, ces biens ont été expropriés sans indemnisation et remis à des demandeurs bénéficiaires de jugements en responsabilité rendus par défaut contre lui, ce qui constitue une expropriation illicite et un manquement à l’obligation d’assurer la protection et la sécurité des biens de la manière la plus constante, en violation du paragraphe 2 de l’article IV du traité d’amitié. Le demandeur souligne que les deux branches du paragraphe 2 de l’article IV s’appliquent aux biens et aux «participations dans des biens», celles-ci incluant les participations incorporelles.
171. S’agissant de l’obligation d’assurer la protection et la sécurité de la manière la plus constante, l’Iran affirme que les Etats-Unis l’ont violée par le même comportement qui caractérise leur manquement à l’obligation d’accorder un traitement juste et équitable énoncée au paragraphe 1 de l’article IV. Selon lui, le standard de la protection et de la sécurité les plus constantes garantit aux biens et aux participations dans des biens un haut niveau de protection à la fois physique et juridique. Le demandeur considère donc que les Etats-Unis ont manqué à l’obligation en cause en supprimant les moyens de défense généralement applicables que les sociétés iraniennes auraient pu invoquer et en tenant celles-ci pour responsables de ses actes prétendument illicites dans le cadre de procédures auxquelles elles n’étaient pas partie.
172. Pour ce qui est de la seconde branche du paragraphe 2 de l’article IV, l’Iran fait valoir que l’interdiction frappant les expropriations, à l’exception de celles qui sont faites pour cause d’utilité publique et moyennant le paiement d’une juste indemnité, s’applique à tous les organes de l’Etat. Il soutient que les Etats-Unis ont violé cette disposition par des décisions de justice donnant effet à des actes législatifs et administratifs qui constituaient eux-mêmes des actes d’expropriation par nature. Selon lui, le but et l’effet des mesures en cause, telles qu’elles ont été appliquées par les tribunaux, étaient de saisir les biens et de les remettre aux demandeurs dans les procédures engagées contre lui. Ainsi, les effets conjugués de la série d’actes législatifs, administratifs et judiciaires dont il tire grief étaient assimilables à une expropriation. Le demandeur affirme qu’il n’est pas nécessaire d’établir l’existence d’un élément d’illicéité supplémentaire lié aux décisions de justice considérées. Il ajoute que les Etats-Unis ont également violé le paragraphe 2 de l’article IV par l’expropriation indirecte de biens appartenant à des sociétés iraniennes, en ce qu’ils avaient initialement procédé au «blocage» des actifs de celles-ci en application du décret présidentiel no 13599 qui les a totalement privées de l’usage économique et de la jouissance de leurs biens, comme si les droits qui y étaient attachés avaient cessé d’exister.
173. En réponse au moyen tiré par les Etats-Unis de la doctrine des pouvoirs de police, l’Iran relève que cette doctrine n’est mentionnée ni dans le texte du paragraphe 2 de l’article IV ni dans l’historique des négociations du traité. Il fait valoir que, en tout état de cause, les mesures américaines contestées ne constituent pas une réglementation adoptée de bonne foi et de manière non discriminatoire en vue d’assurer le bien-être général. Selon lui, l’exercice des pouvoirs de police n’est valide que si les réglementations qui en résultent ne sont ni arbitraires ni déraisonnables. L’Iran estime que la doctrine des pouvoirs de police nécessite d’apprécier la proportionnalité des mesures en cause.
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174. Les Etats-Unis, quant à eux, font valoir que l’obligation d’assurer la protection et la sécurité de la manière la plus constante se limite à la protection contre les dommages physiques et concerne le respect du niveau de protection contre les dommages physiques aux personnes ou aux biens qui est requis en droit international coutumier. Ils relèvent que l’Iran n’allègue nullement en l’espèce que les biens des sociétés iraniennes ont subi des atteintes ou d’autres formes de dommages physiques et soutiennent, par voie de conséquence, que les mesures contestées ne constituent en rien des manquements à l’obligation considérée. A titre subsidiaire, les Etats-Unis affirment que, à supposer même que la Cour convienne que la disposition en cause exige d’aller au-delà de la protection de la sécurité physique, les sources citées par l’Iran ne confirment pas la validité du standard de sécurité juridique que celui-ci propose, qui interdirait toute mesure administrative ou législative spécialement conçue pour supprimer des protections d’ordre juridique. En tout état de cause, ils estiment que l’Iran n’a pas établi qu’ils avaient violé la disposition en cause.
175. En ce qui concerne les arguments de l’Iran relatifs aux expropriations, les Etats-Unis soutiennent que les décisions rendues par des tribunaux nationaux agissant en tant qu’arbitres neutres et indépendants des droits ne sauraient donner lieu à des allégations d’expropriation. Selon eux, à supposer même qu’il soit possible de conclure qu’une décision de justice donnée est constitutive d’expropriation, il faudrait pour ce faire avoir constaté la présence d’un élément d’illicéité supplémentaire soit dans le comportement du tribunal qui a rendu la décision, soit dans la suite d’événements ayant abouti à cette décision. Le défendeur fait en outre valoir que les actes législatifs et administratifs en cause ne privent pas, à eux seuls, les sociétés ou les ressortissants iraniens de leurs biens. Selon lui, ils se bornent à créer les conditions requises pour que ces biens puissent, le cas échéant, faire l’objet d’actions en exécution ou sont, comme dans le cas du décret présidentiel no 13599, des mesures temporaires qui ne modifient pas la propriété des actifs bloqués.
176. Les Etats-Unis avancent également que les mesures qu’ils ont adoptées ne constituent pas des actes d’expropriation en ce sens qu’il s’agit de mesures non discriminatoires prises de bonne foi dans l’exercice de leurs pouvoirs de police, qui n’ouvrent pas droit à indemnisation. Ils contestent que la doctrine des pouvoirs de police prévoie l’appréciation de la proportionnalité des mesures adoptées.
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177. Les Parties s’accordent à dire que le paragraphe 2 de l’article IV comprend deux règles distinctes. La première règle est inscrite dans sa première phrase, qui énonce l’obligation faite à chacune des Parties contractantes d’assurer de la manière la plus constante la protection et la sécurité des biens et des participations dans des biens appartenant aux ressortissants et aux sociétés de l’autre Partie contractante. La seconde règle est énoncée dans les deuxième et troisième phrases du paragraphe. La deuxième phrase interdit l’expropriation de tels biens et participations dans des biens, hormis pour cause d’utilité publique et moyennant le paiement rapide d’une juste indemnité. En anglais, les Parties ont employé indifféremment les termes «taking» et «expropriation» («dépossession» et «expropriation»). La troisième phrase définit certaines modalités d’application relatives au versement de l’indemnité.
