Résumé de l'ordonnance du 30 avril 2024

Document Number
193-20240430-SUM-01-00-EN
Document Type
Incidental Proceedings
Number (Press Release, Order, etc)
2024/4
Date of the Document
Document File

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
Tél : +31 (0)70 302 2323 Télécopie : +31 (0)70 364 9928
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Résumé
Non officiel
Résumé 2024/4
Le 30 avril 2024
Manquements allégués à certaines obligations internationales relativement au Territoire palestinien occupé (Nicaragua c. Allemagne) Demande en indication de mesures conservatoires
La Cour commence par rappeler que, le 1er mars 2024, le Nicaragua a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre l’Allemagne concernant des manquements allégués à certaines obligations internationales relativement au Territoire palestinien occupé. La requête contenait une demande en indication de mesures conservatoires. Au terme de ses plaidoiries, le Nicaragua a prié la Cour
« d’indiquer de toute urgence, dans l’attente de sa décision au fond en la présente affaire, et après avoir rappelé aux Parties les obligations qu’elles ont de respecter le droit humanitaire ainsi que de coopérer pour faire cesser les violations graves de normes impératives du droit international, les mesures conservatoires suivantes relativement à la participation de l’Allemagne au génocide plausible en cours et aux violations graves du droit international humanitaire et d’autres normes impératives du droit international général qui sont commises dans la bande de Gaza et dans d’autres parties de la Palestine :
1) L’Allemagne doit suspendre immédiatement son aide à Israël, notamment son assistance militaire ainsi que l’exportation et les autorisations d’exportation de matériel militaire et d’armes de guerre, dans la mesure où cette aide sert ou pourrait servir à commettre ou à faciliter des violations graves de la convention sur le génocide, du droit international humanitaire ou d’autres normes impératives du droit international général ;
2) L’Allemagne doit immédiatement veiller à ce que le matériel militaire, les armes de guerre et les autres équipements utilisés à des fins militaires qui ont déjà été livrés à Israël par l’État allemand ou des entités allemandes ne servent pas à commettre ou à faciliter des violations graves de la convention sur le génocide, du droit international humanitaire ou d’autres normes impératives du droit international général ;
3) L’Allemagne doit rétablir son soutien et son financement de l’UNRWA en ce qui concerne les opérations de celui-ci à Gaza. »
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Dans l’ordonnance, la Cour commence par rappeler que, conformément à l’article 41 du Statut, elle a « le pouvoir d’indiquer, si elle estime que les circonstances l’exigent, quelles mesures conservatoires du droit de chacun doivent être prises à titre provisoire ». En la présente espèce, la Cour considère qu’elle doit d’abord déterminer si le Nicaragua a suffisamment démontré que les circonstances, telles qu’elles se présentent actuellement à elle, sont de nature à exiger l’exercice de son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires.
La Cour relève que, selon le Nicaragua, en fournissant des armes à Israël et en suspendant le financement de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), l’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la convention sur le génocide et du droit international humanitaire, dont les conventions de Genève du 12 août 1949 et les protocoles additionnels du 8 juin 1977, ainsi qu’à ses principes intransgressibles. Le Nicaragua affirme que le Gouvernement allemand a autorisé, pour l’année 2023, des exportations « de matériel militaire et d’armes de guerre » pour un montant plus de dix fois supérieur à celui de l’année 2022, la grande majorité de celles-ci ayant été autorisées depuis le début de l’opération militaire menée par Israël dans la bande de Gaza. Le Nicaragua affirme que l’Allemagne ne pouvait pas ignorer la situation à Gaza, ni que le « matériel militaire et les armes de guerre » qu’elle fournissait seraient probablement utilisés par Israël pour « bombarder et tuer des milliers d’enfants, de femmes et d’hommes palestiniens ». Il affirme également que l’Allemagne non seulement manque à son obligation de prévenir et de punir les violations de la convention sur le génocide et du droit international humanitaire, mais qu’elle s’en rend « complice en prêtant aide et assistance à leur commission ».