La Cour commencera par examiner les demandes de l’Iran tirées de la seconde règle, qui porte sur les expropriations.
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178. Les Parties ne contestent pas que, en application du paragraphe a) de l’article 201 de la TRIA ou de l’alinéa 1 du paragraphe g) de l’article 1610 de la FSIA, des juridictions américaines ont ordonné que des biens et participations dans des biens appartenant à des sociétés iraniennes fassent l’objet de mesures de saisie et d’exécution. Il n’est pas non plus litigieux que ces actifs ont été remis ou distribués à des demandeurs ayant obtenu gain de cause dans des affaires portées devant les juridictions américaines en lesquelles la responsabilité de l’Iran avait été retenue, ni que les sociétés iraniennes concernées n’ont reçu aucune indemnité.
179. L’Iran a énuméré les biens et participations dans des biens qui avaient été touchés dans le cadre de plusieurs actions en exécution intentées devant les juridictions américaines. Les Etats-Unis n’ont pas contesté cette énumération.
180. La Cour examinera les demandes de l’Iran relatives aux actifs cités ci-après, dans la mesure où des sociétés iraniennes en étaient propriétaires ou y détenaient des intérêts (voir les paragraphes 151-153 ci-dessus) : en ce qui concerne la procédure d’exécution en l’affaire Weinstein, un bien immobilier ; en ce qui concerne les actions en exécution intentées dans les affaires Heiser, des fonds liés à une dette contractuelle de la Sprint Communications Company, des fonds placés auprès de Bank of Tokyo Mitsubishi UFJ, le produit de transferts électroniques de fonds placé auprès de Bank of Baroda et des fonds placés auprès de Bank of America ; en ce qui concerne les actions en exécution intentées en l’affaire Levin, des fonds placés auprès de JP Morgan Chase Bank qui étaient liés à des dettes contractuelles de Mastercard International Inc. et le produit de transferts électroniques de fonds placé auprès de JP Morgan Chase Bank ou Citibank.
181. Pour ce qui est de l’affaire Bennett (voir le paragraphe 70 ci-dessus), l’Iran mentionne des fonds liés à des dettes contractuelles de Visa Inc. et Franklin Resources Inc. qui ont été touchés par des actions en exécution. Les Etats-Unis ont entendu écarter cette prétention de l’Iran, au motif que les actifs en cause n’avaient été distribués aux demandeurs qu’après l’extinction du traité d’amitié. Il est vrai que la distribution des actifs dans le cadre de cette affaire n’a été ordonnée qu’en 2020 (Bennett et al. v. The Islamic Republic of Iran et al., tribunal fédéral du district nord de la Californie, affaire no 11-cv-5807, ordonnance du 24 avril 2020), soit après la prise d’effet de la dénonciation du traité d’amitié (voir le paragraphe 32 ci-dessus). Cela ne fait toutefois pas obstacle à ce que la Cour examine les demandes de l’Iran concernant les fonds en cause, lesquels avaient déjà été touchés par des décisions rendues en 2013 (Bennett et al. v. The Islamic Republic of Iran et al., tribunal fédéral du district nord de la Californie, ordonnance du 28 février 2013, Federal Supplement, deuxième série, vol. 927, p. 833) et 2016 (Bennett et al. v. The Islamic Republic of Iran et al., cour d’appel fédérale du neuvième circuit, Opinion and Order du 22 février 2016, Federal Supplement, troisième série, vol. 817, p. 1131, modifications du 14 juin 2016, Federal Supplement, troisième série, vol. 825, p. 949).
182. L’Iran a également évoqué certains fonds placés auprès de Mashreqbank, PSC, qui ont été touchés par des actions en exécution dans l’une des affaires Heiser (Estate of Michael Heiser et al. v. Mashreqbank, tribunal fédéral du district sud de l’Etat de New York, affaire no 11-cv-1609, ordonnance du 4 mai 2012). Il n’a cependant pas établi que des sociétés iraniennes étaient propriétaires de ces actifs ou y détenaient des intérêts. En conséquence, la Cour ne tiendra pas compte de la demande y afférente.
183. La Cour doit déterminer si les mesures de saisie et d’exécution dont les biens et les participations dans des biens cités ci-dessus (voir les paragraphes 180-181) ont fait l’objet constituent des expropriations prohibées par le paragraphe 2 de l’article IV du traité.
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184. La Cour estime que des décisions de justice ordonnant que des biens ou des participations dans des biens fassent l’objet de saisies et de mesures d’exécution ne constituent pas par elles-mêmes des actes de dépossession ou d’expropriation. Elles ne peuvent devenir des actes d’expropriation ouvrant droit à indemnisation que si elles sont entachées d’un élément d’illicéité spécifique. Un tel élément est présent, dans certains cas, lorsqu’une dépossession de biens résulte d’un déni de justice, ou lorsqu’un organe judiciaire applique des mesures administratives ou législatives contraires au droit international et, ce faisant, entraîne une dépossession de biens. Pour déterminer s’il existe un élément d’illicéité spécifique, il est par conséquent nécessaire d’examiner dans leur ensemble les mesures législatives, administratives et judiciaires prises par les Etats-Unis.
185. La Cour relève que les Parties sont en désaccord sur le point de savoir si la doctrine des «pouvoirs de police» a un quelconque lien avec le paragraphe 2 de l’article IV, celle-ci n’étant pas visée dans le texte des dispositions relatives à l’expropriation. Elle considère que l’interdiction frappant les expropriations qui est énoncée au paragraphe 2 de l’article IV n’entame pas le droit de réglementation dont jouissent les Parties contractantes. Il est reconnu de longue date en droit international que l’exercice par un Etat de certains pouvoirs de réglementation, de bonne foi et de façon non discriminatoire, en vue de protéger un intérêt public légitime n’est pas considéré comme constitutif d’expropriation ni comme ouvrant droit à indemnisation (voir par exemple Bischoff Case, German-Venezuelan Commission, Award, 1903, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales (RSA), vol. X, p. 420 ; Sedco, Inc. and Sediran Drilling Company v. National Iranian Oil Company, and the Islamic Republic of Iran, Interlocutory Award, No. ITL-55-129-3, 17 September 1985, par. 90 ; Saluka Investments B.V. v. Czech Republic, PCA Case No. 2001-4, Partial Award, 17 March 2006, par. 255). Les pouvoirs dont l’Etat dispose à cet égard ne sont cependant pas illimités.
186. La Cour a déjà conclu que, dans les circonstances de la présente espèce, le paragraphe a) de l’article 201 de la TRIA et l’alinéa 1 du paragraphe g) de l’article 1610 de la FSIA, ainsi que leur application par les juridictions américaines, étaient des mesures déraisonnables contraires à l’obligation énoncée au paragraphe 1 de l’article IV du traité d’amitié (voir les paragraphes 155-156 ci-dessus). Le caractère raisonnable ou déraisonnable est l’une des considérations qui limitent l’exercice des pouvoirs de l’Etat en cette matière (voir par exemple Bischoff Case, 1903, RSA, vol. X, p. 420). Il découle du caractère déraisonnable constaté dans les dispositions législatives en cause et qui s’étend à leur mise en application par la voie judiciaire que les mesures adoptées par les Etats-Unis ne constituaient pas un exercice licite de leurs pouvoirs de réglementation et étaient assimilables à une expropriation ouvrant droit à indemnisation.
187. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que l’application du paragraphe a) de l’article 201 de la TRIA et de l’alinéa 1 du paragraphe g) de l’article 1610 de la FSIA par les juridictions américaines constituait un acte d’expropriation sans indemnisation des biens et participations dans des biens de sociétés iraniennes cités ci-dessus (voir les paragraphes 180-181), qui a été accompli en violation des obligations énoncées au paragraphe 2 de l’article IV du traité.
188. Il n’en va pas de même pour le décret présidentiel no 13599. L’Iran n’a pas indiqué quels étaient les biens ou participations dans des biens de sociétés iraniennes qui avaient été spécifiquement touchés par le décret présidentiel no 13599. De fait, il a reconnu que le principal effet que ce dernier avait eu dans le cadre des affaires dont il tire grief en l’espèce était le blocage des actifs de la banque Markazi, qui échappe à la compétence de la Cour (voir le paragraphe 115 ci-dessus). La Cour en conclut que, en ce qui concerne le décret présidentiel no 13599, l’Iran n’a pas étayé ses allégations d’expropriation fondées sur le paragraphe 2 de l’article IV du traité.
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189. La Cour en vient maintenant aux demandes de l’Iran relatives à l’obligation d’assurer la protection et la sécurité de la manière la plus constante en application du paragraphe 2 de l’article IV du traité.
190. Selon la Cour, l’élément essentiel de l’obligation d’assurer la protection et la sécurité de la manière la plus constante prévue par le traité d’amitié réside dans la protection des biens contre les dommages physiques. Chacune des Parties contractantes est tenue de faire preuve de la diligence due pour assurer la protection des biens des ressortissants et des sociétés de l’autre Partie contractante contre les dommages physiques sur son territoire. Dans son arrêt de 2019, la Cour a souligné que le paragraphe 2 de l’article IV «[devait] être replacé[] dans le contexte de l’article IV dans son ensemble» (Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 28, par. 58). Le traité d’amitié prévoit un traitement juste et équitable au paragraphe 1 de l’article IV, puis la protection et la sécurité les plus constantes au paragraphe 2. De même, les traités de commerce et de navigation et les accords internationaux d’investissement prévoient souvent un traitement juste et équitable ainsi que la protection et la sécurité les plus constantes dans des phrases consécutives, voire dans la même phrase. Ces deux standards de protection distincts se recouperont dans une large mesure si l’on interprète celui de la protection et de la sécurité les plus constantes comme incluant la protection juridique. La Cour observe que le standard de la protection et de la sécurité les plus constantes revêt une importance et une pertinence pratiques particulières en ce qu’il garantit la protection des biens contre les dommages physiques susceptibles d’être causés par des tiers. Elle rappelle que, en tout état de cause, «[i]l n’est pas possible de voir dans [ce standard] la garantie qu’un bien ne sera jamais, en quelque circonstance que ce soit, l’objet d’une occupation ou de troubles de jouissance» (Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI) (Etats-Unis d’Amérique c. Italie), arrêt, C.I.J. Recueil 1989, p. 65, par. 108).
191. En la présente espèce, l’Iran n’allègue pas que les Etats-Unis ont omis de protéger les biens de sociétés et de ressortissants iraniens contre des dommages physiques, mais qu’ils ont manqué à l’obligation d’assurer la protection et la sécurité des biens de sociétés iraniennes de la manière la plus constante que leur imposait le paragraphe 2 de l’article IV, car le champ d’application de cette obligation inclut la protection juridique des biens. Ainsi que cela a été relevé ci-dessus, le standard de la protection et de la sécurité les plus constantes et le standard de traitement juste et équitable se recouperont dans une large mesure si le premier est interprété comme incluant la protection juridique. La Cour a déjà conclu que les mesures prises par les Etats-Unis emportaient violation des obligations incombant à ces derniers au regard du paragraphe 1 de l’article IV. Selon elle, les dispositions du paragraphe 2 de l’article IV, en ce qu’elles concernent la protection et la sécurité les plus constantes, n’étaient pas censées s’appliquer à des situations régies par les dispositions du paragraphe 1 de l’article IV. Par conséquent, la Cour conclut que l’Iran n’a pas établi de violation, par les Etats-Unis, des obligations que leur impose le paragraphe 2 de l’article IV, en ce qui concerne la protection et la sécurité les plus constantes.
192. Se fondant sur sa constatation concernant les mesures américaines en cause (voir le paragraphe 187 ci-dessus), la Cour conclut que les Etats-Unis ont manqué aux obligations que leur impose le paragraphe 2 de l’article IV du traité d’amitié en ce qui concerne l’interdiction des expropriations hormis pour cause d’utilité publique et moyennant le paiement rapide d’une juste indemnité.
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D. Violations alléguées du paragraphe 1 de l’article V
193. Le paragraphe 1 de l’article V du traité d’amitié se lit comme suit :
«Les ressortissants et les sociétés de l’une des Hautes Parties contractantes pourront, dans les territoires de l’autre Haute Partie contractante : a) prendre à bail, pour des durées appropriées, les biens immeubles dont ils ont besoin à des fins de résidence ou qui sont nécessaires à la bonne marche des activités prévues par le présent Traité ; b) acquérir, par voie d’achat ou par tout autre moyen, des biens mobiliers de toute nature et c) aliéner des biens de toute nature par voie de vente, de testament ou par tout autre moyen. Le traitement dont ils bénéficient en ces matières ne sera, en aucun cas, moins favorable que celui qui est accordé aux ressortissants et aux sociétés de tout pays tiers.» [Traduction du Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies.]