En réponse, la Cour note que l’Allemagne fait valoir, premièrement, qu’elle s’est acquittée de l’obligation qui incombe aux États parties à la convention sur le génocide de prévenir la commission du génocide en ayant continûment recours à tous les moyens raisonnables à sa disposition, pour exercer son influence sur Israël afin d’améliorer la situation à Gaza, et pour fournir de l’aide humanitaire à la population de Gaza. Deuxièmement, elle soutient que l’obligation, pouvant découler de l’article premier commun aux conventions de Genève, qui est faite aux États non parties à un conflit armé n’impose pas à ceux-ci de s’abstenir totalement de soutenir militairement un État partie à un conflit armé. L’Allemagne affirme en outre qu’elle a adopté des normes très strictes en matière de délivrance d’autorisations afin d’évaluer s’il existe le moindre risque que l’État destinataire commette des violations graves de la convention sur le génocide, du droit international humanitaire et d’autres normes impératives du droit international. Selon l’Allemagne, rien ne montre que le fait qu’elle fournisse du matériel militaire à Israël aurait contribué à la commission d’un génocide allégué ou de violations du droit international humanitaire.
La Cour relève que l’Allemagne, ainsi qu’elle l’a fait valoir, est liée par le traité sur le commerce des armes du 2 avril 2013 et par la position commune du Conseil de l’Union européenne du 8 décembre 2008, telle que modifiée le 17 septembre 2019, qui définit les règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires.
La Cour relève en outre, ainsi que l’Allemagne l’a également fait valoir, que le cadre juridique allemand relatif à la fabrication, à la commercialisation et à l’exportation d’armes de guerre et d’autre matériel militaire prévoit un processus interinstitutionnel faisant intervenir au moins deux ministères, et éventuellement davantage selon l’objet de la demande d’autorisation. Conformément à ce cadre juridique, deux catégories de technologie et de matériel militaires sont soumises à autorisation, les « armes de guerre », dont l’exportation requiert deux autorisations préalables, et les « autres matériels militaires », dont l’exportation n’en nécessite qu’une. En application du cadre juridique allemand, pour chaque autorisation accordée, le Gouvernement allemand procède à une évaluation pour vérifier s’il existe un risque manifeste que l’article particulier soumis à autorisation soit utilisé pour commettre un génocide, des crimes contre l’humanité ou des violations graves des quatre conventions de Genève.
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La Cour note de surcroît, ainsi que l’Allemagne l’a indiqué, que la valeur des équipements pour lesquels des autorisations ont été accordées a nettement diminué depuis novembre 2023, passant d’environ 200 millions d’euros en octobre 2023 à environ 24 millions d’euros en novembre 2023, et finalement à environ 1 million d’euros en mars 2024. La Cour note également que, selon l’Allemagne, seules quatre autorisations pour « armes de guerre » ont été accordées depuis le 7 octobre 2023 : deux concernaient des munitions à fin d’entraînement, une des charges propulsives à des fins d’essai, et une l’exportation de 3 000 armes antichars portables. Elle note en outre qu’Israël avait aussi pris contact avec le Gouvernement allemand en 2023 au sujet de munitions pour blindés et qu’aucune décision n’a jusqu’ici été prise par la défenderesse. De plus, selon l’Allemagne, la procédure d’autorisation pour l’exportation d’un sous-marin à Israël est pendante, étant donné qu’une seule des deux autorisations requises a, pour l’instant, été délivrée. Enfin, la Cour prend note de la déclaration de l’Allemagne indiquant que 98 % des autorisations délivrées depuis le 7 octobre 2023 relevaient de la catégorie des « autres matériels militaires » et non de celle des « armes de guerre ».
Pour ce qui est de la demande du Nicaragua tendant à ce que l’Allemagne « rétabli[sse] son soutien et son financement de l’UNRWA en ce qui concerne les opérations de celui-ci à Gaza », la Cour note que l’Allemagne a annoncé le 27 janvier 2024 sa décision de suspendre sa contribution à l’UNRWA s’agissant des opérations à Gaza. À cet égard, la Cour relève, tout d’abord, que les contributions à l’UNRWA ont un caractère volontaire. Elle relève en outre que, selon les informations que l’Allemagne lui a fournies, aucun nouveau versement ne devait être effectué par celle-ci dans les semaines qui ont suivi l’annonce de sa décision. La Cour note enfin que l’Allemagne a indiqué qu’elle avait soutenu des initiatives visant à financer les travaux de l’Office, en particulier par l’intermédiaire du versement de 50 millions d’euros effectué par l’Union européenne à l’UNRWA le 1er mars 2024, ainsi que par son appui financier et matériel à d’autres organisations opérant dans la bande de Gaza.