194. L’Iran affirme que les mesures adoptées par les Etats-Unis ont privé des sociétés iraniennes du droit d’aliéner leurs biens au sens du point c) du paragraphe 1 de l’article V. Il soutient que tout acte consistant à confisquer des biens constitue aussi prima facie une violation du droit de les aliéner librement. Selon lui, la première phrase du paragraphe 1 de l’article V établit un droit d’aliéner des biens qui peut être exercé en toute circonstance, tandis que la seconde, qui porte sur le traitement de la nation la plus favorisée, crée une obligation autonome. Le demandeur fait valoir que cette dernière a elle aussi été violée, les sociétés iraniennes et leurs biens ayant manifestement reçu un traitement moins favorable que celui appliqué aux ressortissants et aux sociétés de pays tiers.
195. Les Etats-Unis, pour leur part, soutiennent que le paragraphe 1 de l’article V est une disposition permissive qui ne fait pas obligation de faciliter des activités ni de s’interdire totalement de les réglementer ou de les restreindre, et qu’il ne saurait y avoir violation de cette disposition lorsque des règles et procédures relatives au transfert de biens imposent des charges, des obstacles ou des conditions. Ils avancent que les deux phrases dudit paragraphe doivent être lues conjointement et qu’elles imposent une seule et même obligation, la clause relative au traitement de la nation la plus favorisée fournissant le standard à appliquer dans le cadre de la première phrase. Ils soutiennent également que cette disposition ne s’applique pas du tout au type de mesures dont l’Iran tire grief. Selon eux, l’Iran n’a pas établi que ses sociétés avaient tenté d’aliéner des biens ni que les mesures américaines en cause les avaient empêchées de le faire. De plus, les Etats-Unis affirment qu’aucune des mesures contestées par l’Iran n’accorde aux ressortissants iraniens un traitement moins favorable en matière d’aliénation de biens. Ils soulignent que l’Iran n’a cité aucune personne ni aucune société se trouvant dans une situation analogue qui aurait bénéficié d’un traitement plus favorable, ce qui est une condition fondamentale pour que soit appliqué le critère de la nation la plus favorisée.
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196. La Cour considère que le libellé de la première phrase du paragraphe 1 de l’article V, qui emploie le terme «pourront», confère aux ressortissants et aux sociétés des Parties contractantes le droit de prendre à bail les biens dont ils ont besoin à des fins de résidence ou qui sont nécessaires à la bonne marche de leurs activités, celui d’acquérir, par voie d’achat ou par tout autre moyen, des biens mobiliers et celui d’aliéner des biens.
197. Les droits établis à la première phrase ne font naître aucune obligation absolue pour les Parties contractantes. Celles-ci peuvent en effet exercer leurs pouvoirs de réglementation à l’égard
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des actes de prise à bail, d’acquisition et d’aliénation de biens susvisés, comme l’illustre la phrase en question elle-même, qui mentionne la prise à bail d’immeubles «pour des durées appropriées». La seconde phrase du paragraphe 1 de l’article V, qui fait référence au «traitement dont [les ressortissants et les sociétés] bénéficient en ces matières», indique aussi clairement que les Parties contractantes peuvent réglementer lesdites matières.
198. La Cour estime que les droits établis à la première phrase du paragraphe 1 de l’article V et l’obligation correspondante mise à la charge des Parties contractantes sont indépendants du standard énoncé dans la seconde phrase. Aux termes de celle-ci, le traitement appliqué ne sera, «en aucun cas, moins favorable que celui qui est accordé aux ressortissants et aux sociétés de tout pays tiers» (les italiques sont de la Cour). L’emploi de l’expression «en aucun cas» donne à penser que la seconde phrase établit un standard minimum. Cette phrase énonce l’engagement des Parties contractantes à améliorer le traitement dont bénéficient les ressortissants et les sociétés de l’autre Partie contractante chaque fois qu’elles accordent un traitement plus favorable aux ressortissants et aux sociétés de tout pays tiers à l’égard des droits établis dans la première phrase.
199. La Cour relève que les allégations formulées par l’Iran au sujet du droit d’aliéner des biens que les sociétés iraniennes tiennent du paragraphe 1 de l’article V reposent sur la même série de faits que les prétentions du demandeur au titre du paragraphe 2 de l’article IV. La Cour a déjà conclu que les mesures adoptées par les Etats-Unis constituaient des actes d’expropriation sans indemnisation accomplis en violation des obligations mises à leur charge par le paragraphe 2 de l’article IV. Selon elle, les mesures constitutives d’expropriation sans indemnisation ne font pas partie de celles qui entrent dans le champ d’application de l’obligation de permettre l’aliénation de biens que le paragraphe 1 de l’article V impose aux Parties contractantes. Cette obligation suppose que les ressortissants ou les sociétés concernés soient effectivement propriétaires de biens sur lesquels ils peuvent exercer des droits de propriété. La Cour considère que le paragraphe 1 de l’article V n’était pas censé s’appliquer aux situations constitutives d’expropriation, qui sont visées par le paragraphe 2 de l’article IV.
200. En ce qui concerne le décret présidentiel no 13599, la Cour observe que les biens et les participations dans des biens qu’il bloque «ne peuvent faire l’objet d’aucun transfert, paiement, exportation, retrait ou autre opération». Ces termes expriment une interdiction générale d’aliéner les biens en question. La Cour rappelle cependant que l’Iran n’a pas indiqué quels biens ou participations dans des biens de sociétés iraniennes autres que les biens de la banque Markazi avaient été précisément touchés par le décret présidentiel no 13599. De fait, tous les autres biens portés à l’attention de la Cour par l’Iran dont le blocage a été imputé à ce décret avaient été bloqués par d’autres mesures administratives qui n’ont pas été contestées en la présente instance. Il s’ensuit que ces biens n’ont pas été touchés par le décret présidentiel no 13599.
201. A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que l’Iran n’a pas établi que les Etats-Unis avaient violé le droit d’aliéner des biens énoncé au paragraphe 1 de l’article V du traité d’amitié.
E. Violations alléguées du paragraphe 1 de l’article VII
202. Le paragraphe 1 de l’article VII du traité d’amitié se lit comme suit :
«Aucune des Hautes Parties contractantes n’imposera de restrictions en matière de paiements, remises et autres transferts de fonds à destination ou en provenance des territoires de l’autre Haute Partie contractante sauf : a) dans la mesure nécessaire afin
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que les ressources en devises étrangères soient suffisantes pour régler le prix des marchandises et des services indispensables à la santé et au bien-être de sa population ; et b) dans le cas d’un membre du Fonds monétaire international, s’il s’agit de restrictions expressément approuvées par le Fonds.» [Traduction de la Cour.]