Sur la base des informations factuelles et des arguments juridiques présentés par les Parties, la Cour conclut que, à l’heure actuelle, les circonstances ne sont pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires en vertu de l’article 41 du Statut.
En ce qui concerne la demande de l’Allemagne tendant à ce que l’instance soit rayée du rôle, la Cour fait observer que, comme elle l’a indiqué par le passé, elle peut, en cas d’incompétence manifeste, rayer une affaire de son rôle au stade des mesures conservatoires. Si tel n’est pas le cas, la Cour ne peut procéder à une telle radiation. En la présente affaire, à défaut d’incompétence manifeste, la Cour ne saurait accéder à la demande de l’Allemagne.
La Cour rappelle que, dans son ordonnance du 26 janvier 2024 en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), elle a noté que l’opération militaire conduite par Israël à la suite de l’attaque du 7 octobre 2023 avait fait « de très nombreux morts et blessés et causé la destruction massive d’habitations, le déplacement forcé de l’écrasante majorité de la population et des dommages considérables aux infrastructures civiles ». Elle reste en outre profondément préoccupée par les conditions désastreuses dans lesquelles vivent les Palestiniens de la bande de Gaza, en particulier au vu de la privation prolongée et généralisée de nourriture et d’autres produits de première nécessité à laquelle ceux-ci sont soumis, ainsi qu’elle l’a constaté dans son ordonnance du 28 mars 2024 rendue en la même affaire.
La Cour rappelle en outre que, en vertu de l’article premier commun aux conventions de Genève, tous les États parties ont l’obligation de « respecter et [de] faire respecter » ces conventions « en toutes circonstances ». Il résulte de cette disposition l’obligation de chaque État partie à ces conventions, qu’il soit partie ou non à un conflit déterminé, de faire respecter les prescriptions des instruments concernés. Une telle obligation ne découle pas seulement des conventions elles-mêmes, mais des principes généraux du droit humanitaire dont les conventions ne sont que l’expression concrète. S’agissant de la convention sur le génocide, la Cour a eu l’occasion de relever que l’obligation de prévenir la commission du crime de génocide, en application de l’article premier,
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exige des États parties qui avaient connaissance, ou auraient dû normalement avoir connaissance, de l’existence d’un risque sérieux de commission d’actes de génocide, qu’ils mettent en oeuvre tous les moyens qui sont raisonnablement à leur disposition en vue d’empêcher, dans la mesure du possible, le génocide. En outre, les États parties sont tenus par la convention sur le génocide de ne commettre aucun des autres actes énumérés à l’article III.
De surcroît, la Cour estime particulièrement important de rappeler à tous les États les obligations internationales qui leur incombent en ce qui concerne le transfert d’armes à des parties à un conflit armé, afin d’éviter le risque que ces armes soient utilisées pour commettre des violations des conventions susmentionnées. Toutes ces obligations incombent à l’Allemagne en tant qu’État partie auxdites conventions lorsqu’elle fournit des armes à Israël.
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Le texte intégral du dispositif de l’ordonnance se lit comme suit :
« Par ces motifs,
LA COUR,
Par quinze voix contre une,
Dit que les circonstances, telles qu’elles se présentent actuellement à elle, ne sont pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires en vertu de l’article 41 du Statut.
POUR : M. Salam, président ; Mme Sebutinde, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Yusuf, Mme Xue, MM. Bhandari, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, MM. Brant, Gómez Robledo, Mme Cleveland, MM. Aurescu, Tladi, juges ;
CONTRE : M. Al-Khasawneh, juge ad hoc. »
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Mme la juge SEBUTINDE, vice-présidente, joint à l’ordonnance l’exposé de son opinion individuelle ; M. le juge IWASAWA joint à l’ordonnance l’exposé de son opinion individuelle ; Mme la juge CLEVELAND et M. le juge TLADI joignent des déclarations à l’ordonnance ; M. le juge ad hoc AL-KHASAWNEH joint à l’ordonnance l’exposé de son opinion dissidente.
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