203. L’Iran affirme que le paragraphe 1 de l’article VII établit une interdiction générale des restrictions en matière de paiements et de transferts de fonds, tout en prévoyant deux exceptions en ce qui concerne les devises étrangères, qui ne sont pas applicables en la présente espèce. Il ajoute que les paragraphes 2 et 3 énoncent simplement des arrangements relatifs à l’application de ces exceptions. Sur la base de cette interprétation, le demandeur soutient que, par les mesures législatives, administratives et judiciaires par lesquelles ils ont saisi, bloqué et confisqué des fonds appartenant à des entités iraniennes et à l’Iran, les Etats-Unis ont appliqué des restrictions en matière de paiements, remises et autres transferts de fonds, en violation du paragraphe 1 de l’article VII.
204. Les Etats-Unis, pour leur part, font valoir que l’article VII est une disposition régissant le contrôle des changes. Selon eux, la portée de l’interdiction générale contenue au paragraphe 1 doit être appréhendée à la lumière de son contexte immédiat, à savoir les deux exceptions figurant dans le même paragraphe, ainsi que les paragraphes 2 et 3, qui traitent tous des restrictions en matière de change. Le défendeur soutient que cette interprétation est confirmée par l’historique des négociations du traité. Les Etats-Unis estiment que, même suivant l’interprétation de l’Iran, la demande de celui-ci ne tient pas puisque les mesures permettant aux victimes d’actes de terrorisme de faire exécuter des décisions de justice sur les biens des organismes et agences de l’Iran ne constituent pas des restrictions en matière de paiements, remises et autres transferts.
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205. Le désaccord des Parties concernant l’interprétation du paragraphe 1 de l’article VII a trait à la portée du premier volet de cette disposition et, en particulier, à celle du terme «restrictions».
206. Le premier volet du paragraphe 1 de l’article VII mentionne les «restrictions en matière de paiements, remises et autres transferts de fonds». Bien qu’il semble assez large à première vue, ce membre de phrase ne devrait pas être interprété isolément mais dans son contexte. Outre qu’il établit une règle générale, le paragraphe 1 énonce deux exceptions, destinées aux cas où des restrictions sont «nécessaire[s] afin que les ressources en devises étrangères soient suffisantes» et aux «restrictions expressément approuvées par le Fonds [monétaire international]». Les paragraphes 2 et 3 de l’article VII contiennent des règles que les Parties contractantes doivent observer chaque fois qu’elles appliquent des restrictions en matière de change. Le paragraphe 3, in fine, prévoit qu’une Partie contractante qui imposera pareilles restrictions devra donner à l’autre partie la possibilité de discuter avec elle «l’application des dispositions du présent article». Le contexte du paragraphe 1 de l’article VII donne donc à penser que le terme «restrictions» qui y est employé est limité aux «restrictions en matière de change».
207. La Cour observe également que l’interprétation avancée par l’Iran donnerait à la disposition à l’examen la nature d’une interdiction de toute restriction concernant les mouvements de capitaux. Compte tenu de la pratique conventionnelle des Etats en ce qui concerne les mouvements de capitaux de manière plus générale, il est difficile de concevoir que les Parties aient entendu imposer une interdiction aussi absolue, surtout sans l’indiquer expressément (voir Elettronica
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Sicula S.p.A. (ELSI) (Etats-Unis d’Amérique c. Italie), arrêt, C.I.J. Recueil 1989, p. 42, par. 50). Le paragraphe 3 de l’article VII, qui prévoit que les restrictions en matière de change soient appliquées «de manière à ne pas porter préjudice au commerce, aux transports et aux investissements de l’autre Haute Partie contractante sur le marché par rapport au commerce, aux transports ou aux investissements d’un pays tiers», donne à penser que l’intention des Parties était de réglementer l’application de restrictions en matière de change de sorte qu’elles ne nuisent pas au commerce bilatéral. En conséquence, la Cour estime que le paragraphe 1 de l’article VII a trait aux restrictions en matière de change.
208. Etant donné qu’elles ne portent pas sur des restrictions en matière de change, les demandes de l’Iran au titre du paragraphe 1 de l’article VII doivent être rejetées. La Cour conclut que l’Iran n’a pas établi de violation, par les Etats-Unis, des obligations qui leur incombent au regard du paragraphe 1 de l’article VII du traité d’amitié.
F. Violations alléguées du paragraphe 1 de l’article X
209. Le paragraphe 1 de l’article X du traité d’amitié dispose qu’«[i]l y aura liberté de commerce et de navigation entre les territoires des deux Hautes Parties contractantes» [traduction du Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies].
210. Le demandeur affirme que le traitement réservé à l’Iran et aux sociétés et institutions financières iraniennes, ainsi qu’à leurs biens respectifs, constitue une entrave à la liberté de commerce que lui confère le paragraphe 1 de l’article X du traité. Il soutient que le «commerce» est une notion large et que cette disposition inclut une protection contre les actes législatifs ou administratifs donnant lieu au blocage ou à la saisie automatiques de biens. Selon lui, dans l’affaire des Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), la Cour a rejeté l’idée selon laquelle le paragraphe 1 de l’article X serait limité au commerce maritime ou au commerce de marchandises, tout en reconnaissant que cette disposition englobe les opérations financières modernes. En ce qui concerne la limite territoriale prévue au paragraphe 1 de l’article X, le demandeur fait valoir que la Cour n’a pas conclu de manière générale que seuls les «échanges directs» ou le «commerce direct» étaient visés par cette disposition. Il soutient qu’il existait un commerce, quoique limité, entre les territoires des Parties, et recense plusieurs droits contractuels en vigueur, ainsi que des dettes de sociétés américaines envers des sociétés iraniennes.
211. Les Etats-Unis considèrent que les allégations de l’Iran sont erronées pour trois raisons. Premièrement, ils affirment que le terme «commerce» figurant au paragraphe 1 de l’article X, interprété dans son contexte, désigne le commerce relatif à la navigation. Dans la mesure où cette interprétation est en contradiction avec l’approche de la Cour dans l’affaire des Plates-formes pétrolières, ils prient la Cour de réexaminer sa décision. A titre subsidiaire, ils soutiennent que le terme «commerce» désigne le commerce de marchandises, y compris les activités accessoires qui y sont liées. A cet égard, les Etats-Unis soulignent que l’Iran ne mentionne aucun échange de marchandises sous-jacent qui aurait été perturbé par les mesures contestées.
Deuxièmement, les Etats-Unis affirment que l’Iran ne tient pas compte de la limite territoriale énoncée au paragraphe 1 de l’article X. Selon le défendeur, l’Iran n’a pas donné d’exemple concret d’échange commercial s’effectuant directement entre son territoire et celui des Etats-Unis qui aurait été entravé par les mesures contestées. Les Etats-Unis estiment que l’Iran a formulé une demande de caractère général du type de celle que la Cour avait déjà rejetée dans l’affaire des Plates-formes pétrolières.
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Troisièmement, les Etats-Unis soutiennent que les «entraves juridiques» au commerce telles que les règles régissant l’exécution de jugements rendus par des juridictions internes n’entrent pas dans les prévisions du paragraphe 1 de l’article X car elles n’ont qu’un rapport ténu, si tant est qu’elles en aient un, avec les relations commerciales entre les Parties.
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212. Dans son arrêt de 2019, la Cour a rappelé que le mot «commerce» figurant au paragraphe 1 de l’article X du traité d’amitié «ne vise pas seulement le commerce maritime, mais les échanges commerciaux en général», et que «les traités de commerce règlent une grande variété de questions accessoires liées au commerce». Elle a ainsi réitéré l’interprétation, énoncée dans l’affaire des Plates-formes pétrolières, selon laquelle le mot «commerce» contenu au paragraphe 1 de l’article X «inclu[t] des activités commerciales en général — non seulement les activités mêmes d’achat et de vente, mais également les activités accessoires qui sont intrinsèquement liées au commerce» (Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 34, par. 78, citant Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 818-819, par. 45-46 et 49). La Cour ne voit aucune raison de s’écarter de son interprétation antérieure de la notion de «liberté de commerce» au sens du paragraphe 1 de l’article X du traité.
213. Les Parties sont en désaccord sur le point de savoir si l’interprétation par la Cour de la notion de «liberté de commerce» exige que le commerce et ses activités accessoires soient limités à des échanges de marchandises.
214. La Cour observe que, comme cela est indiqué dans son préambule, le traité d’amitié a pour objet et pour but d’encourager «les échanges et les investissements mutuellement profitables et l’établissement de relations économiques plus étroites». S’il est vrai que, dans l’affaire des Plates-formes pétrolières, elle examinait des questions ayant trait au commerce de marchandises, la Cour n’a cependant pas interprété le mot «commerce» comme portant exclusivement sur ce type d’échanges. Dans l’exposé de ses motifs, elle a relevé, se référant à la décision rendue par sa devancière dans l’affaire Oscar Chinn, qu’«[a]insi la liberté du commerce a été entendue par la Cour permanente comme ne visant pas seulement des activités d’achat et de vente de biens, mais encore l’industrie et notamment l’industrie des transports» (Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 819, par. 48). La Cour a également cité le Dictionnaire de la terminologie du droit international de 1960, qui précise que l’expression «commerce international» désigne «l’ensemble des transactions à l’importation et à l’exportation, des rapports d’échange, d’achat, de vente, de transport, des opérations financières, entre nations» et, parfois, «l’ensemble des rapports économiques, politiques, intellectuels entre Etats et entre leurs ressortissants» (ibid., p. 818, par. 45). Par ailleurs, la Cour a expressément indiqué que les restrictions imposées aux opérations financières étaient un type de mesure susceptible d’avoir une incidence sur certains droits prévus par le traité d’amitié (Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 3 octobre 2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 643, par. 67).
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215. La Cour estime par conséquent que les transactions ou opérations financières constituent des activités accessoires qui sont intrinsèquement liées au commerce. Selon elle, les activités intégralement menées dans le secteur financier, telles que les échanges d’actifs incorporels, constituent également un commerce protégé par le paragraphe 1 de l’article X du traité.
216. Ainsi que la Cour l’a déjà précisé, pour bénéficier de la protection prévue par le paragraphe 1 de l’article X, le commerce en cause «doi[t] s’effectuer entre les territoires des Etats-Unis et de l’Iran» (Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 214-215, par. 119 ; les italiques sont dans l’original). Dans l’affaire des Plates-formes pétrolières, la Cour a examiné la question de savoir si le commerce indirect de pétrole constituait un commerce entre les territoires des deux Etats aux fins du traité d’amitié. A cet égard, elle a jugé que «la nature des transactions commerciales successives liées au pétrole» était déterminante. Elle est ainsi parvenue à la conclusion selon laquelle il n’existait pas de commerce entre les territoires des Etats-Unis et de l’Iran, relevant que, «[u]ne fois le premier contrat exécuté, l’Iran n’avait plus aucun intérêt financier dans les biens cédés, ou n’était plus juridiquement responsable de ceux-ci» (ibid., p. 207, par. 97). Cette conclusion reposait sur la nature de transactions commerciales successives liées au pétrole. Il ne s’ensuit pas qu’aucune forme de commerce mené par des intermédiaires ne constitue un commerce aux fins du paragraphe 1 de l’article X. De fait, il est dans la nature des transactions financières que des intermédiaires situés dans différents pays participent souvent aux opérations.
217. La Cour rappelle que la partie alléguant que l’autre partie a violé le paragraphe 1 de l’article X doit démontrer qu’«il y a eu une entrave effective au commerce … entre les territoires des deux hautes parties contractantes» (ibid., p. 217, par. 123 ; les italiques sont dans l’original). Les Etats-Unis font valoir que les mesures contestées par l’Iran sont des «entraves juridiques» indirectes auxquelles la disposition précitée ne s’applique pas et que, en tout état de cause, l’Iran n’a pas montré de quelle manière lesdites mesures auraient entravé le commerce.
218. La Cour n’ignore pas que les relations tendues entre les Parties ont entraîné une réduction progressive de leur commerce bilatéral. Toutefois, il ne fait aucun doute que, lorsque les Etats-Unis ont adopté les mesures que l’Iran conteste, les Parties entretenaient encore des relations commerciales. Ainsi que le rapporte le Bureau du recensement des Etats-Unis, il existait un commerce de marchandises. Certaines sociétés iraniennes fournissaient également des services aux sociétés américaines en Iran, comme le montrent les documents ayant trait aux dettes contractuelles dans le secteur des télécommunications et dans le secteur du service des cartes de crédit, ainsi qu’un certain nombre de transactions financières effectuées par des sociétés iraniennes dans le système bancaire des Etats-Unis (voir les paragraphes 180-181 ci-dessus).
219. Dans l’affaire des Plates-formes pétrolières, la Cour s’intéressait à des entraves physiques à la liberté de commerce. La décision qu’elle a rendue dans cette affaire ne l’empêche cependant pas de rechercher, en la présente espèce, si les mesures adoptées par les Etats-Unis, qui sont de nature juridique, ont entravé la liberté de commerce entre les Parties.
220. Le décret présidentiel no 13599 a bloqué tous les biens et intérêts dans des biens de l’Iran et des institutions financières iraniennes (voir le paragraphe 114 ci-dessus). De par ses termes mêmes, ce décret constitue une entrave effective à toute transaction ou opération financière réalisée par l’Iran ou les institutions financières iraniennes sur le territoire des Etats-Unis.
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221. Aux termes de l’alinéa 1 du paragraphe g) de l’article 1610 de la FSIA, tout actif détenu par toute société iranienne, à l’égard duquel l’Etat iranien détient quelque intérêt que ce soit, peut faire l’objet de mesures de saisie et d’exécution, même s’il n’a pas été préalablement bloqué. De par ses termes mêmes, cette disposition constitue une entrave effective à la réalisation d’activités commerciales par ces entités sur le territoire des Etats-Unis. De plus, l’application judiciaire de l’alinéa 1 du paragraphe g) de l’article 1610 de la FSIA et du paragraphe a) de l’article 201 de la TRIA a concrètement entravé le commerce.
222. Dans le cadre des demandes qu’il a formulées au titre du paragraphe 1 de l’article X, l’Iran a spécifiquement mentionné les effets de certaines procédures d’exécution relatives aux actifs du ministère iranien de la défense et de la marine iranienne détenus par la banque Wells Fargo. La Cour note que la première allégation concerne une somme déposée par la société Cubic Defense Systems qui était due au ministère iranien de la défense par suite d’une procédure d’arbitrage relative au fait que certaines obligations contractuelles n’avaient pas été pleinement exécutées après la révolution iranienne de 1979. S’agissant des actifs de la marine iranienne, la seule information disponible est qu’ils étaient détenus par la banque Wells Fargo en tant que «garantie d’une lettre de crédit». Selon la Cour, les éléments qui lui ont été présentés ne démontrent pas que les actifs en question aient été liés au commerce de telle sorte que les décisions de justice pertinentes puissent être considérées comme des cas d’entrave au commerce résultant de l’application de la TRIA et de la FSIA.
En revanche, les effets des procédures d’exécution relatives à des dettes contractuelles dans le secteur des télécommunications et dans le secteur du service des cartes de crédit mentionnés ci-dessus (voir les paragraphes 180-181) constituent des exemples manifestes de pareilles entraves.
223. A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que les Etats-Unis ont violé les obligations que leur impose le paragraphe 1 de l’article X du traité d’amitié.
V. REMÈDES
224. Dans ses conclusions finales, l’Iran demande à la Cour, après avoir constaté les violations du traité d’amitié qu’il allègue, de dire
«c) … que les Etats-Unis sont par conséquent tenus de mettre un terme à la situation née desdites violations du droit international a) par la cessation des actes en cause, b) par la réparation intégrale des préjudices causés par ces actes, réparation dont le quantum sera déterminé à un stade ultérieur de la procédure, et c) par la présentation d’excuses officielles à la République islamique d’Iran à raison des actes illicites susmentionnés et des préjudices qu’ils ont causés».
A. Cessation des faits internationalement illicites
225. L’Iran précise sa demande relative à la cessation des faits illicites dans les termes suivants :
«[L]es Etats-Unis doivent, en adoptant une législation appropriée ou en recourant à tout autre moyen de leur choix, veiller à ce que les mesures adoptées par leur pouvoir législatif et leur pouvoir exécutif, ainsi que les décisions de leurs tribunaux ou d’autres instances portant atteinte aux droits de l’Iran et de sociétés iraniennes cessent de
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produire leurs effets dans la mesure où chacune d’elles a été adoptée en violation des obligations imposées aux Etats-Unis envers l’Iran par le traité d’amitié, et à ce que ne soit prise contre les actifs ou les intérêts de l’Iran, d’entités iraniennes ou de ressortissants iraniens aucune mesure emportant ou supposant la reconnaissance ou l’exécution de ces actes.» (Conclusions finales, point d).)
226. Comme l’indique l’article 30 des Articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat, qui reflète à cet égard le droit international coutumier : «L’Etat responsable du fait internationalement illicite a l’obligation : a) [d]’y mettre fin si ce fait continue».
227. Une telle obligation n’existe que si l’obligation violée est toujours en vigueur (voir en ce sens le commentaire par la CDI de l’article 30, paragraphes 1 et 3 ; voir aussi la sentence arbitrale dans l’affaire du Rainbow Warrior (sentence du 30 avril 1990, RSA, vol. XX, p. 270, par. 114)).
228. En l’espèce, cette condition n’est pas remplie. En effet, le traité d’amitié n’est plus en vigueur. Les Etats-Unis l’ont dénoncé en donnant notification de cette dénonciation à l’Iran le 3 octobre 2018, de telle sorte que le traité a cessé de produire effet un an plus tard conformément aux dispositions du paragraphe 3 de son article XXIII (voir le paragraphe 32 ci-dessus).
229. Il suit de là que la demande de l’Iran relative à la cessation des faits internationalement illicites doit être rejetée.
B. Indemnisation pour les préjudices subis
230. L’Iran précise, au soutien de sa demande de réparation des préjudices, qu’il «présentera à la Cour, dans un délai fixé par elle, une évaluation précise des réparations qui lui sont dues pour les préjudices causés par les actes illicites que les Etats-Unis ont commis en violation du traité d’amitié» (conclusions finales, point e)).
231. L’Iran est fondé à recevoir indemnisation pour les préjudices causés par les violations dont la Cour a constaté la commission par les Etats-Unis. La Cour ne pourrait procéder à l’évaluation de ces préjudices et du montant de l’indemnité que dans le cadre d’une phase ultérieure de la procédure. Dans le cas où les Parties ne parviendraient pas à s’entendre sur le montant de l’indemnité due à l’Iran dans un délai de 24 mois à partir de la date du présent arrêt, la Cour déterminera ce montant, à la demande de l’une d’entre elles, sur la base de pièces écrites additionnelles limitées à cet objet.
C. Satisfaction
232. La présentation d’excuses formelles de la part de l’Etat ayant commis le fait illicite peut constituer, dans des cas appropriés, une modalité de la satisfaction que l’Etat lésé est en droit de réclamer, à la suite du constat de l’illicéité (sur ce point, voir article 37, paragraphe 2, des Articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat).
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233. Dans les circonstances de l’espèce, la Cour estime que le constat, par le présent arrêt, des faits illicites dont les Etats-Unis ont été les auteurs constitue pour le demandeur une satisfaction suffisante.
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234. L’Iran a également demandé, dans ses conclusions finales, que la Cour décide que «les Etats-Unis doivent prendre en charge les frais engagés par l’Iran pour exposer sa thèse et défendre les droits qu’il tient du traité d’amitié».
235. L’article 64 du Statut de la Cour dispose que «[s’]il n’en est autrement décidé par la Cour, chaque partie supporte ses frais de procédure». Dans les circonstances de l’espèce, la Cour n’aperçoit aucune raison suffisante de mettre les frais de procédure à la charge de la partie défenderesse (voir par exemple Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), réparations, arrêt du 9 février 2022, par. 396 ; Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 718, par. 144).
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236. Par ces motifs,
LA COUR,
1) Par dix voix contre cinq,
Retient l’exception d’incompétence soulevée par les Etats-Unis d’Amérique relative aux demandes présentées par la République islamique d’Iran au titre des articles III, IV et V du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955, dans la mesure où elles portent sur le traitement réservé à la banque Markazi et, en conséquence, dit qu’elle n’est pas compétente pour connaître desdites demandes ;
POUR : M. Gevorgian, vice-président, faisant fonction de président en l’affaire ; MM. Tomka, Abraham, Mmes Xue, Sebutinde, MM. Bhandari, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, juges ; Mme Barkett, juge ad hoc ;
CONTRE : MM. Bennouna, Yusuf, Robinson, Salam, juges ; M. Momtaz, juge ad hoc ;
2) Par treize voix contre deux,
Rejette l’exception d’irrecevabilité soulevée par les Etats-Unis d’Amérique se rapportant au défaut d’épuisement des voies de recours internes par les sociétés iraniennes ;
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POUR : M. Gevorgian, vice-président, faisant fonction de président en l’affaire ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf, Mme Xue, MM. Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, juges ; M. Momtaz, juge ad hoc ;
CONTRE : Mme Sebutinde, juge ; Mme Barkett, juge ad hoc ;
3) Par huit voix contre sept,
Dit que les Etats-Unis d’Amérique ont violé l’obligation que leur impose le paragraphe 1 de l’article III du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 ;
POUR : M. Gevorgian, vice-président, faisant fonction de président en l’affaire ; MM. Bennouna, Yusuf, Mme Xue, MM. Robinson, Salam, Mme Charlesworth, juges ; M. Momtaz, juge ad hoc ;
CONTRE : MM. Tomka, Abraham, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Iwasawa, Nolte, juges ; Mme Barkett, juge ad hoc ;
4) Par douze voix contre trois,
Dit que les Etats-Unis d’Amérique ont violé les obligations que leur impose le paragraphe 1 de l’article IV du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 ;
POUR : M. Gevorgian, vice-président, faisant fonction de président en l’affaire ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf, Mme Xue, MM. Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, juges ; M. Momtaz, juge ad hoc ;
CONTRE : Mme Sebutinde, M. Bhandari, juges ; Mme Barkett, juge ad hoc ;
5) Par onze voix contre quatre,
Dit que les Etats-Unis d’Amérique ont violé l’obligation que leur impose le paragraphe 2 de l’article IV du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955, à savoir que les biens appartenant aux ressortissants et aux sociétés des Parties contractantes «ne pourront être expropriés que pour cause d’utilité publique et moyennant le paiement rapide d’une juste indemnité» ;
POUR : M. Gevorgian, vice-président, faisant fonction de président en l’affaire ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf, Mme Xue, MM. Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte, juges ; M. Momtaz, juge ad hoc ;
CONTRE : Mme Sebutinde, M. Bhandari, Mme Charlesworth, juges ; Mme Barkett, juge ad hoc ;
6) Par dix voix contre cinq,
Dit que les Etats-Unis d’Amérique ont violé les obligations que leur impose le paragraphe 1 de l’article X du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 ;
POUR : M. Gevorgian, vice-président, faisant fonction de président en l’affaire ; MM. Abraham, Bennouna, Yusuf, Mme Xue, MM. Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte, juges ; M. Momtaz, juge ad hoc ;
CONTRE : M. Tomka, Mme Sebutinde, M. Bhandari, Mme Charlesworth, juges ; Mme Barkett, juge ad hoc ;
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7) Par treize voix contre deux,
Dit que les Etats-Unis d’Amérique ont l’obligation d’indemniser la République islamique d’Iran pour les conséquences préjudiciables découlant des violations des obligations internationales visées aux points 3) à 6) ci-dessus ;
POUR : M. Gevorgian, vice-président, faisant fonction de président en l’affaire ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf, Mme Xue, MM. Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, juges ; M. Momtaz, juge ad hoc ;
CONTRE : Mme Sebutinde, juge ; Mme Barkett, juge ad hoc ;
8) Par quatorze voix contre une,
Dit que, au cas où les Parties ne pourraient se mettre d’accord sur la question de l’indemnisation due à la République islamique d’Iran dans un délai de 24 mois à compter de la date du présent arrêt, cette question sera, à la demande de l’une ou l’autre Partie, réglée par la Cour, et réserve à cet effet la suite de la procédure ;
POUR : M. Gevorgian, vice-président, faisant fonction de président en l’affaire ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf, Mme Xue, MM. Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, juges ; Mme Barkett, M. Momtaz, juges ad hoc ;
CONTRE : Mme Sebutinde, juge ;
9) A l’unanimité,
Rejette le surplus des conclusions soumises par les Parties.
Fait en anglais et en français, le texte anglais faisant foi, au Palais de la Paix, à La Haye, le trente mars deux mille vingt-trois, en trois exemplaires, dont l’un restera déposé aux archives de la Cour et les autres seront transmis respectivement au Gouvernement de la République islamique d’Iran et au Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique.
Le vice-président,
(Signé) Kirill GEVORGIAN.
Le greffier,
(Signé) Philippe GAUTIER.
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M. le juge TOMKA joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; M. le juge ABRAHAM joint une déclaration à l’arrêt ; MM. les juges BENNOUNA et YUSUF joignent à l’arrêt les exposés de leur opinion individuelle ; Mme la juge SEBUTINDE joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente ; M. le juge BHANDARI joint une déclaration à l’arrêt ; M. le juge ROBINSON joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle, en partie concordante et en partie dissidente ; M. le juge SALAM joint une déclaration à l’arrêt ; MM. les juges IWASAWA et NOLTE et Mme la juge CHARLESWORTH joignent à l’arrêt les exposés de leur opinion individuelle ; Mme la juge ad hoc BARKETT joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle, en partie concordante et en partie dissidente ; M. le juge ad hoc MOMTAZ joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle.
(Paraphé) K.G.
(Paraphé) Ph.G.
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Judgment of 30 March 2023

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